Memoria



Vendredi 17 Décembre 2021 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Apichatpong Weerasethakul. Thaïlande, 2020, 2h16, vostf

Une horticultrice écossaise spécialisée dans les orchidées rend visite à sa sœur malade, à Bogota en Colombie. Au cours de son séjour, elle se lie d’amitié avec une archéologue française, en charge du suivi d’un projet de construction, et avec un jeune musicien local. Chaque nuit, elle est dérangée par des détonations de plus en plus fortes qui l’empêchent de dormir…

Notre article

par Josiane Scoleri

Le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul nous propose depuis son tout premier film, Blissfully yours (2000), une expérience sensorielle totale. Puissante, déroutante, énigmatique. Hermétique diront certains. Memoria, bien que tourné en Colombie ne déroge pas à la règle. Bien au contraire. Les images sont toujours aussi magnifiques, tant les plans urbains que ceux tournés dans la jungle. La scène tournée de nuit sur un parking désert avec concert de sirènes et phares clignotants restera dans l’histoire du cinéma au même titre que le face- à- face nocturne entre le guépard en surplomb sur une branche et l’homme à terre en pleine jungle, dans Tropical Malady.

Dans les films d’Apichatpong Weerasethakul, la nuit acquiert une texture, une épaisseur, presque une matérialité. Elle en devient palpable, avec pour le spectateur cette impression durable qu’on ne l’avait jamais ressentie avec une telle intensité au cinéma jusque-là. « Periphery of the night » est d’ailleurs le titre de l’exposition montée récemment à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, installations : vidéos, photos, journaux filmés, éléments de préparation de tournage… La nuit y est omniprésente. Et Memoria commence en pleine nuit. On le sait, les sons, les bruits ambiants prennent un tout autre relief dans l’obscurité. Et déclenchent chez nous des réactions souvent imprévisibles, des associations, des images qui vont du plus inquiétant au plus euphorisant.

C’est d’autant plus crucial dans Memoria où Jessica, la protagoniste, entend un son, inexpliqué et inexplicable qu’elle est seule à percevoir. Ou plutôt elle est seule, avec nous, les spectateurs.
De ce fait, nous entrons immédiatement dans l’intimité du personnage. Nous sommes reliés à cette femme par le son lui-même qui agit comme un aimant, mettant ainsi à distance l’environnement et les autres personnages. Tilda Swinton promène son corps de grand échalas androgyne et traverse le film comme en apesanteur. Elle dira elle-même qu’elle jouait comme si elle avait été sous l’eau, et il reste quelque chose de cotonneux, de vaporeux presque, dans sa présence à l’écran. Ce son, à l’origine du film a quelque chose de puissant et mystérieux, vaguement menaçant. Ou plutôt inquiétant, comme tous les phénomènes qui échappent au rationnel.

Il apparaît très vite que c’est cette dimension-là qui intéresse le cinéaste et qui va propulser le film bien au-delà du récit (Une jeune femme rend visite à sa sœur malade à l’hôpital. Elle s’intéresse aux orchidées. Elle rencontre une archéologue…). Même si tous les éléments du récit ont leur importance, ils s’avèrent très vite secondaires dans le déroulement du film.

On comprend qu’Apichatpong Weerasethakul inverse ainsi les fondamentaux du cinéma mainsteam et de tous les ateliers d’écriture de scénario. À savoir raconter avant tout une histoire, avec un début, un milieu et une fin. En se permettant éventuellement quelques fioritures. Ici, c’est l’inverse. Les « fioritures » sont la matière première et font avancer/bifurquer/ rebondir le « récit« .

Ainsi, la scène où Jessica essaie de décrire ce fameux son qui la hante à un ingénieur du son devant son impressionnante console relève presque de la magie. Mais une magie où les trucs ne seraient pas cachés, juste rendus possibles par l’informatique. Cette adéquation entre les mots utilisés par Jessica, dans son espagnol hésitant, et les sons qui surgissent à l’écran – ou plutôt à nos oreilles- a quelque chose de proprement miraculeux.

C’est en même temps un hommage/clin d’œil au cinéma lui-même, puisque l’ingénieur du son va se servir d’une grande base de données de bruitage cinéma. De même, le personnage s’appelle Jessica Holland comme l’héroïne de Jacques Tourneur dans « Vaudou« . Le cinéma, ce merveilleux moyen de créer du vrai avec du faux, dit-on. Memoria nous permet en quelque sorte de vivre cette alchimie en temps réel.

