Les LIP, l’imagination au pouvoir



Vendredi 15 Juin 2007 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Documentaire de Christian Rouaud – France – 2006 – 1h58

Le film donne à voir et à entendre les hommes et les femmes qui ont mené la grève ouvrière la plus emblématique de l’après 68, celle des usines LIP à Besançon. Des récits entrecroisés, des portraits, une histoire collective, pour essayer de comprendre pourquoi cette grève porta l’espoir et les rêves de toute une génération.

« Le récit est épique, haletant, les personnages se dessinent peu à peu, le documentaire devient fiction, polar, thriller… » (Isabelle Danel, Première)

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«  Les LIP, l’imagination au pouvoir dresse la chronique du premier conflit, d’avril 1973 au printemps1974. La méthode est classique : une série d’entretiens avec des protagonistes de l’époque, entrecoupés par des images d’archives. Très vite, on est devant un document exceptionnel. D’abord en raison de la personnalité des narrateurs. Ils sont presque tous là : les responsables CFDT (Charles Piaget, Roland Vittot, Raymond Burgy, Michel Jeanningros, Fatima Demougeot, Jeannine Pierre-Emile), le fondateur du comité d’action (Jean Raguenès, prêtre dominicain d’extrême gauche), et la déléguée CGT(Noëlle Dartevelle). Mais aussi Claude Neuschwander, le repreneur envoyé en mission de sauvetage par une poignée de grands patrons «progressistes» avec le soutien de ses amis socialistes autogestionnaires du PSU. Et encore Jean Charbonnel, à l’époque ministre de l’Industrie et figure historique du gaullisme «de gauche». Ce défilé de cheveux gris et de visages ridés pourrait virer au rassemblement d’anciens combattants aux yeux humides. Sauf que Christian Rouaud ne traque pas l’émotion mais l’action : il ne filme pas des témoins mais des héros. Conjuguées plus souvent au présent qu’au passé, conçues comme une course de relais, les séquences s’interrompent avant que tout soit dit, sur une note haute qui appelle l’intervention suivante : la définition même du suspense. Les images d’archives fonctionnent moins comme des illustrations que comme des tendeurs au service d’une histoire à tous points de vue extraordinaire. C’est Jean Raguenès, le curé gaucho, aujourd’hui installé au Brésil, où il défend les paysans sans terre, qui l’énonce le mieux : «Je ne connais pas d’autre exemple, au niveau des luttes ouvrières, ou même des luttes tout court, où on ait fait preuve d’autant d’imagination. On a toujours su trouver le truc, non seulement qui fait rire, mais qui permet aussi de « défataliser » l’événement, s’il est un peu trop lourd.» L’imagination en question repose sur l’alliance d’un syndicalisme ouvert  nourri de catholicisme social et représenté par la CFDT  et d’un radicalisme libertaire issu de Mai 68. L’originalité, ce n’est pas tant l’occupation de l’usine  un classique de l’époque  que la réalisation d’une utopie collective, radicale, démocratique, autogestionnaire, riche en actions inédites : les ouvriers qui décident, en une nuit, de déménager et de cacher le stock de montres. Puis qui reprennent à leur compte la production, avec un slogan qui se répand dans toute la France : «C’est possible ! On fabrique, on vend, on se paie !» Le mouvement de sympathie culmine en septembre 1973 par une manifestation de plus de 100 000 personnes dans les rues de Besançon, et suscite en retour la haine féroce d’une grande partie de la classe dirigeante. Qui scellera la deuxième fin de Lip, racontée par Claude Neuschwander en une prodigieuse séquence, qui voit cet homme tout en élégance adresser, trente ans plus tard, aux assassins de l’utopie un bras d’honneur d’une formidable actualité.  » (liberation.fr)

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR (accordé au Monde Libertaire et repris par le site officiel du film)

Combien de temps a duré le tournage du film ?

