Vendredi 15 mai 2015 à 20h30
Film de Paul Vecchiali – France – 2015 – 1h34
Un noctambule se promène chaque nuit sur la jetée du port où il passe une année sabbatique. Il rencontre là une jeune femme qui attend l’homme de sa vie. Quatre nuits, tant réelles que fantasmées, passées avec elle à discourir sur la vie, vont révéler l’amour que cet homme a pour cette femme.
Notre article
Par Josiane Scoleri
Le film de Paul Vecchiali est comme une apparition dans la nuit. Il en a la matière, la texture, avec le même effet de surprise et d’incrédulité, de fascination aussi. Car il faut toute la liberté de mouvement d’un Paul Vecchiali pour se jeter à bras le corps dans une histoire aussi minimale et la traiter avec un parti pris radical de dépouillement et de contraintes qui s’avèrent source de créativité. La nouvelle de Dostoïevski nous a déjà valu deux chefs d’œuvre au cinéma : Les Nuits blanches de Visconti et Les quatre nuits d’un rêveur de Bresson. Vecchiali reprend le flambeau et fait le pari de la théâtralité extrême, loin du théâtre, avec les moyens du cinéma.
Comme souvent dans les films de Vecchiali nous sommes dans une histoire d’amour, belle comme une image d’Épinal, qui tient à la fois de la tragédie et du mélodrame, inextricablement mêlés, comme dans les grands mélos hollywoodiens ou le cinéma français de années 30. Scénario a minima donc, mais aussi décors ( le même petit bout de quai près du phare), et costumes, évidemment ( le même manteau à col de fourrure, les mêmes collants rouges, la même veste noire informe). Un homme, une femme qui se racontent, deux comédiens formidables. Mais alors me direz-vous : «Où est le cinéma ?» Le cinéma, il est d’abord dans l’œil du cinéaste où l’utilisation du plus simple champ/contre-champ se trouve magnifié par un jeu savant d’ombre et de lumière.
Les lumières du port au fond comme autant de globes lumineux qui ne sont pas sans rappeler les lumières d’une fête foraine ou les ballons de notre enfance, le rayon intermittent du phare qui sculpte la nuit et les visages des personnages, tantôt l’un, tantôt l’autre ou les deux. La nuit noire est très certainement le premier personnage du film. La nuit du dehors n’étant que le reflet de la nuit du dedans qui aveuglent tant Natacha comme Fedor.
À ce titre il est essentiel de se souvenir du prologue du film où Fedor parle de sa méchanceté sans but ni propos apparents , inépuisable, vitale, pourrait-on dire puisque apprise auprès des enfants. La noirceur est là dans une des rares scènes de jour du film, et c’est la toute première . Un échange symbolique entre jeunesse et vieillesse où le vieil homme (joué par Vecchiali lui-même ) dit grosso modo à son double de jeunesse que la méchanceté, c’est une perte de temps. La vieillesse lumineuse en quelque sorte. Il est important de s’en souvenir lorsque nous nous retrouvons au coeur du film, face à un Fedor transi d’amour qui semble prêt à faire abstraction de lui-même pour que Natacha soit heureuse.
Les personnages se cognent à leur nuit et se raccrochent à leur rêve. Pour Natacha, le retour de l’homme qu’elle aime. Pour Fedor, l’espoir de l’amour de Natacha. Nous sommes bien dans la tragédie antique : A aime B qui aime C qui aime X , etc…et donc nécessairement – naturellement, dirait Natacha – dans le déchirement du mélodrame. Et ce d’autant plus que l’autre matière du film c’est cette langue, hautement improbable, littéraire, poétique, anachronique et intemporelle à la fois. Travaillée à l’extrême, musicale, majestueuse comme un fleuve immense ou heurtée comme un torrent de montagne. Portée par deux comédiens qui transposent dans leur jeu la tension fondatrice du film entre ombre et lumière. Pascal Cervo, tout en retenue, sombre, presque statique, Astrid Adverbe dans l’émotion,du rire aux larmes, vibrante d’intensité avec notamment cette merveilleuse scène de danse «sous les sunlights». Et c’est un délice de voir comment Paul Vecchiali se fout du naturalisme et de la vraisemblance en allumant son projecteur plein cadre juste pour son actrice.
La mise en scène de Vecchiali introduit ainsi des ruptures dans cette nuit sans fin. Quelques plans de jour où le spectateur cligne presque des yeux comme lorsqu’on est resté trop longtemps dans le noir, mais surtout les scènes dansées ou chantées, avec l’irruption des «Pêcheurs de Perles » de Bizet qui lui permet de surcroît de semer le trouble chez le spectateur récit ou affabulation, rêve ou réalité, fantasme ou sortilège. Ou encore cette unique scène en Blanc et Noir, totalement inattendue où le manque de couleurs n’aura peut-être jamais été aussi parlant au cinéma. Sans oublier ce moment magique où Vecchiali coupe le son dans le récit de Natacha et nous gratifie d’un gros sur le visage de Fédor totalement subjugué . L’amour entend au-delà des mots. Tout le film est ainsi composé, comme une mosaïque subtile alors qu’il semble couler de source, apparemment simple, certains diraient peut-être même banal. La mise en scène, le texte, le jeu des acteurs, leur présence à l’écran en deviennent indissociables. Pascal Cervo s’anime et se délie au fur et à mesure qu’il se met à croire à l’amour. Dans le même mouvement de balancier, le jeu d’Astrid Adverbe se met en retrait lorsqu’elle se propose de tourner la page du passé, avec cette phrase magnifique que tous les amants ont en partage : « Je crois que je viens de naître ». Par cette unité classique, de temps, de lieu et d’action, Paul Vecchiali nous permet de saisir toutes les nuances, toutes les variations de la voix, de la lumière, des déplacements dans l’espace, des mouvements de caméra et de comprendre que tout fait sens.
