Libertad



Vendredi 22 Avril 2022 à 20h

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Clara Roquet, Espagne, 2021, 1h44, vostf

Espagne, l’été. Libertad fait irruption dans la vie de Nora, 15 ans et bouscule le calme habituel de ses vacances en famille. Ces deux jeunes filles que tout oppose nouent alors une amitié profonde qui marquera leur entrée dans l’adolescence.

Notre article

par Josiane Scoleri

On le sait, les premiers films traitent souvent de l’enfance et encore plus fréquemment de l’adolescence, toute proche dans la mémoire des jeunes cinéastes. Émotions, trouble, ennui et premiers émois, mais aussi regard critique vis-à-vis du monde des adultes sont ainsi restitués devant la caméra, cet outil fabuleux à même de capter le moindre frémissement. Libertad, dont le titre est en soi tout un programme, ne déroge pas à la règle, mais aborde en parallèle une multitude d’autres sujets qui font son originalité et sa force.

La réalisatrice procède par petites touches pointillistes: un geste, un sourire, voire un silence ou un bruit de fond. Tout finit par faire sens, les pièces du puzzle s’ajustent parfaitement, et sous son indolence apparente, Libertad est un film qui exige toute notre attention. C’est une manière qui n’est pas sans rappeler La Cienaga le premier film de Lucrecia Martel sur un sujet similaire. Les scènes d’exposition nous font entrer illico dans le vif du sujet : le microcosme d’une grande famille bourgeoise dans une maison de villégiature sur la Costa Brava, où les femmes sont clairement à la manœuvre et les hommes, tout aussi clairement, au second plan. Une sorte de matriarcat où l’écheveau embrouillé des relations mère-filles se noue sur plusieurs générations. Quelques portraits rapides nous permettent de nous situer: Angela-Vicky Peña, impeccable dans le rôle – la grand-mère très classe, malade d’Alzheimer et Rosana, sa garde-malade originaire de Colombie, infirmière, dame de compagnie, cuisinière, soutien affectif, souffre-douleur, en un mot bonne à tout faire. Teresa, la mère, quarantaine bo-bo qui mène la maisonnée et ses deux filles. La famille est réunie pour des vacances à la mer. Les cousins de France sont là aussi. Rien que de bien banal, en apparence.

La réalisatrice excelle dans l’art de faire affleurer les tensions, de rendre palpables les non-dits. Il devient très vite évident que la «dolce vita» si bien rodée est sans doute plus amère qu’il n’y paraît. La caméra s’attarde avec la même impartialité sur les adultes et les enfants, avec une préférence pour les plans moyens de manière à saisir dans le même cadre l’expression des visages et leur environnement immédiat. Peu de mouvements de caméra. Les plans larges sont réservés à l’extérieur et contrastent fortement sous le soleil écrasant de la Méditerranée avec l’ambiance faussement festive des scènes en intérieur. L’aînée, Nora, a 14 ans et se pose des questions, comme on le fait à son âge, mais ce n’est pas une ado rebelle, loin de là. Elle semble aussi lisse que le milieu dont elle provient. Elle observe, se soumet sans rechigner aux rituels familiaux et s’ennuie passablement. ( la scène de l’essayage d’une robe vintage +++ ayant appartenu à la grand-mère est de ce point de vue, parfaitement emblématique).

