L’Homme qui rit



Samedi 08 Octobre 2005 à 21h30 – 3ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Paul Leni – USA – 1928 – 1h50 – vostf

En Angleterre, à la fin du XVIIe siècle, le roi Jacques se débarrasse de son ennemi, le Lord Clancharlie, et vend son jeune fils, Gwynplaine, aux trafiquants d’enfants qui le défigurent. Le garçon s’enfuit et sauve du froid un bébé aveugle, Dea. Tous les deux sont recueillis par Ursus, un forain. Gwynplaine, baptisé L’Homme qui rit, devient un célèbre comédien ambulant. Le bouffon Barkilphedro découvre son ascendance noble et la dévoile à la reine Anne, qui a succédé au roi Jacques.

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Après le succès des films comme Le Bossu de Notre Dame (1923) ou Le Fantôme de l’opéra (1925), les studios Universal alors dirigés par Carl Laemmle, cherchent à exploiter le filon du « drame gothique » dans le but détacher de ses redoutables concurrents que sont la MGM ou la RKO. Pour ce faire, Laemmle décide dès 1927 de reprendre l’œuvre de Victor Hugo, L’Homme qui rit afin de la retranscrire sur grand écran, malgré un entourage défavorable à cette idée. En effet, les précédentes adaptations de la nouvelle d’Hugo en 1909 par Albert Capellani et en 1921 par Julius Herzka n’ont pas eu un écho très retentissant, et la star Lon Chaney en contrat avec la MGM pour Living after midnight (1927) a décliné l’offre proposée par la Universal de reprendre les traits du personnage de Gwynplaine. Qu’à cela ne tienne ! Carl Laemmle décide de faire appel à des acteurs réputés comme Conrad Veidt (Le Cabinet de Dr Caligari), Cesare Gravina (Le Fantôme de l’opéra) ou Brandon Hurs t (Dr Jeckyl et Mr Hyde, Le Bossu de Notre Dame) ainsi qu’à un tout jeune maquilleur du nom de Jack Pierce, pour travailler sur l’apparence mutilée du pauvre Gwynplaine (qui a inspiré Bob Kane dès 1940 pour le personnage du Joker dans Batman). Le jeune Pierce fera quelques temps plus tard, les beaux jours des Universal Monsters en créant les maquillages de Frankenstein, La Momie, Le Loup Garou et bien d’autres…Pour la réalisation, Laemmle s’entiche des services de l’allemand Paul Leni, l’un des pionniers du cinématographe du mouvement expressionniste allemand (Hintertreppe, Waxwork…) fraîchement débarqué aux Etats-Unis. Dès les premières minutes du métrage, le metteur en scène teuton pose d’emblée des jalons expressionnistes / naturalistes en jouant sur des clairs obscurs très contrastés et des décors froids, quasi cliniques. L’homme marque L’Homme qui rit de son empreinte européenne, et se permet même quelques expérimentations artistiques, notamment avec des effets cinétiques de caméra (le plan subjectif de la grande roue) très singuliers, sans pour autant trahir les canons cinématographiques de l’époque (la gestuelle appuyée etc.). Une belle manière de se démarquer de la masse en cette période charnière du cinéma, où le muet laisse peu à peu la place au parlant (L’Homme qui rit sera d’ailleurs post synchronisé dès 1928 pour les cinémas équipés d’un système audio).

Visuellement accrocheur et techniquement bien maîtrisée, l’œuvre se repose surtout sur son personnage principal, le défiguré Gwynplaine, bête de foire pris dans la tourmente de sa propre notoriété de « freak », entretenue par son mentor et père de cœur Ursus (Cesare Gravina), la découverte de son identité de Lord Anglais ainsi que son amour pour Dea, la belle aveugle qu’il a sauvé du froid étant enfant.
Gwynplaine, qui s’interroge sur sa condition d’homme, se retrouve alors pris au piège dans un tourbillon d’évènements incontrôlables et incontrôlés, ballotté qu’il est dans une société misérable et une élite décadente qu’il ne comprend pas. Le personnage devient alors une sorte de marionnette mutilée dans un rire permanent, qui agit en fonction de celui ou celle qui en tire les ficelles, sans jamais réellement exister aux yeux du monde (« ce n’est qu’un clown »…). Et c’est d’ailleurs là que se situe toute la force du film. L’ambivalence entre la violence des sentiments ressentis par Gwynplaine (la colère, la peur, la tristesse…) et l’expression figée d’un rictus sur son visage à jamais paralysé, aux antipode de ce qu’il ressent vraiment, est d’une remarquable intensité.

