Vendredi 27 Octobre à 20h
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Films de Alex Van Warmerdam, Pays-Bas, 2021, 1h40, vostf
Günter, trouvé dans les bois en Allemagne à l’âge de quatre ans, a grandi dans une famille d’accueil. Une quarantaine d’années plus tard, il gagne sa vie comme acteur de théâtre, passe du temps avec sa fille Lizzy, a une liaison avec une femme mariée. Lorsqu’un homme sur un pont lui chuchote un mot étrange à l’oreille, il commence à s’interroger sur ses origines.
Né en 1952 à Harlem aux Pays-Bas, Alex Van Warmerdam est diplômé en graphisme et en peinture en 1974. En 1973, il est l’un des fondateurs de la troupe Hauser Orkater. «Orkater» est un mot inventé par les frères Hauser, membres de la troupe, contraction de deux mots néerlandais signifiant «orchestre» et «théâtre». Les Hauser Orkater sont musiciens, comédiens, acrobates, chanteurs, danseurs, graphistes, clowns. Ils assemblent régulièrement des histoires
sans queue ni tête qui finissent par tracer le chemin d’un voyage loufoque, d’une virée dans l’inconnu. La contribution d’Alex Van Warmerdam à ces spectacles porte surtout sur l’écriture et la décoration, ainsi que sur le concept général. Appréciés pour l’originalité de leur humour, ces spectacles louftingues dans lesquels se glissent imaginaire, surréalisme et extraordinaire, mêlent avec bonheur les univers les plus diverses : Keaton, Kafka, Beckett, Magritte, Carroll… Hauser Orkater éclate en 1982. Alex Van Warmerdam fonde alors Le Chien Mexicain et met en scène, dans un esprit proche de la précédente troupe, Frères en 1981, Granit en 1982, La Loi de Luisman en 1984 et La Sainte Trinité en 1986, qui recueilleront le même enthousiasme critique et public dans le monde entier. S’intéressant ensuite au cinéma, il réalise Abel en 1985 puis Les Habitants (1992), tout en continuant à monter ses spectacles. Depuis il a également réalisé La Robe (1996), Borgman (en compétition cannoise en 2013) ou encore La Peau de Bax (2015). N°10 est son dixième film.
Notre article
par Sylviane Socci
Alex Van Warmerdam n’en est pas à son premier film déstabilisant, même pour un spectateur fidèle à son cinéma. N° 10 (10ème long-métrage) est un film déroutant de la 1ère minute à la dernière, 1h 40 plus tard.
Le film s’ouvre par un plan fixe de 1’19 sur une mer agitée balayée par la pluie, un effet de bourdon musical qui va crescendo accompagne l’image d’un bleu gris, puis se transforme, en apparence, en une mélodie traditionnelle progressivement dissonante. Dès lors, la musique ne sera plus entendue que dans les instants énigmatiques. Ce choix donne le ton, la couleur. Beauté surprenante de grisaille et de froideur qui ouvre sur l’immensité. On peut se croire embarqué vers des horizons de liberté. Or, par un raccord musique subtil notre regard passe de l’ouvert au fermé. Changement de décor, oubliée la mer, nous sommes alors spectateurs d’une scène de la vie ordinaire : un homme, filmé de dos s’installe à un bureau pour déjeuner, indifférent aux appels (hors-champ) de son épouse malade. L’ordinaire s’efface tant désarçonnent sa froideur, la dureté de son ton ( «ours mal léché» ou personne accablée?)
La 2ème scène d’exposition semble tout d’abord plus légère. Gunther, autre protagoniste, est filmé dans sa cuisine, il se brosse les dents. Toutefois le surcadrage – par une géométrisation rigoureuse de l’espace – et la lumière terne renforcent la sensation d’enfermement. Mise en scène dépouillée de Warmerdam qui s’appuie sur des story-boards : «je découpe l’action en plans simples, fixes. Après, sur le plateau, j’essaie d’introduire une certaine dynamique au sein des séquences. Par contre je n’utilise jamais la caméra comme instrument de narration, pour raconter l’histoire : elle ne bouge que si mes personnages se déplacent eux-mêmes».
L’ intrusion dans l’intimité de Marius et de Gunther installe un malaise croissant. Gunther est sous surveillance constante. Sa fille n’a de cesse de le filmer, pour dit-elle le protéger. Karl, son metteur en scène, le file pour savoir s’il est l’amant de son épouse. D’étranges individus encadrent tous ses faits et gestes, jusqu’à un évêque au comportement inattendu de la part d’un homme d’église. Des plans pris en caméra subjective renforcent l’impression de surveillance oppressante.
Alex Van Warmerdam met volontiers en scène des situations de huis-clos, comme dans La Peau de Bax (2015), Borgman (Cannes 2013). Dans Les habitants (1998), le huis-clos est un village crée de toutes pièces, en lisière d’un bois, seul lieu à l’abri des regards. Dans N° 10, un jeu sur les portes clôt les situations.
