Vendredi 24 février 2017 à 20h30
Film de Pablo Larraín – Chili – 2017 – 1h48 – vostf
1948, la Guerre Froide s’est propagée jusqu’au Chili. Au Congrès, le sénateur Pablo Neruda critique ouvertement le gouvernement. Le président Videla demande alors sa destitution et confie au redoutable inspecteur Óscar Peluchonneau le soin de procéder à l’arrestation du poète. Neruda et son épouse, la peintre Delia del Carril, échouent à quitter le pays et sont alors dans l’obligation de se cacher. Il joue avec l’inspecteur, laisse volontairement des indices pour rendre cette traque encore plus dangereuse et plus intime. Dans ce jeu du chat et de la souris, Neruda voit l’occasion de se réinventer et de devenir à la fois un symbole pour la liberté et une légende littéraire.
Notre critique
Par Martin De Kerimel
En apparence, quoi de plus naturel finalement pour un artiste chilien que de se tourner vers son compatriote Pablo Neruda ? Ainsi, au tout premier regard, pourrait-on se dire que Pablo Larraín ne fait pas preuve d’une originalité folle dans cette affaire ! Pourtant, la cinéphilie, qu’elle soit épisodique ou compulsive, nous conduit à aller voir au-delà des apparences. Parce qu’au fond, on sait bien que le cinéma n’est qu’un miroir déformant. C’est aussi l’une des raisons qui font que nous l’aimons si fort, pas vrai ?
Les films Wikipédia, très peu pour le bon Larraín ! Ce qui ne veut pas dire que Neruda ne serait au fond que le produit des élucubrations artistiques d’un cinéaste un peu fou. Au contraire : c’est aussi une oeuvre documentée, le réalisateur et son ami scénariste Guillermo Calderón s’étant plongés de concert dans de nombreuses séances de lecture. Au programme : les poèmes et l’autobiographie de leur héros, ainsi que d’autres textes évoquant son histoire. Petit notice biographique pour mémoire : le vrai Pablo Neruda fut donc poète, mais aussi écrivain, diplomate et responsable politique. Un homme suffisamment engagé pour devoir fuir son pays, en 1946, après avoir évité de justesse l’arrestation du fait de ses idées communistes, alors jugées déplaisantes par son ex-ami devenu président de la République, Gabriel Gonzalez Videla. Ce n’est qu’après 1952, année du retrait dudit président, que l’exilé revint au pays pour devenir le compagnon de route d’un autre grand nom de l’histoire chilienne (et mondiale) : Salvador Allende. Vous connaissez la suite ? Un refus de se présenter à la présidence en 1969, un poste d’ambassadeur en France, un Prix Nobel de littérature en 1971 et une mort ambigüe fin septembre 1973, quelques jours après le coup d’État militaire d’Augusto Pinochet. On parlait alors de la conséquence fatale d’un cancer de la prostate. On a parlé depuis d’empoisonnement, hypothèse écartée… quarante ans plus tard, en 2013 ! Le dossier médico-légal, pourtant, resterait ouvert à ce jour. Et Neruda, le film, ne dit pas tout…
S’agirait-il donc d’un film trompeur ? Son auteur ne dit pas tout à fait le contraire. Pour Pablo Larraín, il n’a en tout cas jamais été question de tourner un biopic, copie conforme, bien que nécessairement raccourcie, de la vie de son personnage principal. Dans une interview récente, le réalisateur indiquait même : « Le film a plus à avoir avec la littérature qu’avec le cinéma », en citant les films d’un certain Jean-Luc Godard comme l’une de ses sources d’inspiration. Texto : « Godard expliquait qu’il se voyait comme un train ou un avion, quand certains autres cinéastes sont plutôt comparables aux gares ou aux aéroports (…). Quand vous lisez, votre esprit s’évade : il transforme ce qu’il a imaginé. En montrant les choses, le cinéma met à ce vagabondage une limite. Limite que je cherche à abolir. » En bon auteur de cinéma, plutôt qu’en simple filmeur d’images toutes faites, le Chilien laisse donc une porte ouverte aux spectateurs, quitte d’ailleurs à les déstabiliser. « Pourquoi aller voir un film où vous pouvez deviner d’avance tout ce qui va se produire ? Le public, moi, j’essaye de le rendre actif ! »
N’allez surtout pas croire que c’est une évidence ! Larraín confiait aussi en interview qu’il n’avait pas été convaincu par la toute première mouture du scénario. Il la jugeait beaucoup trop linéaire, quasi-scolaire. C’est pourquoi, d’après ses dires, la recette initiale a été enrichie de quelques ingrédients un peu moins conventionnels. Le film finalement sorti tient désormais, selon son réalisateur, du récit politique évidemment, mais aussi du roman (encore une référence à la littérature !), du film noir, de la blague absurde, du western… et ce dès la toute première scène. Dialogues réalistes, scènes surréalistes, sacré cocktail : ce sera donc à vous, chers spectateurs, de mettre un peu d’ordre dans tout ce fatras. Bon, évidemment, c’est seulement si vous le voulez bien. Maintenant, vous pouvez au moins être sûrs d’une chose : les comédiens eux-mêmes ont vécu à peu près la même situation. « Je ne répète jamais avec eux, assure Larraín. Metteur en scène, j’essaye de fabriquer des accidents, de créer en eux de la confusion. Je ne leur révèle presque jamais la place de la caméra, ni les mouvements que je vais lui donner. J’ai vraiment envie qu’ils s’amusent, en restant loin de cette zone de confort que je me refuse à moi-même ! Je fais une première prise et je corrige ensuite. »