En parallèle à ce son qui ne devrait pas exister et qui existe bel et bien pour Jessica et pour nous, le réalisateur nous incite à questionner ce que nous voyons et que nous prenons par définition pour argent comptant. Ou pour dire les choses autrement, comment faire confiance à nos sens ? Comment interpréter nos perceptions ? Il n’est guère dans nos habitudes de douter de l’équation visible = réel. Or c’est bien là que veut nous amener le réalisateur. On comprend que certains soient réticents ou résistent violemment à une telle entreprise.

Le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul est un cinéma qui nous demande d’accepter l’irrationnel comme une possibilité parmi d’autres et l’invisible comme une part du réel. Vaste programme pour le spectateur occidental! Plus le film avance et plus nous sommes troublés. Tel personnage disparaît comme s’il n’avait jamais existé. Tel autre apparaît sans crier gare. Se pourrait-il que ce soit la même personne? Peut-être avec quelques années de décalage? Ne comptez pas sur Apichatpong Weerasethakul pour vous donner des explications. Comme il le dit lui- même, il s‘agit d’accepter de ne pas tout comprendre. Et d’être perméable aux sensations provoquées par le film.

En même temps, nous sentons bien ce qui relie les scènes les unes aux autres. Comme un écho ou un fleuve souterrain qui ressurgit par moments. Il y a une unité de ton et de rythme qui nous font sentir clairement que rien de qui nous est donné à voir n’est fortuit. Et c’est là où les éléments narratifs jouent leur rôle, un peu comme des aiguillages dans le récit. Ainsi le lieu de fouilles et la découverte d’ossements très anciens. N’oublions pas que le film s’intitule Mémoire. Le film interroge notre rapport au passé et au temps qui passe. Mais dans une perspective asiatique où le temps n’est pas linéaire, mais circulaire. C’est ce qui fait pour nous toute son étrangeté.

S’ajoute à cette temporalité circulaire le lien indéfectible entre tous les éléments et toutes les formes du vivant sont : les humains et les plantes, les fleuves et les pierres. Tous charrient d’innombrables histoires. Ce qui nous vaut une très belle scène entre Ernan et Jessica lorsqu’elle arrive dans sa cahute en pleine forêt. Où la Colombie ressemble à s’y méprendre…à la Thaïlande. Il n’est question au fond que de correspondances. Jusqu’à ce mystérieux OVNI qui se confond d’abord avec la végétation pour décoller soudainement. Qui sait ? Vers d’autres mondes ? Un clin d’œil ludique qui nous prend par surprise, dans un design vintage années 50. Encore une manière de nous ramener, au fond, à la présence du passé dans nos vies. Apichatpong Weerasethakul serait-il en train de nous dire que nous manquons de mémoire ?

Sur le web

Apichatpong Weerasethakul est reconnu comme l’une des voix les plus originales du cinéma contemporain. Ses sept longs métrages, courts métrages, installations et sa récente performance en direct lui ont valu une large reconnaissance internationale et de nombreux prix, dont la Palme d’or à Cannes en 2010 avec Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. Tropical Malady a remporté le prix du jury à Cannes en 2004 et Blissfully Yours le prix « Un certain regard » à Cannes en 2002. Syndromes and a Century (2006) a été reconnu comme l’un des meilleurs films de la dernière décennie dans plusieurs classements en 2010. Mysterious Object at Noon (2000), son premier long métrage, a été restauré par la World Cinema Foundation de Martin Scorsese. Né à Bangkok, Apichatpong a grandi à Khon Kaen, dans le nord-est de la Thaïlande. Il a commencé à réaliser des films et des courts métrages vidéo en 1994 et a achevé son premier long métrage en 2000. Il a également monté des expositions et des installations dans de nombreux pays depuis 1998 et est désormais reconnu comme un artiste visuel international majeur. Il a notamment reçu le prix de la Biennale de Sharjah (2013), le prestigieux prix Yanghyun Art (2014) en Corée du Sud et le prix Artes Mundi (2019). Lyriques et souvent fascinantes et mystérieuses, ses œuvres cinématographiques sont non linéaires, traitent de la mémoire et invoquent de manière subtile la politique personnelle et les questions sociales. Travaillant indépendamment de l’industrie cinématographique thaïlandaise, il se consacre à la promotion du cinéma expérimental et indépendant à travers sa société Kick the Machine Films, fondée en 1999, qui produit également tous ses films. Parmi ses installations, citons le projet multi-écrans « Primitive » (2009), acquis pour les principales collections de musées (dont la Tate Modern et la Fondation Louis Vuitton), une installation majeure pour la Documenta 2012 de Kassel et, plus récemment, les installations cinématographiques « Fireworks » (Archive) (2014), « Invisibility » (2016) et « Constellations » (2018). En septembre 2015, l’Asian Arts Theatre, basé à Gwangju, en Corée du Sud, a commandé sa première œuvre de performance live « Fever Room » conçue pour compléter leur présentation de Cemetery of Splendour. Depuis, « Fever Room » a été présenté avec succès à Bruxelles, Berlin, Yokohama, Singapour, Taipei et d’autres villes internationales, ainsi qu’au Festival d’Automne en France. Il prépare actuellement une nouvelle performance qui sera présentée à San Francisco plus tard cette année. Memoria est son premier long métrage tourné hors de Thaïlande et avec une distribution internationale.

