Jeudi 03 mars 2016 à 20h30
Film de Miguel Gomes – Portugal – 2015 – 2h11 – vostf
En partenariat avec l’Association Espace de Communication Lusophone, dans le cadre de leur 18ième Semaine du Cinéma Lusophone du 02 au 08 mars 2016. En présence du Chef Opérateur Octaviano Esperito Santo.
Notre article
Par Josiane Scoleri
Le deuxième volet s’intitule «Le désolé», et effectivement, nous sommes déjà un cran plus loin dans le constat de désolation et de déchirement du tissu social à l’œuvre au Portugal. Cette fois-ci, Gomes prend davantage son temps. Ce deuxième film est composé de trois parties, centrées à chaque fois sur un personnage principal. L’histoire de Simao sans Tripes (37′) est filmée comme un western dans les paysages arides du Douro qui prend des airs de Nevada. Simao, son fusil à la main en toutes circonstances est un « poor lonesome cowboy » qui aurait Simao ne craint pas la police perdu son cheval. La police, elle, est à cheval, et malgré leur gilet pare-balles et leurs drones qui bruissent comme un essaim de guêpes tueuses, les flics ont plutôt l’air à côté de la plaque. Comme lorsque les enfants jouent aux gendarmes et aux voleurs, et que personne ne veut être gendarme… Simao va jouer à cache cache avec les flics pendant 34 jours, et sa cavale suffit à faire de lui un héros, malgré ses quatre meurtres… Ainsi va le monde. Après la police, c’est autour de la justice de passer dans la casserole du réalisateur avec « Les larmes de la juge » (39′). Nous sommes confrontés ici à un simulacre de procès en plein air dans une sorte de théâtre antique où les affaires s’emboîtent les unes dans les autres comme des poupées russes. La juge, dont le physique si sévère correspond parfaitement à sa fonction, n’en finit plus de tirer sur le fil comme si elle n’arrivait pas à détricoter le pull jusqu’au bout. Elle finit par déclarer « Je ne m’attendais pas un à un tel rosaire de malheurs».
Filmé de nuit, dans une lumière étonnamment chaude ( le chef op n’est autre que Sayombhu Mukteeprom, le maître de la lumière nocturne dans les films du cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul avec qui de mystérieuses correspondances s’établissent soudain à plusieurs moments du récit), ce procès offre une nouvelle occasion de tisser les fils du merveilleux dans les affaires les plus terre à terre. Ainsi interviennent une vache en carton pâte, un bon génie au service d’un mauvais maître, un obsédé sexuel caricatural, une mère de famille sourde et muette, un riche bandit chinois qui finit par faire faillite et n’est plus en mesure d’entretenir son harem de 13 jeunes concubines… Si le récit est échevelé, la caméra reste sobre, avec des champs /contre-champ classiques, sans aucune mise en images de la parole. L’exigence de concentration de la part du spectateur est à son maximum et nous sommes en réalité tout proche du théâtre antique. Il apparaît clairement que le choix de l’amphithéâtre, loin d’être un « décor » fait pleinement sens. Toute cette comédie humaine se vit comme un théâtre d’ombres de la mondialisation en marche où la pauvre juge avec ses certitudes et sa rigidité mentale ne sait plus à quel article du code civil se vouer… d’où les larmes du titre. Après les institutions qui sont censées faire respecter la loi et qui rament copieusement, le ton se fait radicalement plus sombre dans la troisième partie (53′) de ce deuxième volet dont le héros est étonnamment un chien de compagnie qui va changer plusieurs fois de maîtres au fil du récit. Ce simple stratagème permet au réalisateur de brosser un tableau de l’humanité la plus souffrante, celle qui a définitivement décroché face au nouvel « ordre » du monde. Dans une banlieu lambda, au milieu de tours plus ou moins décrépites, les habitants semblent des zombies en survie, leurs gestes sont ralentis, leur peine est lourde et leurs joies fugaces. Seul Dixie trotte d’un pas vif, son poil blanc est souvent la seule note claire dans le plan, le son de sa clochette est gai, il donne de l’affection comme il respire et c’est bien ce qui le différencie des humains.
Dans cette partie du récit, l’ancrage dans le réel prime nettement sur l’évasion vers le merveilleux. Mis à part les jeunes et jolies Brésiliennes qui font du nudisme sur le toit de l’immeuble, les anecdotes racontées par Humberto sur les différents occupants de la tour sont au mieux aigres-douces et ce ne sont pas les visites de Vasco et Vania à la Banque Alimentaire qui apporteront une note plus légère dans cet horizon dévasté. Le merveilleux reviendra contre toute attente à la fin du film avec ces plans réellement surprenants où Dixie, revenu pour une visite là où il vivait avant, prouve qu’il n’est pas cette « machine à oublier« comme le proclamait la voix off quelques instants plus tôt. On y voit Dixie face à son propre fantôme resté fidèlement sur ce palier qui avait été le sien, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, mis à part pour les humains bien sûr dont la perception n’est pas assez fine. L’idée est jolie, pleine de délicatesse et de tendresse. Elle englobe dans un même mouvement tous les êtres sensibles, humains comme animaux et on se rappelle soudain qu’il a fallu attendre 2015 pour que les animaux cessent d’être considérés comme des « biens meubles » dans le Code civil français.