Conrad Veidt maîtrise son rôle à merveille (notamment grâce à son regard) et dévoile au spectateur le désamour profond de son personnage pour lui-même, et sa détresse dans sa quête de « normalité ». Difficile en effet, de retranscrire ses propres émotion quand son visage ne retranscrit lui-même qu’un sourire figé qui déclenche le rire du quidam (« Gwynplaine rend les gens heureux alors même qu’il est malheureux » s’entendra t-il dire…). De plus, son amour pour Dea reste lui aussi déchiré entre la sincérité de ses sentiments et la peur d’apparaître hideux, même pour celle qui ne le voit pas ! On ressent là toute l’impuissance d’un personnage tiraillé entre son désir d’apparaître comme il est aux yeux du monde et sa volonté de se cacher de celle qu’il aime…

La puissance de l’œuvre de Victor Hugo prend ici tout son sens (on n’est parfois pas loin des atmosphères des Misérables) et est conjointement magnifiée par le talent des acteurs (Conrad Veidt en tête), le maquillage de Jack Pierce – qui s’ouvre par là-même une voie royale au sein de la Universal – et bien sûr la réalisation teintée d’expressionnisme de Paul Leni.

A côté du personnage de Gwynplaine, c’est toute une pléiade de protagonistes qui interagit afin de mettre en lumière la société anglaise de XVIIème siècle, elle aussi tiraillée entre un mode de vie très traditionnel (les us et coutumes de la cour de la reine Anne) et la modernité des mœurs qui commence à s’embraser (la décadente Duchesse Josiana jouée par Olga Vladimirovna Baclanova, qui ressemble comme deux gouttes d’eau… à Madonna !).

De plus, le réalisateur a aussi misé sur des « gueules » pour coller au mieux à l’âpreté de la nouvelle de Victor Hugo au travers de Brandon Hurst (le fourbe et manipulateur Barkilphedro), Cesare Gravina (Ursus), Stuart Holmes (le ridiculement précieux Lord Dirry-Moir) ou bien George Siegmann (l’infâme Dr. Hardquanonne qui a balafré le visage de Gwynplaine alors qu’il n’était qu’un enfant). Ajoutez à cela pléthore de seconds rôles au physique peu commun (John George, Joe Murphy, Frank Puglia, Jack A. Goodrich…) et vous obtenez une galerie de personnages de foire, ô combien dérangeante. C’est d’ailleurs pour ça que les critiques de l’époque n’apprécieront pas l’aspect visuel brut de décoffrage de L’Homme qui rit

Pourtant, le film se révèle être un mélodrame très humaniste dans son approche (Victor Hugo n’a pas été trahi sur ce côté-là), puisqu’il prône l’acceptation de l’autre – et de soi -, et se place même comme une ode à la différence. En ce sens, la scène dans laquelle Ursus et sa troupe en larmes font semblant de rire et de s’amuser pour ne pas peiner Dea, suite à la disparition de « l’homme qui rit » est plus que symbolique, car elle synthétise à elle seule tout l’esprit de l’œuvre d’Hugo, tout en inversant les rôles (ce n’est plus Gwynplaine qui fait semblant de rire alors qu’il est triste, mais tous ceux qui l’ont transformé en bête de foire). Belle émotion !

Le mot de la fin résumera d’ailleurs assez bien l’ensemble, lorsque Dea s’adressera à son bien aimé : « Dieu m’a fermé les yeux pour que je puisse voir le vrai Gwynplaine »…

Malgré ses quatre-vingt cinq ans au compteur, L’Homme qui rit s’avère être un drame humaniste très fort, hautement chargé en émotion et remarquablement mis en scène par Paul Leni. Au-delà d’un simple film d’épouvante teinté de « drame gothique », l’œuvre dévoile un univers dérangeant et malsain, préfigurant ainsi le célèbre Freaks de Tod Browning de 1932 (dans lequel on retrouvera d’ailleurs la délicieuse Olga Vladimirovna Baclanova) ou bien même Elephant Man de David Lynch (1980). « 

Vincent Trajan

L’homme qui rit a été présenté, 70 ans après sa sortie, à Cannes dans une version restaurée. Il fut projeté lors d’une soirée spéciale fêtant le trentième anniversaire de la Quinzaine des réalisateurs en 1998.

L’homme qui rit est adapté du roman éponyme de Victor Hugo. Ce roman fut également adapté en 1966 par le réalisateur italien Sergio Corbucci sous le même titre.

Une photo de l’acteur Conrad Veidt dans L’ Homme qui rit a inspiré Bob Kane, le créateur de la bande-dessinée Batman, pour créer le personnage du Joker, immortalisé au cinéma par Jack Nicholson. En effet, le personnage du film de Paul Leni a un sourire permanent à cause de blessures endurées durant son enfance.

Plus connu pour ses rôles de méchants notamment dans Casablanca (un officier nazi sans pitié), Le Voleur de Bagdad (un sinistre sorcier) ou Le Cabinet du docteur Caligari, Conrad Veidt joue dans L’Homme qui rit un de ses rares rôles de gentil.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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