Los Silencios



Vendredi 26 avril 2019 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Beatriz Seignier, Colombie, 2019, 1h29, vostf

Nuria, 12 ans, Fabio, 9 ans, et leur mère arrivent dans une petite île au milieu de l’Amazonie, aux frontières du Brésil, de la Colombie et du Pérou. Ils ont fui le conflit armé colombien, dans lequel leur père a disparu. Un jour, celui-ci réapparait mystérieusement dans leur nouvelle maison.

Notre article

par Josiane Scoleri

Los Silencios est un film à la fois envoûté et envoûtant. Sur cette Ile de l’Imagination – la Isla de la Fantasia- qui existe vraiment à la frontière entre Brésil, Colombie et Pérou, le film se vit un peu comme un documentaire sous hypnose, si tant est qu’on puisse concevoir pareille association. Le lieu est tellement surprenant, avec ses cabanes en bois sur pilotis, qu’on veut tout de suite en savoir plus et qu’on suit avec plaisir l’héroïne du film, Amparo, dans les différentes démarches, à l’école, à la paroisse, au commissariat, dans un magasin,etc…Le premier quart d’heure nous donne ainsi énormément d’informations sur la vie au quotidien qui s’organise tant bien que mal dans ce coin perdu du bout du monde et surtout, en surplomb, sur la situation en Colombie à la veille de l’accord de paix historique entre le gouvernement et les forces armées de la guérilla.En même temps, nous savons avec une certitude absolue dès le premier plan – l’arrivée en barque sur le fleuve, la nuit, éclairée à la lampe acétylène – que nous ne sommes pas dans un film à vocation sociologique, ni encore moins, ethnologique.

La réalisatrice a l’intelligence de travailler avant tout l’atmosphère qui se dégage de chaque lieu et des différents moments du jour et de la nuit. La bande-son est particulièrement soignée avec quantité de chants d’oiseaux et de bruits captés directement dans la nature (le fleuve, la forêt, la pluie, etc..) et toutes les scènes de nuit, très nombreuses, jouent intelligemment sur le contraste entre l’obscurité totale et les points lumineux créés par un feu ou une lampe de poche. Coup de chapeau à la chef op, Sofia Oggioni Hatty, dont le travail contribue grandement à créer cette ambiance sur le qui-vive qui oscille en permanence entre appréhension, mystère et surnaturel.

Los Silencios, comme son nom l’indique, n’est pas un film bavard et l’on saisit les personnages et les situations plutôt par des allusions,des gestes qui se répètent,de légers déplacements, etc… Dès le départ, le contraste entre Fabio, le petit garçon joueur et débrouillard et sa sœur aînée qui ne dit pas un mot est frappant. Une présence muette qui observe et participe, sans être sourde-muette pour autant. On remarque d’emblée la fixité de son regard et ses petites boucles d’oreilles jaune fluo qu’elle porte en toutes circonstances.

Les premières apparitions du père, guérillero porté disparu, sont tout aussi énigmatiques. Il n’a pas le comportement d’un fugitif qui cherche à se cacher. Et visiblement ces deux-là se comprennent. Ceux qui parlent se sont les autres. Amparo qui engueule son fils parce qu’il joue avec la mitraillette du père ou qu’il traîne avec les jeunes trafiquants de l’île. Le film mêle ainsi veine documentaire et dimension magique dans une fluidité absolue de la mise en scène qui nous fait naviguer sans à-coups entre deux mondes, comme les barques glissent sur le fleuve. À la réunion des habitants du village pour discuter de la proposition des promoteurs qui veulent racheter les maisons pour une bouchée de pain, répond une demie-heure plus tard la réunion des fantômes qui donnent aussi leur avis.Entre les deux, la réalisatrice nous a suffisamment installés dans son film pour que nous nous laissions embarquer sans réticence. Sur l’île de l’Imagination qui, de plus, disparaît sous les eaux une bonne partie de l’année, les vivants et les morts cohabitent en bonne entente et prennent soin les uns des autres. Par ce procédé, nous ne perdons jamais de vue l’histoire de la Colombie, ses plus de 50 ans de déchirements dans une sorte de guerre civile qui n’a jamais dit son nom. Et nous sentons bien à quel point cette présence de la guerre infuse tous les aspects de la vie quotidienne. Le coup de fil avec l’avocat est à cet égard très significatif. Les morts et les disparus permettent aussi de faire du business, tout autant que la situation géographique de l’île aiguise les appétits des spéculateurs. Et la grande question de la réconciliation, de la possibilité du pardon – ou pas – est ainsi posée, au cœur des témoignages de chacun puisque c’est là que réside la clef de l’avenir et du type de société qui pourra émerger de l’Histoire.

