Metropolis



Vendredi 21 Mars 2014 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Fritz Lang – Allemagne – 1927 – vostf

Metropolis, la ville futuriste de l’an 2026, est conçue dans son architecture selon le strict principe de la séparation des classes : en haut dans les jardins et les palais de rêve,vivent les maîtres ; dans des usines souterraines travaillent les ouvriers, esclaves des pendules, des chaînes et des machines gigantesques nécessaires à la vie de la ville haute. Tandis que le fils du grand maître découvre avec épouvante la condition inhumaine des travailleurs, le savant Rotwang met au point un robot destiné à remplacer les ouvriers. Le soir, dans les catacombes, la belle Maria raconte qu’il existe en haut un monde inconnu où tout est beau ; incrédules, les ouvriers décident d’aller y voir de plus près. Se sentant menacé, le père de Fredersen ordonne à Rotwang de donner à son robot l’apparence de Maria…

Notre critique

par Josiane Scoleri

Metropolis est un monument de l’histoire du cinéma. Film démesuré, véritable superproduction de la République de Weimar, le film n’eut pas le succès escompté en Allemagne et la version américaine fut largement charcutée malgré l’opposition express de Fritz Lang. Mais en dépit de tous les outrages, les coupes, colorisation et autres nouveaux montages, malgré les 80 minutes qui ont longtemps été considérées comme le seul vestige du film, Metropolis est resté à tout moment un film phare, un film référence, en un mot un film culte.

Car quelque soit la version vue par le spectateur, ce qui frappe toujours aussi fortement, c’est à quel point Fritz Lang a vu venir dès 1925 la dictature qui se profilait à l’horizon (dont les éléments les plus glaçants sont sans nul doute le numéro matricule des ouvriers et l’étoile de David sur la porte du savant Rotwang, mais on retrouve aussi à un autre niveau le culte du corps performant et l’esthétique « aryenne »). Cela dit, Fritz Lang ne s’arrête pas là et décrit implacablement le fossé entre les classes et l’incapacité des opprimés à penser par eux-mêmes et à changer les choses. Et même si le film se veut l’apôtre de la collaboration de classes comme seul modèle de société, il reste après la vision du film un goût amer quant aux perspectives réelles d’harmonie et de justice sociale. En fait, et c’est sans doute aussi ce qui explique l’engouement suscité par le film, la forme  frappe tout autant que le contenu.

Considéré comme le premier film de science fiction de l’histoire du cinéma ( oubliant ce faisant néanmoins un peu vite « Le voyage sur la lune » et tous les films de Melliès), Metropolis est une mine d’inventions formelles. Trucages, interventions sur la pellicule, déformations, effets spéciaux, tout contribue à créer ce monde supposément du futur et les mêmes outils serviront longtemps de matrice à toute l’imagerie futuriste, que ce soit au cinéma ou en bande dessinée (cf aujourd’hui encore la longue série des « Cités obscures » de Schuitten et Peeters…). Les autoroutes qui se superposent et se croisent haut dans le ciel, les gratte-ciels et les immeubles vertigineux à la géométrie improbable, les véhicules qui semblent propulsés à toute vitesse sur un rail, tous ces éléments indispensables au récit de science-fiction se trouvent déjà dans Metropolis. Sans oublier les multiples inventions du quotidien : lampes, écrans et autres appareils, etc… qui culminent dans l’officine de Rotwang et donnent lieu à l’une des scènes les plus virtuoses du film avec la création de « l’homme-machine ».

Le film n’est pas à proprement parler un film expressionniste puisqu’il ne respecte pas la plupart des règles formelles proclamées à l’époque (notamment les fameux angles aigus du mobilier et des costumes). De toute évidence, Metropolis se situe résolument ailleurs, ne serait-ce que par la dimension du film, (le nombre faramineux de figurants par exemple) et le sujet abordé. Il  reste  néanmoins clairement l’héritier du mouvement expressionniste de par le traitement du  Noir et Blanc et des contrastes. Fritz Lang construit en effet tout son film sur l’idée d’opposition. Opposition radicale entre le haut et le bas, l’espace et le confinement, l’aérien et le souterrain, la lumière et l’obscurité, le temps libre  et l’asservissement absolu à la machine, l’aisance et la contrainte, l »individu et la masse, etc… Tout distingue les habitants de la ville haute de ceux de la ville basse : le physique, les vêtements, la posture, la démarche, et si on les entendait parler, bien sûr, le langage.

