L’homme à la Ferrari (Il Tigre)



Vendredi 01 Juillet 2022 à 20h

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Dino Risi, Italie, 2014, 1967, 1h50 , vostf

Francesco Vincenzini est un homme respecté et un père de famille honorable. Quand il rencontre la belle Carolina, une amie de son fils, il se laisse aller à une liaison qui le rajeunit, mais ne se résout pas à abandonner sa famille pour autant. Entre atermoiement et lâcheté, Francesco tente de louvoyer.

«Il y eut un échange de lettres entre Vittorio Gassman et moi, lorsqu’il tomba en dépression et moi aussi, un petit peu. Et j’ai plaisir à me rappeler ce qu’il m’écrivit, un jour de 1991 : “ Dans mon autobiographie, j’ai émis pour plaisanter l’hypothèse que nous aurions pu être un couple merveilleux et faire des voyages romantiques aux îles Moluques. En travaillant ensemble, nous n’avons jamais eu l’impression de travailler. Aux engagements professionnels se superposait toujours, comme la crème sur une bonne bavaroise, le goût du jeu et de l’ironie, ce quelque chose de discrètement cynique et canaille qui a toujours été, selon moi, le trait saillant des meilleures comédies à l’italienne.”Et il concluait : “ Renseignons-nous sur les Moluques. ” (Dino Risi – Mes Monstres – Ed. de Fallois / L’Age d’Homme – 2014)

Notre article

par Josiane Scoleri

En Italie, le titre du film est Il tigre et aux États-Unis The tiger and the pussycat. Ça commence à faire beaucoup pour un seul et même personnage. Sauf bien sûr s’il est joué par Vittorio Gassman. Les trois titres mettent en avant différents aspects du personnage d’Ingeniere Commendatore concocté aux petits oignons par Dino Risi pour son acteur emblématique. Moins vitriolique que Les Monstres, moins acide que Le Fanfaron, moins grinçant que Parfum de femmes, Il tigre est généralement considéré comme un film mineur dans la filmographie du réalisateur. Il recèle néanmoins de nombreuses perles qui à elles seules valent bien le détour.

Tourné en 1967, le film est ancré dans la réalité économique, sociale et politique de l’Italie de l’époque. Le fameux « boom» est déjà à l’œuvre depuis près de 10 ans, le pays connaît des bouleversements majeurs y compris sur le plan des mœurs. Et pour lancer le film, nous avons d’ailleurs droit à la traditionnelle séquence de journal télévisé qu’on retrouve fréquemment dans les films de ces années-là. Démarrage en douceur avec un clin d’œil à la Dolce Vita et accélération immédiate dans une scène qui sur l’air de la comédie jette un (gros) pavé dans la mare de la télévision et de ses tripatouillages. Il n’existait alors que la RAI, Télévision publique, mais les pratiques qui feront la fortune d’un certain Berlusconi sont déjà en place. Le film a commencé depuis à peine 5 minutes, mais co-production avec les États-Unis ou pas, la satire ne se fait pas attendre. Nous sommes bien chez Dino Risi.

À partir de là, après une ou deux scènes d’exposition complémentaires, le film va dérouler tous les éléments du vaudeville sur l’air des lampions bien connu: « Homme mûr perd la tête pour une jeunette ». Au-delà de cette trame archi-prévisible, Dino Risi ponctue le récit de scènes qui sont autant d’escapades ou d’ornementation de traverse et qui sont de loin les plus dynamiques, les plus drôles et les plus inattendues. La palme revenant sans doute à celle du curé psychanalyste, avec Francesco (Vittorio Gassman) en pleine « mid-life crisis » étendu sur le divan! Mais il y en a beaucoup d’autres. À commencer par la scène de rencontre entre Francesco et Carolina. Non seulement Dino Risi prend complétement à revers la scène d’ouverture de la Lolita de Kubrick, mais il donne à Carolina à peine adolescente le même aspect repoussoir (aux yeux de Humbert) de Lolita adulte, attifée comme l’as de pique avec ces grosses lunettes qui lui mangent le visage et sa coiffure pour le moins ingrate. C’est précisément à cette totale liberté de ton, cette désinvolture même, qu’on reconnaît un grand artiste. Dino Risi a toujours été un maître de la construction en mosaïque qu’il applique ici avec succès, même s’il ne s’agit pas d’un film à sketches. Dans un film comme Il tigre où l’intrigue principale est on ne peut plus rebattue, ce sont justement tous les motifs « secondaires » qui étoffent le propos et lui donnent tout son sel.

