Mercuriales



Vendredi 09 Janvier 2015 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Virgil Vernier – France – 2014 – 1h44

Cette histoire se passe en des temps reculés, des temps de violence. Partout à travers l’Europe une sorte de guerre se propageait. Dans une ville il y avait deux sœurs qui vivaient…

Notre critique

par Josiane Scoleri

Dans l’Antiquité, à Rome, les Mercuriales célébrées  le 15 mai étaient une journée consacrée à Mercure, messager qui faisait la navette entre les dieux et les hommes, dieu des voyageurs, des commerçants et des voleurs…. Dans le film, il va aussi être question de va -et- vient, de commerce, de voyages, réels ou imaginaires, et plus indirectement  de vol. C’est d’ailleurs là-dessus que se termine le film puisque les dernières images nous montrent la destruction des habitations définitivement volées à leurs habitants. Mais pour planter le décor, le film commence par la visite guidée du sous-sol des fameuses tours « Mercuriales » dans une scène futuriste pleine de machines rouges et bleues et de lignes jaunes sur fond blanc. D’emblée, nous sommes frappés par l’aisance  du réalisateur dans la composition des plans et l’utilisation de la couleur. Nous nous sentons un peu chez Fernand Léger. Cette scène d’ouverture qui prend  des airs de science-fiction est savamment renforcée par les jeux de lumière des lasers dans la nuit et la bande-son qui distille les noms des constellations. Grâce à ces images nocturnes, Apollon ou Orion  cessent d’être des appellations pseudo poétiques  en  décalage complet avec leur environnement habituel. Le temps de quelques plans, la représentation du réel par le cinéma nous permet de recréer le  lien  avec  la réalité, mis à mal par la réalité elle-même. Curieux paradoxe des temps modernes. Et, de fait, le film se présente  comme une chronique réaliste de la vie de jeunes gens entre 20 et 25 ans aujourd’hui en région parisienne. Petits boulots, précarité, rêves d’avenir professionnel et/ou personnel. Nous sommes dans cette étape décisive de la vie ou il s’agit de trouver son chemin. Avec beaucoup d’habileté, le film se concentre sur deux jeunes filles qui se ressemblent physiquement et dont la trajectoire est cependant très différente. De même que l’on parle pour les Mercuriales de la  tour du Levant et de celle du Ponant (toujours ces appellations poético-savantes qui sonnent bien mieux qu’un prosaïque Est/Ouest ou d’un encore plus strictement utilitaire A et B), Lisa et Joane sont l’une de l’Est et l’autre de l’Ouest de l’Europe.