Influencé par les romans sur des chasseurs de trésors arpentant des civilisations perdues, avec lesquels il a grandi, Apichatpong Weerasethakul a décidé de situer Memoria en Colombie : « Les auteurs thaïlandais étaient inspirés par les récits occidentaux, ceux qui romançaient la découverte de l’Amazonie à l’époque coloniale. Ils ont copié et adopté les décors et ont prétendu que ces histoires se déroulaient en Thaïlande. Je suis toujours attiré par un tel monde, qui n’existe peut-être que dans les livres. » Ses voyages au cours de la dernière décennie en Argentine, au Brésil, au Pérou et en Colombie ont réveillé sa fascination pour l’Amazonie. Une région qu’il n’a toujours pas visitée car il est tombé amoureux de l’architecture des villes et a finalement décidé de tourner dans les villes de Bogotá et Pijao.

Memoria est le premier film qu’Apichatpong Weerasethakul n’a pas tourné en Thaïlande. Entouré de ses fidèles collaborateurs, son premier assistant Sompot Chidgasornpongse et son directeur de la photographie Sayombhu Mukdeeprom, le cinéaste s’est finalement retrouvé à son aise en Colombie. Le principal défi qu’il a eu à gérer a été la météo instable. Memoria se démarque également par ses dialogues essentiellement en anglais et en espagnol, une langue que le réalisateur ne maîtrisait absolument pas : « Personnellement, je perçois simplement l’espagnol comme de la musique. »

Le Bang qu’entend le personnage de Tilda Swinton est un bruit interne que le réalisateur a lui-même perçu pendant plusieurs mois. Ce son, qui s’assimilait à celui d’une explosion, s’appelle le syndrome de la tête qui explose : « C’est comme si quelqu’un faisait claquer un élastique à l’intérieur de votre crâne. Mon crâne semble être fait de métal. Ce grand bruit se répercute dans le cerveau, mais au lieu de vous réveiller complètement, il vous met dans un état semi-conscient d’écoute et d’anticipation. »

Tilda Swinton incarne un personnage appelé Jessica, en hommage à Vaudou de Jacques Tourneur, l’un des films préférés d’Apichatpong Weerasethakul. On y suit l’épouse d’un propriétaire de plantation sucrière irrésistiblement attirée par le son des tambours vaudous à la nuit tombée. À son instar, le parcours de l’héroïne de Weerasethakul est guidé par des expériences auditives.

