Locataires



Vendredi 09 septembre 2005 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Kim Ki-duk – Corée du Sud – 2004 – 1h30 – vostf

Tae-suk arpente les rues à moto. Il laisse des prospectus sur les poignées de porte des maisons. Quand il revient quelques jours après, il sait ainsi lesquelles sont désertées. Il y pénètre alors et occupe ces lieux inhabités, sans jamais rien y voler. Un jour, il s’installe dans une maison aisée où loge Sun-houa, une femme maltraitée par son mari…

« Lorsque André Breton écrit que « la beauté sera convulsive ou ne sera pas« , il ne parle pas, comme le signale Michel Leiris, des simples convulsions de notre vie quotidienne : « Pour qu’une figure existe en art, la nature doit être violentée. La vérité profonde ne se révèle que par delà le naturalisme. » Kim Ki-duk est tout sauf un réaliste. Son travail n’aurait que peu d’intérêt s’il se contentait d’ouvrir les entrailles de la modernité ou de l’histoire et d’en aligner les viscères. Passé la brutalité, la cruauté de ses images, une dimension plus essentielle de son cinéma filtre comme un rayon de lumière fuyant sous une porte au fond d’un couloir. Ce qui intéresse Kim Ki-duk, ce n’est pas tant la violence du monde que l’énergie qu’on déploie pour y échapper. Tous ses films racontent la quête désespérée d’un refuge ou d’une caresse. Prostituées, petites frappes, sadiques, psychopathes, victimes aux plaies encore saignantes… ces personnages cherchent tous la même chose. Tâtonnant dans l’obscurité, battant l’air à tour de bras, mordant la poussière, traînés dans la boue, piétinés, violés, tabassés, mordus jusqu’à l’os, ils se relèvent, aveuglés de désespoir ou fous de rage. Et ils n’ont qu’un but : une trappe dérobée vers une île, un lac, une « maison vide » (« bin jib« , le titre original de Locataires), obsédés par une image douce et onirique, comme cette barque remplie d’eau qu’on retrouve dans L’Île et dans Samaria. Cette lueur si proche les rend déments, tels des papillons de nuit qui se cognent furieusement à une vitre. Mais c’est bien ce dévorant besoin de réconfort, cette faille, qui les distingue des animaux sauvages et maintient le cinéma de Kim Ki-duk dans le fragile équilibre de l’espoir. » (Extrait de l’article de Adrien Gombeaud in Positif n°530, avril 2005).

KIM KI-DUK

Né le 20 décembre 1960 à Bonghwa (Corée du Sud).

1996 : Crocodile
1996 : Wild Animals
1998 : Birdcage Inn
2000 : L’Île
2000: Real Fiction
2001 : Adresse Inconnue
2001 : Bad Guy
2002 : The Coast Guard
2003 : Printemps, Eté, Automne, Hiver… et Printemps
2004 : Samaria (Ours d’Argent, Berlin)
2004 : Locataires (Lion d’Argent, Venise)
2005 : L’Arc

Sur le web

Même après les succès de Bad Guy en Corée et de Printemps, été, automne, hiver… et printemps à l’étranger, Kim Ki-duk conserve sa manière particulière de travailler pour garder son indépendance : petit budget, tournage concentré et forte implication personnelle qui le mène à fabriquer lui-même décors ou accessoires. Dans Locataires, il tourne ainsi dans son propre appartement et double lui-même les scènes de moto. La précision de son travail ne l’empêche pas de garder le sens de l’humour : pour une prise de dix secondes, il laissa les acteurs s’embrasser pendant plus d’une minute après l’arrêt de la caméra !

Dans ce film, le personnage masculin, Tae Suk, reste muet. Le réalisateur explique qu’il souhaite « communiquer par le silence ». Il espère que le spectateur se laisse suffisamment porter par le film pour imaginer lui-même les dialogues, « comme si on avait écrit le scénario ensemble. (…) Dans les festivals internationaux, je suis surpris quand je saisis le comique d’un film sans en connaitre la langue. Cela démontre que la communication est possible à travers d’autres supports que la parole […] mais si mes personnages parlent peu, c’est aussi parce que ce sont des gens profondément meurtris« . Tout comme dans L’Île ou Printemps, été, automne, hiver… et printemps, Kim Ki-duk privilégie ici le silence. Les paroles ne viendraient que perturber l’atmosphère et la poésie qui ont été instaurées. Ainsi, aucune parole ne sera échangée entre les deux amants. Nous entendrons la voix de Sun-hwa, le temps de quelques mots, mais jamais celle de Tae-suk. Les quelques phrases qu’il prononcera resteront hors champ, et nous seront rapportées par le policier. Éviter les discours inutiles, transmettre l’émotion par le langage corporel ou le regard, tel est le moyen d’expression privilégié ici par Kim Ki-duk. On pense alors à quel point les mots auraient gâché l’une des plus belles scènes du film : Tae-suk revient chercher Sun-hwa pour la soustraire à la brutalité de son mari. Sun-hwa quitte la maison et va rejoindre le héros sur sa moto : pas de dispute, pas de cris, pas de larmes, mais une grande émotion. L’économie de moyens dont fait preuve le réalisateur est désarmante de simplicité et de beauté.

