Mademoiselle



samedi 03 décembre 2016 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Park Chan-Wook – Corée du Sud – 2016 – 2h25 – vostf

Corée. Années 30, pendant la colonisation japonaise. Une jeune femme (Sookee) est engagée comme servante d’une riche japonaise (Hideko), vivant recluse dans un immense manoir sous la coupe d’un oncle tyrannique. Mais Sookee a un secret. Avec l’aide d’un escroc se faisant passer pour un comte japonais, ils ont d’autres plans pour Hideko…

Notre critique

Par Martin De Kerimel

Connaissez-vous le test de Bechdel ? Son principe repose sur l’idée de démontrer rapidement à quel point certains films (ou livres) sont orientés sur leurs personnages masculins. Il suffit de quelques secondes pour se faire un avis, en évaluant une œuvre face à trois affirmations simples : 1) elle compte au moins deux femmes identifiables par leur nom, 2) ces femmes parlent ensemble et 3) le sujet de leur conversation n’est pas un homme. Si tous les postulats sont respectés, bingo ! L’œuvre à laquelle vous songiez réussit le test. Et alors ? Elles seraient encore une minorité à y parvenir en 2016, ce qui donne à tout le moins matière à réflexion. Surtout si l’on souligne au passage que c’est il y a trente ans qu’Alison Bechdel, auteure américaine de bande dessinée, a élaboré les trois critères du test ! Elle précisait d’ailleurs qu’une œuvre qualifiée de « positive » n’était pas forcément dénuée de sexisme pour autant…

Que conclurions-nous si nous décidions de passer Mademoiselle, le film que nous présentons ce soir, au test de Bechdel ? Peut-être bien qu’il le réussirait de justesse ! L’intérêt d’évoquer cette piste de réflexion est avant tout, justement, qu’il peut aussi y avoir matière à débat. Quoiqu’il en soit, c’est certain : ce long-métrage, présenté cette année au Festival de Cannes et reparti bredouille, met en scène un duo féminin (entre autres, bien sûr). On notera aussi qu’au départ, les deux femmes n’ont que peu de choses en commun, si ce n’est leur jeunesse et leur beauté. L’une est coréenne, l’autre japonaise. La première vit chichement, la seconde possède une immense fortune. Sook-hee est rusée, Hideko ingénue… à moins que ce ne soit exactement l’inverse. On ne révélera rien dans ce papier qui risque de vous gâcher la surprise. Disons que, au moment précis où la rencontre a lieu, un grand jeu de faux semblants démarre. Et bien maligne qui rira la dernière ! Ou pas… enfin, bref, vous allez bien voir !

Sur le film lui-même, il nous paraît intéressant tout de même de vous livrer quelques éléments de contexte. Pas de spoilers, donc : l’idée est d’abord de vous permettre de mieux admettre l’arrière-plan, pour ensuite mieux vous focaliser sur l’essentiel : une histoire « à tiroirs ». L’action se déroule dans la Corée des années 30. Le pays entretient alors, d’assez longue date, une relation conflictuelle avec son voisin japonais. Signataires pourtant d’une alliance militaire en 1894, les Coréens sont placés sous protectorat nippon, dès 1905, avant d’être purement et simplement annexés cinq petites années plus tard. Il leur faudra attendre 1945 pour que leur Etat soit libéré et… divisé en deux parties, de part et d’autre du 38ème parallèle. Une situation qui sera figée en 1953, au terme d’une guerre des deux territoires entre eux, sous influence soviétique au Nord et américaine au Sud. Et c’est là une toute autre histoire ! Pour ne parler que du cadre historique de ce que vous verrez à l’écran, chers spectateurs lecteurs d’avant-séance, retenez donc que la Corée est occupée par une puissance étrangère. Le fait n’est pas anodin dans le développement du récit et l’évolution des personnages.