Le tournage lui-même, environ 3 à 4 semaines. Mais j’ai mené une très longue enquête auparavant, j’ai rencontré chaque personnage, avec qui j’ai eu des entretiens prolongés. J’avais 500 pages d’interview. A partir de là, j’ai écrit un scénario pour obtenir le financement du film, en particulier l’avance sur recette. J’ai dû imaginer quelle place chaque personnage allait prendre dans le récit, mais j’avais une idée assez précise de ce qu’ils allaient dire. Ce travail de rencontre, de mise en confiance n’a pas été toujours facile. Car Lip a été une histoire lourde, notamment lors du deuxième conflit, et personne n’en est sorti indemne.

Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

J’avais déjà réalisé en 2002 un film sur Bernard Lambert, le leader du Syndicat des Paysans Travailleurs, l’ancêtre de la Confédération Paysanne. Au cours des projections en salles de ce film, j’ai été surpris des réactions des jeunes qui découvraient les militants témoins de la vie de Lambert. Ils disaient en sortant que ça leur donnait envie de bouger, de se battre à leur tour. C’était comme un passage de relais. J’avais aussi envie de travailler sur les années 70. J’en ai un peu assez de la façon dont on présente Mai 68, comme un monôme étudiant, mené par des fils de bourgeois désœuvrés et qui, après s’être un peu amusés, sont rentrés chez eux pour faire la révolution en chambre. Pour moi, 68 ça a été dix ans de réflexion, de luttes et de travail avec des gens qui pensaient que des choses devenaient possibles après le mouvement de mai. Des portes s’étaient ouvertes et il fallait continuer à lutter. Mon envie de raconter Lip vient de là. Car s’il y a une lutte emblématique de l’après 68, c’est bien Lip. J’ai aussi des raisons personnelles, bien entendu. A l’époque, j’étais membre du PSU (Parti Socialiste Unifié, aujourd’hui disparu), qui avait fait de la lutte des Lip son étendard. Nous étions très impliqués dans le soutien aux Lip. J’avais le souvenir de Piaget, de Vittot et des autres, que je n’avais jamais rencontrés, mais qui étaient pour moi des références. Faire un film sur Lip, c’était les retrouver, leur parler, les écouter, faire enfin leur connaissance. Le documentaire a cette faculté incroyable de nous permettre d’approcher des gens à qui on n’oserait même pas écrire. Le film est un récit, mais c’est aussi une suite de portraits, car en racontant la lutte à sa façon, chacun parle de lui, à son insu. Plus le film avance, plus les Lip nous deviennent familiers. (…)

Quel regard posez-vous sur les entreprises récupérées d’Argentine, qui font écho à LIP en 1973 ?

La grande différence, c’est que les ouvriers de LIP n’avaient pas du tout pour objectif de reprendre l’entreprise eux-mêmes. C’est un des grands malentendus autour de Lip, le mot « autogestion » trotte dans la tête de beaucoup de gens à propos de ce conflit. En réalité, ils ont autogéré la lutte, ils ont installé une sorte de société idéale à l’intérieur de l’usine occupée, une démocratie directe fondée sur des commissions autonomes contrôlées en permanence par l’assemblée générale des travailleurs. S’ils ont pris le stock de montres et remis les chaînes d’horlogerie en marche, c’est pour survivre dans la lutte, en attendant qu’une solution soit trouvée. Il y a des gens autour d’eux, notamment au PSU, qui les poussaient à se mettre en scoop pour capitaliser cette expérience, mais ils n’étaient pas du tout dans cette optique là. Leur objectif était d’arriver à une solution industrielle qui permette de faire redémarrer l’usine, sans démantèlement, sans licenciement. Pour cela, il leur fallait un patron capable de montrer que Lip était viable et de se lancer dans l’aventure. Et ils ont gagné, c’est ce que raconte le film. Ensuite, quand l’entreprise a de nouveau déposé le bilan, ils ont repris le stock de montres et se sont remis à vendre des montres. Ce n’est que lorsqu’il a été évident pour tout le monde qu’il n’y aurait pas de repreneur, qu’ils se sont résolus à créer des coopératives, mais ils l’ont fait à leur corps défendant. Ils ont mis en place six coopératives, appuyées sur leur savoir-faire industriel ou sur des activités nées de la lutte, comme le restaurant ou l’imprimerie. Le problème, c’est que les gens qui ont accepté d’y prendre des responsabilités étaient les leaders de la lutte de 73 Et ils se sont retrouvés assez vite en opposition frontale avec des salariés qui étaient leurs camarades, sur des questions de salaire, de hiérarchie ou d’organisation de la production. Grèves, occupations, séquestrations, les Lip se sont affrontés. Il faut comprendre qu’il était très difficile pour eux de passer si rapidement d’une culture d’opposition, qui soude la communauté, à une culture de gestion d’entreprises qui n’étaient pas forcément viables économiquement, et où ils se sont déchirés. (…)

Ce que certains qualifient d’échec pour LIP représente-t-il l’échec de l’autogestion ?

