Nos années sauvages – 21ième Festival 2024



Mercredi 21 Février 2024 à 20h – 21ième  Festival

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Wong Kar-Wai, Hong-Kong, 1990, 1h40, vostf

Yuddy collectionne les conquêtes et n’en peut vite plus de ces jeunes femmes qui, à peine séduites, imaginent déjà la vie à deux, le mariage, la monogamie. Pas son truc. Exit Su, trop fleur bleue, le voilà désormais qui fréquente Leung, un peu plus affranchie – elle danse dans des night-clubs. Du coup, Su attend en bas de l’appartement de son ancien amant, inconsolable, quand surgit, prêt à la secourir, le policier de proximité qui fait sa ronde dans le Hong-Kong des années 60.

Notre article

par Sylviane Socci

Wong Kar Waï travaille à la télévision dès 1982, écrit de nombreux scénarios entre 1982 et 1987, accède en 1988 à la réalisation de son premier long métrage As tears go by grâce au producteur Alan Tang, avec déjà Maggie Cheung et Andy Lau comme interprètes. Le film est sélectionné à la semaine de la critique à Cannes. Cette reconnaissance et sa réputation dans le cinéma Hongkongais de Kung fu et de gangsters lui permettent de bénéficier d’un gros budget pour la réalisation de Nos années sauvages pensé comme première partie d’un film dont il ne pourra pas assurer la deuxième étant donné l’échec commercial à sa sortie. Son public hongkongais attendait un film de genre. Nos années sauvages peut être considéré comme premier volet d’une trilogie avec In the mood for love (2000) et 2046 (2004), lien établi par l’apparition dans la scène finale de Tony Leung, et du retour également des personnages de Su Li-Zhen (Maggie Cheung), la douce, et de Lulu/Mimi (Carina Lau) caractérisée par son hystérie, sa possessivité.

1960, 1 minute. 3 heures.

« J’ai situé l’action en 1960 parce que c’était une époque optimiste. » (Cahiers du cinéma n°490).

Les chiffres, les indications temporelles, le son récurrent du tic-tac d’une horloge sont une des marques du style de Wong. Le temps nous est compté, le temps est compté. Cinéma de la finitude ? Plus exactement de l’impermanence. Yuddi (Leslie Cheung) désabusé, en manque de repères, incapable d’aimer ou plutôt, dans sa course de prendre le temps d’aimer. Dès le travelling avant qui suit Yuddi et l’amène jusqu’à Su Li Zen (caissière du stade) Wong Kar-Waî déploie son style. Rythme chaloupé, lumière travaillée, cadrage serré, sons diégétiques, nous entrons dans son monde où alternent séduction, froideur, douceur, nonchalance.

Saisie en un lent mouvement de panoramique latéral de gauche à droite, une rencontre a lieu, le visage de Su Li Zen se fond dans le plan avec celui de Yuddi pris de dos. « Le 16 avril, 1 minute avant 15 heures nous étions ensemble » constate Yuddi. « C’est un fait ». Une minute devient durée, « épaisseur de durée » (Bergson) et laisse des traces dans la vie de Yuddi malgré son désir d’envol, malgré son refus d’attachement. Bien sûr sa jeunesse et sa désinvolture font écho à celle d’Antoine Doisnel chez Truffaut et de Michel Poiccard chez Godard, mais l’obsession de la mémoire, de ce qui fait identité renvoie à Alain Resnais, en particulier à Hiroshima mon amour : « J’ai été jeune un jour » dit Emmanuelle Riva. Comme chez Resnais, la voix-off dit la mémoire, la mémoire se transforme en affect. Par le retour du thème de l’échec de la rencontre amoureuse malgré l’émergence du désir, des liens sont tissés entre le passé immédiat, le passé enfoui, l’avenir proche mais aussi très lointain, comme dans 2046. Entrer dans un film de Wong Kar Waï c’est glisser dans une spirale temporelle. Les ellipses peuvent égarer. Comme repère, un détail vestimentaire (vêtue d’une robe dans un plan, Su Li Zen en porte une différente dans un autre) ou un gommage (Mimi affaissée sur une voiture qui au plan suivant a disparu, mais elle, est toujours dans la même position). Le plan d’une rencontre avec le jeune policier une nuit s’enchaîne aussitôt avec celui d’une promenade une nuit suivante comme si la répétition de ces marches nocturnes de Su Li Zhen délaissée accompagnant le policier lors de ses rondes l’amenait progressivement à oublier l’obsession amoureuse. Leur déambulation est routinière, mais eux changent. Se tisse un lien de paroles dont on retrouvera un écho plus tard dans le film, dans la même rue, devant une cabine téléphonique. Et cet écho résonne, selon une correspondance de film en film dans In the mood for Love.