Il y a bien longtemps qu’on n’avait pas vu une telle maîtrise dans un film français. Nous ne savions pas à quel point Paul Vecchiali nous a manqué pendant ces dix dernières années.
Sur le web
Nuits blanches sur la jetée est une adaptation de la nouvelle « Nuits Blanches » de Fedor Dostoiëvski écrite en 1848, transposée sur la jetée du port varois de Sainte Maxime. Cependant, deux romans du même auteur ont été une source d’inspiration, « Les Carnets du sous-sol » (1863) et « L’idiot » (1868). De plus, une phrase a été tirée de « Souvenirs de la maison des morts ». Toutes ces références avaient pour but de réaliser une sorte de portrait de l’auteur Fédor Dostoiëvski. Paul Vecchiali se démarque évidemment de la version récente de James Gray (Two Lovers, 2008) mais aussi de celles de Visconti ( 1957 pour Notti Bianche) et de Bresson (1971 pour Quatre nuits d’un rêveur, auxquels il prend cependant soin de rendre hommage au générique, ainsi qu’à Maria Schell, Natalia/Nastenka des Notti Bianche, et à Danielle Darieux, à qui Ophuls, pour Madame de… avait demandé de jouer à la fois dans la présence et l’absence.
« ...De Dostoïevski à Vecchiali, cette intensité passe par des blocs de monologue, faits d’accélérations et d’empâtements, de clarté et d’obscurité, blocs qui sondent, mot après mot, les profondeurs de l’âme. La parole y surgit comme une quinte de toux, qui sort d’autant plus violemment qu’elle a été réprimée, et c’est sa durée, sa précision (ou ses égarements) qui ouvrent la voix à la vérité des personnages. Cette fonction rigoureuse de la parole, Nuits blanches sur la jetée le sanctuarise par le dispositif le plus simple qui soit : un homme, une femme, un huis clos dans la nuit, et la parole pour toute lumière. Dans ce dispositif a priori statique il faudra donc, pour tout voir, écouter cette langue affûtée, littéraire, récitée patiemment et agissant comme un reflux mémoriel – un flashback oral. La mise en scène précise et ingénieuse de Vecchiali soutient cette écoute, se cale sur le mouvement tremblant des cœurs et des récits en jouant avec les lumières du port, qui se déploient au loin en guirlande de tâches lumineuses. Tour à tour l’homme ou la femme se retrouvent éclairés ou « éteints », laissant l’autre à son soliloque. Dans ce décor très resserré, la mise en scène parvient toujours à être incroyablement mobile, fluide, libre, comme guidée par une émotivité propre. Et cette fougue intermittente, qui se réprime comme pour mieux exploser, est la marque d’une impudeur, d’une vulnérabilité quasi-obscène qui a toujours traversé le cinéma de Vecchiali… » (Chronic’art.com)
Dans ce film, « on retrouve avec ravissement ce qui a toujours fait le prix et la singularité du cinéma de Paul Vecchiali: cette manière très frontale, frondeuse, de filmer (le film est le N°10 d’une série intitulée de façon polémique Antidogma), en prenant même le risque parfois d’une apparente maladresse ou d’une forme de naïveté quasi militante, le refus du soi-disant naturel (le texte est le plus souvent délibérément littéraire, précieux même), ce goût de ce que lui-même appelle la dialectique et qui est aussi goût de la rupture brusque et du retournement: plusieurs minutes de plan séquence à cadre fixe, puis le choc du face à face en champ-contrechamp; le jeu incessant sur la distance, du trop loin au trop près, sur l’ouverture (plans larges avec les personnages debout devant la mer) et la fermeture (l’espace resserré lorqu’ils sont assis sur les marches), l’immobilité et le mouvement soudain (la caméra qui recule en précédant l’avancée des personnages)… » (aVoir-aLire.com)
Alors qu’il réalise, écrit et produit son film, Paul Vecchiali est aussi l’un des interprètes de Nuits blanches sur la jetée. Le cinéaste est un homme multitâches, on le retrouve aussi au poste de chef décorateur et chef costumier pour son long-métrage. Il ajoute : « (…) en jouant moi-même le personnage du vieux, c’est un peu comme si je transmettais le relais de la mise en scène au personnage de Fédor. » Pour les séquences qui devaient être réalisées de jour, Paul Vecchiali a préféré réduire l’équipe au minimum, c’est-à-dire les acteurs, le réalisateur et son assistant. En revanche, pour les scènes de nuit, l’équipe était au complet. La séquence réunissant Pascal Cervo et Geneviève Montaigu a été tournée à l’aide d’un Iphone, en intérieur, avec des rideaux rouges. Le résultat était beaucoup trop coloré et la teinte rouge trop dominante, c’est pourquoi, le réalisateur Paul Vecchiali a préféré traiter cette scène en noir et blanc, car elle était réussie par ses interprètes. Deux autres scènes de Nuits blanches sur la jetée ont été tournées par Paul Vecchiali à l’aide de son Iphone.
Nuits blanches sur la jetée a été nominé au Festival International du Film de Locarno en 2014 et remporta le prix de la critique indépendante et celui du meilleur réalisateur.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri
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