Vendredi 03 Février 2012 à 20h30 – 10ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Documentaire de Jacques Panijel – France – 2011 – 1h10
Documentaire retraçant la préparation, l’organisation et les conséquence de la manifestation parisienne du 17 octobre 1961, visant à protester contre le couvre-feu imposé aux Algériens.
Notre critique
Par Bruno Precioso
Le destin du film de Jacques Panijel, tourné dans les jours qui ont suivi la manifestation du 17 octobre 1961, illustre la complexité des effets de la censure qui s’applique à une oeuvre cinématographique. Censure légale, bien sûr, mais aussi autocensure d’un artiste soucieux de faire oeuvre de nuance lorsque le temps a tiré le film hors de son contexte de création. C’est cette double conjonction aggravée par les contraintes financières liées à la retouche et à l’exploitation, qui explique qu’un film autorisé depuis 1973 n’ait finalement trouvé les écrans que cinquante ans après sa réalisation, un an après la mort de son réalisateur. La guerre de décolonisation de l’Algérie touche à sa fin (accords d’Evian signés le 19/03/62), et l’indépendance ne fait plus guère de doute pour personne. Depuis le 16/09/59, le général de Gaulle a reconnu le droit à l’autodétermination du peuple algérien. Le putsch des généraux (22/04/61) a échoué et l’issue n’est qu’une question de négociations. Dans ce contexte, toute manifestation portant sur le contexte algérien est considérée comme une pression exercée par le FLN sur les négociations entamées depuis juin 1961. La guerre elle-même est un cas unique pour la France, du fait du nombre d’Européens présents sur le sol algérien au moment du déclenchement de la guerre. Par ailleurs, il s’agit d’une double guerre civile (entre communautés et au sein de chaque communauté) longtemps occultée puisque la France n’a officiellement admis l’expression « guerre d’Algérie » que le 18 octobre 1999. Les rivalités entre mouvements nationalistes algériens sont un facteur supplémentaire de violence extrême, dont l’opacité est liée au caractère clandestin des organisations rivales, aggravé parfois par des actions souterraines des services secrets français. A titre d’exemple, la « guerre » que se livrent de 1955 à 1962 les deux forces principales, le FLN (d’obédience marxiste) et le MNA (Mouvement National Algérien, nouvelle organisation de Messali Hadj), fait pour le seul territoire métropolitain autour de 4000 morts et plus de 10.000 blessés. Au moment de la manifestation parisienne, la violence est en pleine expansion sur le territoire métropolitain, à la fois du fait du FLN et depuis le mois de juin 1961 de l’OAS jusque là cantonnée sur le sol algérien. Les assassinats de rue ciblant des militants algériens autant que policiers français se multiplient dans la plus totale opacité. Le gouvernement est amené à donner des gages de fermeté aux milieux d’extrême droite, très présents dans la police et l’armée. Par ailleurs, le FLN clairement marqué proche du bloc de l’Est est perçu comme un ennemi intégré au jeu international dans un climat de guerre froide qui se retend : le 13/08/61 est élevé le Mur de Berlin, cependant que la guerre froide culmine l’année suivante avec la crise des missiles de Cuba. Les intellectuels et activistes de gauche s’engagent en France pour le FLN (les « porteurs de valise » du PCF), ajoutant à la confusion.