C’est là, une fois que nous sommes bien installés dans cette torpeur estivale entre tours en bateau et apéro sur la terrasse, qu’apparaît soudain Libertad. Car Libertad est un prénom. Un prénom qui claque au vent, comme un étendard. Clara Roquet a travaillé pendant plusieurs années en tant que scénariste avant de passer à la réalisation et le moins qu’on puisse dire, c’est que son scenario est particulièrement bien ficelé. Avec l’irruption de Libertad, le film prend un nouvel envol et nous emmène là où on ne l’attendait pas. Libertad a 15 ans, elle vient d’un autre monde. C’est la fille de Rosana, mais elle a été élevée par sa grand-mère, là-bas, en Colombie. Avec Libertad, un vent de transgression se met à souffler sur la petite communauté. Il y a plus de liberté dans sa façon de parler, de bouger, dans le regard qu’elle pose sur ce «nouveau monde», que dans tous les membres de la famille réunie. La jeune actrice (Nicolle Garcia) est formidable de présence à l’écran et Nora – Maria Moreira, excellente elle aussi dans un tout autre registre – est complètement sous le charme. Jusque là, la différence de classes sociales était incarnée en mode mineur par le personnage de Rosana au service de la famille, avec toutes les ambiguïtés caractéristiques du paternalisme. Libertad, elle, clame haut et fort qu’elle n’a pas sa place dans une telle configuration. Ni comme servante chez les bourgeois, ni comme immigrée en Europe. À peine arrivée, elle n’a de cesse de repartir. Avec le personnage de Libertad, le propos du film gagne en complexité. D’abord parce qu’elle incarne, par sa vitalité, sa lucidité et sa rage de vivre tout ce que cette vieille société catalane (i.e. européenne) ne peut plus être, même si elle le voulait. D’ailleurs le monde des adultes part à vau-l’eau au fur et à mesure que le film avance. Et dans le même temps, Libertad agit comme un véritable révélateur auprès de Nora, comme on dit d’une image qu’elle est révélée en laboratoire. Nora se découvre à elle-même, éprouve sans doute pour la première fois cette complicité mêlée de désir qui est le propre de bien des amitiés amoureuses adolescentes et se trouve confrontée à la violence de ses propres sentiments. S’il n’est pas étonnant que Libertad fasse feu de tout bois pour s’en sortir sans s’arrêter aux émois qu’elle suscite, on découvre Nora en apprentie stratège pour tenter coûte que coûte de garder Libertad auprès d’elle. Clara Roquet tisse habilement les liens entre ces deux strates d’expérience vitale, dans un va-et-vient incessant entre le niveau des relations interpersonnelles, par exemple entre Rosana et Libertad, Angela et ses enfants ou le couple des parents de Nora et le niveau sociétal dans son ensemble qui pose inlassablement la question de la liberté (cf bien sûr le titre) jusqu’à la scène finale qui reste sans appel dans son implacable logique.

Sur le web

Clara Roquet (1988) a commencé sa carrière en coécrivant le multi-primé 10 000 KM (2014), aux côtés du réalisateur Carlos Marques-Marcet. Peu de temps après, elle a commencé son premier travail d’écriture et de réalisation, avec le court-métrage El Adiós (2015) nominé à l’EFA, présenté en première à l’IFF de Toronto et lauréat du prix des étudiants BAFTA. Depuis lors, Clara est devenue une scénariste de renom en Espagne et en Amérique latine en coécrivant des films tels que Petra de Jaime Rosales – la Quinzaine des Réalisateurs 2018 -, También esto pasará de Daniel Burman, The Days to Come de Carlos MarquesMarcet – Rotterdam International Film Festival 2019 -, La Vierge Rouge de Paula Ortiz, entre autres. Elle a évolué en tant que réalisatrice, comme on peut le voir dans son deuxième court-métrage multi-primé, Good Girls (2017). De plus, en 2018, Clara a réalisé deux épisodes de Tijuana, une série produite par Story House pour Netflix. Libertad est son premier long-métrage.

Clara Roquet a grandi dans une ville conservatrice du nord de la Catalogne, dans une famille bourgeoise qui croyait fermement aux valeurs des liens familiaux. Au cours de son adolescence rebelle, elle a réalisé que bon nombre des conventions familiales étaient fondées sur des mensonges. La réalisatrice se rappelle : « Ces dernières années, j’ai vu ma propre famille se désintégrer après la mort de mes grands-parents. J’ai eu une enfance privilégiée parmi des familles catholiques catalanes de la classe moyenne. C’est pourquoi mon premier contact avec ce que j’appelais alors « l’altérité », a été crucial pour moi. Lorsque ma grand-mère est tombée malade du cancer ma mère a engagé une bonne colombienne pour s’occuper d’elle. C’était le début d’une vague d’immigration massive en Espagne. Elle s’appelait Claudia et était jeune, environ 25 ans, même si, de par ses expériences de vie, elle semblait beaucoup plus âgée. Elle avait une fille, était sortie avec plusieurs hommes, avait travaillé dans beaucoup d’endroits différents et avait enterré sa propre mère. Pendant quelques étés, je l’ai suivie partout, écoutant ses histoires sur la vie, les hommes, le sexe et l’amour. Elle a pris soin de ma grand-mère jusqu’à sa mort. Claudia a été une présence très importante dans ma jeunesse et tout au long de ma vie. Elle reste toujours une amie proche.« 

En 2018, l’histoire de Claudia avec la grand-mère de Clara Roquet a inspiré son court métrage, El Adiós. Libertad est une continuation de ce voyage qui a conduit la cinéaste dans une communauté de femmes, (pour la plupart immigrées de différents pays d’Amérique latine) qui ont tout abandonné pour venir travailler pour d’autres familles.