Sur le web
Pour nourrir son film, le réalisateur Miguel Gomes a constitué une équipe de journalistes chargées de recueillir des informations. Le long métrage se préparant dans le plus grand secret, leurs recherches et collaborations se sont faites dans le cadre de ce qu’ils ont appelé « le Comité Central ». Il raconte : « Le Comité Central vote les propositions d’investigation des journalistes ; informés des priorités du Comité Central, les journalistes négocient avec la production la manière de se rendre sur le terrain (ils leur demandent de l’argent) ; le Comité reçoit des journalistes de nouvelles informations qui résultent de l’investigation et avec celles-ci va tenter de forger une fiction (avec ou sans scénario) qui convient pour servir de conte à Schéhérazade ; dans le plus petit nombre de jours possible, l’équipe de production terrorisée doit garantir les acteurs, planifier les essais, trouver les décors et engager l’équipe technique pour que ce conte puisse être filmé.«
L’une des sources d’inspirations de Miguel Gomes pour Les Mille et Une Nuits a été le film Melo d’Alain Resnais.
Les Mille et une Nuits est un film en trois parties, dont chacune sort séparément. Un défi pour le réalisateur étant donné la polémique autour de son œuvre. Au cours de ses recherches pour nourrir son film, le réalisateur et son équipe ont été confrontés à des témoignages poignants, révélateurs de la grande misère qui sévit aujourd’hui au Portugal. Parmi tous les témoignages recueillis, l’un d’eux a particulièrement attiré Miguel Gomes. Quelques mois avant le début de ses recherches, un couple s’est suicidé dans un immeuble de Santo Antonio de Cavaleiros. Malgré la dimension morbide et obscène, il a choisi de tourner dans ce lieu : « Nous allons filmer l’histoire des suicidés, mais aussi d’autres histoires qui se sont passées ici et qui ont été vécues par leurs voisins. L’immeuble devient un personnage raconté par ses habitants.«
Parmi les membres du casting des Mille et Une Nuits, certains acteurs ont déjà tourné ensemble dans le film Mystères de Lisbonne de Raul Ruiz. Le producteur du film Luis Urbano a prévu de sortir le film au moment des élections portugaises, sans doute pour faire réagir un pays qui traverse aujourd’hui une grave crise. L’un des personnages du film est un chien appelé Lucky, l’un des plus célèbres dans l’industrie cinématographique espagnole. Il a notamment joué dans Les Fantômes de Goya de Milos Forman.
…Le désolé s’inscrit dans la continuité de la désespérance – néanmoins d’une bouleversante dignité – qui émanait de la parole des {« Magnifiques »} à la fin de L’Inquiet. Sombre certes, mais le cinéma demeure pour Miguel Gomes un coffre à jouets, dans lequel il puise les moyens d’expérimenter, inventer et accomplir des désirs de mise en scène et de récits. La fantaisie reste l’aiguillon ; le geste tendu vers l’hybridation témoignant, avec une inspiration toujours renouvelée, d’une aptitude à filmer des espaces ingrats (l’architecture d’un habitat collectif), des corps parfois complètement érotisés, une parole « populaire », en faisant preuve à cet égard d’une écoute rare et émouvante. Triptyque dans le triptyque, Le Désolé accueille un western (Chronique de fugue de Simão « Sans Tripes ») ; un traité philosophique autour de la justice et de la responsabilité (Les Larmes de la juge) ; une exploration de la vie d’une tour d’habitation par le truchement d’un chien (Les Maîtres de Dixie). Ce dernier segment renvoie à une autre source littéraire, La Vie mode d’emploi de Georges Perec, que le cinéaste brésilien Eduardo Coutinho « adapta » en réalisant Edificio Master (2002), superbe portrait des habitants d’un immeuble de la classe moyenne de Copacabana à Rio – où l’on retrouve, ce n’est peut-être pas un hasard, un petit chien blanc. Ces trois segments du Désolé, après le constat établi par L’Inquiet, dessine un effondrement des paradigmes moraux, institutionnels, philosophiques, politiques ; une sorte de mort clinique du pacte social. Cet effondrement intervient dès le premier segment avec un hors-la-loi et fugitif, Simão « Sans Tripes », un meurtrier devenu un héros populaire acclamé par la foule lors de son arrestation — c’est ce que l’on peut caractériser comme un énoncé de civilisation. Il culmine dans le second acte judiciaire où une juge est aux prises avec un inextricable procès pour vol de mobilier, qui se déroule dans une sorte de réplique du lieu de fondation de la démocratie occidentale : une assemblée – dans la cité d’Athènes durant l’antiquité, on l’appelait ekklesia – disposée en amphithéâtre, présidée par une magistrate. Gomes fait courir cet épisode comme une pelote qui ne cesse de croître de façon exponentielle, jusqu’à devenir monstrueuse et débouchant sur une complète aporie où la théâtralité et l’artifice assumés ne sont pas sans renvoyer à Manoel de Oliveira. Une société miniature est réunie ici avec une dimension authentiquement carnavalesque, au sens propre (certains accoutrements) comme au figuré (l’inversion, le renversement), avec ses champs de tensions, ses conflits d’intérêts. Responsabilité, culpabilité, bien et mal, ordre et chaos se diluent dans une chaîne absurde qui, partant du Portugal rural, dérive jusqu’aux agissements d’un homme d’affaire chinois véreux et l’évocation de cartes Visa Gold… Face à cette délirante complexité, l’assemblée se déchire moins qu’elle reconnaît sa défaite, et la juge consciencieuse, pourtant sans aucun doute très compétente, s’abîme dans son impuissance à faire face, et à, tout simplement, juger. Le monde (parce qu’il s’agit bien de cela à partir de la réalité du Portugal) est devenu illisible, le corps social décède dans une implosion à la fois dilatée et fracassante. On peut voir Les Maîtres de Dixie comme la résultante de cette aporie, sous la forme de l’atomisation sociale qui sévit dans une tour d’habitation. Dixie, un sympathique et joyeux cabot, est recueilli par un couple baignant dans la dépression – et la tabagie ainsi qu’une dynamique suicidaire… (Critikat.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri, Bruno Precioso, Pedro Da Nobrega, Octaviano Espirito Santo (Chef Opérateur)
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