Apichatpong Weerasethakul a écrit Memoria en pensant à Tilda Swinton et Jeanne Balibar, avec lesquelles il désirait travailler depuis longtemps. Situer le projet à l’étranger le rendait à ses yeux plus intéressant : « Alors pourquoi pas l’Amérique latine ? Après tout, il s’agit d’un film sur la volonté d’entrer en phase avec la terre, les autres et soi-même. Je suis reconnaissant d’avoir vu Tilda et Jeanne chercher Jessica et Agnès à leur manière. Tilda était ouverte à la transformation, comme l’eau, tandis que Jeanne suit son ressenti à chaque répétition et à chaque prise. Il y a un côté zen dans les deux approches qui m’ont vraiment inspiré et surpris. »

C’est la première fois que le réalisateur thaïlandais travaillait avec des acteurs entièrement « professionnels », en particulier pour les rôles principaux, mais cela n’a pas modifié sa manière de travailler : « Je me préoccupe uniquement du temps que les acteurs peuvent me consacrer pour le film. Pour ce film, nous avons eu beaucoup de temps pour les répétitions et les mises au point. J’ai utilisé le même processus que d’habitude : la lecture du scénario et l’improvisation pour trouver un équilibre confortable entre les acteurs et moi-même. Les acteurs ont très bien accueilli mon approche, qui consiste à ne pas creuser le fond des personnages, leurs motivations, leur analyse psychologique. Ainsi, à partir du scénario, je n’ai qu’une vague idée du film. »

Distribué aux États-Unis par Neon, Memoria a été diffusé, à l’instar d’une pièce de théâtre, d’une exposition ou d’un concert, de villes en villes et de cinémas en cinémas. Uniquement visible dans les salles, le long-métrage n’est pas disponible en DVD, ni en VOD ou sur les plateformes de streaming.

Le film a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2021, où il a obtenu le Prix du Jury.

« Après deux décennies à tourner dans sa Thaïlande natale, Apichatpong Weerasethakul a pour la première fois quitté son pays pour rejoindre la Colombie et y réaliser Memoria, film qui témoigne en profondeur de ce déracinement. Si l’on retrouve les figures et thèmes familiers du cinéaste, ainsi que la temporalité lancinante qui caractérise l’ensemble de ses films, quelque chose a de fait indéniablement changé ici : plus inquiet et menaçant, l’inconnu ne se manifeste plus de la même façon qu’auparavant… …Weerasethakul n’avait encore jamais filmé ainsi l’irruption de l’étrange comme étant à l’origine d’un bouleversement des repères. Dans Oncle Boonmee, l’apparition du surnaturel à la table d’une petite famille thaïlandaise se déroulait par exemple sans effroi. Un premier fantôme apparaissait au cours d’un dîner en provoquant à peine un léger étonnement de la part des convives. Un singe à la fourrure noire et au regard écarlate, avec tous les traits d’une figure horrifique, s’invitait ensuite à la réunion familiale sans, là encore, bouleverser la manière dont Weerasethakul filmait la scène. Dans son cadrage inaugural, le réalisateur anticipait même l’apparition des deux spectres en filmant l’entièreté de la table, avec deux chaises vides, suivant les préceptes de la tradition animiste selon laquelle il convient de laisser une place pour les morts dans le monde des vivants. Tout l’inverse de Memoria, dont les déflagrations sonores ne cesseront de frapper sans prévenir – l’extraordinaire semble, pour le dire autrement, ne plus aller de soi… Memoria acte un changement de cap notable pour le cinéaste, qui dérive du merveilleux pour aller vers le fantastique, soit d’un monde à l’étrangeté constitutive et naturelle à un autre où l’inconnu, qu’il soit explicable ou non, viendrait fracturer le réel au risque d’en menacer l’équilibre…Ce qu’induit le fantastique en tant que genre fictionnel, à savoir la porosité de la ligne qui sépare le naturel du surnaturel, devient donc l’enjeu même de la mise en scène, du déplacement des corps au positionnement de la caméra, dont les angles de vue dessinent sans cesse des lignes striant de part et d’autre la figure spectrale de Jessica. Il faut noter que l’exil de Weerasethakul, de la province thaïlandaise à une mégalopole étrangère (Bogota), semble l’avoir conduit à prendre plus que jamais en considération les lignes de force tracées par les lieux dans lesquels évoluent ses personnages. Dans la jungle, à l’arrière-plan de la plupart de ses films précédents, l’entremêlement des branches et des feuilles bouchait la profondeur de champ et ne pouvait participer à former un quelconque schéma. Lieu du merveilleux, la jungle témoignait d’un entrelacement naturel, d’une cohabitation des réalités et d’un agencement rhizomatique des éléments dans l’espace. Memoria embrasse quant à lui les paysages ouverts et montagneux de la Colombie, ou encore les contours linéaires des bâtiments modernes de Bogota, faits de colonnes bétonnées et de grandes surfaces de verre, loin par exemple du beau fouillis tropical d’Oncle Boonmee… …Le « bang ! » n’était pas seulement qu’un sursaut fracassant venant fendre le réel : il portait en lui une invitation à s’ouvrir à la mémoire cyclique de ce dernier, à sa nature magnifique comme à ses traumatismes les plus terribles, le long d’un voyage existentiel se refermant sur de sublimes panoramas dont, justement, on ne sait pas vraiment s’ils représentent le début ou la fin des temps. Il fallait en définitive que le monde vacille, et que l’œuvre du réalisateur thaïlandais tressaille à son tour en refusant l’appel confortable de la routine, pour se rendre à l’évidence : après ça, son cinéma restera assurément gravé dans les mémoires. » (critikat.com)