La caméra ne bouge pas beaucoup dans Los silencios, on pourrait dire – sans jeu de mots – qu’elle est silencieuse. Pas de grands mouvements, pas de très gros plans sur les visages non plus. La caméra se tient souvent à mi-distance et laisse respirer les personnages, dans un respect attentif et discret. On sent toute l’affection que la réalisatrice porte à ses personnages. De fait, la caméra s’accorde parfaitement au rythme du film qui se déroule sans accélération, dans le mouvement souple et continu d’un montage sans couture, comme le fleuve lui-même. Mis à part le travail sur l’ombre et la lumière, voire le noir total, il faut aussi noter l’attention apportée à la palette de couleurs, avec tous les tons de marron, du plus clair au plus foncé, – le bois des maisons, l’eau boueuse du fleuve, etc…- et les couleurs vives qui émergent de temps en temps du tableau, dont on comprendra dans la dernière scène qu’elles n’ont pas seulement une fonction esthétique.Cette dernière scène est d’ailleurs magnifique et amplifie toutes les qualités du film: dramaturgie, composition du plan, éclairage, couleurs, avec une émotion retenue qui se lit sur tous les visages.

Un mot encore sur les acteurs du film qui sont tous d’une forte présence à l’écran. Seuls les personnages du père (Enrique Diaz) et de la mère (Marleda Soto) sont joués par des acteurs professionnels, les autres étant pour la plupart des habitants de l’île. Mais là non plus, pas de hiatus, pas de décalage. Tant les adultes que les enfants sont au diapason d’un bout à l’autre du film. Beatriz Seigner a laissé une grand part à l’improvisation y compris pour les acteurs professionnels et souvent laissé tourner la caméra, permettant à chacun de s’exprimer, de raconter son histoire en toute sincérité.

Cette liberté se sent à l’écran, notamment dans les scènes de groupe et contribue très certainement à l’adhésion des spectateurs, y compris du spectateur occidental lambda qui laisse tomber finalement assez volontiers son besoin de vraisemblance et de rationalité.Le film établit d’entrée de jeu une porosité entre tous les types de frontières à l’image de cette île entre 3 pays, qui n’appartient à aucun, entre terre et eau. Frontières de classe, d’appartenance, de choix politique, de statut social, d’origine et la plus infranchissable de toutes, la frontière entre les morts et les vivants.

En un mot, un film pour Cinéma sans frontières.

 

Sur le web

Los Silencios est né d’une histoire qui a été racontée à Beatriz Seigner par l’une de ses amies. Cette dernière a quitté la Colombie après avoir appris la mort de son père, pour s’installer au Brésil… Où elle a retrouvé son père. La réalisatrice explique : « J’étais tellement connectée à son récit que j’avais des images dans la tête, c’était mouvant, vivant, j’en rêvais même la nuit ! Donc j’ai commencé à écrire par bribes et flashs quelques scènes. Je me suis mise ensuite à enquêter et j’ai découvert que l’immigration colombienne était l’une des plus importantes au Brésil, surtout depuis 2006. En effet, quand Lula était Président, les lois concernant les réfugiés ont changé. Il les a assouplies afin que ces populations puissent avoir du travail, un logement, un salaire minimum. En bateau, on peut aller du Brésil à la Colombie en trois jours, le facteur géographique compte, les frontières sont étanches. J’ai rencontré plus de 80 familles colombiennes immigrées et je me suis aperçue que l’histoire de mon amie n’était pas un cas particulier, que d’autres familles colombiennes la partageaient. Ça a été un choc.« 

