Nous, les Vivants



Vendredi 14 Décembre 2007 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Roy Anderson – Suède/Allemagne/France/Norvège/Danemark – 2006 – 1h34 – vostf

Notre critique

Par Philippe Serve

Les bien étranges chansons d’un dénommé Roy Andersson

Un homme citant comme influences majeures Samuel Beckett (pour son sens de l’Absurde et son humanité), Federico Fellini (Amarcord et La nave va), Luis Buñuel (tendance Le charme discret de la bourgeoisie), Le Voleur de Bicyclette de Vittorio de Sica, le Stanley Kubrick de Barry Lyndon, les films noirs français ou bien encore les trois poètes du 7ème art que furent et demeurent Charlie Chaplin, Buster Keaton et Jacques Tati, cet homme ne peut qu’être « a priori » intéressant. Intéressant, le réalisateur suédois Roy Andersson l’est assurément. Ce Suédois de 64 ans apparaît d’abord comme un drôle de type. Aussi déprimant que drôle, aussi désespéré qu’optimiste. Peintre de la communauté humaine et de la société que celle-ci engendre, la plupart du temps pour son propre malheur, Andersson tisse patiemment sa toile depuis 1970, date de sa première réalisation. En 37 ans, seulement quatre longs métrages, deux courts et une ribambelle de pubs pour des tas de grandes marques. On ne peut pas dire que le monsieur soit prolifique !

Si le public français – et une bonne partie du monde – ne le découvrit qu’en 2000 avec l’étrange et fascinant Chansons du deuxième étage (Prix du Jury au Festival de Cannes), qualifié de chef d’œuvre par un certain Ingmar Bergman, c’est trente ans plus tôt qu’il avait séduit ses compatriotes.

Une Histoire d’Amour suédoise fit en effet un véritable tabac en Suède et dans les pays scandinaves Magnifique portrait de l’adolescence, œuvre déjà maitrisée, le film est formellement très éloignée de ce qui est devenu depuis le style Andersson. La caméra bouge, des gros plans alternent avec des changements d’angles de prises de vue, le réalisme du traitement donne même au film un aspect proche du documentaire, pas si éloigné des premiers Mike Leigh ou Ken Loach. Pourtant, dans la deuxième partie du film, le ton change petit à petit. Ce qui servait de toile de fond à la charmante bluette – le monde des adultes vu par les yeux de deux jeunes tourtereaux – prend le dessus. Le film se teinte alors d’amertume recouvert d’une bonne couche d’absurde. La critique politique apparait, sans jamais pourtant s’afficher comme telle. Le succès public et critique (de nombreux prix, y compris à Berlin) est immédiat et durable.

Pourtant, Roy Andersson met cinq ans avant de pouvoir réaliser son deuxième film. Tout le monde espère Une histoire d’amour suédoise 2 alors que le cinéaste a choisi de changer de cap, en privilégiant l’insignifiant. Résultat : à sa sortie, Giliat (1975) s’avère un cuisant échec. Il est vrai que le film n’est guère palpitant malgré quelques belles idées, traine beaucoup en longueur et que Andersson ne réussit jamais à intéresser le spectateur au vide de ses personnages. Visiblement, le cinéaste suédois cherche sa voie. S’ensuit alors pour lui une très longue traversée du désert. Rejeté par les producteurs, il se tourne vers la publicité où il peaufine son style cinématographique, tournant plus de 300 spots en vingt ans. L’argent que lui rapporte cette activité purement commerciale – mais aussi 8 récompenses suprêmes dans le genre à Cannes – lui permet de monter sa propre société de production, Studio 24, en 1981.

Commissionné en 1986 par les services de santé suédois pour réaliser un court-métrage sur le Sida, il voit son film arrêté de force par la production alors que seuls les 2/3 sont achevés. C’est que Quelque chose est arrivé ne correspond pas du tout à la vérité officielle de l’époque à laquelle le cinéaste ne croit pas et qu’il remet ouvertement en question dans son film. Le court métrage, remarquable, ne sortira qu’en 1993, récoltant un très grand succès.

Entre-temps, Roy Andersson a réalisé un deuxième court-métrage d’une noirceur tétanisante, Un monde de gloire (1991). Cette fois, la patte Andersson – déjà bien rodée dans le court précédent – est en place, telle qu’on la connait aujourd’hui : longs plans-séquences en tableaux très composés et au cadre hyper travaillé, personnages et décors se déclinant dans les mêmes teintes grises, verdâtres et marrons, sentiment de claustrophobie, absurdité des situations et des comportements, thème de la culpabilité individuelle et collective (il n’est pas suédois pour rien !), sadisme et humiliation, présence d’un personnage au premier plan et de quelques autres disséminés dans toute la profondeur de champ, fusion du tragique et du grotesque en un même instant entrainant chez le spectateur un sentiment de fort malaise, critique politique acerbe mais jamais démonstrative et, enfin, cet humour qui l’apparente souvent au Finlandais Aki Kaurismäki.

