Dimanche 06 Mai 2007 à 16h – 5ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Faoudi Benzaïdi – Maroc – 2003 – 2h04 – vostf
Au Maroc, en 1981, le mois du Ramadan. Amina s’installe chez son beau-père, Ahmed, avec son fils de sept ans, Mehdi, dans un village au coeur des montagnes de l’Atlas. Alors que son père est en prison, Mehdi croit que celui-ci est parti travailler en France : sa mère et son grand-père entretiennent ce secret pour le préserver. A l’école, il a le privilège de s’occuper de la chaise de l’instituteur. Son rapport au village, à ses copains et au monde est construit autour de cet objet. Epargner Mehdi est le grand souci d’Amina et Ahmed, mais à quel prix ? L’équilibre fragile de cette vie menace tous les jours de voler en éclats…
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Mille mois, le premier film de Faouzi Bensaidi est un film mosaïque. Mille éclats de vie, mille fragments d’histoires, quelque chose qui en peinture s’apparenterait sans doute au pointillisme. L’image qui s’en dégage n’en est pas moins vive et nous y entrons de plein pied tout de suite. Mais il ne s’agit pas pour autant à proprement parler d’un film choral. (nous sommes loin de la virtuosité d’un Altman dans Short Cuts par exemple). Mehdi, petit garçon rêveur et attachant, en est bien l’élément essentiel et c’est d’abord lui que nous allons suivre au gré de ses déambulations. Mais tous les acteurs-clés du village (l’instituteur, le caïd, la jeune fille émancipée, le fou, etc.) et de la famille (la mère et le grand-père) sont là, bien présents, chacun avec sa personnalité, son histoire et son mystère. Car ce film n’est pas non plus un documentaire. Il nous révèle sans doute bien des choses sur la vie d’un petit village de l’Atlas marocain au début des années 80 (nous sommes encore sous le règne d’Hassan II), mais il serait à mon avis complètement réducteur de n’y voir qu’une évocation sociologique agrémentée de magnifiques paysages. Faouzi Bensaïdi réussit à mêler tous ces ingrédients avec de subtiles variations de dosage. Il fait ainsi vivre ses personnages sous nous yeux et nous fait passer, comme dans la vie, du rire aux larmes, de la contemplation à l’indignation, de la jubilation à l’abattement.Le film se place à un moment – clé de la vie de Mehdi : non seulement sa première journée de jeûne, le premier point de passage vers l’âge adulte, mais surtout son arrivée dans le village du grand-père, avec une nouvelle vie marquée par l’absence du père. Car Mille mois est aussi un film sur l’absence et son corollaire l’attente.
Souvent, nous ne savons pas ce que les personnages attendent ou nous ne le savons qu’a posteriori. Et le hors-champ acquiert ainsi une importance toute particulière. (par exemple, la première scène, le lever de la lune et le début du Ramadan). Faouzi Bensaïdi joue ainsi avec notre curiosité, notre étonnement voire notre incompréhension et nous amarre solidement à son histoire. La caméra bouge peu et sait très bien utiliser les plans larges. Ces paysages immenses et arides de l’Atlas où l’homme ressent tous les jours à quel point il n’est qu’un grain de poussière dans l’univers. A plusieurs reprises, nous ne savons pas vraiment quels sont les personnages qui sont dans le champ, tellement ils sont loin, minuscules dans un environnement implacable qui les dépasse. Nous n’apprenons « le fin mot de l’histoire » qu’après coup (cf. la mort de Malika où nous sommes d’abord confrontés à son enterrement avant de savoir ce qui s’est passé).
