Man in Black


Samedi 27 Avril 2024 à 21h

Galerie La Gaya Scienza – 9 bis rue Dalpozzo – Nice

Documentaire de Wang Bing, Chine, 2023, 1h00, vostf

Le cinéaste chinois a filmé au Théâtre des Bouffes du Nord sur trois jours sans public, et mis en forme par Caroline Champetier, le compositeur chinois Wang Xilin exilé en Allemagne, pour qu’il raconte, dépouillé de tout vêtement, certaines parties de sa vie.

Une séance de Cinéma sans frontières/La Bande Passante hors les murs et une première collaboration avec la galerie « La Gaya Scienza », consacrée au documentaire Man in Black de Wang Bing.

A propos du compositeur Wang Xilin

« … Né en 1936, Wang Xilin a passé son enfance dans la province de Gansu. En 1949, à 13 ans, il rejoint l’armée populaire de libération… Durant les huit années qu’il passe dans l’armée, il se retrouve dans une école militaire de direction d’orchestre afin de devenir chef de fanfare militaire. Il étudie ensuite à Shanghai où il rencontre Lu Hong-En, un professeur de piano qui aura une grande influence sur le jeune homme. Fusillé quelques années plus tard, le musicien inspirera à Wang Xilin son Concerto pour piano (composé en 2010). Pendant ses études, Wang Xilin compose son premier Quatuor et le début de sa Première Symphonie. En 1963, il est engagé comme compositeur en résidence, puis à l’Orchestre de la radio. C’est suite à une conférence publique dans laquelle il critique la politique artistique du gouvernement que les ennuis commencent.

Pour les autorités, il devient un homme à abattre. Il est expulsé de la Ligue des jeunesses communistes et de l’Orchestre de la radio, puis expulsé de Pékin qu’il quitte en 1964. Atteint dans sa santé mentale, il se retrouve dans un asile psychiatrique… Entre 1966 et 1968, il est « redressé » à coup de séances de critique et de tabassage, traîné de village en village avec une pancarte « contre-révolutionnaire » accrochée dans le dos. Jusqu’en 1971, il a travaillé comme ouvrier dans un camp de travail de Datong où il a été persécuté, torturé et emprisonné.

Après « des années d’errance« , selon ses dires, il recommence à diriger à la fin des années 1970 et découvre un peu plus tard la musique moderne européenne de Bartók, Stravinski, Schoenberg, Penderecki ou encore Chostakovitch qui l’influence particulièrement.

Réhabilité en 1978, Wang Xilin retourne à Pékin après la fin de la Révolution culturelle. Il peut poursuivre sa carrière de composition, n’hésitant pas à transposer dans ses symphonies ce qui a marqué son parcours et à parler ouvertement de la trahison des premiers idéaux du communisme. Cela lui vaudra tout de même quelques ennuis, comme la déprogrammation de la création en Chine de sa 4e symphonie en 2000.

Depuis 2017, Wang Xilin vit en Allemagne, où il s’est exilé à l’âge de 82 ans. Outre ses dix symphonies – dont la sixième a été créée pour l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin en 2008 -, il est l’auteur de nombreux concertos, suites symphoniques, oeuvres de musique de chambre et vocale. Le Chinois a également composé la musique d’une quarantaine de films et productions télévisuelles. Ses oeuvres ont été jouées dans toute la Chine et en Europe. » (rts.ch)

