My Childhood, My Ain Folk, My Way Home: la trilogie de Bill Douglas



Vendredi 06 Décembre 2013 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Films de Bill Douglas – Royaume-Uni – 1972 – 0h48 – 1973 – 0h55 – 1978 – 1h12 – vostf

My Childhood: En 1945, dans un village minier d’Écosse, un garçon de 8 ans vit avec sa grand-mère et son frère. Passant le plus clair de son temps seul, il noue une amitié forte avec un militaire allemand retenu prisonnier dans un camp. Mais le soldat doit bientôt quitter le village. Ce premier épisode relate la première étape de la vie d’enfant de Bill Douglas, organisée autour de sa grand-mère maternelle.
 
My Ain Folk: A la mort de leur grand-mère, les deux frères sont séparés de force. Tommy, le plus âgé, est emmené à l’orphelinat. Démarre alors cette seconde période de l’enfance du cinéaste, où Jamie est recueilli par sa grand-mère paternelle et son oncle. Il continue de vivre dans la solitude, subit la violence et le rejet des adultes. Un regard d’enfant sur le monde, où tout est sensations et immédiateté, filmé avec la conscience du cinéaste adulte.

My Way Ho: Jamie vit un moment en orphelinat, comme son frère, puis retourne chez sa grand-mère. Devenu adolescent, il travaille un temps à la mine puis chez un tailleur. Ensuite il part pour l’Egypte faire son service militaire. Il y rencontre Robert, un jeune homme qui devient son ami et l’aide à s’ouvrir à la vie.

Notre article

Par Bruno Precioso

Difficile de trouver un autre cinéaste qui soit, comme Bill Douglas, si fondamentalement du côté des perdants. Par son engagement artistique et cinématographique (on n’oserait dire « professionnel ») autant que par sa vie propre, le cinéaste écossais incarne jusqu’à sa disparition prématurée en 1991 (à 57 ans) le camp des vaincus d’un Royaume Uni en mutation. Vaincu jusqu’à être oublié du cinéma. Le réalisme social auquel on peut rattacher Douglas a pourtant largement irrigué le cinéma anglais de ces cinquante dernières années et trouvé ses lettres de noblesse, de Lindsay Anderson (palme d’or 1969 pour If…) aux plus actuels Terence Davies (réalisateur du beau Distant Voices), Ken Loach ou Mike Leigh. Dans la lignée de l’explosion du « free cinema », la forme imposée par ce cinéma militant (importance de la démarche documentaire, choix de héros socialement marqués, souvent jeunes, insistance sur les pesanteurs sociales, subjectivité assumée de la démarche d’auteur et d’un ton personnel) est bien celle qu’assume Bill Douglas ; il la porte néanmoins dans un radicalisme qui n’est plus guère de mise dans les années 1970. Le premier volet de la Trilogie, My Childhood, est d’ailleurs tourné avec la bénédiction de Lindsay Anderson pour un budget d’à peine 4 500 livres fournis par le BFI. Une modestie de moyens qui convient au projet comme à la démarche, mais s’imposera de fait comme une voie étroite dont Bill Douglas ne sortira pas – et conditionnera peut-être des formats si peu commerciaux. Le cinéma de Bill Douglas s’inscrit fort logiquement dans une approche très personnelle – marquée dans la dimension autobiographique de ses films et de sa Trilogie en particulier, mais aussi très parcellaire : outre ces trois films, moyens ou ‘‘court long’’, Bill Douglas n’a produit qu’un long-métrage (Comrades en 1986, invisible à ce jour en salle) et une série de courts dans ses années d’études (1969-70 particulièrement). Ces choix de forme ont sans doute en partie contribué à l’effacement de son oeuvre des circuits conventionnels de diffusion du cinéma.

La mémoire des vaincus

Pour tourner My Childhood, Douglas retourne en 1972 à Newcraighall, où il est né en 1934 et a passé les premières années de sa vie sous les terrils et le ciel bas de la banlieue d’Edimbourg. Le récit autobiographique renvoie volontiers à d’autres enfances de papier ou de pellicule : celle des romans de la littérature anglaise du XIXème siècle à la veine souvent sociale chez Dickens, celle de l’Antoine Doinel des 400 coups (Jamie en alter ego de Bill Douglas), celle de Gorki en quatre volets de l’enfance à l’âge adulte (Enfance, En gagnant mon pain, Mes universités, Le Patron), voire celle de Jules Vallès… Chez Bill Douglas cependant, la progression initiatique du récit de jeunesse cède le pas au portrait muet de l’enfance défigurée. Plus qu’au sein d’une famille, le jeune Jamie-Bill Douglas grandit dans une mémoire ouvrière déposée dans le paysage autant que dans les hommes : orphelin de mère délaissé par un père absent, élevé par des grand-mères faites d’absolue sécheresse et de silence, dans un univers que la misère durcit plutôt qu’elle ne rend solidaire. Le voyage au coeur de cet univers ouvrier que nous savons (comme Douglas en 1978) en voie de décomposition est tout intérieur, ce que marque l’austère rigueur des plans, des cadres, répétés avec la même raideur que la plupart des personnages sont immobiles. Aux lacunes de la mémoire correspond toute une économie du silence qui façonne paradoxalement les dialogues. Or comme le dit le réalisateur : « On pourrait croire que je suis opposé à la compréhension, mais avec ce film il ne s’agit pas a priori de comprendre, mais de sentir. Et la particularité ici est que les deux ne peuvent pas, comme dans la structure classique, aller de pair. »