Ainsi les entrelacs du temps sont aussi confusion de lieux par collage de plans et la chronologie est celle de la réminiscence. Le rétrécissement de l’espace comme émergence d’un temps subjectif. Ce n’est pas un montage continu ou narratif mais plutôt un montage de correspondances. Le lien entre les plans est souterrain, il affleure par intermittences et construit du sens. Confusion de sentiments. Le film baigne dans une atmosphère sombre, nocturne dans une lumière souvent glauque en extérieur ou en intérieur. Les personnages sont pris en gros plans ou très gros plans, en bord cadre.Toute l’esthétique du film atteste de l’importance accordée à la recherche visuelle et à la photographie par un réalisateur diplômé en graphisme de l’École polytechnique de Hong Kong et sensible aux photographies de Richard Avedon, Robert Franck et Henri Cartier Bresson . La musique, même si elle n’est pas présente en permanence, nous enveloppe comme toujours chez Wong dans un univers mental. « Quand j’étais petit j’avais mal aux yeux, donc j’écoutais ». « La voix ne ment pas » « On voit mieux avec les oreilles ».

La faille, trou de l’identité.

« Il existe un oiseau qui ne s’arrête jamais de voler et s’endort dans le vent. Il ne se pose qu’une seule fois dans sa vie… pour mourir. » Ces paroles entendues sur l’air suave de Xavier Cugat Perfidia sont comme le refrain de ce film sur l’absence d’amour. Yuddi, le séducteur, souffre du manque d’amour. Face aux multiples reflets dans le miroir, Narcisse en quête de son image morcelée, il manque à être (Lacan). Son désir de retour à l’origine, là où tout commence, l’envol pour aller chercher la reconnaissance marquent une rupture dans l’univers du film. Rythme, couleur, paysages : on est ailleurs. « Le 2 avril 1961 j’ai enfin trouvé où… » Wong magistralement achève la caractérisation de Yuddi, être de la nostalgie, de la douleur de l’irréversibilité du temps. Sa violence cache le désespoir. « L’irréversible n’admet qu’un seul remède : le consentement joyeux de l’homme à l’avenir, au futur ». (Vladimir Jankélévitch)

Sur le web

«Wong Kar-waï, cinéaste encore peu connu en 1990, livrait ici son deuxième long métrage. C’est la maîtrise de l’ensemble qui frappe dès les premières images. L’ambiance est moite et nonchalante. Le héros, dans le même esprit, paraît détaché de tout. Il quitte ou plutôt fuit une première amoureuse, Su Lizhen, dès qu’elle parle d’avenir pour une autre, Leung Fung-Ying (Carina Lau), l’exact opposé de la précédente, à qui il ne semble pas plus attaché. On comprend vite qu’il est obsédé par une mère biologique qui l’a abandonné, dixit sa tante Rebecca (Rebecca Pan). Celle-ci l’a élevé et le traite sans ménagement. Parallèlement, un jeune policier, Tide, interprété par Andy Lau, qui patrouille dans la rue où habite Yuddy, va rencontrer Su Lizhen. Cette dernière, abandonnée, vient toujours rôder sous les fenêtres de son amour perdu. Un savant imbroglio va alors s’installer entre les quatre personnages.