Quelques mots aussi, peut-être, sur le réalisateur de ce long-métrage des plus spectaculaires. Park Chan-wook n’est pas un inconnu du public européen. C’est après avoir suivi des études de philosophie que, frustré de ne pas avoir reçu de cours d’esthétique, le Coréen s’est orienté vers le cinéma, un peu avant la fin des années 80. En abordant le septième art par le biais d’une palette de métiers différents, notre homme a finalement vite eu l’opportunité de passer derrière la caméra, avec un tout premier long-métrage en 1992. Ne croyez pas à une route parsemée de pétales de roses ! Au contraire : cet opus inaugural fut pour son auteur un échec cuisant, dont il se releva progressivement à partir de 1997 et la sortie de son deuxième film. Deux années passèrent encore : c’est alors avec un court-métrage – consacré à l’effondrement d’un grand magasin – que le réalisateur percera pour la première fois en Europe, en voyant son travail retenu au festival à Clermont-Ferrand. Passons quelques étapes : l’un des moments de gloire pour Park Chan-wook sera la sélection de son film Old Boy au Festival de Cannes 2004 et l’obtention du Grand prix du jury, remis par Quentin Tarantino. L’histoire ne dit pas si, une décennie plus tard, c’est cette consécration qui permit au Coréen de travailler directement avec des producteurs américains et britanniques. Le résultat de ce moment d’exil artistique ? Stoker, un film inspiré d’un vieux classique d’Alfred Hitchcock, avec en tête d’affiches un autre duo féminin, formé des Australiennes Nicole Kidman et Mia Wasikowska. Vous avez dit « femmes fatales » ? Comme c’est bizarre…

Ce que l’on sait aussi, c’est que Park Chan-wook aurait pu enchaîner sur un autre projet hollywoodien, avant finalement de se rabattre sur ce Mademoiselle. Mais ce qu’on sait moins peut-être, c’est que cet opus asiatique en diable est aussi, chose surprenante, d’inspiration anglo-saxonne. Sa source d’inspiration est en effet un roman de la Britannique Sarah Waters. D’aucuns concluront peut-être à une muse féminine, ce qui ne serait pas insensé : la rumeur veut en effet que c’est l’épouse du producteur elle-même qui conseilla à son cher mari d’étudier de près cette histoire. Sous sa forme écrite, on notera également que le récit proposait alors de remonter le temps jusqu’à l’Angleterre de la reine Victoria. Étonnant, non ?

Est-ce que tout est dit ? Sûrement pas. Techniquement, nous espérons que vous serez fascinés par la photographie du film et ses mille petits détails. Du coup, on soufflera aussi à l’oreille des passionnés de technique et autres curieux que le chef op’ a utilisé un objectif anamorphique monté sur une caméra numérique. Aux autres, on dira qu’à l’origine, au début du projet, le réalisateur, lui, s’était promis de tourner un film en 3D relief ! Faute de finances suffisantes, cette idée fut finalement abandonnée, mais sans frustration véritable pour l’artiste qui choisit alors de travailler à l’extrême ses mouvements de caméra. Les grands connaisseurs du maître coréen supposent qu’il n’a pas dit son dernier mot, arguant qu’il n’a jamais cessé d’étonner jusqu’à aujourd’hui. Il pourrait donc bien continuer à nous surprendre dans le futur. Après tout, il n’a encore que 53 ans et il garde, d’après certaines sources, au moins un projet sous le coude. Cette fois, il s’agirait d’adapter un roman de science-fiction, sur fond d’apocalypse nucléaire. Attention : buzz ou pas, comme Quentin Tarantino déjà cité précédemment, Park Chan-wook s’est parfois vu attribuer les intentions d’autres cinéastes.  Wait and see : la prudence s’impose…

Pour patienter, donc, et après avoir laissé passer les dames d’abord, nous choisirons de garder le presque dernier mot de ce papier pour le maître de cérémonie lui-même, si vous le voulez bien. Monsieur Chan-wook, c’est à vous : « Mademoiselle est un thriller, une histoire d’arnaqueurs, un drame aux rebondissements surprenants et, plus que tout, une histoire d’amour. » On ne sait si elle vous plaira… mais on fait le pari que vous n’en aurez pas vu beaucoup de semblables !

