Los Nadie



Vendredi 02 juin 2017 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Juan Sebastián Mesa – Colombie – 2016 – 1h24 – vostf

En avant-première nationale, en séance unique et en clôture du Festival Ouvert sur les Caraïbes et l’Amérique Latine (F.O.C.A.L.).

Camilo, Mechas, Manu, Ana et Pipa vivent à Medellin, grande ville au nord de la Colombie. Le punk, les tatouages, le street art et l’amitié les rassemblent et les protègent contre les hostilités de la ville. Avec autant de rage que de douceur, ils s’opposent à un futur dont ils ne veulent pas. Rêvant de voyage et d’aventures, ils cherchent une autre vie qui leur correspondrait mieux.

Notre critique

Par Bruno Precioso

Le cinéma latino-américain est loin d’être une terra incognita du 7ème art pour le public français. Pour autant, il est probable que face aux colosses que sont les cinématographies brésilienne, mexicaine ou chilienne, dont le succès national et international s’est tôt manifesté pour se confirmer ces dernières années, le cinéma colombien peut être considéré comme plus discret. L’histoire du cinéma en Colombie est pourtant longue et de bonne heure tourmentée, au gré des guerres, crises économiques et scandales – à commencer dès 1915 par le documentaire El drama del 15 de octubre, des frères di Domenico. Il faut attendre 1922 pour voir réaliser le premier long-métrage de fiction (María, d’Alfredo del Diestro), puis émerger un authentique cinéma national… mais la production reste instable et les compagnies fragiles jusque dans les années 1960. La décennie voit en effet une augmentation du nombre de films, mais la cinématographie reste encore largement dominée par des documentaires. La préoccupation sociale devient récurrente tant dans les documentaires que dans un cinéma indépendant assez perméable aux influences du cinema novo brésilien, et s’amplifie durant toutes les années 1960. En 1971 enfin sont prises les premières lois d’aide à la production et d’encadrement des productions cinématographiques.

Le tournant des années 1970, mieux connu en Europe, reprend puis déforme cette attention accordée aux problématiques sociales pour aboutir à ce qui fut désigné sous le nom de pornomiseria, un cinéma surtout documentaire glissant vers le misérabilisme – enfants des rues, escadrons de la mort, ravages de la drogue…– mais qui connut une certaine diffusion à l’intérieur comme à l’extérieur de la Colombie. Cette veine cinématographique, en des temps fortement politisés, ne pouvait manquer de générer une réponse en forme d’antidote (citons par exemple Agarrando Pueblo [Duper le peuple] de Luis Ospina et Carlos Mayolo en 1977) et le cinéma colombien s’installe jusqu’au début des années 1990 dans une tension qui trouve peu d’écho à l’extérieur du pays.

L’étape la plus récente pour le cinéma colombien s’ouvre avec la fin des aides d’Etat en 1993, lors de la liquidation de l’institution qui finançait le cinéma national depuis 1978, la FOCINE, gangrénée par la corruption. La réduction des crédits contraint alors les réalisateurs à la recherche de co-productions avec l’Europe, ouvrant la voie à certaines belles réussites comme La estrategia del caracol (La Stratégie de l’escargot) de Sergio Cabrera (1993), récompensé à Bogota mais aussi à Biarritz, Valladolid ou Berlin…

« Nous vivions dans une ville comme en noir et blanc, dépourvue de sens. » (J. Mesa, entretien avril 2017)

C’est dans ce contexte qu’il faut replacer Los nadie, qui rappellera probablement le manifeste punk Rodrigo D, No futuro par lequel Víctor Gaviria fit irruption en 1990 dans le cinéma sud-américain et européen, son jeune héros habitant de Medellin incarnant la rupture sociale et le manque d’espérance de toute une jeunesse invisible. Une génération plus tard Juan Sebastián Mesa, jeune réalisateur né en 1989 à Medellin y installe à son tour son terrain de jeu privilégié. Il achève ses études (2009) en dirigeant son premier court, Maquillando el silencio, avant de réaliser entre 2010 et 2011 différents projets de vidéoclips et vidéos expérimentales. L’année 2013 est marquée par deux réalisations, en particulier il écrit et réalise Kalashnikov, son 2e court sélectionné pour le Macondo du meilleur court-métrage colombien, puis Los asesinatos de la noche roja, qui laissent entrevoir un penchant pour la narration et un puissant goût de l’intrigue.

Avec son premier long-métrage, Los nadie, Juan Sebastián Mesa affronte à 27 ans un défi commun à bien des jeunes réalisateurs : raconter pour se raconter. Car la clef autobiographique, sans imposer une grille de lecture systématique, ne saurait ici être négligée : dans la ville du réalisateur, Medellin, on suit une bande de jeunes à la fois artistes de rue, marginaux volontaires et errants aspirant à l’ailleurs. On ne peut esquiver le parallèle avec le réalisateur, assumant sa culture punk et marginale, qui s’est effectivement arraché à une torpeur du sortir de l’enfance à 19 ans pour se lancer à la découverte de son Amérique latine, voyageant jusqu’au Chili et en Argentine, frappé à son retour par le spectacle de sa ville.

Los nadie est né de ce choc. Tourné en « 10 jours et une nuit » selon les mots de Juan Sebastián Mesa, le film semble ne pas choisir entre fiction et documentaire – quoique le réalisateur revendique le fictionnel. Si la forme doit l’essentiel de son identité au documentaire, c’est donc sous un double patronage qu’il faut la placer : celui de l’histoire du documentaire engagé (à thèse aurait-on dit en d’autres temps) qui a forgé une bonne part de l’identité du cinéma colombien ; celui d’une dimension autobiographique revendiquée, soulignée par le noir et blanc et la distance de la caméra par rapport aux acteurs.