L’immédiat après-guerre est entièrement présent dans ce couple du silence et de l’immobilité. Les femmes comme les hommes semblent des vétérans ou des vieillards épuisés et résignés, chacun condamné à un sort qui n’est pas un destin, travaillé par le motif de la répétition des plans-jalons de mémoire. A l’image, des séries d’alignements valent comme autant de démonstrations de ce conservatisme social : corons, prisonniers allemands, écoliers en cours, mineurs sur le carreau… tous réunis dans un même enfermement collectif quasi minéral. Par contraste, l’enfant, toujours en lisière du cadre guette l’occasion d’échapper à la commune destinée ; la sentence de fatalité lui est signifiée du coeur de sa famille : « If you were made to be different, you would have been born different. This is your place and life ». (Si tu avais dû être différent, tu serais né ailleurs. Ta vie est ici) énonce sa belle-mère en guise de condamnation à perpétuité.

« Je suis content de ne pas être toi » (Stephen Archibald à Bill Douglas)

On compare souvent le style de Bill Douglas à celui de Bresson, qu’il admirait et dont d’ailleurs il se revendique. Tous deux travaillent avec des acteurs non professionnels, des modèles à double titre, puisque Jamie (Stephen Archibald), le « non-acteur » principal de la Trilogie, tend aussi un miroir à Bill Douglas. La Trilogie est aussi bien sa propre histoire. Douglas l’a rencontré en 1971 dans une ville de banlieue à côté d’Edimbourg en se rendant à Newcraighall pour les repérages de My Childhood. Dans le gamin qui court les rues à l’heure de l’école, Douglas trouve un alter ego et ce lien secret entre eux fonde une amitié durable. Le cinéaste cherchera d’ailleurs à lui confier un rôle dans son unique long-métrage, Comrades en 1986, mais Archibald est incarcéré au moment du tournage. Incapable de tourner sans Douglas qui disparaît en 1991, il ne fera jamais d’autre film, et meurt dans l’anonymat en 1998. De Bresson on peut encore identifier une façon de filmer à l’économie, laconique jusque dans les effets de montage. Cette sécheresse nourrit la cruauté de l’image de Douglas : saccade du montage lorsqu’on sonde la mémoire presque subliminale, mise en scène de corps pétrifiés, accélération du rythme dans les scènes chargées de violence interdisant presque de partager – peut-être même de ressentir la douleur. La blessure tient lieu de moteur, et les haltes sont rares qui laisseraient le temps de panser les plaies, de se pencher sur la douleur. C’est que, à l’image de l’Antoine Doisnel qui fait son entrée en courant dans l’histoire du cinéma, Jamie est en fuite, en fugue perpétuelle. A bout de souffle dès son ouverture, la trilogie donne en cela l’impression d’être contrainte à une sorte d’énergie dans l’épuisement, trouvant ses ressources pour avancer dans une noirceur tranchante ; d’aucuns diront un pessimisme radical.

Radicale à coup sûr, la mise en scène est le véritable moteur de ce triptyque à l’épaisseur photographique quasi-documentaire (semble-t-il inséparable pour Bill Douglas du manifeste réaliste). Car par petites touches, par des rebonds discrets, l’oeil de la caméra ouvre doucement les horizons et élargit les plans, réutilise avec moins de dureté des thèmes qui voyagent d’un volet l’autre…Au-delà du travail de mémoire, mémoire ouvrière et mémoire des lieux, la clef est peut-être justement dans la forme cinématographique. C’est ce que suggère Comrades qui paraît ensuite (récit de la déportation d’un groupe d’ouvriers britanniques au XIXe siècle, figures du syndicalisme naissant, parsemé de références aux dispositifs optiques du pré-cinéma). On sait aussi que Bill Douglas préparait un film, Flying Horse, sur le précurseur du cinéma Eadweard Muybridge, dont il avait achevé le scénario.Progression en trompe-l’oeil pour cette trilogie ? Dans la quête interminable d’un foyer, My way home s’amuse à distiller des messages contradictoires, interprétables au gré du désir de sauver ou non une enfance exténuante, tout juste retraversée.