Beatriz Seigner a commencé à écrire Los Silencios en 2009. A cette époque, le scénario était très différent, et la cinéaste envisageait de jouer davantage avec la frontière réalité/fiction. Puis, des amis lui ont parlé de cette île amazonienne. Elle se rappelle : « Je m’y suis rendue et j’ai commencé à interroger les habitants de l’île. J’ai demandé aux enfants ce qu’ils faisaient après l’école, comment était leur vie… Des questions banales. Mais j’en ajoutais toujours une dernière : « de quoi avez-vous peur ? ». Et là, tout le monde m’a parlé des fantômes de l’île, qu’ils évoluaient parmi les vivants et que parfois ils entraient dans leur corps pour les amener à faire de mauvaises choses. Ces fantômes semblaient les effrayer mais ils les avaient acceptés, ils vivaient avec eux. Les habitants de l’île viennent de diverses tribus mais ils partagent une sensibilité particulière avec les cultures indigènes. La présence des fantômes est bien réelle pour eux. Ils s’entretiennent avec eux, leur posent des questions, leur demandent conseil, leur offrent des cadeaux. A ce moment-là, j’ai décidé de reprendre le scénario, j’ai écrit une nouvelle version, très différente des premières ébauches, inspirée par ces histoires de croyances.« 

Los Silencios a été tourné à la frontière entre le Brésil, le Pérou et la Colombie, plus précisément sur une petite île baptisée « la isla de la fantasia ». Cette île est envahie par les eaux quatre mois par an et refait surface comme par magie le reste du temps.

Beatriz Seigner a travaillé sur le casting de Los Silencios avec Catalina Rodriguez et Carlos Medina, qui l’ont aidée à trouver les acteurs et à faire les répétitions avec eux. Enrique Diaz, qui joue le père, est un comédien de théâtre. La réalisatrice raconte : « Je n’imaginais personne d’autre dans le rôle de ce père fantomatique. Marleyda Soto, qui joue la mère, est aussi une grande actrice. Elle défie tous les stéréotypes. Son interprétation est magistrale. Dès la première prise, elle a été parfaite. Pour les enfants, nous avons cherché dans les environs du lieu de tournage. Maria Paula Tabares Peña, qui joue Nuria, habite l’île. Dès que je l’ai vue, j’ai fondu, j’étais fascinée par ses grands yeux noirs, son air suspicieux. Adolfo Savilvino, qui joue Fabio, a été un peu plus compliqué à trouver. Nous cherchions un enfant à la fois naïf et frondeur. Nous sommes allés visiter une école publique et avons demandé à rencontrer les enfants les plus turbulents. C’est là que Fabio est arrivé. Le courant est tout de suite passé. La manière dont Fabio s’est pris au jeu était intense. Il était très vif, très éveillé. Il était en immersion dans le film, immédiatement.« 

Contexte géopolitique du film

Les FARC, Forces Armés Révolutionnaires de Colombie, sont nées en 1964 d’un mouvement paysan et marxiste. Leur chef historique, Manuel Marulanda, était un paysan qui avait commencé à entrer en dissidence en 1948 au moment de la guerre entre les partis traditionnels libéraux et les partis conservateurs colombiens. Il faisait partie d’un groupe de guérilleros libéraux. Lorsqu’un accord a été trouvé à la fin des années 50, des paysans ont décidé de poursuivre la lutte au nom de la réforme agraire. À partir de là, il y a eu un processus qui a conduit à la constitution des FARC et leur orientation est passée du libéralisme au marxisme et au communisme. La base des FARC est rurale à la différence de l’ELN, un autre mouvement de guérilla toujours actif et constitué à la base par des étudiants des grandes universités colombiennes et par le secteur de gauche de l’église catholique…Le pétrole a surtout été visé par l’ELN. Pour gagner de l’argent, ce groupe s’était spécialisé dans le sabotage des oléoducs. Les sociétés pétrolières ont eu recours aux paramilitaires pour affronter les commandos de l’ELN et les syndicalistes, qu’ils considéraient comme des alliés potentiels des terroristes…