Autant vous dire qu’il y a bien des chances que le cinéaste ne soit jamais vraiment là où vous pensiez le trouver ! C’est plutôt stimulant, comme perspective, n’est-ce pas ? Soulignons cependant que Pablo Larraín ne sort pas de nulle part : c’est un cinéaste expérimenté, qui signe avec Neruda son sixième long-métrage. Je vous recommande volontiers le quatrième, sorti en 2012 : plus proche de la vérité historique, No raconte comment un publicitaire d’abord peu engagé contribua à la chute d’Augusto Pinochet. Chut ! Je n’en dirai pas plus. Juste qu’à défaut d’avoir le DVD sous la main, vous avez quand même une chance de vite retrouver notre ami cinéaste, vu que son septième film est encore sur les écrans en ce moment : il s’appelle Jackie et a l’audace de réinventer la vie de Mme Kennedy, lors des jours qui ont suivi l’assassinat de son mari. Le Chili s’éloigne un peu, c’est vrai… mais le cinéma est aussi fait de voyages. On en reparle ?
Sur le web
Pablo Larrain établit un nouveau record, puisqu’il sort en une seule année pas moins de trois films aux États-Unis : El Club en février, puis Jackie et Neruda en décembre.L’idée de réaliser Neruda remonte à 2008 ; toutefois, Pablo Larrain et son frère n’ont pas réussi à réunir assez d’argent à l’époque pour produire le film, et ont ainsi privilégié No.
Pour Pablo Larraín, Neruda n’est pas un biopic pour la simple et bonne raison qu’il est impossible de retracer la vie de l’homme en un film. « Nous n’avons jamais songé à prendre au sérieux l’idée de brosser le portrait du poète, tout simplement parce que c’est impossible. C’est pourquoi nous avons décidé de faire un film fondé sur l’invention et le jeu« , commente le réalisateur. « En revanche, il s’agit d’un film qui empreinte à l’esprit de Neruda, particulièrement friand de romans policiers…Lorsque l’on réalise un film d’époque comme Neruda qui se situe au début de la Guerre froide au Chili alors que les appréhensions de l’avenir de la société à venir étaient tout autre que de nos jours, je tente autant que je peux d’assumer le fait que le regard posé sur le film est celui d’aujourd’hui. Imaginer comment était la vie à cette époque est un peu difficile car nous en sommes très éloignés. Comme nous savons ce qui s’est passé par la suite, le regard du public ne peut pas totalement s’isoler sur l’époque diégétique. J’ai tenté avec Neruda quelque chose : plus qu’un film sur Neruda, il s’agit d’un film sur l’univers mental de Neruda. Ses actions, ses écrits, ce qu’il a mangé, ce qu’il a collectionné : tout cela m’a influencé pour faire ce film.«
« Le but du film n’est à aucun moment de raconter une vie à travers le prisme d’un détail – aussi important soit-il – mais chercher à en capter le moteur en inscrivant la fiction dans un contexte politique précis. Ainsi l’évocation d’une figure aussi emblématique que Pablo Neruda sous l’angle de sa cavale permet de mesurer son écho au gré des destinations et péripéties tout en interrogeant parallèlement l’Histoire avec une pointe d’ironie. Larraín ne se refuse pas quelques clins d’œil annexes savamment distillés. L’apparition furtive d’Augusto Pinochet alors responsable d’un camp de prisonniers communistes – passé cinématographique du cinéaste / futur sombre du Chili – ou encore l’introduction du capitalisme avant l’heure – un passage clandestin pour faire du commerce à la frontière avec l’Argentine – alors une solution contournant le système qui se répandra à échelle nationale un quart de siècle plus tard durant la dictature Pinochet avec la mise en place du libéralisme comme modèle économique. Ces digressions s’insèrent en complément d’un film-somme sans court-circuiter son cœur : un portrait haut en couleur fantasmatique, épique et introspectif. Symbole de la résistance Chilienne, artiste idolâtré et intouchable, Neruda apparaît comme pleinement conscient de cette aura qu’il n’aura de cesse d’accroître. Il
n’est pas question de cracher sur la mémoire d’une icône, pas plus qu’en chanter les louanges mais en modifier la perception. Les lectures de ses poèmes – plus particulièrement le Poème XX du célèbre recueil Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée : « les vers les plus tristes pour cette nuit » -, de ses correspondances avec son ami Pablo Picasso viennent ponctuer les divers chapitres du récit à chaque fois dans un contexte nouveau. La contradiction entre les séquences qui ont précédé et la résonance soudaine des mots illustre la portée universelle de son art. » (culturopoing.com)
Si Óscar Peluchonneau a réellement existé et a été Directeur général de la police chilienne pendant quelques semaines, son caractère et son histoire ont vraiment été façonnés pour les besoins du film. Gael Garcia Bernal et Pablo Larrain lui ont ainsi façonné un passé ombrageux pour faire de lui le paria, et permettre au spectateur de mieux comprendre la complexité de la relation proie/chasseur qui se crée avec Neruda.