Sur le web

Bill Douglas fait partie de ces cinéastes que l’histoire n’a pas retenus. Dure loi de l’arbitraire des critiques et des distributeurs, cet oubli est sûrement l’un des plus injustes qu’il nous ait été donné de remarquer. Quand il décède d’un cancer en 1991, à l’âge de 54 ans, le Royaume-Uni voit s’éclipser l’un de ses grands réalisateurs, de ceux qui laissent une empreinte indélébile dans la mémoire des spectateurs. Méconnu, bien qu’apprécié par ses pairs, il aura toujours dû se battre pour financer ses films. Les difficultés qu’il a rencontrées pour tourner expliquent pourquoi sa filmographie ne comporte que 4 moyens et longs métrages, et de nombreux courts métrages.

Bill Douglas naît en 1934 à Newcraighall, un petit village touché de plein fouet par la crise minière. De son enfance marquée par le labeur et la pauvreté, il tirera la matière pour sa Trilogie. Sa seule échappatoire à cette grisaille est « l’autre monde » qu’il découvre dans un cinéma de quartier. Il paye ses billets grâce aux consignes de bocaux de confiture. »Je détestais la réalité. Bien sûr, je devais aller à l’école, de temps en temps. Et je devais rentrer à la maison pour faire ce que chacun a y faire. Mais le prochain filml à voir et comment entrer dans la salle étaient mes seules préoccupations.« 

Bill Douglas fait son service militaire dans la Royal Air Force en Egypte. Il y rencontre celui qui restera son ami tout au long de sa vie, Peter Jewell. De retour en Grande-Bretagne, ils restent en contact. Ils prennent un appartement quand Bill Douglas déménage à Londres à la fin des années 50 pour se consacrer à l’écriture et jouer la comédie en intégrant la Theater Workshop Company, dirigée par Joan Littlewood. Il obtient quelques succès à la télévision et au théâtre, mais il trouve le rôle de sa vie en tant que réalisateur. Il réussit à intégrer la London Film School en 1968 et reçoit son diplôme avec les honneurs en 1970, tout en réalisant de remarquables court-métrages tout au long de ses études. La même année, il obtient 4.500£ du British Film Institute et retourne à Newcraighall pour y tourner My Childhood (1972), le premier volet de ce qui deviendra ensuite une trilogie, avec My Ain Folk (1973) et My Way Home (1978) – une trilogie qui remportera un grand succès dans les festivals internationaux ainsi qu’auprès de la critique. En la réalisant, il dit avoir voulu partager avec d’autres une expérience sur sa famille. Ce bouleversant récit nous raconte le douloureux passage de l’enfance à l’adolescence de Jamie, dans la pauvreté d’un village minier écossais de l’immédiat après-guerre, jusqu’à son départ, dans les années 50, pour l’Egypte, à la découverte de son identité.

Bill Douglas développe dés son premier film une esthétique particulière, très personnelle. A travers ce travail stylisé sur le noir et blanc, cette économie de mots, cette expressivité des visages, il retrouve la puissante beauté des grands films muets. Chaque plan est travaillé telle une image du passé sortie d’un rêve, évocation d’un souvenir très aigu, et, bien que son ambition n’ait pas été de faire un film social, le besoin qu’a eu le cinéaste de dire toute la vérité sur cette époque inscrit son oeuvre dans l’histoire du cinéma britannique, aux côtés des premiers films de Ken Loach et de Stephen Frears.

Malgré le succès d’estime remporté par la Trilogie, Bill Douglas rencontre des difficultés à financer son projet suivant et doit trouver d’autres moyens de gagner sa vie. A partir de 1978, il enseigne à la National Film and Television Scholl, où il sera une figure marquante pour les élèves.

Ce n’est qu’en 1987 que sort ce qui sera son dernier film, Comrades, une fresque épique de 3 heures sur le martyre d’ouvriers agricoles tentant de créer un syndicat dans l’Angleterre du 19e siècle.

Après la Trilogie, Stephen Archibald qui joue le rôle de Jamie, tenta de trouver d’autres rôles au cinéma mais en vain. Le réalisateur souhaitait lui confier un rôle dans son nouveau film, Comrades, mais il séjournait en prison au moment du tournage. Il meurt en 1998 à l’âge de 38 ans, victime de la drogue, de la malnutrition et de violences. L’autre acteur principal de la Trilogie qui joue le rôle de Tommy, Hughie Restorick, s’est donné la mort en 1990.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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