Des séquences contemplatives et poétiques se succèdent avec des ellipses plutôt radicales : Yuddi est à Hong Kong dans telle scène, et aux Philippines celle d’après, sur les traces de sa mère. De même, on quitte Tide policier, pour le retrouver tout de suite après dans la peau d’un marin. Parfois, un mot, un plan suffisent à faire progresser l’intrigue.

Des éclairs de violence traversent quelques moments. Le titre original peut se traduire par « histoire vraie d’un voyou« , mais ce n’est pas celle d’un vrai voyou. Le jeune homme n’est pas un dur, ne trouve sa place ni comme fils, ni comme amant.

Le comédien Leslie Cheung, avec ses airs de faux James Dean, a obtenu pour ce rôle le prix du meilleur acteur aux Hong Kong Film Awards 1991.

Wong Kar-waï y a reçu le prix du meilleur réalisateur et celui de la meilleure direction artistique. Christopher Doyle, lui, a été récompensé du prix de la meilleure photographie. Malgré cela, le long métrage, qui ne sortira en France qu’en 1996, essuiera un échec commercial et la seconde partie prévue par l’auteur ne sera jamais tournée. En 1997, il sera reconnu comme le meilleur film honk-kongais des dix dernières années, aux Golden Bauhinia Awards.» (avoir-alire.com)

«… L’écriture d’une cinquantaine de scénarios (chiffre revendiqué par le cinéaste, qui n’est officiellement crédité que d’une dizaine) entre 1982 et 1987 – drames, comédies romantiques, films de kung-fu et de gangsters (genre très en vogue à Hong Kong suite au succès considérable des Syndicats du crime de John Woo en 1986-87) – ouvre à Wong Kar-waï les portes de la réalisation. Produit par Patrick Tam, pour qui il avait notamment écrit Final Victory (1986), une sombre comédie mafieuse qu’il considère comme son meilleur scénario, son premier film, As Tears Go By sort en 1988. Il y prend à contre-pied les codes du genre en faisant de ses gangsters des délinquants juvéniles aux réactions pulsionnelles inspirées à la fois par la vision du Mean Streets de Martin Scorsese (un film qui l’a profondément marqué) et les personnages croisés lors de ses propres pérégrinations dans des bars mal famés quelques années auparavant. Le film déstabilise le public hongkongais, qui le reçoit tout de même correctement, et séduit la critique. Il connaîtra également un beau succès en Corée et à Taïwan.

C’est sur ces bases que se met en place le projet Nos années sauvages. Sous couvert de tourner un film noir tous publics situé dans le Hong Kong des années soixante, Wong se voit confier un important budget et mettre à disposition six des plus grandes stars hongkongaises du moment. Il envisage un diptyque. Seule la première partie verra le jour. Sortie en salles en 1990, elle constitue la totalité du film que nous connaissons aujourd’hui. Le désastre commercial qu’elle va représenter précipitera l’interruption du tournage au tiers de la seconde et sa mise au placard. Sa dimension contemplative très affirmée tout comme sa manière elliptique de conduire le récit rebutent le public hongkongais en déjouant ses attentes. Inachevé, fulgurant, porté par un titre invitant à l’excès et à la révolte, Nos années sauvages va largement contribuer à l’édification de l’image d’ « auteur à l’européenne » de Wong Kar-waï (parfois comparé à Pasolini, citant lui-même les noms de Godard et Bresson en interview). C’est seulement pour son quatrième film, Chungking Express (1994), que le cinéaste connaîtra les honneurs d’une distribution à l’échelle mondiale (sortie en France en avril 1995). La critique et le public, enthousiastes, suivent. Ses films précédents sont alors montrés, Nos années sauvages une année plus tard, début 1996, soit six ans après sa houleuse carrière hongkongaise. Cette reconnaissance conduira au succès phénoménal d’In The Mood For Love en 2000…