Pablo Larrain a repoussé la production de Neruda de six mois afin d’attendre que Gael Garcia Bernal, alors en tournage de Salt and Fire pour Werner Herzog, soit à nouveau disponible. Le tournage de Neruda s’est étiré sur 55 jours, entre le Chili, l’Argentine et l’Europe. Lors des derniers jours de tournage dans les Andes, pendant l’hiver, l’équipe a connu des conditions particulièrement difficiles ; en effet, une violente tempête de neige a fait fermer le plateau pendant plusieurs jours et a vu des membres de l’équipe souffrir d’hypothermie.
Le premier montage de Neruda amenait le film à une durée de 3h20. Le réalisateur a dû se séparer de séquences impressionnantes, comme une scène lors d’une tempête de neige, pour finalement réduire la durée du film à moins de deux heures. Le montage s’est déroulé à Paris entre la fin 2015 et début 2016, alors que le tournage de Jackie avait déjà débuté.
Pablo Larraín est un réalisateur fidèle à ses acteurs : Neruda marque sa sixième collaboration avec Alfredo Castro, sa troisième avec Alejandro Goic et sa deuxième avec Gael García Bernal. Incarner Neruda à l’écran était un exercice à l’ambition folle pour son interprète, Luis Gnecco. Ce dernier était particulièrement intimidé à l’idée de jouer un homme à la vie et à l’oeuvre aussi démesurément riches. « Prétendre saisir la vie infinie de ce géant, dont l’existence pourrait être l’incarnation même du grand artiste de son temps, m’a plongé dans la stupéfaction et m’a, pour tout dire, déconcerté. Je ne me suis sorti, avec beaucoup d’émotion, de cet état de trouble qu’après avoir effleuré – juste effleuré car on ne peut faire davantage -, une partie de son oeuvre immense« , confie l’acteur. Pablo Larraín et Luis Gnecco ont noué une forte relation de travail autour de la personnalité de Pablo Neruda, ce qui a notamment permis de rassurer l’acteur quant à la liberté dont jouissait le réalisateur pour concevoir son film : « Quand j’ai abordé le personnage de Neruda, l’angoisse initiale (…) s’est évanouie car Pablo m’a assuré ne pas avoir non plus d’idée préconçue concernant son élaboration », se souvient-il. « Il n’avait besoin que de ma détermination pour élaborer un plan et de ma confiance dans le fait que, quand bien même l’ouvrage serait remis mille fois sur le métier, nous serions tous deux indispensables pour le tisser intégralement « . Le Mexicain Gael Garcia Bernal se souvient de son premier tournage avec le Chilien Pablo Larraín, en 2013, pour No. « Quand j’ai
tourné mon premier film avec Pablo Larraín, c’est comme si j’avais été parachuté au milieu d’une famille de cinéma très pointue. Tout le monde m’avait d’ailleurs bien reçu, et Pablo Larraín avait su jouer de sa curiosité et de son instinct pour que je me sente faire partie intégrante d’un groupe créatif qui avait besoin d’un « étranger » pour la petite partie de rock’n’roll qu’était No », s’amuse l’acteur. Le tournage de Neruda était une expérience similaire pour lui ; l’acteur se sentait toutefois plus confiant et serein en raison de l’amitié qu’il porte au réalisateur : « Peu de cinéastes ont le courage et le talent de s’aventurer dans l’épais brouillard de la création. On s’attend toujours à ce qu’il se mette à faire très froid, là-dedans, mais voilà : Pablo en émerge toujours avec une nouvelle dimension de ce qui semblait pourtant impénétrable« .
Neruda a été choisi pour représenter le Chili dans la course à l’Oscar pour le Meilleur film étranger en 2017 et a été présenté au 69e Festival de Cannes, dans la Quinzaine des Réalisateurs. C’est le troisième film de Pablo Larraín à figurer dans cette sélection, après No et Tony Manero.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Martin De Kerimel
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