Notre Article

par Josiane Scoleri

Man in black est à la fois un film à part dans la filmographie de Wang Bing et en même temps une œuvre parfaitement caractéristique de la méthode du cinéaste. Il s’agit certes d’un portrait comme Wang Bing a pu en réaliser autour de figures singulières qui peuplent son univers, de personnes dont la trajectoire et les choix de vie les situent nécessairement à part, dans une sorte de marge qui les définit dans leur radicalité. On pense notamment à L’homme sans nom ou à Mme Fang. Deux œuvres « courtes » dans une écriture qui se singularise généralement plutôt par le temps long. Mais l’homme sans nom était quand-même filmé dans son environnement et Mme Fang dans sa chambre. Pour un documentariste aussi scrupuleusement attaché à se situer au plus près du réel, filmer tout ce qui entoure le personnage et contribue à le faire exister semble un impératif incontournable. Or, ici, première rupture. Pour filmer Wang Xilin, compositeur contemporain âgé de 86 ans au moment du tournage, Wang Bing choisit un théâtre vide. Mais pas n’importe lequel. Il s’agit du Théâtre des Bouffes du Nord qui fut pendant plus de 30 ans celui de Peter Brook et que le dramaturge a toujours laissé « dans son jus« . Le théâtre avait longtemps été laissé à l’abandon au moment où Peter Brook en a fait son lieu de création. Le vaisseau fantôme est ainsi devenu un navire amiral sans jamais abandonner ses fantômes. Dans ce refus revendiqué de toute rénovation et de toute décoration, Peter Brook faisait à la fois le choix de s’inscrire dans l’histoire et de la laisser parler. Les murs du théâtre sont de fait habités dans leur nudité même. Une nudité faite de traces et de patine qui s’impose d’emblée aux spectateurs. Dans ce décor puissant, Wang Bing filme -deuxième rupture- un homme nu, dont le corps vieilli porte lui aussi les traces de l’histoire. Un corps qui raconte donc l’histoire bien au-delà de la vie de Wang Xilin puisqu’il s’agit en même temps de l’Histoire avec un grand H, celle de la Chine du XXème siècle. La caméra détaille avec une sobriété presque clinique toutes ces marques sur la peau de Wang Xilin, sans nul besoin de commentaire. L’évidence de la torture surgit de l’image au fur et à mesure que la caméra glisse ou ralentit sa marche, s’arrête et repart. De l’épaule au dos ou aux pieds. Des mains aux mollets. Des taches brunes qui ne sont pas des marques de vieillesse, des cicatrices de brûlures, les articulations déformées. Le corps tout entier hurle en silence. Le visage exprime une force de caractère peu commune dans une tension extrême entre le surgissement du trauma qui peut faire irruption à tout moment et la détermination à vivre, à témoigner et à continuer de créer.

Wang Xilin retrouve des gestes et des positions dont on sent bien qu’il a dû les faire des milliers de fois. Certains sont limpides, d’autres plus sibyllins. La caméra est là inlassablement, par devoir, par décence aussi envers cet homme qui a traversé l’enfer. Jamais intrusive et pourtant d’une présence forte, la caméra suit les déplacements de Wang Xilin à commencer par un plan tournant qui ouvre le film avec la descente des escaliers pour rejoindre la scène. Wang Xilin avance lentement mais sûrement, avec la démarche d’un homme certes âgé, mais dont on sent la détermination à chaque pas. Certains ont parlé de « performance » pour qualifier cette œuvre singulière et de fait Wang Bing lui-même la définit plutôt comme de l’art vidéo que du cinéma stricto sensu. Il explique que pour lui la différence se situe dans une plus grande liberté à la fois dans le format et dans la forme elle-même. Ce qui est frappant ici et qui témoigne de cette liberté accrue, c’est la place donnée à la musique de Wang Xilin. Ce qui peut sembler évident, vu qu’il s’agit d’un compositeur. Mais la musique est par moments la matière même du film, ce qui est plutôt rare au cinéma. Surtout, il nous saute aux oreilles, avec un relief saisissant, que les symphonies composées par Wang Xilin sont elles aussi, nécessairement, l’œuvre des camps. Toute la souffrance, toutes les humiliations, le désespoir accumulé, la colère et la rage de vivre, toutes les émotions les plus fortes s’expriment violemment dans la musique. Les vertus cathartiques de ces compostions nous saisissent sans possibilité d’établir une distance. Nous sommes pris nous aussi dans la tourmente. On sait que le son est toujours premier chez l’être humain par rapport à l’image. Et c’est en cela aussi que Wang Bing est un grand cinéaste, capable d’aller à l’essence de ce qu’il veut montrer, comme Wang Xilin est, de toute évidence, un grand compositeur. Le moment le plus fort de ce point de vue-là est sans doute la partie centrale du film où Wang Xilin raconte son expérience des camps. Sa voix est presque complètement recouverte par la musique, mais nous pouvons quand-même suivre ce qu’il dit grâce aux sous-titres. Quelle que soit la langue du spectateur, il aura besoin des sous-titres. La conjonction entre la musique et le récit que nous comprenons par la lecture a un effet symbiotique. Le sens des mots privés de son se fond dans la musique. Notre oreille en est singulièrement aiguisée, alors que ce que nous entendons n’est certainement pas du « easy listening », c’est le moins qu’on puisse dire. Peut-être même ne l’aurions-nous pas supportée, si la musique n’avait pas été ainsi mise en scène par Wang Bing. Mais la bande-son du film comporte un autre élément essentiel qui est la voix de Wang Xilin lui-même. Lorsqu’elle n’est recouverte par la musique, la voix de cet homme résonne elle aussi de tous les affects qui le traversent. Il dit, il revendique, il tempête au même titre que sa musique. À la fin du film, il se met soudain à chanter sur un texte classique qui parle d’amour et surtout de vengeance. C’est sans doute toujours ce qui le tient.