Le thème du regard et de la perception est omniprésent dans le film, et se décline de diverses manières. Comme Tae-suk a pris possession des lieux en ignorant que Sun-hwa s’y trouvait, cette dernière le suit d’abord discrètement et l’observe, dans un jeu de cache-cache subtilement mis en scène. Le laissant évoluer à sa guise, elle retarde ainsi leur rencontre. À un second niveau, un jeu s’organise autour des photos, tantôt objet d’art (l’album de photos de Sun-hwa en tant que mannequin), tantôt objet intime et personnel (les photos de famille). Dans de nombreux plans, personnages réels et photographies se juxtaposent, soulignant ainsi la relation problématique entre le monde réel et celui des images. Le regard du spectateur est également remis en question, car gêné par des barrières qui se dressent entre lui et le personnage (une fenêtre, une vitre de voiture, un aquarium, ou l’embrasure d’une porte). L’œil que le héros dessine dans sa main alors qu’il se trouve en prison achève d’inscrire le motif de l’œil et du regard comme une des clés du film.

En proposant une réflexion sur l’immatérialité des personnages et des images, Kim Ki-duk interroge aussi notre croyance de spectateur de cinéma. Le film se révèle être un mélange d’éléments matérialistes et quotidiens, et en même temps d’évanescence et d’intemporalité, à l’image de l’affiche du film, aérienne et énigmatique. Que savons-nous au juste de Tae-suk ? Sommes-nous sûrs qu’il existe ? Les hypothèses à son sujet se succèdent : est-il un homme réel, un fantôme, un ange gardien, une fantasmagorie de Sun-hwa ? Il demeure finalement impossible de trancher, comme le suggère l’épilogue du film. Toute la beauté du film réside d’ailleurs dans ce doute, qui ébranle nos certitudes et tente d’apporter un peu de poésie dans le regard que nous portons sur le monde. Kim Ki-duk est un véritable poète des images, dont le style s’affirme de film en film. Ceux qui lui ont décerné le Lion d’argent/Prix de la mise en scène au festival de Venise 2004 ne s’y sont pas trompés. » (critikat.com)

« Dans Locataires, Kim Ki-duk cultive l’originalité qui lui est propre, sans pour autant tomber dans les effets faciles ou tape-à-l’œil. Bien au contraire, le cinéaste façonne son film par la grâce de sa mise en scène ainsi que par le regard singulier qu’il porte sur ses personnages – le squatteur et la femme battue – et sur les aventures qu’ils traversent. Un sentiment de pureté et de poésie traverse alors le film, qui s’ancre d’abord dans la réalité avant de prendre une direction inattendue.

Kim Ki-duk a l’habitude de travailler avec des acteurs amateurs ou inconnus, évitant ainsi un surcoût dans le budget mais aussi que le public identifie un acteur à ses rôles précédents, exception faîte de son acteur fétiche Cho Jae-Hyung (The crocodile, Bad Guy), devenu célèbre au fil du temps. C’est aussi la deuxième fois qu’il dirige Kwon Hyuk-ho, après Bad guy en 2001.

Kim Ki-duk a écrit ce poème à propos de son film :

Nous sommes tous des maisons vides,
Attendant ardemment que quelqu’un vienne ouvrir la porte et nous libère…
Et un beau jour,
Un homme, comme un fantôme, apparaît et ouvre la porte pour m’emmener avec lui.
Aujourd’hui, je fais confiance à cet homme pour le suivre sans réserve,
Vers un destin nouveau…

Locataires a reçu le Lion d’argent (prix du Meilleur réalisateur) au Festival de Venise en 2004. La presse le récompense également en lui attribuant le prix Fipresci (fédération internationale de la presse cinématographique) du Meilleur film.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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