Les premières scènes consacrées à Lisa sont mystérieuses, ( la conversation en moldave dans un café avec un Noir Américain) avec même une pointe d’ésotérisme ( bougies et invocation des esprits) sans plus d’explication. Le film procède par petites scènes juxtaposées, dans un montage rapide et sans transition.  Il croise relations de boulot, amours et amitiés. Les dialogues sont vifs, directs et même plutôt crus ( cf la scène du bar). Les filles parlent des garçons, de leurs désirs. Peu à peu le parcours des uns et des autres se dessinent,  Nous entrons dans l’intimité des personnages. Le réalisateur filme la lumière de l’été, les couleurs vives, les tenues légères, la langueur qui rime avec chaleur. Au-delà des jeunes gens, Virgil Vernier consacre aussi quelques scènes aux enfants pré-adolescents. Leurs rapports qui oscillent entre enfance et découverte du corps, imitation de ce qu’il voit du monde des adultes, entre pensée magique et appréhension du réel ( la poupée voilée qui récite une sourate dans des éclats de rires irrépressibles).  Le film distille au fil des scènes des bribes d’information tirées de l’actualité qui en quelques phrases nous ramènent au ras du bitume avec un effet de balancier puissant entre la poésie des cadrages et des couleurs et la dureté. Mais le film oscille aussi entre clarté et obscurité avec de nombreuses scènes de nuit qui renforcent le halo mystérieux du film (notamment celles où Lisa enveloppée dans une cape noire frappe avec son bâton tout ce qu’elle trouve sur son chemin) et qui se succèdent rapidement comme sur la planète Mercure qui est la plus proche du soleil. La musique enveloppe les images comme en fusion avec le rythme même du film.  La scène de la boîte de strip-tease illustre très justement cette entente entre lumières, sons et images, tout en nous renseignant sans un mot -et d’autant plus cruellement- sur les rêves de carrière de danseuse professionnelle de Joane. Là encore, le montage sans raccord fait merveille, enchaînant directement sur la scène du supermarché, puis sur les petits immeubles voués à la démolition. Car il ne s’agit pas de perdre de vue que Mercuriales nous parle de la France d’aujourd’hui (le frère de Joane converti à l’Islam, le mariage antillais à l’église évangéliste et le départ des mariés en limousine à rallonge, etc..) et de l’histoire contemporaine de l’Europe. Lisa évoque tour à tour la Moldavie, puis l’Albanie et la Roumanie, voix off et inserts d’images sauvages et terribles, mais aussi le dessin d’une chaumière qui viendrait tout droit d’un conte de Grimm. Et là encore, avec son habileté coutumière, Virgil Vernier, nous transporte instantanément dans une grande maison dans la forêt où l’Allemagne  se trouve de l’autre côté du fleuve, L’ Europe encore et toujours, La petite ville alsacienne est d’ailleurs jumelée à un bourg polonais depuis la réunification de l’Europe. En quelques plans, le réalisateur creuse son sujet et nous emmène dans son ballet entre l’Est et l’Ouest, entre les guerres d’hier et celles d’aujourd’hui. Trois soldats qui patrouillent avec des mitraillettes sur une route de campagne et chassent un SDF de son abri, enveloppé dans sa couverture de survie. Chaque scène ajoute une touche supplémentaire à ce tableau bien plus complet qu’il n’y paraît. Le départ de Lisa nous vaut d’ailleurs quelques gros plans sur l’itinéraire qui sera le sien d’un bout à l’autre de l’Europe, de Paris à Chisinau.  La boucle est bouclée.

Mercuriales est un film qui tient du mercure, seul métal qu’on trouve à l’état liquide dans la Nature et qu’on longtemps appelé, de ce fait, le vif-argent. Il ne se laisse pas attraper facilement tout en prenant son temps. Il nous révèle déjà une écriture à part entière.

Sur le web

A 38 ans, Virgil Vernier signe avec Mercuriales son premier vrai long-métrage de fiction, après plusieurs documentaires et oeuvres courtes remarqués (Commissariat, Pandore, Orléans…). Il confie que ceux qui l’inspirent le plus, ce sont surtout des musiciens, des artistes, des écrivains: Sylvia Plath oui, mais aussi Carson McCullers, Flannery O’Connor: Quand j’écris, j’écoute surtout de la musique. Ça me met en transe! Mais l’inspiration vient surtout dans la rue, en marchant ou en voyant des situations, en rencontrant des gens. En fait, c’est la vie en général qui est inspirante. Ce qui se passe à la télé, dans les médias, sur internet. Des émissions de télé-réalité, les faits divers du jour, des photos amateurs sur internet. Tout ça ce sont des signes du présent qui donnent des idées. Dans l’idéal j’aimerais qu’on voie Mercuriales sans penser à d’autres films, sans référence culturelle. Le spectateur idéal serait un individu totalement innocent, sans connaissance de l’histoire de l’art. Moi-même en faisant ce film, j’ai tenté de me libérer de toutes mes influences et de faire un film totalement tourné vers le présent…Dans ce film, j’ai voulu que le destin des personnages ressemble à celui des héros de contes, des tragédies grecques. Quand je regarde l’urbanisme d’une ville, je ne peux pas m’empêcher de penser à des images de villes mythiques. Si on regarde un événement anodin en le mettant en perspective avec l’histoire, ou avec des symboles, il se met à devenir emblématique. Je pense que le merveilleux est présent partout autour de nous. Il est là, dans la rue, il faut juste le guetter. Les films ou la photographie permettent de le saisir, de le révéler.