La manifestation pacifique du 17/10/61, organisée par le FLN de métropole en réponse au couvre-feu adressé aux seuls Nord-Africains par le préfet Papon le 5 octobre, ne pouvait donc que mal se dérouler. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, les violences furent relayées par les médias, quoique souvent de manière partielle. La presse de gauche (Libération, L’Humanité) rendit compte des morts sans pouvoir les dénombrer, le Figaro proche du gouvernement évoqua des violences à froid, mais la presse populaire (L’Aurore, Paris Match) rapporta surtout la position du gouvernement (2 morts lors d’une manifestation du FLN). Le 27, parut le premier reportage accompagné de photos relatant la manifestation, dans Témoignage chrétien. Pourtant, un mois après les faits, seule l’Humanité continuait de rappeler les évènements. Des ouvrages de journalistes (P. Péju, G. Mattei, J.F. Kahn), des reportages télévisés (RTBF), des enquêtes d’historiens (Vidal-Naquet) parurent dès 1961 et à intervalle régulier dans les années 70 et 80, mais les publications furent saisies, les émissions interdites, puis à partir de 1973 passèrent inaperçues. Les évènements n’ont laissé aucune trace dans les rapports et billets des responsables de l’époque ; rien chez Couve De Murville, Debré ou Pisani ; rien dans les mémoires du général De Gaulle.
La commission d’enquête demandée au Sénat par Gaston Defferre au gouvernement de Michel Debré ne vit jamais le jour, retardée puis devenue inutile après l’amnistie de 1962. Certains policiers qui avaient tenté d’intervenir dans l’immédiat sous forme de tracts et d’adresse à la presse (le Groupe de policiers républicains) furent censurés et révoqués. Ce n’est qu’en 1997 qu’à la demande du gouvernement Jospin un rapport rédigé par un conseiller d’Etat, Dieudonné Mandelkern, conclut à « plusieurs dizaines » de morts. Les chiffres furent réévalués jusqu’à 288 morts et disparus, estimation finale compliquée à établir puisque « La brigade fluviale de la seine a brûlé toute sa documentation ancienne » dit le rapport. Des témoignages de policiers (Roger Blanc et Claude Toulouse) ne furent légalement enregistrés qu’en 1998 lors du procès que Maurice Papon intenta à l’historien J.L. Einaudi pour diffamation du fait de sa présentation du rôle du préfet lors des manifestations du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962. Les informations judiciaires ouvertes par la justice en 1961 et 1962 ont toutes été closes par des non-lieux. Toutes sauf deux : engagées par le ministère de l’intérieur ou des policiers pour « diffamation », elles ont abouti à la condamnation de trois journaux qui avaient qualifié de « crimes » les évènements du 17 octobre.
Jacques Panijel, entré en résistance en 1940 (à 19 ans), était par formation biologiste, chercheur au CNRS et très engagé dans les combats politiques et philosophiques de son temps. Il fonda avec Pierre Vidal-Naquet et le mathématicien Laurent Schwartz, le Comité Maurice Audin, exigeant la vérité sur la disparition d’un professeur de mathématiques de la faculté d’Alger arrêté par les parachutistes en juin 1957. Il fut signataire en 1960 du Manifeste des 121 artistes et intellectuels français pour le droit à l’insoumission en Algérie. Auteur aussi de romans (La rage, 1948), de pièces de théâtre (Le baladin du monde occidental), scénariste de cinéma (La peau et les os, prix Jean Vigo en 1961) avant d’être conduit par les circonstances à réaliser son unique long-métrage, Octobre à Paris, dans l’urgence des évènements.
Le film fut tourné clandestinement, à chaud, sous la forme d’un documentaire composite. Les conditions de collecte des témoignages ont conduit à un film sobre, en noir et blanc, qui cherche à témoigner d’une tragédie autant qu’à la rendre compréhensible. Entrepris clandestinement dès la fin du mois d’octobre 1961, tourné jusqu’en mars 62 et mêlant photos d’Elie Kagan, plans des bidonvilles de Nanterre, du centre de torture de la rue de la Goutte-d’Or et reconstitution de scènes de préparation, Octobre à Paris retrace la chronologie longue de cette manifestation et de sa répression sous l’autorité du préfet Papon. Le film interroge ainsi un grand nombre de victimes et témoins directs qui reviennent sur les faits (fusillades, tabassages, noyades, internement, interrogatoires et tortures), identifient les acteurs du drame et les lieux qui ont permis d’enfermer et de torturer, des caves de la Goutte d’or au Parc des expositions de la porte de Versailles. Malgré l’interdiction, Octobre à Paris fut présenté à Paris pendant les évènements de mai 68 en même temps que La Bataille d’Alger de Pontecorvo (censuré avec plus ou moins de zèle jusqu’en 2004). Mais le film de Panijel ne reçut son visa d’exploitation qu’à l’issue d’une grève de la faim entamée en janvier 1973 par René Vautier pour exiger «la suppression de la possibilité, pour la commission de censure cinématographique, de censurer des films sans fournir de raisons ; et l’interdiction, pour cette commission, de demander coupes ou refus de visa pour des « critères politiques » avec le soutien de Claude Sautet, Alain Resnais, Robert Enrico…Le réalisateur refusa pourtant de montrer son documentaire s’il ne pouvait lui ajouter une préface filmée collective, permettant de recadrer le film dans son contexte. L’opération nécessitait des subventions qui ne furent pas trouvées du vivant de Panijel.
