L’Espoir



Samedi 03 Juin 2006 à 18h – 4ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de André Malraux et Boris Peskine – France – 1945 – 1h20

La guerre d’Espagne. Une chronique de guerre qui retranscrit l’intensité de l’expérience vécue.

« Malraux vécut la guerre d’Espagne en personne dès 1936 : son film, un document historique exceptionnel qui raconte avec émotion un épisode de cette guerre, fut tourné pendant celle-ci en Espagne, sans trop de moyens mais avec une conviction résolument antifasciste. »
(Pablo Del Val)

Sur le web

 » La Filmoteca de Madrid présente une de ses dernières acquisitions: Espoir d’André Malraux. Evénement à première vue banal. A première vue, seulement. Il est symboliquement important que la cinémathèque espagnole possède enfin une copie du film que le gouvernement républicain a financé juste avant d’être vaincu par Franco. De surcroît, la version de la Filmoteca diffère de celle connue en France. Elle comporte dix-neuf plans supplémentaires, explique le Catalan Ferran Alberich, cinéaste, historien, restaurateur de copies et grand connaisseur du cinéma espagnol, notamment de la période de la guerre civile (1). Ces trois minutes de film appartiennent à la dernière séquence, la plus célèbre, celle où les blessés républicains, transbahutés par des paysans, descendent d’une montagne vers un village. Dans ce montage, qui est en effet celui de Malraux, le rythme de la succession des plans correspond à celui de la musique de Darius Milhaud. D’où un effet lyrique plus puissant que dans la version «française», où la bande musicale n’est pas couplée à la bande image.

La copie de la cinémathèque de Madrid, explique Alberich, a été tirée à partir de celle de la Library of Congress de Washington. Pour comprendre comment l’archive américaine détient une version véritablement originale, considérée comme perdue, d’Espoir, force est de revenir à l’histoire du tournage puis de l’exploitation du seul et unique film d’André Malraux. Et articuler les deux récits de cette histoire: d’une part, le récit français de Denis Marion, qui aida Malraux à mettre le scénario en forme et écrivit une monographie sur l’écrivain cinéaste chez Seghers en 1970; d’autre part, le récit américain de Walter G. Langlois, rapporté ici par Ferran Alberich. Le premier explique par quel hasard une copie du film fut sauvée de la destruction voulue par les nazis, puis comment, après guerre, le montage en fut modifié. Le second, comment une autre copie fut confiée aux Américains par Malraux lui-même. Les combats d’un intellectuel Dans la France des années 30, Malraux est, avec André Gide, le plus célèbre intellectuel de gauche. Dix ans plus tôt, il s’est révolté contre le colonialisme français en Indochine; en 1929, il a échafaudé un plan farfelu pour libérer Léon Trotsky alors confiné en Asie soviétique par Staline. En 1931, dans la NRF, à propos des Conquérants, il a dialogué avec le fondateur de l’armée Rouge, grand amateur de romans français. En 1933, alors que le proscrit s’installe pour une courte durée à Royan, Malraux le rencontre. Ils discutent surtout de littérature et de cinéma. «La véritable expression de l’art communiste, n’est-ce pas, non la littérature, mais le cinéma? Il y a le cinéma avant et après Potemkine, avant et après la Mère », aurait déclaré Malraux à cette occasion.

A partir de 1935, le romancier change son fusil d’épaule. Vedette de la plupart des meetings et congrès d’intellectuels antifascistes, il se rapproche des staliniens, fait silence sur les procès de Moscou, soutient la politique d’une l’URSS cauchemardesque (déportations et massacres de paysans, d’ouvriers et même de communistes), refuse d’intervenir en faveur de l’écrivain Victor Serge, embastillé par les autorités soviétiques pour sympathie envers Trotsky. Et il n’en démord pas, du moins jusqu’au pacte germano-soviétique. Au nom de l’efficacité du combat antifasciste, dira-t-il.

En mai 1936, le futur aède du général de Gaulle visite une première fois l’Espagne. Des élections viennent de porter le Front populaire au pouvoir. L’atmosphère est électrique. C’est l’époque du congrès de Saragosse de la Confédération nationale du Travail, la CNT anarchiste. Revenu à Paris, Malraux garde un oeil sur le sud des Pyrénées. Les 17 et 18 juillet, les généraux Mola et Franco soulèvent la majorité de l’armée contre le gouvernement légal de l’Espagne. Séville, Saragosse, Oviedo et Burgos tombent. Pendant qu’à Madrid, Malaga, Valence, Gijon et Barcelone, la foule ouvrière prend les armes et écrase la rébellion. A Barcelone, c’est même une révolution libertaire qui commence.