Les acteurs sont d’ailleurs des non-professionnels, trouvés pour la plupart au hasard des rencontres et des rues de Medellín, qui assument avec une grande vitalité et un étonnant naturel une histoire qui pourrait être la leur.

Les conditions du tournage sans doute tirent aussi du côté du documentaire : une durée exceptionnellement courte (7 jours donc) et un budget qui relève du farcesque (2000 dollars), pour construire un tournage dans des conditions matérielles pour le moins contraintes – même si la dangerosité de Medellin en 2016 n’a plus grand-chose de commun avec ce que connut la ville au début des années 2000, lorsqu’elle reçut le peu enviable titre de ‘‘ville la plus dangereuse du monde’’. Et de violence il peut aussi être question dans Los nadie, quoique le sujet soit approché par mille chemins détournés et jamais où on l’attendrait ; c’est que le climat politique est plutôt à la transition pacifique tant du côté des guérillas que des groupes paramilitaires et même de l’Etat depuis la politique menée par J.M. Santos après 2010.

Quelque chose pourtant s’impose de cette atmosphère pesante, de cette invisible agressivité qui semble sourdre de la ville elle-même et maintenir en éveil l’insatisfaction de ces héros intranquilles qui nous servent de guides. Une tension nourrie de rejet réciproque entre ces jeunes et leur ville, un inconfort radical du corps et de l’esprit que nous partageons avec cette bande qui se voudrait sans cesse en partance, et qui vagabonde pour continuer de s’espérer en voyage.

Sur le web

Juan Sebastián Mesa est né à Medellin en 1989. Après des études en communication visuelle et en narration, il a dirigé plusieurs clips et vidéos expérimentales. Il réalise en 2009 son premier court-métrage Maquillando el silencio, dans le cadre de ses études.  Entre 2010 et 2011, il réalise des vidéos clips et des vidéos expérimentales. En 2011, il réalise le court-métrage Pez Bailarina. En 2013, son court-métrage Kalashnikov a été nominé pour le meilleur court-métrage par la Colombian Academy Awards et a été sélectionné dans de nombreux festivals. Los Nadie, soutenu par Cinéma en Construction,  est son premier long-métrage de fiction. Il a été sélectionné par la Semaine de la Critique au Festival de Venise en 2016. Son film parle autant du punk en tant que style musical que du punk comme mouvement politique et artistique. Juan Sebastián Mesa connaît bien l’univers punk puisqu’il beignait lui-même dans ce milieu quand il était adolescent. L’idée du film lui est venue suite à un voyage qu’il avait fait à 20 ans. Ce périple ressemblait à celui qui est recherché par les protagonistes du film: Colombie, Pérou, Equateur et Argentine. A son retour de voyage, le réalisateur a commencé la rédaction du scénario. Le film a été tourné en 7 jours avec un budget de seulement 2000 dollars. Le noir et blanc que choisit l’auteur ajoute un sentiment d’intemporalité à ce film tourné avec une grande fraîcheur et beaucoup de tendresse pour ses personnages enthousiastes et épris de liberté. Dans ce film inspiré d’un quotidien qu’il a lui-même vécu, le réalisateur pose un regard très tendre sur « une génération de rêveurs désenchantés qui ressent le besoin d’aller vers l’inconnu et d’explorer le monde par eux-mêmes ». Et si cet appel au voyage représentait un des rites de passage de la jeunesse d’aujourd’hui, en Amérique latine, et ailleurs ?

Située au nord-ouest de l’Amérique du Sud, la Colombie est bordée au Nord par le Panamá et la mer des Caraïbes, à l’est par le Venezuela et le Brésil, au sud par le Pérou et l’Equateur et à l’Ouest par l’océan Pacifique. Sa capitale: Bogotá se dresse à 2 600 mètres d’altitude, dans la cordillère des Andes. Avec ses plus de deux millions d’habitants, Medellín est la deuxième ville la plus peuplée de Colombie. Elle se situe à presque 1500 mètres d’altitude, dans la vallée de l’Aburra, entre les cordillères Occidentale et Centrale. Il y a encore quelques années, Medellín était surnommée « la capitale de la production de cocaïne » et « la capitale de la violence ». En 1991, alors que la ville était encore aux mains de Pablo Escobar, on comptablisait une moyenne de 18 homicides quotidiens. Depuis 2000, la ville a drastiquement réduit son taux d’homicide tout en augmentant le PIB par habitant de 9,5 %. Aujourd’hui la ville occupe la 46ème place dans le classement des 300 métropoles mondiales les plus performantes économiquement. En 2012, le Wall Street Journal l’avait élue la « ville la plus innovante au monde ». En effet, les derniers maires de la ville ont fait le pari de renforcer les relations entre les secteurs publics et privés et d’investir des millions dans le soutien à la recherche et au développement de l’innovation ce qui a permis à une certaine couche de la population d’accéder à de nouveaux emplois. Cependant, les inégalités restent nombreuses et le taux de chômage ne parvient à passer au-dessous des 10 % et la plupart des « paisas », les habitants de Medellin, continuent de travailler au noir sans protection sociale. Abritant de nombreux sites touristiques, la ville est très attractive pour les touristes puisqu’elle est le principal centre culturel de la Colombie et possède 24 universités ou collèges d’enseignement supérieur.

La 29e édition du festival Cinelatino de Toulouse a décerné son « Grand prix coup de coeur » au film Los Nadie.Los Nadie a également remporté le prix du public de Semaine de la Critique au Festival de Venise 2016.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

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Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
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