Chez Renate et Marius les portes ne s’ouvrent pas sur la compassion, mais se referment sur une déréliction. Dans la mise en scène de Karl, la porte, élément essentiel du décor, s’ouvre sur la confrontation entre Marius et Gunther en un pas de deux, petite chorégraphie dérisoire qui prêterait plutôt à rire. Et lors de la représentation, un déplacement de la porte selon un tracé imaginaire devient chemin vers une «crucifixion». Moment cruel et drôlatique. «L’humour quand il est bon parle de lui-même ; alors il dit tout de la vie et des gens».
Les hommes sont-ils foncièrement bêtes et méchants ? Un des fils directeurs de N°10 est la dénonciation de diverses atteintes à la liberté notamment à la liberté de penser :«dans les années 50, mes parents ont beaucoup souffert de la mainmise de l’Église Catholique sur leurs vies, donc quand je peux les mordre un peu, je ne me gène pas !» En accord avec le surréalisme et Buñuel, contempteur de la croyance religieuse et du conformisme en général, l’attaque contre une croyance oppressante éclate à nos yeux surpris comme en écho à la scène finale d’éparpillement de Zabriskie point d’Antonioni où volent en éclats les fétiches de la société de consommation. Dans N°10, ce sont d’autres fétiches mais la charge est aussi forte. La manipulation des esprits enferme les hommes dans des vies mécaniques, routinières ; ignorance et crédulité sont sources de confrontation.
Dans une telle société, le langage tend à devenir outil de simple communication. (cf froideur des protagonistes jusque dans l’intimité). Alex Van Warmerdam est soucieux de la langue : «Je peux ratiociner sur un mot pour la seule raison qu’il sonne faux. La mélodie dans une phrase, c’est important. Pour moi, écrire des dialogues revient à composer de la musique». Le titre N°10 s’accorde avec une société dans laquelle la caméra devient outil de surveillance. Face au tragique (maladie, mort), dans la détresse, les hommes se tournent vers des fétiches, des superstitions, vers des images falsifiées du bonheur ( par exemple :selfies ). Et pourtant … «il y a le jazz» ( cf les propos tenus par Gunther à Innocent dans le confessionnal).Face au nihilisme il y a la poésie et la création artistique sous ses différentes formes.Le tableau du Caravage L’incrédulité de Saint-Thomas, dont les choix artistiques ont pu choquer à son époque ( pour offense à la dignité) est réduit au statut d’idole, et se perd dans un fatras obscurantiste alors qu’il manifeste la richesse créatrice de l’Homme.
Dans N°10, Karl peut, selon ses choix artistiques, modifier à sa guise la mise en scène, il peut faire «du collage» selon les propos adressés à Gunther mécontent. Alex Van Warmerdam, lui, semble s’amuser à passer d’un registre à l’autre, à égarer le spectateur sans toutefois oublier que : «C’est un travail de composition, un peu comme en musique».
La fin du film demeure opaque. Dans Les habitants, Thomas, négligé par son père submergé par sa libido, et par sa mère qui se rêve en sainte, pose sur chacun un regard porteur de vérités, ouverture à l’altérité et à la poésie. À nous de nous débrouiller avec celui, énigmatique, de Lizzy sur son père. Comme souvent chez Warmerdam, le regard de l’enfant peut faire advenir une forme de liberté.
Sur le web
« Sorte de chaînon manquant entre les frères Coen et Aki Kaurismäki, Alex Van Warmerdam est ce cinéaste néerlandais qui cultive son surréalisme avec talent depuis près d’une quarantaine d’années. C’est à lui qu’on doit notamment Les Habitants (1992) et La Peau de Bax (2015). Ce dixième opus ne déroge pas à la règle savoureuse qu’il s’est fixée, à savoir qu’il n’en faut point. Tout aussi saugrenue que captivante, sa comédie noire nous fait partager le chamboulement existentiel de Günter, un quadragénaire comédien de théâtre, mine chiffonnée, comme toujours saisi au saut du lit… L’imprévisibilité, voilà l’atout majeur de ce film, qui démarre sur une base réaliste mais n’hésite pas à bifurquer soudain vers l’absurde, flattant les ruptures de ton et naviguant entre les genres (polar, drame conjugal, fable) comme un poisson dans l’eau. Le tout avec un sens du cadre, de la composition géométrique et de l’architecture, qui concourent à la force plastique de ces tribulations loufoques. Où le catholicisme le plus rigide, sous une apparence de raffinement, en prend pour son grade… » (telerama.fr)
« Trois histoires coexistent dans ce drôle de long-métrage. Le premier relate le quotidien austère et cruel d’un comédien qui a une liaison secrète avec une autre comédienne, elle-même épouse du metteur en scène. Le deuxième récit raconte la recherche maternelle du protagoniste. Quant au dernier récit, il serait terrible d’en livrer le contour, sinon d’avouer que le long-métrage s’ouvre sur des perspectives totalement insoupçonnables. N°10 est un long-métrage difficilement catégorisable. Il surfe entre la farce sociale, la science-fiction, le drame familial et même le pamphlet politique. Le fait religieux en prend pour son grade alors que la fiction s’évade dans des contrées situées entre le rire, le cynisme et le fantastique.