Libertad est une histoire sur l’identité et la famille, et sur un certain monde qui touche à sa fin. Il s’agit aussi des mères et des filles, et des traumatismes qui se transmettent de génération en génération, ainsi que des histoires que nous racontons, des histoires qui font de nous ce que nous sommes. Mais plus que tout, il s’agit de deux filles de mondes différents qui brisent la barrière de la classe sociale grâce à leur amitié, qui deviennent majeures en même temps, bien que leurs luttes soient complètement différentes. Nora se bat contre son monde en perdition, et Libertad contre une société de classe dans laquelle la liberté et la dignité ne semblent être accessibles qu’à ceux qui en ont les moyens. Même si la dynamique du pouvoir qui accompagne habituellement l’interaction des différentes classes sociales est inversée – Libertad, la soignante, a plus de pouvoir émotionnel sur Nora – à la fin, l’ordre hiérarchique du monde s’impose naturellement aux deux filles.

Libertad raconte l’histoire d’une amitié entre deux adolescentes, Nora et Libertad au cours d’un été apparemment idyllique… Pourtant, Libertad est bien plus qu’un passage à l’âge adulte. Le film nous fait réfléchir sur les réalités que nous côtoyons, mais que nous ignorons souvent, telles que le manque d’intégration et les maltraitances que subissent les travailleuses domestiques dans la société occidentale. Le film reflète également le nombre de conventions familiales sur lesquelles l’identité familiale a été construite et qui sont basées sur des mensonges. Il nous raconte la disparition de la génération de nos grands-parents, qui représentaient les principaux défenseurs de certaines traditions et modes de vie. Elle nous fait nous interroger sur les limites des classes sociales, que l’on aime à penser révolues, mais qui continuent de marquer l’avenir de nombreuses personnes. Et surtout, Libertad parle de séduction et d’amour, et comment ce dernier dépasse les frontières du désir sexuel qui nous effraie tant.

Le film se déroule à la Costa Brava, située au nord-est de la Catalogne, dans la Province de Gérone. Cet endroit a été le lieu de villégiature traditionnel de la bourgeoisie catalane pendant des siècles, mais elle est maintenant conquise par le tourisme de masse. La réalisatrice précise : « La lente dégradation et la perte d’identité de ces villes balnéaires, qui apparaissent désormais comme des répliques kitsch de célèbres plages tropicales, est un élément essentiel dans l’esthétique du film. On a tourné dans des décors réels, on s’est plongé dans la vie nocturne de Lloret de Mar dans une approche de documentaire, grâce à de petites caméras portatives qui ont permis aux acteurs d’improviser avec leur environnement. Nous voulions que cette vision de leur monde soit sale et réelle.« 

Au fur et à mesure de son évolution de cinéaste, Clara Roquet s’est davantage intéressée à l’atmosphère, aux personnages et à la poésie des images, plutôt qu’à l’intrigue. Ainsi, Libertad mélange une approche naturelle et stylisée, plus descriptive que narrative pour construire une atmosphère précise. Elle explique : « Je ne souligne pas un instant pour montrer sa vérité. J’aime le cinéma expérimental, celui qui n’impose pas de conclusion et implique le spectateur dans une expérience émotionnelle. Le film est guidé par le point de vue des deux adolescentes, subjectif et sensoriel, utilisant des gros plans et caméra en main, pour obtenir légèreté et souplesse, afin de donner de l’espace aux acteurs et capturer la vraie vie nocturne du village. Dans les scènes d’intérieur j’ai joué sur la profondeur de champ. J’ai travaillé avec des plans longs et des mouvements organiques, en utilisant des plans fixes pour la famille à l’intérieur de la maison, afin de souligner une sensation d’immobilité, de situations estivales ennuyeuses et un effet de chaleur. A certains moments, la caméra arrête de suivre les acteurs pour passer à un point de vue omniscient.« 