De manière générale, la caméra est plutôt distante : très peu de gros plans, d’autant plus saisissants. La caméra laisse de l’espace autour des personnages, nous oblige à enregistrer tout ce qui se trouve dans le cadre, alors que dans le même temps, la bande son privilégie les bruits de la vie quotidienne : le chant des oiseaux, les cris des enfants, les chants religieux, le bruit des pas, les coups de tonnerre, le grésillement d’une télé mal réglée, etc. La musique est pratiquement absente et n’a droit de cité que si elle fait partie de l’environnement et en découle elle aussi sans artifice. (une chanson de Kate Bush en l’occurrence et l’Occident s’invite dans le champ). Cette dimension sonore contribue autant que l’image à rendre présent, je dirais même prégnant, le monde qui se déroule sous nos yeux Un monde à la croisée des chemins entre tradition et modernité, fait de contrastes et de contradictions qui traversent à la fois chacun des individus et la société tout entière. La mise en scène reflète ainsi directement la fragmentation du tissu social alors que le village peut de prime abord donner l’impression de fonctionner en vase clos. C’est grâce à ces « mille » détails que Faouzi Bensaïdi rend compte de toute la complexité des choses. Il est en effet remarquable de constater que sont ainsi évoqués la répression des opposants politiques (le père est en prison), la hiérarchie dans la communauté (le caïd et ses privilèges, les prérogatives de l’instituteur), la place de la religion (le film se déroule pendant le Ramadan), la condition des femmes (les personnages de la mère, de Malika et de Saddia), les différences entre les générations, le clivage ville/campagne, et bien d’autres aspects encore qui sont chacun déclinés sur une note différente. Car c’est en effet l’autre grande qualité de Faouzi Bensaïdi : cette capacité à manier les émotions comme autant de secousses, de la plus imperceptible à la plus puissante, comme on parle de secousses sismiques sur une échelle de Richter. Pas de misérabilisme même si la vie est dure, pas de nostalgie passéiste, ni de credo en une supposée modernité, aucune trace de sentimentalisme : la solitude de la mère est abordée avec pudeur, celle de l’instituteur avec humour. Et la noce finale se place plutôt dans le registre burlesque (certains critiques allant même jusqu’à avancer le nom de Kusturica !!) et fait basculer le film dans un tout autre registre.
Les puristes trouveront sans doute à redire : film touffu où le réalisateur a voulu caser trop de choses — comme c’est souvent le cas dans un premier film — et où le spectateur risque de se perdre. Un film dense plutôt, porté par un grand désir de cinéma et qui se plaît à jouer avec le kaléidoscope de la réalité. D’ailleurs, le deuxième film de Faouzi Bensaidi s’appelle What a wonderful world WWW.
Sur le web
Mille mois est le premier long métrage de Faouzi Bensaïdi qui avait co-écrit le scénario du film Loin d’André Techiné.
Dans ce film qui se déroule en 1981 au Maroc, le petit Mehdi croit que son père est parti travailler en France alors qu’il est en prison parce qu’il a fait grève. A propos de cet ancrage dans une réalité sociale et politique, Faouzi Bensaïdi déclare : « Je n’ai pas envie de traiter l’histoire de face, mais de biais, pour ce qu’elle laisse comme traces et séquelles sur des gens qui ne la voit pas se faire, tellement ancrés dans un présent où tous les coups sont permis pour survivre… comme une guerre lointaine, dont on ne verrait les blessés que s’ils habitent le quartier… une histoire intime.«
« La révolte intérieure du petit héros de Mille mois, filmée avec une pudeur saisissante, s’inscrit dans une dureté et une sécheresse à mille lieues de toute sensiblerie… Mille mois est un conte froid et mélancolique, traversé d’une insondable solitude, dans lequel la moindre bouffée onirique -regarder les lumières du village s’allumer du haut d’un plateau- fait office d’appel d’air et d’ouverture à la féerie. Mille mois est un film sur l’enfance empreint d’une maturité sidérante, où la tentation de l’exil (le plan final de la famille qui s’en va) est moins le signe d’un deuil et d’une résignation que d’une échappée belle aux allures de délivrance. » (chronicart.com)
Le réalisateur Faouzi Bensaïdi dit à propos de ses comédiens : « J’ai toujours aimé mélanger des acteurs professionnels avec des amateurs. Pour Mille Mois, ce sont les habitants du village où nous avons tourné. Il me semble que ce mélange est stimulant pour les uns et pour les autres et apporte une justesse. »
En sélection officielle à Cannes en 2003 dans la section « Un Certain Regard« , ce film a reçu le Prix « Premier Regard« . Mille mois a également obtenu sur la Croisette le Prix de la jeunesse décerné par le Ministère français de la Jeunesse et des Sports.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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