Vendredi 02 Mai 2008 à 17h15 – 6ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Peter Brook – Royaume-Uni – 1967 – 1h56 – vostf
Jean-Paul Marat, joué par un fou de l’asile de Charenton, affronte le marquis de Sade, pensionnaire malgré lui et auteur de ce psychodrame. Interné à l’asile psychiatrique de Charenton, le Marquis de Sade reconstruit avec les « fous » de l’établissement l’assassinat du révolutionnaire Marat par Charlotte Corday…
Adapté d’une pièce de Peter Weiss que Peter Brook avait mis en scène avec un énorme succès l’année précédente pour la Royal Shakespeare Company, Marat-Sade reste une oeuvre intense aux multiples significations. Un grand moment de théâtre devenu un grand moment de cinéma. Le film vit les débuts officiels sur grand écran de l’immense actrice anglaise Glenda Jackson, qui incarne ici Charlotte Corday. C’est le second film de Peter Brook que CSF propose, après le remarquable Sa Majesté des Mouches (Lord of the Flies).
Notre critique
Par BrunoPrecioso
Peter Brook, influences artistiques.
« La persécution et l’assassinat de Jean-Paul Marat interprété par les détenus de l’asile de Charenton sous la direction de Monsieur de Sade » pouvait servir de titre au théâtre ; au cinéma, un tel intitulé n’avait aucune chance d’obtenir l’aval des producteurs. Ce fut donc Marat/Sade.
Marat-Sade est le cinquième film de Peter Brook, partagé dès ses débuts entre théâtre et cinéma. Il réalise à 19 ans, en 1944, une adaptation du roman de Laurence Stern A sentimental journey qui fait scandale, et l’oblige à s’éloigner un temps du cinéma ; la même année il travaille à plusieurs pièces, monte le Doctor Faustus de Marlowe, et enchaîne plusieurs projets théâtraux jusqu’au début des années 60 où il renoue avec la réalisation. Ces quinze années sont très influencées par un théâtre français contemporain (Anouilh, Sartre, Genet…), dans lequel les questions de mise en scène sont abordées de manière moderne sous la marque de Brecht. Peter Brook travaille également le répertoire shakespearien dans cette perspective, ainsi que des opéras classiques (comme Salomé de Richard Strauss).
A partir de 1960, Brook adapte pour le cinéma des œuvres littéraires (Moderato cantabile en 1960, Sa majesté des mouches en 1963…), sans abandonner le théâtre puisqu’il s’efforce toujours de rapprocher les deux arts. La mise en scène du Roi Lear de Shakespeare, à Londres (1962), marque son choix d’œuvrer dorénavant dans ce qu’il appellera l’espace vide. Conformément à l’esthétique brechtienne, le spectacle repose sur le jeu des comédiens, à l’exclusion de tout décor. Néanmoins l’objet n’est pas une distanciation stricte, comme en atteste, dans la deuxième moitié des années 60, l’influence du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud.
Marat/Sade
L’objet de cette approche héritée d’Artaud est de rendre au théâtre sa dimension sacrée par la priorité donnée à la mise en scène. Un jeu d’acteur paroxystique doit conduire à une forme d’hyper-réceptivité du spectateur ; le texte acquiert une valeur incantatoire qui transcende le seul sens porté par les mots. Peter Brook épouse absolument les thèses d’Artaud, lui-même homme de théâtre tenté par le cinéma (il joua précisément Marat dans le Napoléon d’Abel Gance) ; le groupe au sein duquel il travaille dans la London Academy of Music and Dramatic Arts (LAMDA) vise à mettre en œuvre les écrits théoriques d’Artaud et de Genet. A cet égard, le choix par Peter Brook du Marat-Sade de Peter Weiss a valeur d’exemple : les deux hommes revendiquent les mêmes influences, Weiss utilise dans sa mise en scène des éléments scéniques expérimentés par le groupe de recherche de Peter Brook. Et c’est d’abord en homme de théâtre que Brook s’empare en 1966 de La Persécution et l’assassinat de Jean-Paul Marat. En même temps que cette expérience théâtrale, il décide d’une adaptation cinématographique, réalisée l’année suivante. En 1967, la pièce est déjà fameuse. Peter Weiss a obtenu un immense succès lors de sa création en 1963 ; l’argument est historique. Une pièce composée sur canevas historique.
Pendant son internement à l’asile de Charenton, entre 1801 et 1814, le marquis de Sade monta plusieurs pièces de théâtre dont les comédiens étaient ses co-internés. Le directeur de l’hospice, M de Coulmier croyant aux vertus thérapeutiques du spectacle sur les maladies mentales, fit construire un véritable théâtre dans l’asile. Les pièces étaient données pour une quarantaine de spectateurs, le plus souvent malades mentaux, choisis parmi les moins agités. Le reste de la salle pouvait recevoir environ deux cents spectateurs, exclusivement recrutés sur invitation. Très vite, il devint du dernier chic d’être convié aux spectacles de Charenton. La distribution des pièces comportait en général un petit nombre d’aliénés, les autres rôles étant tenus par des comédiens professionnels et des amateurs avertis. Le marquis composait des pièces pour le théâtre et dirigeait les répétitions. A partir de 1808, plusieurs voix réclamèrent un contrôle strict du marquis, et menacèrent l’extraordinaire liberté dont jouissait Sade à Charenton. Sa carrière littéraire s’acheva finalement en 1810 sur ordre du nouveau ministre de l’Intérieur Montalivet : « Considérant que le Sieur de Sade est atteint de la plus dangereuse des folies ; que ses communications avec les autres habitués de la maison offrent des dangers incalculables ; que ses écrits ne sont pas moins insensés que ses paroles et sa conduite, (…) il sera placé dans un local entièrement séparé, de manière que toute communication lui soit interdite sous quelque prétexte que ce soit. On aura le plus grand soin de lui interdire tout usage de crayons, d’encre, de plumes et de papier. »
Le Marat-Sade porté au cinéma par Peter Brook est donc l’occasion d’expériences multiples et à plusieurs niveaux – notamment formelles : il prolonge par là son travail sur le théâtre de la cruauté, dans un cadre qui l’incarne symboliquement à la perfection. La mise en scène de la folie, thème surréaliste cher à Artaud, est un cas d’école pour Peter Brook. La transposition d’un spectacle théâtral au cinéma est l’occasion d’une réflexion sur le metteur en scène et son rôle. Mais le fond tient évidemment une place majeure dans le film : on touche à la psychiatrie autant qu’à la politique, au sens de la Révolution française autant qu’au rôle de l’art dans la société. Ces thèmes sont le reflet de préoccupations alors très vigoureuses puisque la psychiatrie, le traitement de la folie et la perception de l’aliéné vis-à-vis de la société sont fondamentalement révolutionnés à cette même époque par le courant de l’anti-psychiatrie (David Cooper, Franco Basaglia, François Tosquelles, Michel Foucault…). La guerre du VietNam qui bat son plein en 1967, et suscite une contestation qui ne cesse de s’amplifier, marque également de son empreinte cet univers de cynisme, et donne au discours de Sade un relief nouveau. Les problématiques artistiques, politiques, psychiatriques voire philosophiques sont donc ici intimement intriquées, et se renvoient les unes aux autres pour composer un discours global, complexe et équivoque.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
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