Clara Roquet a fait appel à une distribution mixte d’acteurs professionnels – pour la famille – et d’acteurs non professionnels. Elle confie : « Nous avons trouvé Nicolle García (Libertad) en Colombie. Elle a vécu quelque chose de semblable au parcours de Libertad dans l’histoire. Nous avons trouvé Carol Hurtado (Rosana) qui a un passé similaire à celui du personnage, en Espagne. Et enfin, nous avons complété le casting des non-acteurs avec Manuel, Peke, Moha et Jose. Nous voulions montrer un côté de l’Espagne que l’on ne voit pas souvent dans les films. Nous nous intéressions aux visages et aux accents que l’on ne trouve que dans certains quartiers et zones périphériques de Barcelone, où vit une population immigrée et pauvre importante.« 

Le film a été présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2021.

« Sur le papier, Libertad est un récit d’apprentissage. Dans les faits, il est davantage. En creux derrière une histoire d’initiation qui sonne assez classique en apparence, Clara Roquet glisse de fines teintes de satire sociale qui se chargent en cruauté au fur et à mesure que le récit progresse. Plus la relation entre ces deux jeunes adolescentes évoluent, plus elle a un impact sur toutes les interactions au sein de cette famille et plus Libertad traite en sourdine de luttes des classes cachées derrière des positions de façades. La délicatesse et la subtilité tant de l’écriture que de la mise en scène de Clara Roquet ainsi que les magnifiques interprétations de jeunes néo-comédiennes qui se fondent dans des rôles très bien croqués, donnent une belle couleur à ce joli drame au parfum d’été dont on retiendra surtout une atmosphère savamment entretenue. » (mondocine.net)

« Les étés adolescents sont des moments de vie intense, qui marquent souvent les destins à jamais. Des concentrés d’apprentissage, révolutionnant les habitudes et les certitudes. Des semaines de transition inattendue, entre la fin de l’enfance et les prémices de l’âge adulte. C’est ce que vit Nora, quinze ans, lorsque Libertad déboule dans son existence. La première est la fille de famille occupant une belle demeure de villégiature en bord de mer, sur la Costa Brava catalane. La seconde est la fille de la bonne colombienne, Rosana. Cette dernière est aux petits soins des femmes de la villa menée par Teresa, et dominée par la grand-mère vieillissante, Angela. C’est dans le microcosme de ce petit monde féminin, qui fonctionne très bien sans hommes, que le regard de Nora change. Au contact de la nouvelle venue, la prise de conscience surgit, sur ses proches, sur son milieu social, sur ses privilèges, sur le déterminisme. La rébellion est dans l’air…

La jeune cinéaste Clara Roquet signe avec Libertad un premier long-métrage au charme progressif, comme un doux enchantement. Lentement, mais sûrement, son film – avec un titre-manifeste signifiant Liberté – déploie la richesse de son propos à travers sa mise en scène assurée et sans esbroufe… Avec ses cadres posés et ses mouvements de caméra minutieux, de gestes quotidiens en premières fois, le film capte le changement en cours. Celui de destins soumis au temps qui passe, à la perte de l’insouciance, à la disparition annoncée de l’aînée, à la fin de l’été, à la séparation. L’alchimie prend sur l’écran entre les actrices aguerries et les novices, incarnant cet univers en mutation. L’aplomb des jeunes Maria Morera et Nicolle Garcia confère aux enjeux une grâce mêlée de sensualité… Les réalisatrices continuent d’éclore dans tous les pays. Leurs regards nous abreuvent d’intensité réinventée. Clara Roquet en est une nouvelle preuve éclatante. » (bande-a-part.fr)