Toutes ces oppositions se renforcent mutuellement pour créer une tension permanente, présente à chaque plan. Le montage et la mise en scène sont mis au service de ce même objectif. Le rythme même du film oppose la cadence mécanique des ouvriers qui entrent et qui sortent péniblement de l’usine, les ascenseurs qui montent et qui descendent, les voyants qui clignotent, etc… et les soubresauts de la vie d’en haut ( cf le licenciement de Josaphat, la visite de Jo Fredersen chez Rotwang ou les soirées frénétiques en boite de nuit). Mais c’est à partir de la création du sosie-machine de Maria que le film passe la vitesse supérieure. Le récit s’embale et l’élite se révèle tout aussi facile à manipuler que les masses. Seuls les ressorts diffèrent.

Dans ce monde binaire, deux personnages font sentir leur différence : ce sont d’un côté Maria (dont le prénom ne surprendra personne) pour le monde d’en bas et Rotwang pour le monde d’en haut. Maria, la vierge sage qui mobilise sagement les foules et Rotwang, le savant fou qui fait de son échec personnel le moteur de son projet mégalomane. Sa maison qui semble sortie tout droit d’un conte de Grimm est d’ailleurs le dernier vestige d’un passé irrémédiablement révolu et constitue un multiple carrefour à la fois dans l’espace à l’interface entre ville haute et ville basse et dans le temps entre passé et avenir. Maria et Rotwang ont ceci en commun qu’ils se sentent l’un et l’autre investis d’une mission et rien ne pourra les faire dévier de la voie qu’ils se sont tracé. Freder, le héros chargé de jouer le rôle d’intermédiaire entre les deux mondes est loin d’avoir autant de relief. Il appartient toujours clairement à l’élite (il n’est rien de moins que le fils du Big Boss) même lorsqu’il prend momentanément la place du matricule 11811.

La dernière partie du film prend des allures de fin du monde avec l’anéantissement de la ville basse (scène grandiose de l’inondation et du sauvetage des enfants)  et la révolte aveugle des ouvriers orchestrée par le pouvoir en place, le suspense provoqué par la confusion entre Maria et son sosie ou encore la course poursuite entre Freder et Rotwang. Et malgré la rédemption finale, relativement peu crédible au demeurant, qui sanctifie l’ordre établi  sous couvert d’une nouvelle communication entre opprimés et oppresseurs, Fritz Lang nous brosse un tableau terriblement noir de l’incapacité des êtres humains à dépasser les mécanismes de la loi de la jungle dans leur vivre ensemble. L’histoire du XXième siècle lui donnera malheureusement raison.

Sur le web

Depuis sa création, en 1927, Metropolis fut l’objet de multiples transformations techniques. En 1984, le compositeur italien Giorgio Moroder a cherché à colorer le film et à y instaurer une nouvelle bande-son, à laquelle a notamment participé le groupe Queen. Moroder a entamé cette vaste entreprise à partir de seulement 1 heure et 20 minutes de film, alors que le long métrage original durait 3 heures et 30 minutes. Une dizaine d’années plus tard, suite à un grand travail de recherche, une version rénovée en noir et blanc de 153 minutes vit le jour. En 2001, le film bénéficia également d’une nouvelle restauration par la Fondation Friedrich Wilhelm Murnau, pour qu’ensuite, en 2008, soient rajoutées 25 minutes de scènes manquantes supplémentaires, donnant ainsi lieu à une version de Metropolis proche de celle de 1927.

Metropolis, au moment de son tournage, était un projet colossal. Les producteurs de la Ufa, à Berlin, investirent 30 millions d’euros dans ce film futuriste. Lors de sa première sortie, à Berlin, en janvier 1927, le long-métrage de Fritz Lang ne réunit que 15 000 spectateurs. Le film est alors rapidement retiré des écrans, puis est remonté, raccourci, mais ne trouve pas pour autant son public. Ce n’est que lors d’une ressortie internationale à la fin de la Seconde Guerre mondiale que Metropolis acquiert le statut qu’il a encore aujourd’hui, celui de film culte. Un quart du film a été perdu lors de ses premières coupes : ses multiples restaurations ont néanmoins permis de préserver la qualité de l’image. Metropolis est inscrit au registre Mémoire du Monde de l’Unesco, il a été le premier film classé parmi les documentaires de patrimoine mondial.