Le processus de paix s’est déroulé entre 2010 et 2016 avec un début de négociation effectif entre les FARC et le gouvernement colombien en 2012 à Oslo (Norvège) et à Cuba. Il s’agissait de mettre fin à l’un des plus vieux conflits armés à caractère politique à l’intérieur d’un pays d’Amérique latine. Lorsque le président Juan Manuel Santos a été élu en 2010, les gens étaient très fatigués de la violence endémique en Colombie. En tant que ministre de la défense, Santos avait marqué des points contre les FARC, sans montrer de volonté particulière de dialogue. Une fois élu, il a considéré que la paix pouvait apporter beaucoup de retombées positives pour le pays. Il a commencé très discrètement à prendre des contacts, facilités par la Norvège et Cuba. Les négociations se sont ouvertes en 2012 pour se conclure par la signature d’un compromis en 2016. Cet accord a été soumis par un référendum aux Colombiens. La majorité d’entre eux s’est abstenue et parmi ceux qui ont voté, un peu plus de la moitié ont voté contre. Il a fallu trouver des solutions pour donner une validité à ces accords qui aujourd’hui peinent à se mettre en place et à être acceptés par la majorité des Colombiens. Le processus de paix s’est donc enrayé suite au référendum. L’année dernière, la Colombie a élu un président qui considère que les accords de paix ont fait trop de cadeaux aux FARC. Il n’a pas été jusqu’à les suspendre mais il ne les applique pas à 100%. Cuba, qui était le pays garant, ainsi que les pays témoins, le Vénézuela et le Chili, ne sont pas en mesure actuellement d’exercer des pressions sur le président colombien pour qu’il applique pleinement ces accords. L’élection du président Trump en 2016 a par ailleurs complètement changé la position des États-Unis sur la Colombie. Le président Obama avait nommé un ambassadeur chargé d’accompagner le processus de paix. Ce poste a été supprimé par le président Trump, qui ne s’intéresse qu’à la lutte contre les stupéfiants. Nous sommes dans un contexte international qui n’est, à l’heure actuelle, pas favorable à l’application réelle et concrète de ces accords de paix.

Face aux guérillas de gauche sont apparues des guérillas de droite, appelées paramilitaires. Elles n’étaient pas financées par l’état colombien mais par les personnes se sentant menacées par ce qui se passait dans les campagnes. Ceux qui profitaient de l’économie — propriétaires terriens, notaires, avocats, grandes entreprises multinationales de pétrole ou d’huile de palme — y ont eu recours à plusieurs reprises pour lutter non seulement contre les FARC mais aussi contre les syndicalistes qui pouvaient créer des mouvements sociaux dans leurs entreprises. On le voit dans le film avec l’entreprise pétrolière. Il y a eu des tentatives pour désarmer ces paramilitaires, qui ont fonctionné de façon partielle. Il reste aujourd’hui des bandes criminelles qui poursuivent leurs activités en assassinant des militants des FARC qui ont été démobilisés, des syndicalistes et des représentants de mouvements associatifs.

Lorsque les États-Unis ont appuyé militairement le gouvernement colombien, ce dernier a pu reprendre la main dans les villes. Depuis une dizaine d’années, les habitants de Bogota, Medellín, Carthagène ou Cali n’avaient donc plus le sentiment de vivre dans un pays en guerre. Ils suivaient le conflit à la télévision mais ne se sentaient plus vraiment concernés. Les habitants des villes ont considéré que le problème de la violence ne les concernait pas et qu’ils n’avaient aucune raison de payer les indemnisations. Cela explique qu’une grande partie d’entre eux n’aient pas voté. Ceux qui ont voté sont les Colombiens qui ont souffert du conflit — qu’ils aient été victimes des FARC ou des paramilitaires — et qui habitent plutôt les régions périphériques. D’autres arguments ont cependant joué : l’un était que les membres des FARC étaient des terroristes et que l’accord de paix leur faisait beaucoup trop de cadeaux au lieu de les envoyer en prison. Un autre aspect annexe est venu se joindre à tout cela : l’argument du genre. Dans l’accord de paix, certains éléments ouvrent la voie à l’égalité pour les personnes homosexuelles, les personnes transgenres… Cet aspect très marginal a mobilisé les églises évangélistes et une partie de l’église catholique.

Les conséquences de la guerre entre les FARC et le gouvernement colombien ont d’abord été intérieures. La Colombie est, avec le Soudan, le pays qui a le plus de déplacés intérieurs. Plusieurs millions de personnes ont été déplacées par le conflit. On a même parlé de «réforme agraire à l’envers». Les groupes paramilitaires violents ont exercé beaucoup de pression sur les paysans en les accusant d’alimenter les FARC. Ils ont été forcés à vendre leurs terres à bas prix. Cela a mené à un flux continu de paysans qui aujourd’hui se retrouvent dans les périphéries de Bogota, Medellín ou Cali. Paradoxalement, il y a eu peu de réfugiés politiques dans les autres pays d’Amérique latine.Les paramilitaires prenaient notamment en otage des paysans qui vendaient des poules ou des légumes aux mouvements de guérilla. Ils mettaient ensuite les corps dans des fosses communes. Il y a eu dans les campagnes colombiennes énormément de personnes assassinées, des enlèvements crapuleux. Dans de nombreux cas, les familles n’avaient pas les moyens de payer la rançon aux FARC ou aux paramilitaires. Ils étaient donc tués et parfois enterrés très loin de leurs lieux d’origines. Il est très difficile d’identifier les corps compte tenu des conditions dans lesquelles ces personnes ont été assassinées.