Le réalisateur Virgil Vernier a souhaité faire un film sur les tours du Mercuriales de Bagnolet en Seine-Saint-Denis, car elles sont riches d’un point de vue symbolique dans son histoire comme dans la grande Histoire. Virgil a grandi face à ces tours, et elles l’ont toujours fasciné. Il souhaitait faire un film sur les ruines, et ces tours étaient pour lui le meilleur objet pour en parler. Elles ont été construites sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, et ont incarné le triomphe du capitalisme, l’influence des Etats-Unis sur la France dans les années 1970. Comme il le dit : «J’ai imaginé ce film à partir des tours Mercuriales que je connaissais très bien pour les voir depuis ma chambre d’enfant. Elles sont appelées respectivement la tour du Ponant et la tour du Levant, soit l’Ouest et l’Est. Ce principe bizarre de deux tours jumelles désignant deux points cardinaux, dont les salles de conférences tiennent leurs noms de dieux mythologiques, m’a inspiré l’idée de deux pôles de l’Europe incarnés par des jeunes filles, l’une de l’ouest de la France, l’autre d’Europe de l’Est, qui parcourraient cet endroit leur renvoyant un reflet métaphorique après s’être rencontrées au sommet, ce point de guet très symbolique en surplomb de la ville et pareil à une acropole moderne. Dans ma fascination pour ces tours dont on dirait qu’elles cherchent à disparaître en moirant le ciel et la banlieue alentour, alors qu’on ne voit qu’elles, je me suis dit qu’il faudrait autant en parcourir les sous-sols, ce que l’on n’en distingue jamais et qui soutient tout, que les toits, ce qui touche vraiment le ciel. Et que dans les deux cas s’y jouerait quelque chose de divin, dans le rapport d’un côté au monde souterrain, caché, et de l’autre à l’idée très XXe siècle du gratte-ciel.» Pour lui « Les tours du Mercuriales sont comme une sorte de totem de notre monde« .

Comme pour l’un de ses précédents films, Chronique de 2005, Virgil Vernier a opté pour une narration fragmentée, où chaque personnage prend le relais sur l’autre, pour dresser un portrait de la société contemporaine. Le réalisateur explique que «Même si le délire de s’élever ainsi brasse des mythes très anciens, jusqu’à la tour de Babel, ce type d’édifice constitue la grande forme d’architecture et l’incarnation même du capitalisme orgueilleux, conçue au siècle dernier, apparue à New York, puis essaimée en Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans les quartiers d’affaires allemands et suisses, et même en France sous la forme d’une espèce de simulacre un peu médiocre du modèle américain. Face aux attentats du 11 Septembre, qui préfiguraient comme par hasard un krach économique, on pouvait voir la mise en crise de ce modèle d’un siècle qui venait de s’achever. Et ses tours, pour moi laides et grossières, prenaient des atours de colosse au pied d’argiles. Ce sont déjà des ruines, au fond, des ruines en puissance. Je voulais absolument explorer cela par la musique, la lumière, le cadrage et montrer des filles qui sont elles-mêmes dans cette crise de vie, si bien que tout se met à dialoguer, à rentrer en écho. Dans le film, même quand on s’en éloigne, on y revient toujours, comme au point d’ancrage d’une sorte de fatalité.»

Quand on l’interroge sur le tournage de Mercuriales, il dit que «Le cadre narratif, s’il est minimal, était défini à l’écrit de manière très rigoureuse. Ensuite, je voulais que les personnes qui allaient jouer dans le film aient du lest, un espace ouvert sur le n’importe quoi. De mon expérience dans le documentaire, j’ai retiré le souci de filmer des gens vivants plus que des acteurs en représentation, en imitation de la vie. J’ai demandé à mes actrices de sortir d’elles-mêmes et, pour cela, j’ai essayé de les hypnotiser, de les abrutir de musique, de les faire boire…Je voulais qu’elles deviennent d’autres personnes pour la durée du tournage et filmer cette expérience-là. C’était également important de les filmer en pellicule 16 mm pour les montrer sous un jour très organique et sensuel, à l’image d’une banlieue parisienne que je voulais filmer dorée, vivante, colorée et sublime. Il fallait que tout soit objet de fascination, que tout ressemble à un rêve ou à un cauchemar éveillé, dans une temporalité insituable, que seule permet la pellicule. Tourné en numérique, le film aurait paru froid, cynique.»

Pour être au plus proche de son personnage, Ana Neborac, qui livre sa première interprétation cinématographique, a écrit le journal intime imaginaire de celle qu’elle interprète.

Mercuriales a reçu le prix découverte dans la compétition Première oeuvre de fiction du Festival International du Film Francophone de Namur et le Prix du jury Erasmus au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux (2014). Ce film a été programmé à l’Acid au Festival de Cannes 2014, ainsi qu’au Festival International du Film de la Rochelle 2014.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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