« Un avant-propos de 15 minutes pour expliquer le contexte de l’époque, remettre en perspective la guerre d’Algérie et ce déchaînement de haine raciste qui s’est abattu sur les manifestants » put finalement être ajouté conformément aux souhaits de Panijel par l’écrivain et réalisateur Mehdi Lallaoui (réalisateur sur la même répression du 17 octobre du film Le Silence du fleuve). La polyphonie voulue par Panijel en est assurée par témoins directs, historiens ou avocats. Jacques Panijel est décédé le 12 septembre 2010 à Paris d’une défaillance cardiaque sans avoir vu son film projeté depuis la projection illégale de 1968.
Sur le web
Octobre à Paris est diffusé en salles la même semaine qu’un autre documentaire traitant exactement du même sujet : Ici on noie les Algériens de Yasmina Adi. Plus de quarante ans séparent cependant la réalisation des deux films, ce qui peut rendre leur comparaison fort intéressante : le premier fut réalisé à l’époque et présente donc une vision « à vif » du sujet, tandis que le second bénéficie d’images d’archives et du recul du temps passé.
Dans la mesure où il remettait en cause l’autorité française et présentait des actes considérés comme illégaux, Octobre à Paris fut réalisé de manière clandestine et financé par des organisations souterraines telles que le Comité Audin ou le FLN. Pour les mêmes raisons, il n’obtint son visa d’exploitation qu’en 1973 (malgré des projections à Cannes et à la Mostra de Venise dont personne n’a parlé), après que le cinéaste René Vautier ait entamé une grève de la faim pour soutenir le documentaire.
Avant de se charger lui-même du projet, Jacques Panijel se mis en charge de trouver un réalisateur de renom susceptible d’apporter son prestige au film et ainsi de lui assurer une certaine visibilité. Aussi a-t-il lancé une offre à des cinéastes aussi bien français d’internationaux… mais aucune réponse ne lui parvint. C’est pourquoi il se glissa lui-même derrière la caméra, malgré une expérience plus que limitée dans ce domaine.
S’il traite de plusieurs évènements distincts, le cœur du documentaire reste la manifestation du 17 octobre 1961. Or, aucune vidéo de cette dernière n’existe ! D’où la question à laquelle fut confronté le réalisateur : comment refaire vivre cet évènement dont aucune image n’est disponible ? Par des photographies, bien sûr, ainsi qu’en faisant témoigner des acteurs de premier plan de la manifestation, le tout rendu dynamique par la magie du montage. A cela, le cinéaste a ajouté une autre option bien plus originale (bien que contestable sur le plan historique), à savoir la reconstitution a posteriori : « J’ai demandé à ceux qui avaient rapporté ces instructions au bidonville de Gennevilliers s’ils voulaient bien recommencer la scène qu’ils avaient vécue. On a tourné cela au petit matin. On a reconstitué la réunion de la cellule, les instructions qu’ils ont données d’emprunter tel ou tel chemin, d’emmener aussi les femmes et les enfants« , explique-t-il.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
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