C’est ce qui permet au réalisateur d’aborder tous les sujets de société qui vont bien au-delà d’une énième histoire d’adultère mal digérée. Que ce soit le conflit entre les générations, la décomposition généralisée de la famille traditionnelle (autre scène cocasse, celle où Gassman est l’unique partenaire de bal d’une demie douzaine de femmes mariées languissantes qui ont toutes été abandonnées par leur mari…) ou encore l’évolution économique du pays avec l’allusion appuyée aux liens entre la grande industrie italienne (FIAT en tête) et l’Union soviétique. Le personnage de Tazio qui était avec Francesco sur le front russe pendant la guerre est intéressant à ce titre. Il permet à Risi d’aborder de biais le passé – pas si lointain – de l’Italie fasciste, mais également de montrer que le relâchement de l’institution familiale ne concerne pas uniquement la bourgeoisie décadente, mais bien toutes les couches sociales. Il suffit parfois d’un plan ou d’une réplique pour apporter une touche supplémentaire qui fait sens. Par exemple, lorsque Tazio gare sa FIAT 500 flambant neuve devant la pension de famille où il loue une chambre (autre grand classique de la comédie italienne, source de gags, certes éculés, mais inépuisables). Il déclare avec une petite tape affectueuse sur le capot de la voiture : « Je suis tombé amoureux de ma cinquecento ». Et presque tous les Italiens de l’époque – et au-delà – se reconnaîtront dans ce lien affectif parfaitement irrationnel qui les lie à « LA » macchina.

Il faut encore noter dans le film l’usage de la couleur qui donne un petit air vintage à l’image. C’était avant le règne sans partage du noir dans les tenues vestimentaires des jeunes et des moins jeunes. Les manteaux vert vif ou violet de Carolina qui contrastent avec sa chevelure rousse en sont la marque la plus évidente, mais les taches de couleur sont nombreuses dans les éléments de décor de la plupart des plans. Enfin Dino Risi s’amuse à parsemer le récit d’inserts en Noir et Blanc qui changent la tonalité et le rythme du film. Ces inserts sont en fait de deux types. D’une part, les séquences télé qui nous valent des aller retours entre le film en couleur et ce qui apparaît sur le petit écran, nécessairement en Noir et Blanc.

D’autre part, les images mentales des personnages qui se matérialisent tout d’un coup à l’écran en Noir et Blanc, ce qui accentue le côté irréel de leurs représentations. C’est un effet tout simple, mais efficace lorsqu’il est utilisé comme ici à bon escient. Par exemple lorsque Gassman se demande qui peut bien être ce Guidarello Guidarelli à qui il est censé ressembler (et effectivement, ce n’est pas totalement échevelé). La suite de personnages plus ou moins célèbres qui lui viennent à l’esprit est proprement hilarante. De même, lorsqu’il imagine Carolina dans la mouise, en couple avec un homme évidemment beaucoup plus jeune que lui, 4 ou 5 marmots à leurs basques, rêvant ensemble devant les vitrines d’un magasin de télévisions. Ce sont des séquences relativement brèves qui font le pari d’une interruption du récit. Interruptions qui sont en fait plutôt bienvenues, vu les atermoiements velléitaires du personnage. Dino Risi nous régale carrément d’un chromo lorsque Franceso se voit en clochard contemplant de l’extérieur, sous la neige, la fête de Noël dans son ancien chez lui, désormais inaccessible. Cette vision d’apocalypse sera effectivement le déclencheur qui lui fera reprendre le chemin du bercail, dans une famille où tout le monde est au courant, mais fait, bien sûr, semblant de rien ! Une manière bien dans l’esprit du réalisateur d’égratigner le conformisme ambiant dans la scène finale. Un repas qui réunit toute la famille et où le fils qui s’était fait largué au début par la même Carolina, glisse en douce à son père : « T’inquiète, on est tous passé par là ». C’est le monde à l’envers !

Sur le web

« Les Monstres, Le Fanfaron, L’Homme aux cent visages, Parfum de femme, Une Vie difficile… Maître de la comédie italienne, Dino Risi a signé une époustouflante lignée de réussites du genre. Épaulé par ses acteurs fétiches Alberto Sordi, Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi et par le formidable duo scénaristique Age et Scarpelli, le cinéaste à traversé cinq décennies en brossant le portrait (souvent peu flatteur) de ses compatriotes transalpins.

