Mardi 08 Février 2011 à 20h30 – 9ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Soren Kragh-Jacobsen – Danemark – 1999 – 1h38 – vostf
Jeune cadre dynamique et performant, Kresten vit a Copenhague ou il est promis a une brillante carrière. Mais un appel téléphonique va bouleverser ce beau destin la nuit de ses noces. Son père est mort. Une nouvelle d’autant plus cruelle pour Kresten qu’il a laisse croire a ses proches et a sa femme qu’il n’avait plus la moindre famille. Le retour a la ferme familiale delabree et sale est rude. Il y retrouve son frère aine, un simple d’esprit. Kresten se sent incapable d’assumer son passe de fils d’agriculteur. Grand Prix du jury Berlin 1999, Ours d’argent.
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Mifune, troisième film du Dogme, dont le titre original signifie « Le dernier chant de Mifune » a d’abord le grand mérite d’être une comédie, ce qui est loin d’être négligeable après deux films aussi éprouvants que furent Les Idiots de Lars von Trier en 1997 et Festen de Thomas Vinterberg en 1998. Sǿren Kragh Jacobsen apporte avec Mifune en 1999 la preuve par A+B que l’on peut allier la plus grande rigueur intellectuelle et technique d’une part et les situations cocasses de l’autre sans oublier une pointe d’histoire d’amour et une solide étude de caractères. Le cocktail en soi est intéressant. Si on y ajoute un hommage des plus anticonformistes à l’immense Toshiro Mifune, puisque c’est bien à l’acteur – phare de Kurosawa – que le titre fait référence, soyez sûr que le cocktail sera détonnant.
Et si nous avons choisi ce film dans notre programmation pour le festival 2011, c’est parce qu’il repose entièrement sur le chiffre deux : double vie, dualité, reflet en miroir, double de soi-même, mais aussi les binômes : passé / présent, vérité / mensonges, monde réel / monde onirique, intégration / marginalisation, ville / campagne, riches / pauvres. Tout le film est construit sur l’opposition entre plusieurs mondes qui s’entrechoquent violemment dès qu’ils ne s’ignorent plus. Le film s’appuie sur un scénario extrêmement bien ficelé où chaque personnage apporte sa pierre à la construction générale et reprend ce principe duel qui régit les différents niveaux de l’intrigue. Plusieurs fils rouges s’entrecroisent. Kresten comme Liva mettent toute leur énergie à croire que l’on peut s’inventer une vie sans passé et ils se feront bien sûr brutalement rattraper par leur histoire, même si le film rebondit et garde jusqu’au bout son côté tonique, joyeux et iconoclaste. Mais le coeur du film repose à mon sens sur la relation entre les deux frères. Le réalisateur dessine avec délicatesse les contours de ces liens anciens qui se réactualisent instantanément dès que Kresten revient à la ferme de son enfance et qui sont faits avant tout de complicité et de respect. C’est là que surgissent de façon totalement inopinée les scènes d’anthologie autour de la figure de Toshiro Mifune, revue et corrigée par les deux frangins. Au-delà du burlesque qui ponctue ainsi le film et l’entraîne à chaque fois sur les sentiers de l’irrationnel, le spectateur n’oublie pas que le personnage du septième samouraï s’invente une noblesse et essaie de dissimuler ses origines paysannes tout comme Kresten avait tenté de le faire face à sa belle-famille. Le parallèle est plus profond qu’il n’y paraît et la scène du rêve pendant la nuit de noce, avant le coup de fil fatidique quand on ne sait encore rien de Kresten, prend une dimension bien plus lourde de sens.
Le personnage de Rud, admirablement composé par Jesper Asholt, est certes le double faible du frère fort, mais il est aussi celui dont la simplicité d’esprit lui permet de voir clair face à la confusion dont souffrent tous les autres personnages. C’est ce qui apparaît soudain à Bjärke, le jeune frère pourtant perdu de Liva, vers la fin du film. Rud a pour boussole sa sensibilité et ne se trompe pas sur le gens. Il vit dans son monde, en parallèle à celui du commun des mortels (les extraterrestres, les cercles mystérieux dans les champs, etc…), il a souvent peur des autres mais est malgré tout capable de tisser des liens avec ceux qui savent l’accepter comme il est. La mémorable scène du dîner avec guitare flamenco (!!!) à la clef en est un exemple surprenant – Bjärke n’en croit pas ses yeux ni ses oreilles et on le comprend ! Cette scène nous offre de plus un décalage supplémentaire entre solitude, liens véritables et liens artificiels et régale le spectateur de cette spécialité scandinave (qui se déguste souvent chez Kaurismaki) où émotions et sentiments ne réussissent pas pour autant à dissoudre la raideur des corps… Tous les personnages secondaires entrent dans cette composition, comme Gerner le double mauvais de Kresten avec ses faux airs d’ Iggy Pop clochardisé ou la bande de copines/collègues d’infortune de Liva qui malgré leur vulnérabilité savent bien que l’union fait la force. Le corps de ces « filles de joie » comme on les appelait jadis en français est filmé avec dignité, retenue et même humour et on comprend mieux a posteriori le pourquoi de la longue scène plutôt hystérique de la nuit de noces entre Kersten et sa femme au début du film. Là aussi un contre-point significatif où se mêlent lutte des classes et lutte des sexes sur le mode de la comédie et qui culmine dans la scène de vengeance rocambolesque des Amazones certes pleines de bonnes intentions, mais qui se trompent totalement de cible. Un comique de situation classique où les apparences sont trompeuses une fois de plus mais qui fonctionne à fond avec une énergie débordante.
Le film a été tourné en respectant scrupuleusement les principes du Dogme. La ferme du film existe telle qu’elle a servi au tournage., avec tous ses meubles vintage des années 60, même si Kragh Jacobsen avoue quelques péchés véniels tels que l’utilisation d’un drap noir pour atténuer la lumière sur un plan et contourner ainsi l’interdiction des lumières artificielles, le déplacement de quelques meubles d’une pièce à l’autre, et aussi avoir chassé les poules de la ferme voisine pour qu’elles atterrissent dans le champ (de la caméra). Mais les plans de la ferme vus d’en haut ont bien été pris avec un pont hydraulique trouvé sur place !!! On a souvent reproché aux films du Dogme une esthétique crue, voire cruelle, notamment à cause des lumières naturelles en toutes circonstances, du manque d’embellissement, de glamour, etc. Sǿren Kragh Jacobsen réussit à adoucir cette mise en images, à la rendre plus humaine en filmant ses personnages avec une tendresse qui faisait souvent défaut dans les deux films manifeste qui l’ont précédé. Encore un mot sur le montage car le charme du film tient aussi en grande partie à son rythme. Sans bavardage superflu, chaque scène d’introduction pose son personnage et nous permet de le situer d’entrée de jeu en donnant un maximum d’informations en peu de plans. Toutes ces informations seront utiles à un moment ou à un autre et prendront leur sens plus tard (cf la construction en contre-point). C’est ce qui donne au film une densité rare – d’autant plus pour une comédie – et qui signe ainsi d’après moi sa réelle appartenance au Dogme.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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