Sur le web

Le documentaire Man in Black a été tourné sur la scène du théatre des Bouffes du Nord à Paris, le réalisateur Wang Bing explique qu’ « il était essentiel de mettre en valeur la musique de Wang Xilin. Ayant déjà enregistré beaucoup d’images de lui au quotidien, je tenais à ce qu’il ait la possibilité de chanter, de jouer du piano, de faire entendre sa voix. Une fois prise la décision de faire ce film, j’ai commencé à chercher la scène adéquate. Et tout particulièrement un théâtre à l’italienne. Dans la plupart des théâtres, il y a une scène surélevée avec une fosse, et cette configuration classique induit une sorte de cloisonnement qui ne convenait pas à la manière dont je voulais filmer Wang Xilin. Alors qu’aux Bouffes du Nord, le plateau est de plain-pied, ce qui donne la possibilité d’évoluer librement dans tout l’espace du théâtre. D’autre part, quand on regarde la scène en surplomb, on a l’impression de regarder dans une tombe profonde, presque dans les enfers. Ce lieu a une certaine grandeur, une certaine majesté. Il est aussi circulaire, avec des escaliers en colimaçon, ce qui s’adaptait parfaitement aux mouvements de caméra prévus.« 

Wang Bing a délégué la caméra à une chef-opératrice comme Caroline Champetier : Avec Caroline nous nous connaissons depuis quinze ans, et le courant est tout de suite passé entre nous. Man in Black étant le premier film que je tourne en France, je lui ai naturellement proposé qu’on travaille ensemble. Nous avons commencé à préparer le projet dès 2019. Mais je suis ensuite reparti en Chine, et nous n’avons finalement pu tourner qu’en mai 2022. Nous avions un créneau de tournage assez court, entre deux productions aux Bouffes du Nord, car il nous fallait un plateau nu. Nous étions tendus le premier jour, puis tout est allé très vite et très facilement. À la fin de l’après-midi du dernier jour, nous avions fini de tourner tous les plans, à l’exception d’un seul : un mouvement giratoire où Wang Xilin descend l’escalier au début du film. Nous avons donc dû faire un raccord direct entre le premier et le troisième plan de la séquence. Si je tenais absolument à obtenir un point de vue plongeant, c’était pour donner l’impression au spectateur que l’espace cinématographique s’étend vers le haut, même si la plupart des plans sont tournés au niveau inférieur, dans les enfers. Mais nous avions un peu de retard et Wang Xilin était très fatigué. Ses articulations commençaient à lui faire mal. Physiquement et psychologiquement, les mauvais traitements qu’il a subis ont laissé des séquelles.