Sur le web

Mademoiselle est une adaptation du roman « Du bout des doigts » (« Fingersmith ») écrit par la Britannique Sarah Waters et paru en 2002. C’est la femme du producteur Syd Lim qui lui a fait découvrir le livre, lequel l’a ensuite fait lire à Park Chan-Wook. Le réalisateur est ainsi tombé amoureux du style précis et vif de l’auteure ainsi que de ces deux femmes au centre du récit qui lui semblaient très réelles. En transposant l’histoire originellement située en 1862 dans la Corée des années 1930, durant la colonisation japonaise, Park Chan-Wook réalise un conte sensuel mettant en scène une jeune femme japonaise vivant dans une propriété isolée et une femme coréenne engagée pour être sa servante. A l’origine, Park Chan-wook devait s’atteler, après la lecture du roman, à un projet hollywoodien. Mais faute de financements, le cinéaste a laissé tombé.  S a femme lui a ensuite conseillé d’adapter le livre de Sarah Waters et c’est de cette manière que Mademoiselle est né. « C’est un thriller, une histoire d’arnaqueurs, un drame ponctué de rebondissements surprenants et plus que tout, une histoire d’amour. » explique le réalisateur. Si, dans le roman, l’action se déroule dans le Londres des années 1860, l’intrigue du film se situe pendant la colonisation japonaise dans les années 1930. Ce changement est à mettre en parallèle avec des raisons pratiques comme l’explique Park Chan-Wook : « En réfléchissant à une société où la noblesse existe encore, ainsi que le métier de servante, où un personnage collectionne des objets rares, etc., cela semblait le bon choix. C’était une époque où certains aspects traditionnels demeuraient mais où la modernité commençait à prendre le dessus. »

Dans Mademoiselle, l’humour provient du fait que les personnages cachent leur véritable identité et jouent la comédie. Ainsi, dans de nombreuses scènes, ils dissimulent leurs sentiments et pensent quelque chose de très différent de ce qu’ils disent. « Même si les spectateurs n’éclatent pas de rire dans la salle de cinéma, je pense qu’ils apprécieront ce genre d’humour tout au long du film », précise Park Chan-Wook.

A l’origine, quand le projet en était à ses débuts, Park Chan-Wook voulait tourner le film en 3D, pour davantage faire ressortir le point de vue de chaque personnage. Pour des raisons financières, cette idée a dû être abandonnée, ce qui n’a pas dérangé le cinéaste qui a, à la place, privilégié les mouvements de caméra. Park Chan-Wook a tourné en numérique pour pouvoir utiliser un objectif anamorphique, obligeant la chef décoratrice Seong-hie Ryu à construire un plateau plus grand pour s’y adapter. Le réalisateur précise par rapport à cette question du format : « Pour moi, la pellicule est toujours supérieure au numérique et, si j’avais le choix, je tournerais sur pellicule.  Mais en tournant en numérique, nous avons pu nous permettre d’utiliser un objectif anamorphique. J’ai une affection particulière pour les films tournés avec ce type d’objectif et mon directeur de la photographie était intéressé par l’idée de combiner un objectif ancien et une caméra numérique. L’image ainsi créée est assez unique et me semblait adaptée au décor d’époque. »