Dès le 21 juillet, deux mois avant que l’URSS s’engage (trop tard) auprès du gouvernement républicain, trois mois avant que les Brigades internationales entrent dans la bataille, à un moment où rien n’est encore joué, Malraux débarque à l’aéroport de Barajas-Madrid. Il ne parle pas espagnol, ne connaît personne, sauf l’écrivain catholique prostalinien José Bergamin. Ce dernier le met en contact avec des membres du gouvernement légal. Ils lui apprennent que la moitié de l’aviation militaire, celle qui était restée loyale, est tombée aux mains du général rebelle Queipo de Llano qui en a fait fusiller tous les pilotes. Malraux décide de tout faire pour reconstruire une aviation républicaine. Il n’a aucune compétence, ne sait pas piloter un avion, mais achète des appareils en France, vole, combat, recrute des pilotes surtout étrangers, et bâtit une escadrille, España, coeur de l’aviation républicaine jusqu’à l’arrivée des Russes à l’automne. Images héroïques L’année suivante, «le combattant, écrit Marion, cède la place à l’écrivain qui se met sur le champ à la rédaction de l’Espoir, nourri de l’expérience exceptionnelle qu’il vient de vivre. Le livre paraît en décembre 1937». L’Espoir, c’est un peu le roman officiel de la République agressée, un livre qui présente une image héroïque de la guerre civile, sans évoquer les conflits du camp antifasciste, sur les assassinats et les emprisonnements d’anarchistes et de militants du Poum, sur la disparition d’Andres Nin, tous crimes perpétrés par les communistes et les Soviétiques. Pour lire cela, il faudra lire Hommage à la Catalogne de George Orwell.

L’Espoir publié, Malraux part en Amérique faire campagne pour les républicains. Il passe par Hollywood, «et c’est là que se concrétise l’idée qui dormait dans son esprit: réaliser un film sur la guerre civile qui ferait une propagande efficace » (Marion) En 1938, Malraux fait part au gouvernement Negrin de son projet et obtient carte blanche.

Il y a déjà eu un film international (2) produit en faveur de la République: Terre d’Espagne, réalisé par le cinéaste hollandais Joris Ivens et écrit par Ernest Hemingway. Mais c’est un documentaire qui n’a pas grande diffusion. Malraux, lui, veut toucher un large public. Après avoir pensé tourner un film à Hollywood, il espère réaliser son film en France, en français, avec éventuellement une version espagnole. Il met sur pied une esquisse de casting: Erich Von Stroheim dans le rôle de Schreiner. Mais depuis qu’à l’automne 1936, Staline, contre promesse de livrer des armes, a pris en gage l’or de la République et l’a transféré en URSS, le gouvernement républicain n’a plus d’argent. Le secrétariat à la propagande ne peut avancer que des pesetas et le tournage n’avoir lieu qu’en Espagne.

Malraux s’adjoint Max Aub, écrivain espagnol qui parle parfaitement français, engage Denis Marion et Boris Peskine pour travailler sur le scénario et le découpage. Il décide d’abord de porter à l’écran l’épisode principal de la troisième partie du roman: le bombardement d’un champ d’aviation franquiste, puis la chute de l’appareil dans la montagne. Mais il estime que ce n’est pas suffisant pour un long métrage et fait ajouter quelques scènes: «Pour différencier les deux oeuvres, le futur film fut baptisé Sierra de Teruel, du nom du village où l’action se passait, après que le titre de Sang de gauche eut été envisagé.» (Marion) Le tournage est difficile. L’Espagne républicaine est en pleine capilotade, l’électricité rare, les studios de Montjuich la cible des bombardements nationalistes. La pellicule doit être envoyée en France pour être développée. L’argent manque. «En revanche, l’armée mit à la disposition du film 2 500 recrues qui assurèrent la figuration de la descente de la Montagne tournée à Montserrat à défaut de pouvoir l’être à Teruel» (Marion), tombé aux mains de l’ennemi. Très en retard, Malraux ne finira qu’un peu plus de la moitié du film prévu. Il part l’avant-veille de la chute de Barcelone, fin janvier 1939. A Paris, Malraux reçoit l’aide d’Edouard Corniglion-Molinier, un ami aviateur, producteur de Drôle de drame. Il peut réaliser quelques plans qui manquent, des transparences, rajouter du son avec Max Aub. Travailler avec le musicien Darius Milhaud. Et se lancer dans l’aventure du montage.