« Si l’on ne parvient pas à saisir pleinement le sens d’un tel film, on peut se fier à ses émotions. Car Memoria délaisse l’intellect pour un cinéma de la sensation, qu’on ressent avec le ventre, si tenté que l’on se laisse porter. Dès sa première longue scène, Apichatpong Weerasethakul brise l’apparente tranquillité de son récit et nous sort de la torpeur par un bruit soudain. L’état de quasi-méditation laisse place à une alerte permanente. Comme pour son personnage à l’écran, le film se mue en une quête de sérénité : il va s’agir alors pour nous, spectateurs et spectatrices, d’apprivoiser la surprise, et l’angoisse.

Memoria débute comme un film de fantômes. L’empreinte spectrale se matérialise dans le son, qui ne connaît pas d’espace-temps et vient déranger le monde des vivants. Il contient en lui une mémoire du monde, à la fois future et présente qui vient hanter son personnage principal, Jessica Holland, au point de l’empêcher de trouver le sommeil. Apichatpong Weerasethakul capte le vertige de l’urbanité, en plan fixe, qui grouille de monde. Mais c’est toujours dans la forêt, amplifiée par un travail sonore qui laisse émerger la beauté de la nature, que la paix est retrouvée.

La beauté hallucinante des images est propice à la contemplation et à l’introspection. On notera cette scène de portrait robot d’un bruit, rarement vu à l’écran, saisissante d’étrangeté. Memoria par sa force tranquille se dépose dans l’esprit pour y éclore. Encore faut-il se prêter à ce jeu exigeant, dont l’expérience si particulière regorge d’une splendeur démesurée. » (lebleudumiroir.fr)

« … Le calme qui anime le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul nous invite à nous connecter au monde. On a l’habitude de le voir, moins de le regarder. Le réalisateur est l’un des rares guides pouvant nous prendre par la main et créer ce lien. La nature est l’un des personnages majeurs récurrents dans son travail. Un théâtre majestueux qui dépasse l’Homme et qui se porterait sûrement tout aussi bien sans lui. Memoria fait se confondre, comme souvent chez Apichatpong Weerasethakul, le macroscopique et le microscopique. Malgré tout, sa mise en scène s’en tient majoritairement à des plans plutôt larges, ouvrant des lucarnes sur le monde…

Il faut un certain temps avant que Memoria justifie son titre, au coeur d’une seconde partie qui donnera une clé pour comprendre la nature du fameux bruit. Une clé évidente pour quiconque a déjà approché le travail d’Apichatpong Weerasethakul, la question de la mémoire anime son oeuvre. Comment capter le passé en filmant le présent ? C’est tout l’enjeu de ce Memoria, long-métrage traversé par des forces invisibles. Ce son qui perturbe tant Jessica, pourrait être l’appel à l’aide d’une Terre, lassée d’emmagasiner les traces laissées par l’homme. Un axe d’interprétation qui se tient, le réalisateur Thaïlandais nous signifiant que nos actes ont des conséquences. Chaque pas, chaque geste, chaque souffle, est une nouvelle empreinte qui s’inscrit dans la mémoire de notre planète. Jusqu’à quand la Terre pourra-t-elle continuer de supporter le poids de nos existences ? Plus inquiétant que le bruit entendu par Jessica, il y a d’abord ce plan sur les alarmes de voiture, au tout début. Rien ne les active, à vue d’oeil, mais elles sont les premiers signes annonciateurs d’un dérèglement, d’une alerte, pour qui veut bien l’entendre… »(cineserie.com)