Réalisateur et scénariste italien, Dino Risi est l’un des maîtres de la comédie italienne grinçante. Il est le fils d’un médecin et a lui-même commencé par étudier cette discipline où il a obtenu un doctorat. Pourtant, il se lie au milieu intellectuel milanais dans lequel on trouve également Luigi Comencini. Dino Risi débute finalement au cinéma dans les années 40 comme assistant de Mario Soldati et d’Alberto Lattuada.

Il doit patienter jusqu’à la fin de la guerre pour passer enfin à la réalisation avec des courts-métrages documentaires dont Barboni (1946) qui est primé à la Mostra de Venise. Puis, il multiplie les documentaires et l’écriture de scripts pour les autres et parvient enfin à passer au long-métrage de fiction en 1952 avec la comédie Vacanze col gangster où l’on peut reconnaître le jeune Terence Hill. Après cet essai, il participe au film collectif L’amour à la ville (1953), mais commence à être repéré grâce à deux comédies tournées pour mettre en valeur Vittorio De Sica et Sophia Loren : il s’agit du Signe de Vénus (1955) et Pain, amour, ainsi soit-il (1955) qui est le dernier segment d’une trilogie à succès.

Pourtant, son premier vrai beau succès personnel intervient avec Pauvres, mais beaux (1957) qui montre sa capacité à saisir l’air du temps. Il donne à ce triomphe deux suites intitulées Beaux, mais pauvres (1957) et enfin Pauvres millionnaires (1959). Mais surtout, le cinéaste entame un partenariat très fécond avec Vittorio Gassman qu’il valorise dans plusieurs comédies brillantes comme L’homme aux cent visages (1960) et Le Fanfaron (1962). Ces œuvres commencent à se teinter d’une certaine noirceur que l’on retrouve également dans deux films majeurs comme L’inassouvie (1960) et surtout Une vie difficile (1961) avec le magnifique Alberto Sordi. On lui doit aussi une brillante analyse de la montée du fascisme dans La marche sur Rome (1962).

Dino Risi confirme la puissance et la causticité de son humour avec le classique film à sketchs Les monstres (1963). La suite des années 60 est toutefois moins porteuse avec beaucoup de films à sketchs qui diluent un peu son talent. Toutefois, il revient en très grande forme avec Une poule, un train… et quelques monstres (1969) qui est un festival Nino Manfredi. Jubilatoire. Risi pratique de plus en plus l’impertinence alors que la censure s’assouplit. Ainsi, il livre La femme du prêtre (1970) ou encore le bijou Au nom du peuple italien (1971). Puis, il confirme son goût pour la comédie avec Rapt à l’italienne (1973) et Sexe fou (1973).

Mais c’est le drame bouleversant Parfum de femme (1974) qui va attirer tous les regards. Le film obtient deux nominations aux Oscars et permet à Vittorio Gassman de décrocher le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes en 1975. Enfin, en France, le métrage déplace 2,3 millions de spectateurs et reçoit le César du meilleur film étranger. Même si Dino Risi va continuer à tourner des comédies, il réalise aussi des drames très sombres comme Ames perdues (1976), La chambre de l’évêque (1977) ou Dernier amour (1978). On adore également ses sketchs cruels pour l’anthologie collective Les nouveaux monstres (1977), pur bijou de misanthropie.

Les années 80 vont être moins porteuses pour un cinéaste qui commence à s’égarer dans une forme de vulgarité facile. On lui doit notamment Je suis photogénique (1980), Les derniers monstres (1982) et deux longs-métrages tournés avec Coluche : la comédie Le bon roi Dagobert (1984) qui dépasse le million d’entrées en France et le drame de guerre Le fou de guerre (1985) qui est un flop. Egalement, on se souvient du drame Fantôme d’amour (1981) avec Marcello Mastroianni et la divine Romy Schneider. Après 1985, le cinéaste commence à tourner pour la télévision et sa carrière suit le déclin inexorable de l’industrie italienne. On ne retiendra de cette période de vache maigre que Valse d’amour (1990) où il retrouve une fois de plus son complice Vittorio Gassman.

Finalement, Dino Risi décède en 2008 à l’âge de 91 ans. Il est le père de Claudio et Marco Risi qui sont également devenus des cinéastes. » (cinedweller.com)

« Tourné en anglais et avec deux actrices américaines, Ann-Margret et Eleanor Parker, Il Tigre (L’homme à la Ferrari) fut une « tentative d’introduction » pour le réalisateur sur le marché du cinéma aux États-Unis.