J’ai toujours pensé que l’autogestion ne prenait véritablement son sens qu’en système socialiste. Je me souviens du slogan du PSU à l’époque : « Du contrôle ouvrier vers l’autogestion« . L’idée, c’était de contrôler aujourd’hui pour décider demain. Les luttes, les grèves, préparaient les gens à prendre le pouvoir dans l’entreprise, mais des îlots autogestionnaires en système capitaliste semblaient voués à l’échec, ou cantonnés à des micro-économies. L’histoire du mouvement coopératif est assez éloquente à ce sujet. Les coopératives agricoles par exemple, qui sont nées sous des auspices égalitaires et partageuses sont devenues des multinationales de l’agroalimentaire qui mettent en coupe réglée des régions entières, et détruisent l’environnement par un productivisme effréné, comme en Bretagne par exemple, où l’élevage intensif a des conséquences dramatiques sur la qualité de l’eau. (…) Il y a pour moi un message de Lip, il est dans la façon dont ils ont mené le conflit.

L’ouverture d’esprit dont ils ont fait preuve par rapport au Comité d’Action, structure non-syndicale qui a été l’aiguillon de la lutte, la dialectique entre les apports extérieurs et leur propre réflexion, entre le dedans et le dehors… ce sont des choses qui peuvent servir encore aujourd’hui, au quotidien, et pas seulement dans les conflits sociaux. Une leçon de vie, en quelque sorte. Ils ont mis en place un rapport au groupe appuyé sur une véritable éthique du combat, construit une vie collective qui laisse l’autonomie à chacun et permet de recevoir autant que de donner. J’appellerais bien çà l’autogestion, pourquoi pas ?

Comment interprétez-vous cet afflux de documentaires français qui sortent en mars avril 2007 et dont le thème est lié à une critique du travail ?

Vous citez Jean Michel Carré (« J’ai très mal au travail« ) et Pierre Carles (« Volem rien foutre al païs« ), ce sont des réalisateurs qui travaillent depuis longtemps sur ces questions, avec d’autres, comme Jean-Pierre Thorn ou Eric Pittard. Mais ce sont malheureusement des marginaux par rapport au cinéma dominant. Je trouve très sain qu’on recommence à se poser cette question : travailler, certes, mais à quel prix, dans quelles conditions et pour produire quoi ? Cette question du travail a été longtemps occultée par l’angoisse du chômage, dont le patronat joue à plaisir pour empêcher les gens d’ouvrir les yeux sur leur condition de salariés. Il est probable que ce questionnement nouveau est lié à la multiplication des emplois précaires et mal payés et au fait qu’il ne suffit plus de travailler pour échapper à la pauvreté ou à la dérive sociale.

Le contexte des élections présidentielles est-il un contexte favorable pour les idées que votre film soulève ?

Oui, bien sûr. Il y a dans le film l’idée sous-jacente qu’à un moment ou à un autre il faut bien que les gens prennent les choses en main. Même si le film n’apporte pas de réponse directe aux questions qui seront posées pendant cette campagne, sur la démocratie, ou le type de société qu’on souhaite pour nos enfants, je suis persuadé, et c’est aussi pour cela que j’ai fait ce film, que l’on a beaucoup à apprendre de ce conflit, de ces gens, de la façon dont ils parlent, du visage qu’ils nous montrent aujourd’hui : ils sont comme ça parce que la lutte les a façonnés ainsi, et même dans une campagne électorale, ça fait sens.

Entretien au téléphone avec Christian Rouaud, le mercredi 24 janvier 2007, Le Monde Libertaire (reporté sur le site officiel du film).


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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