(Propos de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation Jean Jaurès, recueillis par Pauline Le Gall)

«Los Silencios a été projeté à La Quinzaine des Réalisateurs. Fuyant les exactions des FARC, des groupes paramilitaires et de l’armée, une mère et ses deux enfants se réfugient à la frontière brésilienne dans un village habité par les fantômes des victimes de la guerre, à commencer par celui du mari et père de famille. Une fable politique intime et émouvante. Ces fantômes ne portent pas de suaires, ils ne sont pas effrayants et ils se mêlent de la vie quotidienne. En résumé, ils occupent la place qui serait normalement la leur si leur pays, la Colombie, n’était pas ravagé par une guerre civile qui leur a volé leurs vies…L’image du film est très belle, le récit parfaitement maîtrisé ne joue jamais la carte du mystère. Beatriz Seigner convoque les morts pour leur rendre une place qu’ils n’auraient jamais du perdre. Elle le fait avec tendresse et un brin de malice. La dernière scène, magnifique et révélatrice, introduit chez le spectateur un questionnement qui dépasse le drame des Colombiens. Cette fable politique mêlant surnaturel et protestation sociale est portée avec beaucoup de délicatesse par deux femmes, la réalisatrice Beatriz Seigner et la principale interprète, Marleyda Soto (Amparo)…» (culturebox.francetv.fr)

«Los Silencios tresse ainsi cette belle idée de l’île de la Fantasia qui pourrait être tout autant une passerelle entre les pays qu’entre les mondes. Avec son réalisme anthropologique, privilégiant les plans longs et les cadres larges, replaçant les personnages dans la topographie de l’île (ses habitations sur pilotis, son réseau de palissades, ses toitures de tôle rouillée, ses friches et l’omniprésence des eaux fluviales), le film se laisse infiltrer presque imperceptiblement par un fantastique qui se fond dans l’ordinaire, comme s’il n’était qu’un autre versant de la réalité (il s’agit moins de surnaturel que de « sous-naturel »). Ainsi, les fantômes venant sur l’île ne se distinguent-ils en rien des vivants, mais discutent et interagissent avec eux, comme si de rien n’était. Avec une sobriété remarquable et une touche de roublardise, le film se garde bien de les désigner comme tels, livrant le spectateur à une ambiguïté flottante (les visites du père sont-elles réelles ou fantasmées), cheminant pas à pas vers une révélation bouleversante, qui redéfinit jusqu’au statut des personnages. Derrière l’installation d’Amparo, qui recouvre aussi un processus de deuil, se dessine en filigrane la situation de Fantasia, sorte d’hétérotopie ou d’intermonde à l’avenir incertain. Une scène d’assemblée villageoise révèle une île convoitée et menacée par les promoteurs immobiliers (on prévoit d’y construire un casino pour développer le tourisme). A quoi répond une seconde scène, très belle, à l’autre bout du film : une autre délibération publique, mais cette fois entre les vivants et les morts, auprès desquels on prend conseil ou des messages à transmettre. Beatriz Seigner a alors cette idée simple et belle d’orner finalement les revenants de marques phosphorescentes, évoquant parfois les peintures rituelles des Indiens autochtones. Les fantômes ne renvoient alors plus seulement au conflit armé colombien, mais retracent toute une lignée de massacres et d’injustices ayant ensanglanté ces terres à travers les âges. Leurs parures illuminées, cortège coloré au cœur de la nuit, parachèvent la belle sensibilité dont le film fait preuve pour les luminosités vacillantes et les clairs-obscurs. On comprend alors un peu mieux ce que peuvent désigner les « silences » qu’évoque le titre : tous ces frémissements imperceptibles de l’univers sensible – un souffle, une lueur, un écho, une latence – comme autant de brèches à travers lesquelles les morts innombrables ne cessent de se rappeler à nous. L’absence singulièrement habitée qui nous les rend intimement présents.» (lemonde.fr)