Interrogé sur ce que le réalisateur a voulu montré avec ce documentaire, il confie : En réalisant ce film, je m’efforce surtout d’évoquer avec un maximum de sincérité la vie et l’œuvre de Wang Xilin. Le monde des intellectuels, comme on les appelle en Chine, est constitué de plusieurs ensembles. Il y a les écrivains, les musiciens, les peintres, et tous, chacun à sa façon, ont utilisé leurs arts respectifs pour décrire l’histoire de la Chine de 1949 jusqu’aux années 1990. Rares sont ceux qui sont vraiment parvenus à dépeindre les grands événements de cette période. Mais Wang Xilin est assurément l’un de ceux-là. Nous savons que des événements dramatiques se sont déroulés durant ces quatre décennies, mais nous n’en avons qu’une connaissance très lacunaire, la Chine était très fermée pendant les trois premières. Sur la construction du socialisme dans les années 1950, la campagne anti-droitière, la campagne des Cent Fleurs de la fin des années 50, la révolution culturelle de 1966 à 1976, jusqu’à Tiananmen, il y a finalement très peu d’œuvres et de témoignages, même en reprenant le corpus de l’ensemble des historiens et des artistes. Les fantasmes sur la période maoïste perdurent, et pas seulement dans l’esprit des Chinois. La réalité des évènements de ces années-là est inconnue de la vaste majorité des gens. Encore aujourd’hui, quand on finit par en entendre parler, c’est souvent pour en évoquer la face positive. C’est parce que la face cruelle n’a pas été suffisamment exposée. La plupart des gens continuent de vivre dans cette idée très floue de leur histoire et n’ont pas une idée claire de la nature du monde qu’ils occupent. Ce silence a couru sur trois générations. La Chine a tu la réalité de son histoire. Wang Xilin fait partie d’un très petit nombre de gens qui ont réussi à exprimer par leurs œuvres la réalité de la période qu’ils ont vécue. Moi, je ne suis qu’un travailleur du cinéma. Que puis-je faire sinon le filmer, lui donner cette tribune pour faire en sorte que les gens qui viennent après lui aient la possibilité d’entendre ce qu’il a à dire et ce qu’il a créé ? Mon rôle est de lui donner l’occasion de laisser un legs : qu’il puisse expliquer ce qu’il a vécu et ce qu’il a fait.

Man in Black a été présenté en Séance Spéciale au Festival de Cannes 2023.

« … Loin des principes du cinéma direct qu’observe habituellement Wang Bing, ce film, destiné aux galeries d’art — le premier qu’il a tourné en France et pour lequel il a confié la caméra et le travail de la lumière à l’excellente Caroline Champetier —, procède d’une mise en scène soigneusement préméditée. La nudité de Wang Xilin comme celle du décor — évoquant un tombeau selon le cinéaste, d’autres diraient un espace mental — participent d’une mise en exergue du discours, tant musical que verbal. Ainsi se trouve aiguillonnée notre concentration sur le parcours emblématique d’un artiste confronté à la brutalité du régime maoïste, mais qui toujours fit face avec courage, détermination et une inébranlable foi dans son art. Trois qualités qui sont aussi celles du cinéaste, infatigable bâtisseur d’une œuvre monumentale appelée à documenter l’histoire et la réalité sociale de son pays à travers celles et ceux qui la portent et la supportent. » (telerama.fr)

« … Dans Man in Black, le documentariste s’est associé à la cheffe opératrice Caroline Champetier pour filmer, sur la scène du Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, le compositeur Wang Xilin, aujourd’hui exilé en Europe après avoir été emprisonné et torturé durant la Révolution culturelle chinoise. Plutôt que de retracer étape par étape la trajectoire du musicien, de son travail pour l’armée à sa mise au ban, Wang Bing opte dans un premier temps pour un dispositif performatif, proche de l’art contemporain (le film est en partie coproduit par Le Fresnoy et la Marian Goodman Gallery), mettant en scène l’octogénaire entièrement nu au milieu d’un théâtre vide. La plupart du temps, la caméra tourne autour du corps vieillissant de Wang Xilin, qui s’étire, gémit et chante avant de s’asseoir ensuite au mitan du film pour raconter, non sans douleur, son parcours… » (critikat.com)

« … Le compositeur Wang Xilin, assis face à la caméra parmi les rangées de fauteuils vides, entame un monologue, sans la contribution d’une voix ou d’un intervieweur qui poserait des questions, de sorte que l’ensemble fait l’effet d’être livré d’un seul souffle. C’est une histoire typique pour un citoyen chinois de sa génération : il a surmonté une enfance pauvre à travers une grande ferveur idéologique de jeunesse, rejoignant l’Armée populaire de libération à l’adolescence pour se battre pendant la guerre civile chinoise. La place qu’il a ensuite dans le nouveau collectivisme chinois est claire : jeune adulte, il se partage entre ses études au conservatoire et ses déploiements dans le champ de la musique militaire et nationaliste. Il se détache de la ligne du parti dès le début de la Révolution culturelle, ce qui lui a valu d’être banni et envoyé dans une série de camps de travail et d’asiles. Dans ces derniers, le niveau d’ostracisme et les châtiments subis l’ont plongé dans une grave dépression.