… Pas de reconstitution véritable dans Nos années sauvages, tant le cadre semble ne jamais devoir s’élargir pour accueillir la présence de plus de deux personnages. Si fresque il y a, elle est bien d’ordre intimiste. Et Hong Kong y devient la ville du rêve d’un saisissement du passé, point de jonction sur l’écran entre l’aujourd’hui et l’autrefois regretté. Bref, une vraie ville de cinéma propice à la rêverie, une ville imaginaire traversée par la fuite du temps. La très belle lumière du chef-opérateur Christopher Doyle fait plonger dans une vision mélancolique de la jeunesse qui va s’incarner dans l’histoire de Yuddi, celle sur laquelle le cinéaste va donner le plus de détails, entre impossible quête de sa mère véritable résidant aux Philippines (et qui refusera finalement de le recevoir) et obsession de la retrouver dans des relations amoureuses presque toutes sans lendemains. Toute la ville se trouve imprégnée des émois amoureux des personnages, toujours empreints de tristesse et de déception…» (iletaitunefoislecinema.com)

«… Partant des souvenirs déformés de sa petite enfance à Hong-Kong, où ses parents se sont installés alors qu’il avait 5 ans, le film Nos années sauvages montre une jeunesse aux identités vacillantes, meurtrie par l’amour et empreinte d’une bouleversante mélancolie. Un conte cruel, à la plastique fantasmatique. A travers Yuddy, jeune homme d’une vingtaine d’années obsédé par sa quête identitaire – sa mère l’ayant placé en adoption dès sa naissance – ,Wong Kar-waï orchestre un jeu de massacre et de miroirs fascinant…

… A peine immergés dans le cerveau-démiurge du réalisateur comme si l’on se glissait dans le crâne d’un dormeur en plein rêve, la sensualité latente et nerveuse de chaque image de Nos années sauvages incise nos esprits pour laisser libre cours à nos sens. On se couche à son tour dans la pellicule, on y greffe ses propres fantasmes, on se prend à rêver. On voit des baisers là où il n’y a que frôlement de nuque, on se retrouve projetés dans des contrées lointaines ayant trait à l’enfance, on reste pétrifiés par les ombres gigantesques d’arbres s’abattant sur le pavé des rues bordées de hauts murs, on pressent des fées maléfiques jouant de sortilèges et de philtres amoureux irréversibles, on est terrassés par des pluies diluviennes, on se perd dans des forêts aux feuillages luxuriants.

Car Wong Kar-waï a le don de suggérer, d’insuffler aux spectateurs des imaginaires subliminaux. L’environnement des personnages, la nature, la lumière, le traitement de la photo altérant les couleurs vives en les recouvrant d’un léger voile, le basculement des cadres, la fluidité des mouvements de caméra, tout participe à créer un univers irréel, ouvert sur l’inconscient. Sa façon récurrente d’appréhender les protagonistes, en partant de leur reflet ou en aboutissant à leur image prise dans un miroir, participe de ce décalage de la réalité. Les glaces et les miroirs sont omniprésents, à l’instar des horloges. Les êtres sont scandés par ces battements froids et métalliques, implacables, amplifiant la tension sous-jacente et leur fragmentation intérieure. Wong Kar-waï nous fond dans une temporalité mouvante, toujours à la lisière de deux mondes, écartelée entre un passé et un futur castrateurs pour des personnages dont le présent ne parvient pas à s’incarner. Dépossédés et déracinés, ils semblent perdus au milieu de désirs entravés, de pertes irréductibles, de blessures profondes et vivaces. L’enfance et l’avenir sont deux pôles de tension entre lesquels tout chute. Tout échappe aux personnages, ils se déplacent tels des spectres, sous le joug du décompte temporel, sans parvenir à retenir les choses et les êtres, souffrant en permanence de leur dépendance les uns aux autres.» (lesinrocks.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Sylviane Socci.

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