Alex Van Warmerdam réalise un film, du haut de ses plus de soixante-dix ans, franchement original, qui rappelle ses qualités romanesques et son imagination sans limite. La mise en scène opte pour une tonalité froide, cherchant à aller à l’essentiel et refusant toute forme de fioriture. L’enjeu n’est pas de susciter l’émotion. Les personnages qui peuplent cet univers étrange ne sont pas vraiment attachants. L’enjeu est de susciter, sinon l’émerveillement, la curiosité du spectateur qui s’égare avec les personnages dans un univers tortueux, sujet à toutes les formes d’étrangeté.
N°10 est difficilement racontable. L’important est de s’abandonner à cet univers complètement hors norme où la cohérence ne compte pas tant que l’atmosphère qu’il dégage. Même les personnages, pourtant ancrés dans une certaine réalité théâtrale, ne semblent pas être surpris des évènements incroyables qui leur arrivent… Borgman affichait déjà un humour grinçant qui lui avait valu une nomination aux Oscars. Le réalisateur assume ainsi une œuvre originale, rare, où tous les excès de l’imagination sont possibles… » (avoir-alire.com)
« … Alex Van Warmerdam, qui a été très tôt marqué par le cinéma de Luis Buñuel, le surréalisme, nous livre une œuvre déroutante, originale, qui ne ressemble à aucune autre. Il s’agit d’un film étrange, à l’humour assez atypique, à l’ambiance presque inquiétante. Les personnages sont observés avec une certaine distance, tandis que l’accent est mis sur l’absurdité de la vie, des situations. Et c’est aussi par sa construction scénaristique et dramaturgique que le film surprend et captive, grâce à des détours, des changements de tons et d’univers.
Artiste polyvalent, peintre, comédien, romancier et scénariste, Alex Van Warmerdam livre ici un film à l’humour noir, une vision assez sombre du monde, de la religion et des rapports humains. N°10 constitue donc un film inclassable et d’une grande liberté de ton qui demande à ce qu’on s‘abandonne à son rythme et à ses virages, sans idée préconçue. » (lebleudumiroir.fr)
« Une des règles tacites du cinéma narratif commercial est qu’il faut qu’il soit plausible, mais une autre règle, apparemment en contradiction avec celle-ci, préconise de toujours surprendre le public. Le réalisateur hollandais Alex van Warmerdam joue avec ces deux élans dans le très séduisant N°10, qui a fait sa première en compétition officielle cette année au Festival Black Nights de Tallinn, produisant un effet confondant et excitant à parts égales.
Le film commence comme un drame d’assez petite échelle, qui se concentre sur les dynamiques interpersonnelles entre les membres d’une troupe de théâtre pendant qu’ils répètent leur prochain spectacle. Günter (Tom Dewispelaere) vit seul, et un élément de sa routine est que des collègues passent le prendre tous les jours en voiture pour aller au théâtre. Ce qui frappe immédiatement, c’est la gravité de tous les personnages, et le manque de chaleur humaine entre eux : ils évoluent dans une atmosphère stérile qui déborde d’amertume de bas étage, ce qui se reflète dans le choix même de la pièce qu’ils répètent. La substance de ce récit théâtral réside dans les scènes d’agressivité quotidienne et de petits désaccords et conflits qu’ils répètent tous les jours, et les compositions fixes soigneusement arrangées par le directeur de la photographie Tom Erisman, ainsi que le montage net et incisif de Job ter Burg, contribuent à construire un austère et froid tout d’arêtes tranchantes et d’interactions robotiques… » (cineuropa.org)
« Le cinéma d’Alex Van Warmerdam n’en finira jamais de nous déconcerter, misant d’œuvre en œuvre sur la déstabilisation de son spectateur par l’usage d’une absurdité et d’un humour à froid très particulier afin de rendre compte d’une humanité fragile, friable face aux cruautés d’un monde imparfait. Son dernier film semble radicaliser cette démarche, le titre N°10 semblant assumer le fait qu’il ne repose finalement sur aucun arc narratif précis, ou tout du moins définitif. Si l’on peut dans un premier temps se demander où veut en venir le cinéaste néerlandais dans cette dixième pièce de sa filmographie, il s’avère que ce sont son désordre, son caractère bancal, ses brusques méandres et changements de cap dans le cours de son récit qui tiennent lieu de discours pertinent sur un monde moderne régi par la vacuité illusoire de l’image et le caractère trompeur du regard qu’on y porte… Van Warmerdam se fait ici presque baudrillardien, faisant de l’image, quelle qu’elle soit, un moyen de faire écran au réel afin de le changer littéralement en fiction. De métamorphoser le réel en simulation… » (culturopoing.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Sylviane Socci.
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