Pendant qu’il parle, sur le tempo d’un chant staccato, ses symphonies (inspirées de l’horreur d’être mis en cage et de voir sa chair brûlée) se font entendre plus ou moins fort, noyant souvent sa voix tandis qu’heureusement, les sous-titres continuent de défiler. En guise de finale, il joue une chanson folklorique discordante sur un grand Steinway, accompagné par sa propre voix, impérieuse, tout cela toujours entièrement nu. Le documentaire étant toujours une forme qui s’engage à se dépouiller le plus possible de tout artifice, Wang Bing montre ici à sa manière à lui (au moyen d’une esthétique précise et en soudant fermement aspect visuel et objectifs thématiques) comment la vérité peut être transmise autrement. » (cineuropa.org)

« … L’homme en noir du titre, c’est Wang Xilin, l’un des plus célèbres compositeurs de musique classique chinois. La noirceur qui l’habille est en réalité métaphorique et désigne les événements tragiques qui ont parcouru sa vie et l’Histoire de son pays. Wang Bing le met ici à nu, au sens propre comme au figuré, sur la scène vide et dans les coulisses du théâtres parisien des Bouffes du Nord. Le récit qui va nous être donné à écouter est triple : il s’agit de celui de la vie de cet homme, celui de la naissance de son œuvre, et celui de l’Histoire de la violence avec laquelle le gouvernement chinois a traité ses citoyens au court du XXe siècle…

… L’œuvre musicale de Wang Xilin est liée de très près à sa biographie. Le temps d’une analyse incroyable, il explique d’ailleurs avoir composé une symphonie qui traduirait en musique les tortures exactes qu’on lui a fait subir. Wang Bing met autant en scène sa parole que sa musique, les superpose parfois, les alterne, les entrechoque. Le travail sur le son participe à donner à ce passionnant documentaire un relief imprévisible et intranquille. Renouvellement inattendu de l’œuvre politique de Wang Bing, voilà un documentaire sur un musicien qui, loin des reportages classiques et biographiques remplis d’archives et d’intervenants interchangeables, réfléchit authentiquement à comment mettre en scène la musique et le processus créatif. » (lepolyester.com)

« … Au Théâtre des bouffes du nord, Xilin s’avance sur scène dans une salle vide et se met littéralement à nu. Aucun vêtement ne couvre sa peau, certes, pour figurer le fait qu’il se livre sans fard, mais surtout cela permet à Bing de s’intéresser à ce corps. Un corps vieillissant, flétri, rabougri, affaissé, peinant à se mouvoir et dont les rides, les plis et les imperfections apparaissent en relief au gré d’un subtil jeu de clair/obscur. Plus encore, se dévoilent, à mesure que Bing glisse sur cette peau, les blessures, les cicatrices et les sévices qui y sont imprimés. Torturé, martyrisé, molesté ; le corps n’oublie rien. Encore moins les ordres et les intendances auxquels il a dû se plier. Automate dévitalisé, marqué dans sa chair, il imite, et reconduit ad nauseam les postures souffrantes et humiliantes : s’agenouiller, demander pardon, porter des sacs de gravats, s’effondrer de fatigue. Le corps n’oublie rien. Et c’est bien ce à quoi renvoie cette danse cathartique effectuée par Xilin. Pour avoir tenu tête à l’appareil d’Etat, il passera quelques années en camp de rééducation à travailler, en poursuivant son auto-critique. La structure étatique, puis le camp, en tant qu’institutions créatrices de pouvoirs et donc de violences, ont domestiqué son corps. Dans une approche similaire à celle de Foucault, Bing dévoile le corps comme cible du pouvoir souverain et des techniques disciplinaires. « Le pouvoir est domination : tout ce qu’il peut faire, c’est interdire, et tout ce qu’il peut commander, c’est l’obéissance. Le pouvoir en dernier ressort, c’est la répression ; la répression c’est l’imposition de la loi ; et la loi exige qu’on s’y soumette. » (Dreyfus H, Rabinow P. Michel Foucault : un parcours philosophique.) D’ailleurs, la caméra de Bing tournoie lentement autour de Xilin durant sa performance et évoque, par son caractère circulaire, le panoptique de Bentham. Mis à nu par Foucault, c’est un dispositif carcéral qui permet à un gardien de surveiller tous ses prisonniers à 360° sans que lui-même ne soit vu. Ainsi, chaque prisonnier peut et donc croit être surveillé à chaque instant. De la même manière, un plan surplombant la scène, à la manière d’une caméra de surveillance ou d’un mirador, montre Xilin tourner en rond, traînant les pieds, traînant son corps.