Pour le rôle de Sookee, la servante coréenne, Park Chan-Wook voulait un visage complètement inconnu. Après avoir fait passer des auditions à pas moins de 1500 actrices, il a choisi une étudiante en journalisme de 26 ans qui n’avait pour ainsi dire aucune expérience de la comédie à l’exception d’un court-métrage indépendant et de publicités pour The Body Shop et d’autres marques. Mais bien que Mademoiselle soit son premier long métrage, Kim Tae-Ri avait une certaine conna issance du métier d’actrice puisqu’elle a fait du théâtre. L’actrice Kim Min-Hee qui interprète Hideko, est depuis plus de dix ans, un visage bien connu du cinéma, de la télévision et de la mode coréenne, mais c’est sa performance en 2012 dans Helpless, le thriller de Byun Young-Joo, qui lui a valu une reconnaissance critique et a attiré l’attention de nombreux spectateurs parmi lesquels Park Chan-Wook. Avec ses films suivants, dont Un jour avec, un jour sans (récompensé par le Léopard d’or au Festival de Locarno), elle continue à s’affirmer comme une actrice aux talents multiples et aux prestations fines et fortes. Ces dix dernières années, Ha Jung-Woo qui interprète le Comte, est sans le moindre doute devenu l’un des acteurs les plus célèbres et les plus appréciés de Corée. Il a tenu le rôle principal de succès commerciaux tels que Assassination (12,6 millions d’entrées), The Terror Live (5,6 millions d’entrées), The Agent (7,2 millions d’entrées), Take Off (8,1 millio ns d’entrées) et The Chaser (5,1 millions d’entrées), tout en jouant également dans des films salués par la critique tels que My Dear Enemy, une coproduction américano-coréenne, Never Forever et Time de Kim Ki-Duk. Il est récemment passé à la réalisation avec aujourd’hui deux film s  à son actif : une adaptation littéraire, Chronicle of a blood merchant (2014) et une comédie, Fasten your seatbelt (2013). Bien que Cho Jin-Woong qui interprète Kouzuki, ait débuté sa carrière en tant qu’acteur de composition, les prestations au cinéma et à la télévision ont tellement marqué les esprits qu’il tient à présent des premiers rôles et est devenu l’un des acteurs coréens les plus demandés.  Tout d’abord remarqué dans Nameless Gangster (2012), il a rencontré un succès grandissant avec Monster Boy : Hwayi (2013), Hard Day (2014), Kundo (2014), Myeong-Ryang (2014) et Assassination (2015). Moon So-Ri qui interprète la tante d’Hideko, a rencontré le succès avec Peppermint Candy (1999) et Oasis (2002) de Lee Chang- Dong et poursuit sa carrière avec des rôles très divers dans des films tels que Une femme coréenne (2003), Sa-Kwa (2005), Family Ties (2006), Forever the moment (2008), Ha Ha Ha (2009), Manshin (2014) et d’autres.

 Dans le but de faire ressentir à l’équipe (techniciens et acteurs) l’atmosphère qui se dégagerait du film, Park Chan-Wook leur a fait écouter trois CD avant le tournage. Comme a son habitude, Park Chan-Wook a donné à ses acteurs des directions assez précises. Il confie : « Je ne suis pas le genre de réalisateur qui donne un scénario à un acteur en lui disant, « Débrouille-toi. » Par rapport à d’autres réalisateurs, je donne aux acteurs un très petit espace de travail, mais il arrive que des acteurs très talentueux parviennent tout de même à s’y exprimer d’une façon qui me surprend vraiment et, avec Ha Jung-Woo, c’est arrivé à plusieurs reprises. »

Park Chan-Wook réalise ici son premier film en costumes et les années 1930 offrent de nouvelles sources d’inspiration à sa sensibilité plastique. Grâce à son travail avec ses collaborateurs de longue date, le directeur de la photographie Chung Chung-Hoon et la décoratrice Ryu Seong-Hee, Park Chan-Wook installe son histoire dans une propriété imaginaire combinant des éléments d’architecture européenne et japonaise avant de se déplacer au Japon pour le dénouement du film. Interrogé sur l’importance que le réalisateur donne aux décors : « quand des personnages entrent dans les appartements de style japonais, ils doivent retirer leurs chaussures et lorsqu’ils traversent l’aile de style occidental, ils doivent les remettre. La personnalité de la maison est un élément important. La chambre de Hideko se situe dans l’aile occidentale, par conséquent elle dort dans un lit et mène la vie d’une Lady. À l’inverse, la chambre adjacente de la servante est de style japonais – Sookee vit dans un oshiire, une sorte de placard dans lequel on range les futons et les draps. L’espace le plus important en termes de décors est la bibliothèque. L’extérieur répond au style de l’architecture japonaise traditionnelle, mais à l’intérieur il s’agit d’une bibliothèque occidentale. On y trouve aussi des tatamis qui, durant les lectures,se transforment en jardin japonais avec des galets blancs, des pierres et de l’eau.Les jardins japonais sont censés reproduire le monde en miniature (les montagnes et les rivières, les lacs et les forêts), donc le fait que Kouzuki le déménage à l’intérieur est comparable à la création d’un nouveau monde à l’intérieur de son propre royaume. »


Présentation du films et animation du débat avec le public : Martin De Kerimel

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