« … Dépeignant la situation de Nora, à la frange de l’enfance (téléphone portable rose, brillants…) et déjà un pied dans l’adolescence (maillot une pièce, regard pour les garçons…), la réalisatrice saisit par petites touches les interrogations de celle-ci, faisant d’abord abstraction de la différence de classes entre son amie et elle, qui considère la servante de mère comme faisant partie de la famille. Mais le fil du récit se charge de remettre cruellement chacun à sa place, entre le désir de lien symbolisé par un lit partagé ou des cheveux formant une tresse commune, c’est finalement le souhait d’évasion et d’indépendance qui fait point commun entre les différents personnages. Le scénario, intelligent, mène ainsi tout ce petit monde vers un climax en forme d’orage, mu par le souhait d’autonomie et l’attraction vers l’autre sexe. Libertad est au final un film profondément lumineux, qui respire l’été et la chaleur, et affiche à la fois un parfait casting d’ensemble et une réelle finesse d’écriture. » (abusdecine.com)

« Sur le papier, Libertad, premier film de la réalisatrice espagnole Clara Roquet, ne brille pas vraiment par son originalité. Nora est une adolescente introvertie, issue d’une famille bourgeoise et venue passer un été en compagnie de sa mère Teresa, de sa petite sœur et de sa grand-mère Angela, dans une villa où vit également Rosana, une domestique colombienne. Quand la fille de cette dernière, Libertad, fait irruption dans la maison, une amitié se noue entre les deux jeunes filles, puis se heurte à la violence des déterminismes sociaux. Le projet rappelle Brooklyn Village d’Ira Sachs, dont Libertad est une version moins aboutie, mais heureusement plus fine que ne le laissent penser ses prémices. La réalisatrice s’intéresse d’abord au point de vue de Nora, écartelée entre une enfance déjà lointaine (sa grand-mère, atteinte d’Alzheimer, est désormais incapable d’aller jusqu’au bout des histoires qu’elle racontait autrefois à ses petites-filles) et les signes d’une maturité naissante (les premières règles, les premiers élans du désir). Elle brosse un tableau assez juste de cette inconfortable période de transition, tout en appuyant parfois un peu trop ses idées : un plan fixe sur une glace tombée dans l’herbe et à moitié fondue, un autre sur une poupée abandonnée à côté d’un cendrier, etc. Les disparités sociales sont traitées de manière plus discrète, mais pas toujours plus subtile, comme dans cette scène où Teresa, après avoir hésité sur le choix d’une tenue, se rend compte que Rosana porte la même robe qu’elle et décide de remiser la sienne au placard. Nora et Libertad, au contraire, s’amusent à échanger leurs vêtements et observent avec satisfaction le résultat dans le miroir : « t’as l’air d’une autre », souffle Nora à sa nouvelle amie, mi-fascinée, mi-amusée.

Appliqué et parfois inspiré, le film peine cependant à rendre sensible la petite utopie qu’organise dans un premier temps son scénario à travers l’abolition provisoire des barrières de classe. Trop sage pour traduire pleinement la soif de liberté qui anime ses deux héroïnes, la mise en scène oscille entre de bonnes idées et quelques dispositifs sursignifiants, dont l’exemple le plus flagrant est l’image de Nora et Libertad littéralement attachées l’une à l’autre, leurs cheveux tressés ensemble. C’est précisément à partir de cette scène que Libertad renonce peu à peu à la symétrie parfaitement calibrée de son discours social au profit d’une étude plus nuancée des rapports mère-fille et, plus largement, de la notion de transmission. La réussite générale du film repose notamment sur le personnage de la grand-mère, qui court-circuite à lui seul toutes les filiations et hiérarchies. Garante d’une tradition bourgeoise autrefois symbolisée par les éclatantes garden parties qu’elle organisait chaque année, Angela ne pense plus désormais qu’à s’échapper de sa propre maison, dont les murs sont souillés par des taches d’humidité toujours plus grosses et nombreuses. Surtout, ses épisodes d’amnésie désorganisent totalement les rapports entre les personnages féminins qui partagent son toit : Nora est contrainte d’endosser le rôle de sa mère et reçoit la gifle qui lui était destinée, alors que Teresa est totalement ignorée par la vieille Angela, qui traite au contraire Rosana comme sa propre fille. Enfin, le temps d’une jolie scène d’initiation au piano, Angela s’adresse à Libertad avec une douceur maternelle et balaie ainsi d’un même geste (une simple caresse sur la joue) l’ordre social et la prééminence des liens généalogiques. Ce duo inattendu et éphémère, le plus émouvant du film, se répète dans une courte scène nocturne où l’adolescente et la vieille dame s’observent en silence pendant quelques instants, avant de s’éloigner l’une de l’autre. Un face-à-face presque onirique qui semble matérialiser une intimité enfin libérée de tous les déterminismes, mais dont l’étrangeté suggère en même temps que cette proximité intuitive et muette reste aussi illusoire qu’un rêve d’enfant. » (critikat.com)