Puis, vient le moment où la parole se libère. Xilin, assis, commence à raconter sa vie. Enrôlé à 13 ans dans l’armée populaire, il rejoindra le parti communiste avant de s’en détacher lorsque ses velléités artistiques ne se superposeront plus avec les demandes des apparatchiks. Viendront ensuite les persécutions, pour lui, mais aussi pour ses proches puisque certains finiront assassinés. Enfin, viendra la musique. Celle que l’on entend durant son monologue animé et qui le chevauche, qui l’éclipse même tant elle est forte. C’est qu’il n’y a aucune importance à saisir sa parole, sa musique charrie en elle la même souffrance, la même colère ; que ces émotions soient exprimées par des mots ou par ses compositions n’importent peu, le sens est le même. Une grande partie du travail de Xilin a donc été de « représenter musicalement » ce qu’il a vécu. Ainsi, nous indique-t-il que la figure du prisonnier ou du fou reviennent dans les mouvements de ses différentes symphonies. Il transpose simplement ce que son être a enduré et c’est pourquoi lorsqu’il joue au piano Bing ne filme pas ses mains virtuoses sur le clavier, mais encore et toujours son corps. De la même manière qu’il est la force créatrice de l’oeuvre de Xilin, il se retrouve au centre du dispositif de Bing. Cézanne affirmait, à propos de la peinture, « On ne peint pas des âmes. On peint des corps, et quand les corps sont bien peints, foutre ! l’âme, s’ils en avaient une, l’âme de toutes parts rayonne et transparaît.» Dans une sorte de prolongement pictural, filmer c’est peut-être aussi filmer des corps. » (cestquoilecinema.fr)

« … Récit bouleversant aux allures de libre performance, Man in Black traverse plus d’un demi-siècle d’histoire chinoise en plongeant d’un même mouvement au cœur de l’œuvre contemporaine du compositeur. En absolue confiance devant la caméra de Wang Bing, Wang Xilin se souvient corps et âme, ses mains fines esquissant dans l’espace les tragédies qui le hantent. Habité par son art, acte de résistance à la déshumanisation de son peuple entre douceur et véhémence, le musicien évoque leur transposition dans ses symphonies – « les aigus du violon pour le grésillement du fer rouge, le xylophone et le tuba pour la fumée« . Emmené par sa musique, le beau portrait d’un créateur octogénaire vibrant de vie et de compassion, dont le chant au piano, sur la scène en clair-obscur des Bouffes du Nord, renverse. » (arte.tv)

« … Le compositeur Wang Xilin dans une série de gestes, qui évoquent aussi bien les étirements d’un prisonnier enfermé dans sa cellule qu’une forme d’assujettissement ou de contrainte physique. Dans le clair-obscur du théâtre, cette rencontre entre un corps et une caméra particulièrement mobile invente une étrange chorégraphie, qui semble déjà convoquer en creux les violences de l’histoire.

Après ces séquences presque muettes, la parole fait irruption. Wang Xilin retrace son parcours, de son entrée au conservatoire jusqu’à sa mise au ban du Parti communiste chinois et les persécutions qui suivront. Habitué du plan long et fixe pour laisser la parole se déployer librement dans le temps, Wang Bing se fait ici beaucoup plus interventionniste qu’à l’accoutumé. Le montage se resserre sur des événements et traumatismes précis, dont l’évocation est traversée par la douleur ou la colère.

Grâce à un mixage sonore d’une grande précision, les compositions de Wang Xilin s’entremêlent à la parole et, parfois, vont jusqu’à recouvrir sa voix. La musique semble alors prendre le relais du témoignage, comme pour transposer ce récit en symphonie… Avec ces expérimentations sonores, Wang Bing figure ainsi la puissance expressive de la musique, qui, sans l’aide d’aucun mot, se fait le transport des affects et des histoires vécues et devient à sa manière un acte de résistance. » (lesinrocks.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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