« … Film sur la mémoire, comme son titre l’indique, Memoria, traite non pas de la mémoire humaine, mais de celle de la Terre, des pierres, de l’eau, des arbres et du vent. Déjouant toutes les traditions d’un cinéma narratif, Apichatpong Weerasethakul fait fi de toute rationalité dans son récit d’un point de vue formel et du sens. Le réalisateur thaïlandais parle de l’invisible, de la magie du monde. Une spiritualité qu’il traduit dans des images, toujours d’une grande beauté contemplative… Des plans fixes, sans aucun déplacement à l’intérieur du cadre, surtout pas de mouvement de caméra, mettent le spectateur dans un état comparable à celui des ondes alpha du pré-sommeil, comme sous hypnose. A l’image de tous les films de Apichatpong Weerasethakul, Memoria relève plus de l’expérience que de la traditionnelle sortie au cinéma… »(francetvinfo.fr)

« … Dès le début de Memoria, Apichatpong Weerasethakul contraste le visuel par le sonore. Par des plans fixes et des longues scènes, la sérénité du visuel nous conquis. La première heure, on vagabonde dans les rues et quartier de Bogota. Dans l’atmosphère urbaine qui bouge de tous les côtés, on suit cette étrangère qui s’immisce dans la ville. Tous les lieux, les ruelles, l’auditorium, le musée, les commerces de télévision, le tunnel, les denses forêts colombiennes sont remplies de vibration.

Ces vibrations composent l’expérience de la protagoniste qui, partout où elle va, la transpercent. Des expériences qui font remonter des souvenirs d’enfance, des sensations et les émotions qui en découlent. Habitée d’un certain côté par la douleur de la mort de l’homme qu’elle aimait. Partout où elle nous emmène, la paix est finalement retrouvée. Dans Memoria, la beauté des plans nous laisse contempler les paysages, comme une méditation guidée. Pendant deux heures seize, on est calmé(e)s, à l’écoute du moindre détail. On se souviendra juste du moment très surprenant du film lorsqu’un un portrait du son est dressé à l’esthétique futuriste.

Memoria est une réelle expérience sensorielle ! Entre un silence obsédant et des sons captivants. Vous l’aurez compris, il est inutile de vouloir donner un sens intellect, il faut se laisser s’abandonner. Entre un trip, et des allures de film de science-fiction, on nous cueille et dépose tout du long. Pourtant, ce récit aux allures de rêve éveillé n’oublie pas de s’ancrer dans la réalité… »(lequotidienducinema.com)

« … Memoria organise sans cesse un mélange de douceur et de violence, un grand dérèglement cosmique passant d’abord par la panoplie sonore qui, de l’écho mat de la ville, aux rubans de paroles effilochées entre deux songes et plusieurs points de suspensions semble moduler un évangile d’apocalypse. Il se propage tel un virus aux alarmes de voitures hululant les unes après les autres (…), à la bibliothèque musicale d’un studio de montage, où s’inscrivent les infinies nuances de la violence (…) et jusqu’aux pierres où est emprisonnée l’histoire du monde, de ses drames et de ses morts, attendant depuis si longtemps l’anamnèse, révélation d’une lente agrégation parachevant ici son cycle. L’archive des sons de l’univers est pleine à craquer, il est peut-être temps d’en finir et de s’arracher…Memoria nous dépose abasourdis après deux heures sous emprise, nous ayant tour à tour largués, portés loin et cloués au sol, hissé à une hauteur de vue à donner le vertige, entremêlant ses rêves aux nôtres ; ses sinueux méandres rejoignent nos projections les plus intimes, donnant accès au lieu secret d’un rendez-vous amoureux qu’on aimerait ne jamais voir finir. » (culture-et-cinema.com)

« … Memoria nous offre l’occasion si rare du lâcher-prise, une exigence corporelle et intellectuelle, pour ce qui s’apparente à une synthèse épurée des œuvres antérieures du thaïlandais. D’un sujet presque banal, avec une amorce narrative quasi naturaliste, le film bascule progressivement dans une autre dimension, flirte avec le fantastique puis s’embarque ensuite dans un trip hallucinatoire vers un monde à part où les morts et les vivants cohabitent dans un même espace-temps, où nous dérivons d’un lieu topographique à un autre, réel ou imaginaire…Weerasethakul filme le trajet intérieur d’une femme au bord de l’implosion, de la dépression à la renaissance. Jessica semble chercher une issue à son mal-être ou son absence d’être, à comprendre ce qui bouleverse son esprit et son corps.