Guerre mondiale et censure L’été 1939, Sierra de Teruel est présenté en avant-première à Juan Negrin, dernier président du conseil espagnol, réfugié à Paris. Les producteurs ont prévu de sortir le film en septembre. Mais, entre-temps, il y a le pacte Staline-Hitler, la déclaration de guerre. La censure règne sur les écrans. Le gouvernement radical interdit Sierra de Teruel.

Pendant l’occupation, les Allemands cherchent le négatif et les copies du film et détruisent toutes celles qu’ils trouvent. «Une lavande (copie positive à partir de laquelle on peut tirer de nouveaux négatifs, ndlr) leur échappa parce qu’elle se trouvait par erreur dans des boîtes qui portaient l’étiquette Drôle de drame. On ignore si ce fut une erreur ou un acte délibéré d’un employé de laboratoire.» (Marion) Après guerre, cette copie rend possible l’exploitation d’Espoir. Mais les directeurs de salles ne sont pas enthousiastes. Rebutés par le «prénéoréalisme» du film et se demandant s’il est utile de revenir sur des événements ayant disparu de la mémoire collective. Un distributeur décide cependant de reprendre le film. Il débaptise Sierra de Teruel et l’appelle Espoir pour profiter du prestige du roman, demande à Maurice Schuman, porte-parole de la France libre de présenter le film pour lier les événements d’Espagne à la Résistance. Marion retravaille les intertitres: parler des fascistes comme des rebelles serait difficilement compréhensible pour le public français de l’époque. Et le mot milicien a pris une très mauvaise connotation. On remonte la dernière scène. Parce que le producteur la trouve trop longue, parce que des monteurs professionnels la considèrent non conforme aux canons du cinéma qualité française. Ferran Alberich: «Malraux avait une vision à la Eisenstein, épique, du montage de cette séquence. Que des plans se répètent ou que des plans éloignés succèdent à des plans éloignés ne le gênait pas. C’était le mouvement qui lui importait.»

Refuge américain Modifié, le film n’en connaît pas moins un bide complet. Il ne sera redécouvert que dans les années 60. Quant à Malraux, il ne revit le film qu’en 1969, trente ans après l’avoir tourné. Et fut très déçu de cette scène finale trafiquée sans son accord. Il avait oublié qu’il avait fait passer en 1942 une autre copie aux Américains. Selon la fiche de la Library of Congress, la copie d’Espoir est un cadeau de Malraux à Archibald MacLeish, un Américain de gauche, devenu directeur de la Library of Congress.

«La soudaine invasion de la France en 1940 avait transformé le pays en un piège géant pour les juifs, les antifascistes allemands, italiens et même français», raconte Alberich. En 1940, Malraux est en Provence. Il rencontre l’agent d’un comité antifasciste américain qui offre de le faire passer aux Etats-Unis. L’écrivain refuse. Mais, en janvier de l’année suivante, il recontacte cet agent à Marseille, où fonctionne encore un consulat des Etats-Unis. Il lui explique qu’il possède une copie de Sierra de Teruel et veut la mettre en lieu sûr. Il le charge de toutes les démarches. Quand la Library of Congress donne son accord, l’agent vient d’être expulsé par Vichy. Malraux apporte ses bobines directement au consulat mais les fonctionnaires américains ne peuvent recevoir le paquet s’ils ne sont pas sûrs qu’il s’agit de matériel ininflammable. La fin de 1941 se passe en chinoiseries bureaucratiques. En juin 1942, deux paquets arrivent à Washington. Ils contiennent chacun quatre bobines, marquées Sierra de Teruel.

«Malraux savait-il que ses démarches avaient fini par aboutir? Et s’il le savait, pourquoi n’a-t-il jamais mentionné l’existence de cette copie? La recherche qu’a menée Walter Langlois montre que la copie arrivée à Washington est l’originale montée par Malraux, différente de celle connue en France. Mais personne avant lui ne s’est jamais intéressé aux raisons de la présence de la version originale aux Etats-Unis». « 

(1) Et un générique différent qui annonce la Sierra de Teruel et non Espoir.
(2) La guerre civile voit une importante production cinématographique de propagande. Des dizaines de films sont réalisés aussi bien du côté des anarchistes, des staliniens, du gouvernement républicain que des franquistes.

(Edouard WAINTROP/liberation.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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