Fritz Lang, le réalisateur des Nibelungen, du Tombeau hindou, résume ainsi Metropolis, pour lequel il imagina nombre d’effets spéciaux : « Un travail innovateur techniquement et artistiquement, et qui aurait été irréalisable sans ces inventions. Le fait que nous ayons pu surmonter ces difficultés montre bien les nombreuses possibilités et capacités d’évolution que possède ce film. »

Pour obtenir une dimension visuelle à la hauteur de la dimension morale du film, l’équipe de Metropolis a dû inventer de nombreux effets spéciaux. Ainsi, la nouvelle « Tour de Babel », censée mesurer 500 mètres de hauteur, a été réalisée en miniature. C’est le chef opérateur Eugène Schüfftan qui mis au point un procédé jouant sur les miroirs : à partir de petites parties, une grande partie du décor était constituée. Les autoroutes, les voitures, ont été minutieusement ajoutées : six semaines ont été nécessaires pour finaliser ces plans, où la lumière et la disposition des caméras ont une place essentielle. Une scène ne pouvait pourtant être réalisée en miniature, celle de l’inondation. Quatre bassins de 1600 mètres cubes ont donc été construits pour obtenir une pression suffisante. Lorsque la vague de 8 mètres se forma, la caméra ne tournait pas, alors que toute l’équipe pensait qu’elle était en marche !

Réaliser les costumes de Métropolis était un véritable pari pour Aenne Willkomm : « Il ne s’agissait pas de créer la mode de demain, qui sommeille déjà aujourd’hui en chacun de nous, ni celle d’après demain car elle prend certainement déjà forme dans l’esprit des grands couturiers, mais la mode de l’an 2000, une époque qui nous paraît si lointaine qu’elle ne peut exister que dans l’imaginaire. (…) Qui sait si les gens de l’an 2000 porteront ce genre de vêtements ? Peut-être un jour verront-ils Métropolis et seront-ils étonnés de constater à quel point l’imagination est proche de la réalité.« } La difficulté principale pour Aenne Willkomm était de trouver deux costumes fondamentalement différents pour Brigitte Helm : « La tenue de la gentille Maria devait avoir des tons lumineux et reposants, afin de rappeler une ancienne icône de madone. Pour le rôle du robot au contraire, son costume devait avoir un aspect aussi criard et glaçant que possible. Au corps de femme nu et pâle on fixa de petites pierres brillantes, pour renforcer cette impression de froideur extrême de la machine.« 

La partition originale de Gottfried Huppertz, qui accompagna d’abord le film, a été oubliée dans les années 40, lors des remaniements du film. Dans les années 80, les notes de Gottfried Huppertz furent retrouvées – malheureusement incomplètes. En octobre 1988 eut lieu une nouvelle première de cette musique originale par le philharmonique de Munich.

Metropolis est adapté d’un roman de Thea von Harbou, l’épouse de Fritz Lang. Elle a également participé à l’écriture du scénario. Leur première collaboration remonte à 1920 et Das Wandernde Bild, dont elle avait signé le scénario.

Fritz Lang tenait à engager une non-professionnelle pour le double rôle de Maria / Le robot. Brigitte Helm n’avait aucune expérience, ni en théâtre, ni en cinéma : son seul rôle dans Metropolis a cependant fait d’elle une star. A l’époque de la sortie du film, encore incertaine quant à sa carrière d’actrice, elle disait d’ailleurs : « Encore aujourd’hui, je me sens tellement grandie par ce rôle de Maria, que je ne peux m’imaginer interpréter un autre rôle. D’un autre côté, je ne m’imagine pas ne plus jamais faire de films, et je suis d’ailleurs très curieuse de savoir ce qui m’attend. » Rudolf Klein-Rogge, l’inventeur du robot, est un acteur fidèle de Fritz Lang : il était déjà le savant fou du Docteur Mabuse, 5 ans plus tôt. Ils tourneront neuf films ensemble, entre 1921 et 1933. Ce film nécessita neuf mois de tournage et 36 000 figurants, dont 750 enfants, 1000 noirs, 25 chinois et 1000 cranes rasés.

Lors de sa sortie, Metropolis mesurait 4189 mètres de pellicules, soit 153 minutes. Pour sa sortie américaine, Channing Pollock, un auteur de théâtre, fut chargé de donner au film une longeur « normale » : de nombreuses coupes sont réalisées, notamment dans des scènes essentielles sur la création du robot ou la destruction de Metropolis. Le film mesure encore 3100 mètres et dure 130 minutes.

Si Metropolis est reconnu comme l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma, il a néanmoins subi quelques détournements idéologiques, puisqu’il était notamment l’un des films préférés d’Adolf Hitler. En visionnant le film, Paul Joseph Goebbels eut l’idée de confier la direction du cinéma nazi à Fritz Lang : rappelons que celui-ci émigra aux Etats-Unis dès 1934, pour échapper au régime nazi.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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