Première qualité immense du film, le travail monumental sur le son sans avoir recours à une seule note de musique durant 2 h 16. Ce travail, il le met en scène dans une réflexion fascinante et même ludique où des sonorités familières se mêlent à des bruitages plus abstraits, caressant nos sens.

En quête d’un ailleurs, terrestre ou non, Jessica va s’enfoncer encore plus loin, quittant la ville pour s’immerger au cœur du paysage naturel de la Colombie ; rêve ou réalité, peu importe, le voyage est garanti, nimbé d’une lumière splendide, de textures sonores impressionnantes et de cadres hypnotiques même si la durée des plans fixes ont l’insolence de dépasser régulièrement la minute.

Le plan séquence distendu selon Weerasethakul n’invite pas le spectateur au regard passif mais à vivre « en direct » l’instant qui passe, aux aguets des moindres signes : nous nous installons à l’intérieur même du cadre, aspirés, passés de l’autre côté, grisés. Dans ce poème somnambulique sur ce qui mène à la conscience de soi, le plus sidérant à observer demeure peut-être le jeu tout en présence/absence de Tilda Swinton, qui se confond dans le cadre, participant même à l’élaboration de la mise en scène, à la fois actrice et témoin de ce qui lui arrive.

Weerasethakul nous invite en douceur à partager sa vision du cinéma, et aussi de la vie réelle ou rêvée. Evidemment il y a ceux qui resteront sur le bas-côté, subissant la lenteur extrême du film. Et les plus chanceux, hypnotisés par ce qui demeure l’une des plus belles expériences oniriques que le cinéma ait proposées cette année. On peut aussi admirer la démarche du réalisateur, plasticien de génie, et avoir parfois du mal à rentrer à l’intérieur de son film. Mais c’est aussi ça le cinéma, dans sa forme la plus démocratique, de ne pas chercher à tout prix à désirer son spectateur. Juste lui laisser le choix. Et en cela c’est un grand film.

Plus que jamais Apichatpong Weerasethakul explore l’idée que le spectateur ne soit plus un simple spectateur mais un promeneur, qu’il puisse se balader au gré de ses attirances, se promener à l’intérieur, en sortir parfois avant d’y revenir. Il ne s’agit pas de s’y ennuyer, mais de s’y laisser glisser doucement quitte à parfois s’y assoupir…en sortant de Memoria, après avoir subi ses intempéries, le bruit croissant de la pluie, on se sentira dans une forme d’euphorie inexplicable, l’impression d’avoir compris la beauté du monde, et d’avoir été réconforté face à nos angoisses, nos peurs irrationnelles et tout simplement la peur de la mort. Rien ne semble mort dans Memoria, bien au contraire, tout paraît inscrit dans un grand tout où les âmes les plus lointaines, les essences du vivant les plus immémoriales sont bien présentes. Memoria explore l’immuable dans sa splendeur. Il suffit de tendre l’oreille attentivement pour comprendre que la mort n’est qu’un leurre, ou un sommeil comme un autre et que tout subsiste éternellement. Tendre l’oreille c’est pouvoir revivre la vie des autres, être à l’écoute des disparues, de leurs douleurs, de leurs agonies, des vies anonymes, être l’autre et devenir « autre ». Alors les pleurs, telle une transcendante révélation, peuvent se confondre au bonheur : l’harmonie. La plus magnifique des métaphores réside sans doute en cette mémoire de la pierre comme idée que dans la matière la plus inerte subsiste l’empreinte la plus marquante du vivant… Memoria est une expérience cosmique et philosophique de connexion au monde, d’appel à l’amour de l’univers, totalement ouvert à tous les dialogues, à toutes les explications vers l’infini imaginaire, l’infinie temporalité. Enfin, à l’abandon d’un esprit rationnel étriqué qui nous priverait des réalités indicibles. Le temps est un lieu dans lequel on se perd, et le lieu un axe temporel vertigineux. Laissons-nous porter, glisser, regardons, observons l’instant qui se poursuit où tout se joue dans l’immobile et surtout… écoutons. » (culturopoing.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri. Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

 

 

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