« Récompensé d’un Goya, ce premier film impressionne par la singulière délicatesse avec laquelle il montre la fin de l’enfance pour une jeune Catalane et son ouverture des yeux sur le monde tel qu’il va…Couronné du Goya du meilleur premier film, Libertad embrasse avec une grande sensibilité et autant de maîtrise la complexité des relations humaines dans le quasi-huis clos de la maison familiale. Avec finesse, il dessine l’amitié naissante entre Nora et Libertad que tout oppose. Enfant de la bourgeoisie catalane protégée de toute préoccupation matérielle, la première croit en un monde simple et hospitalier. Pour Libertad, c’est une tout autre affaire. La colère, ancienne, dirigée contre sa mère qui l’a laissée pour gagner sa vie au loin s’étend à la société, hermétiquement scindée entre pauvres et riches. Elle ouvre les yeux de Nora sur la fausse proximité de classes sociales opposées, le mensonge d’une grande famille, toutes origines confondues, sous un même toit. Qui assure les tâches les plus ingrates auprès d’Angela ? Personne d’autre que sa mère, bonne à tout faire. Les certitudes tranchées de Libertad vacillent néanmoins un peu quand s’esquisse entre elle et Nora une vraie complicité. Adolescente décomplexée dans ses relations avec les garçons, la jeune Colombienne ouvre les portes d’une féminité et d’une sensualité jusque-là étrangères à Nora.

Peut-être le film aurait-il mérité d’être un peu resserré au montage, mais il est servi par la magnifique interprétation des adolescentes, par Maria Morera et Nicolle Garcia. La force du lien qu’elles tissent, émancipateur pour l’une et apaisant pour l’autre, explose de vitalité à l’écran.

Le film éclaire aussi avec délicatesse la rudesse des relations mère-fille à travers trois duos évocateurs. Il y a bien entendu la tension entre Libertad et Rosana, quasi inconnues qui ont en commun le manque l’une de l’autre pendant une décennie – un détail sur la peau de la mère le révèle à la fille. Le lien entre Nora et Teresa, plus évident en apparence, se déchire irrémédiablement. Enfin Teresa jalouse Rosana plus aimée de sa mère qu’elle ne l’a jamais été. Dans une approche naturelle et stylisée, Libertad décrit par des regards, des gestes et un sens du cadre éprouvé les discordes tues et l’ennui qui guette, l’échappée belle des deux adolescentes et le fracas de la fin de l’innocence. » (la-croix.fr)

« Clara Roquet dépeint l’entrée en adolescence de deux jeunes filles, marquée par l’expérience de l’altérité et du désir. Près de l’eau des côtes catalanes se jouent les adieux à l’enfance… Libertad, le premier film de la cinéaste espagnole Clara Roquet, est une perturbante transition vers l’âge adulte qui brasse la jeunesse et la féminité sous le soleil d’été. Le titre, en plus d’être son programme, est aussi le nom d’un personnage qui fera irruption dans la vie de Nora, jeune fille d’une famille aisée coincée dans la maison familiale pour les vacances. La rencontre des deux adolescentes, issues de milieux distincts, donne vite lieu à un déploiement de toute une série de dérèglements dans la manière dont elles éprouvent le monde.

Naïvement, le film demande si l’amitié est suffisante pour surpasser la différence de classe sociale, alors tiraillé par cette démonstration et souvent à la limite de s’enliser dans une succession de motifs de scénario sursignifiants. C’est dans des territoires plus insolubles que Libertad trouve sa beauté, quand il se laisse aller à une expérience sensorielle, qu’un effet plombant de chaleur vient recouvrir les plans d’eau et de roches où ces corps adolescents constatent la naissance irrémédiable du désir.