Age et Scarpelli, le duo de scénaristes transalpin le plus célèbre, récidivait en 1967 avec Il Tigre, sorti en France sous le titre L’Homme à la Ferrari, mis en scène par le roi de la comédie italienne Dino Risi avec, pour interprète principal, son acteur fétiche Vittorio Gassman qu’il fit tourner seize fois. Cet opus-là, où un homme mûr s’amourache d’une jeunette, annonce le mélancolique Dernier amour (1978) avec Ugo Tognazzi et Ornella Muti tourné dix ans plus tard par le cinéaste.

L’Homme à la Ferrari, c’est évidemment Francesco Vincenzini (Vittorio Gassman), chef d’entreprise survolté, mari aimant et père de famille comblé qui assume mal son nouveau statut de (jeune) grand-père. A 45 ans, Vincenzini, comme un défi aux injonctions d’un prêtre qui lui conseille la sagesse, redouble de jeunesse en tombant dans les bras d’une séduisante et déterminée jeune femme (Ann-Margret).

Cette comédie de mœurs qui croque les errements amoureux d’un vieux beau, aussi lâche qu’attachant, n’a pas pris une ride, malgré des longueurs sur la fin qui empêchent le film de se terminer. Le réalisateur du Fanfaron (1962) croque la société de consommation de la fin des années 1960 où, déjà, la vitesse et le paraître dominent les esprits. L’Homme à la Ferrari est écrit pour Vittorio Gassman, parfait en homme pathétique et humain, qui virevolte sur la musique sixties de Fred Bongusto.

Restauré et en reprise sur les écrans de cinéma, le film ressort via le distributeur Les Acacias avec Au nom du peuple italien (1971) et Parfum de femme (1974). » (salles-cinema.com)

« Ce qui n’aurait pu être qu’une énième histoire de démon de midi et d’adultère devient une réjouissante comédie à l’écran grâce au talent de Risi et à l’abattage d’un Vittorio Gassman en grande forme. Le début est des plus amusant avec un Vittorio Gassman aux antipodes de ses rôles de rustres vulgaires puisque ici en chef d’entreprise omnipotent, mari parfait et traditionaliste. Tellement droit d’ailleurs qu’il faudra plusieurs tentatives à la jeune et jolie Ann-Margret pour réussir à lui mettre le grappin dessus. La trame est bien connue mais Dino Risi apporte une foule d’idées ludiques et inventives à sa narration et à sa mise en scène pour dynamiter le tout notamment des petits apartés en noir et blanc illustrant les rêves ou les souvenirs fantasmés de Gassman entrecoupant ainsi certains moment clés du film. Parmi les plus amusants de ces délires entre rêve et réalité on trouve une scène où Gassman se bat avec son fils pour lui raccourcir sa coiffure de hippie ou un autre où il tire dans le dos d’Ann-Margret qu’il soupçonne de le tromper, sans parler des flash-back audacieux savamment placés. Quelques belles astuces de montage ajoutent également à cette touche décapante tel ce moment où l’épouse (Eleanor Parker) de Gassman lui propose des vacances pour se ressourcer, la séquence suivante enchaînant sur lesdites vacances, mais avec sa maîtresse… Risi inscrit le film dans la tonalité pop 60’s du moment pour montrer le décalage entre Gassman et la jeune génération avec un festival de couleurs, de coupes à frange (dont un savoureux gag où il arbore une coupe au bol à la Beatles) et de mini jupes, un zeste d’érotisme et interludes musicaux bien placés. On retrouve également l’irrévérence habituelle de Risi envers la religion lors de ce moment où Gassman va se confesser chez un prêtre, le tout montré comme une vulgaire consultation chez un psy (prescription de Ave Maria comprise) avec une salle d’attente bondée. Toutes ces idées transcendent donc grandement les scènes de vaudeville plus classiques et attendues qu’on s’attend à trouver dans ce type de récit. Vittorio Gassman livre un grand numéro, incarnant la lâcheté masculine dans toute sa splendeur, perdant la tête et incapable de faire son choix jusque dans les derniers instants et la charmante Ann-Margret lui offre une répartie parfaite entre manipulation et amour sincère. » (Justin Kwedi – Blog Chroniques du cinéphile stakhanoviste)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

 

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