«C’est un film d’espoir et de ténacité qui joue sur le calme et la monotonie apparents de la vie, ponctuée par les tâches domestiques, la recherche du travail et le partage avec les fantômes bienveillants de la famille, dans une mise en scène d’une lenteur et d’un onirisme voulus qu’il faut accepter certes, mais qui conduira alors le spectateur dans une vision originale, quasi surréaliste, de la vie lorsqu’elle est gouvernée par les éléments, et le maître temps. D’ailleurs, les images de Sofia Oggioni contribuent au caractère éminemment féminin de ce film qui utilise en fait très peu la musique additionnelle, sauf au début et à la fin, pour ne privilégier, grâce au travail de Gustavo Nascimento, Fernando Henna, Daniel Turini et Jean-Guy Véran, que les sons organiques de la nature comme le bruit de l’eau, du vent, le coassement des grenouilles, le bruissement des feuilles et les résonances du bois.» (iletaitunefoislecinema.com)

« Beatriz Seigner décrit avec beaucoup de justesse le quotidien de ces expatriés, plus précisément de ces déplacés, devant se confronter aux difficultés administratives: les inscriptions à l’école et à la cantine, la déclaration de la disparition du mari afin de toucher une compensation financière, la recherche du travail, la demande du statut de réfugiés. Sans effet mélodramatique, ni insistance, la réalisatrice observe minutieusement cette famille, se démenant pour survivre, en adoptant le plus souvent le point de vue de la jeune fille, Nuria, personnage mutique et attachant. Le film privilégie dans un premier temps un regard pédagogique distancié sur la situation précaire des conditions de vie difficile sur l’île, pour s’orienter ensuite vers le conte allégorique introduisant un élément surnaturel: l’apparition du père. Los silencios n’entretient aucun doute, basculant délibérément du côté du film de fantômes. Cette intrusion bienveillante du fantastique s’intègre le plus naturellement du monde à son approche réaliste. La combinaison entre l’élément irrationnel et le contexte social distingue le film du tout venant de la vague de productions provenant d’Amérique du sud. Les morts s’invitent et se confondent au milieu des vivants, reprennent leur place d’origine. Ils ne sont pas effrayants, ils incarnent juste l’image forte et poétique de citoyens qui devraient être présents aux côtés de leurs proches si la Colombie n’était pas ravagée par la guerre civile.

Le second long métrage de la jeune réalisatrice Beatriz Seigner affiche une très grande maturité dans la manière d’introduire son récit, avec une douceur tranchant avec la gravité du sujet. Elle ne cherche pas l’adhésion immédiate du spectateur avec un style coup de poing, hérité d’une forme de néo-réalisme de pacotille. Au contraire, elle prend son temps, impose un rythme assez lent, trop sans doute, privilégiant les longs plans larges et fixes baignant dans une lumière splendide, essayant alors d’étoffer un fond par la seule puissance des images. Pas de caméra à l’épaule, ni de gros plans sur les visages, mais des cadrages soigneusement élaborés cherchant davantage à cerner une vérité, à capter une authenticité topographique en filmant les lieux avant de dévoiler la véritable nature d’un film qui emprunte au départ la voie d’un drame social crédible.

Cette dimension politique, parabole habile sur un possible pardon, est filmée avec le regard apaisé d’une artiste qui aborde le cinéma à la manière d’un peintre, sachant redonner de la dignité et de la splendeur à un décor sordide et surtout à des silhouettes anonymes victime d’une guerre qui les dépasse.

Porté par de remarquables comédiens, professionnels ou non, Los silencios s’avère une œuvre ambitieuse et atypique qui, derrière sa chronique sociale inspirée, dérive vers des contrées plus troubles, imprégnée par le réalisme magique cher à la littérature sud-américaine, mais aussi, plus éloigné géographiquement, par le cinéma fantomatique d’Apichatpong Weerasethakul ou du Kiyoshi Kurosawa de Vers l’autre rive. Avec cette sensibilité commune de filmer les morts, comme des êtres de chair et de sang, redonnant espoir à l’humanité.» (culturopoing.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury). Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.

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