Ce dévergondage estival piloté par un affrontement social devient bellement ensorceleur quand il prend le temps de s’égarer sur le visage magnétique de Nora (María Morera), qui tient tout le long ces regards suspendus au monde et sculpte le hors-champ de ses réflexions silencieuses. Vient alors une scène clé, qui conjugue toutes les obsessions de la cinéaste, un face-à-face qui est comme la fascination d’une anomalie, sur le pas d’une porte baignée d’orange, de violet et d’electro. Une parenthèse qui vient rappeler comme elle est illusoire, comme l’ordre du monde reprend ses droits, oublieux des secrets et des douleurs des familles en pleine désintégration. » (lesinrocks.com)

« … La jeune réalisatrice espagnole développe un film qui chasse sur les terres du roman d’apprentissage, au beau milieu du moment charnière où les jeunes personnes se cherchent et décident qui elles veulent devenir. Cette phase de rébellion passe par Libertad, qui cristallise non seulement cette fronde momentanée, mais aussi littéralement une liberté presque inconnue pour Nora, quinze ans et une envie dévorante de briser son image de jeune fille modèle.

Cet aspect est sans doute le plus évident, amenant avec lui un lot d’images déjà très connues, et on ne peut se lancer dans un tel classique sans affronter les critiques qui vont de pair. L’aînée dévergonde la plus jeune, qui voue une fascination proche du désir pour la première, et cet été tourne à l’initiation la plus déroutante, remplie de fêtes, sorties interdites et nouvelles expériences réprouvées par la génération des parents. Jusqu’ici, donc, rien de bien surprenant, et on pourrait presque s’ennuyer dans ce Libertad un peu trop convenu et déjà vu. Heureusement, les qualités du film ne s’arrêtent pas à une histoire d’été de découvertes entre deux jeunes filles. La satire sociale qui ourle chaque scène permet au récit de prendre une autre dimension et révèle bien d’autres intérêts que ceux déjà évoqués.

La famille de Nora est en vacances dans la maison de la grand-mère, âgée et atteinte de la maladie d’Alzheimer. Les trois enfants de celle-ci ont décidé de venir avec leur propre famille pour renouer des liens qui semblent distendus. Derrière ce joli tableau se cache beaucoup de fêlures, et notamment des personnes incapables de s’occuper d’un parent qui n’est plus tout à fait là, mais qui malgré tout réclame encore leur attention et leur amour. Libertad est dès lors le témoin des disparités dans l’édifice. On voudrait faire croire qu’il règne une osmose, une égalité entre chacun, mais en fait les strates sociales se rappellent bien vite. Il y a ceux qui servent, Libertad et sa mère, et les maîtres de maison qui se plaignent et font du bruit, dominant de bout en bout dans leurs pratiques sociales. Dès lors, l’initiation de Nora par Libertad sonne comme une reconquête, presque un vengeance. Si tout est présenté en premier lieu comme une amitié fusionnelle qui fait franchir des paliers et grandir Nora, on se rend vite compte que Libertad utilise son monde pour obtenir ce qu’elle désire : retourner chez elle en Colombie. Les deux amies ne sont pas égales, ne l’ont jamais été et ne le seront jamais. Il est amusant à ce titre de constater que les garçons de l’histoire sont presque des silhouettes, fantasmées par Nora – notamment le jeune capitaine du bateau familial. Libertad les utilisent comme des pions sans aucun remord. Le rapport de force est donc très clairement inversé entre elles, symbole d’une lutte des classes féroce tapie dans l’ombre des sourires et des apparences.

Libertad est même cruel dans son dernier acte, les masques sont tombés, les jeux sont faits et on congédie les pauvres de l’histoire pour retourner à la vie bourgeoise qui ne s’est interrompue que le temps des vacances. Les parents adultères rentrent ensembles, on cache de nouveau les querelles sous un tapis de honte qui contamine les cœurs, venin qui a fait succomber les uns pour condamner à terme les autres. Clara Roquet, en bonne scénariste de formation, a donc caché au cœur de son histoire des niveaux de lecture multiples et une richesse inattendue qui permet à son film de dépasser les limites tout d’abord affichées. Un bien beau projet nourri au vitriole le plus chabrolien, celui qui se moque de ces bourgeois qui donnent des leçons à tous, en oubliant de se remettre en cause, jamais. » (lebleudumiroir.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h précises.

Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

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