Après quatre ans de tournage, Chansons du deuxième étage est présenté à Cannes en compétition officielle en 2000 et y fait sensation. Malgré son prix (cf. plus haut), la critique officielle se retrouve partagée tandis que le public, qui découvre un cinéma particulièrement original, l’acclame. Si l’humour (très noir) de Andersson atteint des sommets dans la distanciation absurde, le fond de l’air souffle plus désespéré que jamais. Le spectateur se retrouve en présence d’un monde en état apocalyptique où toutes les valeurs et les situations établies s’effondrent. La continuité narrative a presque totalement disparue au profit d’un enchainement de tableaux dont certains restent inoubliables Le terme « tableaux » n’est pas ici choisi au hasard tant l’œuvre s’avère picturale. Une fois de plus, la société – mais aussi la religion et le commerce qui y est associé – en prend pour son grade, confirmant Roy Andersson comme un grand cinéaste politique.

Gageons que son nouvel opus (attendu seulement 7 ans !) et annoncé nettement plus optimiste ne décevra pas le public de Cinéma sans Frontières…

Sur le web

« Mon film est composé d’une succession de tableaux qui illustrent la condition humaine. Mes personnages représentent différentes facettes de l’existence. Ils affrontent des problèmes, petits et grands, qui vont de la survie quotidienne aux grandes questions philosophiques. J’espère que, face à Nous, les vivants les spectateurs auront le sentiment d’être confrontés à leur vécu. Ma lecture de cette fascination de l’homme pour l’homme éclaire la philosophie du film. Souvent, le cinéma contemporain ignore ces valeurs et privilégie une narration en phase avec une dramaturgie conventionnelle. Sans condamner cette démarche, je m’efforce de définir un langage cinématographique moins prévisible. Mon film rompt avec les structures narratives classiques pour raconter son histoire à partir d’une mosaïque de destinées humaines. Les tableaux qui le composent exposent les malentendus et les erreurs de gens qui se rencontrent sans réellement communiquer. Car ils courent après le temps qui passe et s’obstinent à chercher ce qu’ils estiment important. C’est un film sur la vie des hommes : leur travail, leur comportement en société, leurs pensées, leurs inquiétudes, leurs rêves, leurs chagrins, leurs joies et leur insatiable besoin de reconnaissance et d’amour. Tout cela, ainsi que leur apparence et leurs motivations, se décline en autant de variantes qu’il y a d’individus sur terre. Et c’est pour cela que “l’homme est la joie de l’homme”. (Roy Andersson)

« Comment passons-nous notre temps sur terre ? Je prends des exemples de la vie de tout un chacun et j’espère que le résultat est drôle. Pourtant, mes histoires sont tristes aussi, car la vie est tragique et que nous devons tous mourir un jour. A la fin de sa vie, on se rend probablement compte des erreurs qu’on a commises. Mon film ne veut pas culpabiliser le spectateur mais l’inviter à réfléchir sur la façon dont nous occupons notre temps. Mon film précédent, Chansons du deuxième étage traitait d’un sujet sérieux : la culpabilité historique et collective. Nous, les vivants aborde des questions plus concrètes telles que “Comment se comporter en société ?”. Le film est construit autour d’une cinquantaine de scènes déconcertantes, qui confrontent des personnages récurrents à des situations souvent burlesques. Je crois que vivre est compliqué pour tout le monde et que c’est l’humour qui nous sauve. En ce sens, je vois Nous, les vivants comme une farce sur la condition humaine. » (Roy Andersson)

« J’aime les scènes d’une simplicité très contrôlée, filmées en grand angle d’un seul point de vue et en plan-séquence. Dans mes films, il y a peu de mouvements de caméra. Pour filmer en grand angle, il m’a fallu acquérir une certaine maturité en tant que réalisateur. Mais ce procédé me permet de mieux situer un personnage dans le monde qui l’entoure au lieu de l’isoler. On dit souvent qu’on voit l’âme de quelqu’un dans son regard. Je ne fais pas de gros plan car je comprends mieux l’homme dans son rapport à l’espace qui l’entoure. » (Roy Andersson)

« J’aime travailler avec des compositions originales : ici, il s’agissait de s’inspirer de styles très différents (la musique de Mozart, le jazz, les hymnes russes). Les mélodies restent toutefois proches du jazz de la Nouvelle-Orléans que je jouais moi-même au trombone, quand j’étais jeune. A l’origine, je voulais que la musique soit réellement interprétée au tournage, qu’on voit et entende les personnages jouer à l’écran. Finalement, je trouvais certaines scènes si musicales en soi que j’ai changé d’avis et que j’ai poussé ma démarche plus loin : parfois les personnages se mettent même à chanter. » (Roy Andersson)

Toutes les scènes, sauf une, ont été tournées dans un seul et même studio, à Stockholm, le Studio 24. Une cinquantaine de décors différents y ont été construits pour les besoins du film.  62 242 mètres de pellicule, 58 450 mètres de bande son, 227,5 litres de mastic, 3948 litres de peinture, 38815 mètres de planche de bois, 26200 vis, 103680 heures de travail ont été comptabilisé à l’issue de la production du film.

Nous, les vivants a été présenté dans la section Un Certain Regard lors de la 60e édition du festival de Cannes en 2007. Quelques mois plus tard, le film a reçu l’Amphore d’Or… le Grand Prix du festival de Groland !


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

Partager sur :