Samedi 23 février 2019 à 20h30 – 17ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Pier Paolo Pasolini, Italie, 1964, 1h44, vostf
Film tourné dans les Studios de l’Atlas (Ouarzazate)
Dans une famille bourgeoise de Lombardie des années vingt, un enfant naît, Oedipe. Jaloux de l’amour que lui porte sa femme, son père l’abandonne. Devenu adulte, Oedipe, ignorant sa véritable identité, tue son père et s’éprend de sa mère sans savoir qui elle est.
Notre article
Par Bruno Precioso
L’exigence pasolinienne en matière de création artistique ne saurait prendre quiconque au dépourvu : là comme en toute chose le poète pose ses conditions où l’esthétique se confond avec l’éthique, l’éthique avec le politique, le politique avec le poétique. Et en 1967 c’est au théâtre que la question du politique se pose sans détour, qu’il soit de Sophocle ou de Brecht : « Le théâtre difficile est objectivement bourgeois, car le théâtre difficile est réservé à une élite pratiquante ; seul le théâtre très difficile est véritablement démocratique… » Dans ces années paradoxales en Italie, l’intensité de l’engagement de Pier Paolo Pasolini n’a d’équivalent que dans sa difficulté à poser ses bagages de créateur en quelque lieu que ce soit, fût-ce la trépidante Cinecittà de l’âge d’or. Il arrive à Rome à 28 ans, pétri de peinture : son modèle de représentation, c’est celui de Masaccio, de Giotto : sacralité, frontalité, séparation du fond et du personnage. Avec le temps des déceptions il manifestera un rejet radical de la culture de masse et de toute récupération consumériste, choisissant par réaction une forme de cinéma cryptée, aristocratique, qui travaille la métaphore et le mythe.
Pasolini : poésie e(s)t cinéma
L’intérêt de Pasolini pour le mythe et la tragédie grecs remonte au début des années 1940. Le jeune poète âgé alors de 18 ans trouve dans la poésie lyrique grecque antique une langue renouvelée pour sa poésie. Il traduit des poèmes, se penche sur les héros tragiques, acclimate l’esprit de l’Antiquité ; en sortira un Œdipe à l’aube, resté inédit, mais qui trouvera sans doute ici de fantomatiques échos. Pasolini ne reviendra à la question du mythe et de la tragédie qu’en 1959, lorsque Vittorio Gassman lui demande une traduction de l’Orestie d’Eschyle pour le Théâtre de Syracuse. Là encore, il faut se coltiner au texte ; texte grec, qu’il lit assez bien ; traduction poétique surtout, qui est sa langue natale. Son œuvre littéraire foisonnante l’a déjà rendu central dans une vie culturelle bouillonnante, mais ce travail théâtral marque une charnière, la bascule vers la décennie de la plus grande vitalité artistique pour Pasolini. « Pasolini, c’est la langue avant tout. Il passe de la poésie au roman, du frioulan à l’italien. A quarante ans, il se dit qu’il a besoin d’une autre langue et passe donc au cinéma, pour raconter les obsessions qu’il a depuis l’âge de 7 ou 8 ans. Il choisit le cinéma parce qu’il sent qu’il y a là quelque chose de plus universel » écrit Bertrand Bonello. Et il est vrai qu’Accatone en 1961 est souvent présenté comme le geste génial d’un néophyte absolu. Pourtant, dès son arrivée à Rome en octobre 1946, Pasolini s’inscrit à Cinecittà pour y être figurant, brûlant de pouvoir observer les plateaux de tournage. Poussé par la misère, aussi. Comme scénariste il travaille beaucoup – 13 scénarios en 6 ans – et collabore notamment avec Fellini, qui lui confie les dialogues des Notte di Cabiria (1957), ceux de la Dolce vita et se proposera même de produire Accattone, avant de renoncer. Formation d’autodidacte sans doute, mais pas si étrangère au cinéma qu’on aime à la rêver donc… étrangère en revanche à la logique de carrière autant qu’à celle d’emploi dans une structure rigide : Pasolini n’est pas homme de studio, au contraire d’un Fellini qui finira par se confondre presque avec le destin de Cinecittà. Le frioulan est un créateur que le l’espace inspire, que la rencontre d’autres peuples nourrit : Afrique noire, Tunisie, Maroc, Yémen sont ses horizons, et même lorsqu’il tourne en Italie il préfère le sublime dénuement de Matera pour son Evangile ; le réel cru pour décor. Sans interrompre jamais sa carrière de romancier et de poète il réalise 24 films en 15 ans. Ses études d’histoire de l’art lui font faire un constant parallèle entre peinture et cinéma : « J’ai choisi le Maroc pour Œdipe, parce qu’il n’y a là-bas que peu de couleurs — ocre, rose, brun, vert, le bleu du ciel, cinq ou six couleurs seulement 21 pour impressionner la pellicule. Pour faire vraiment un beau film en couleurs, il est nécessaire d’avoir un an, un an et demi, pour choisir les bonnes couleurs correspondant à chaque image et celles dont on a vraiment besoin, non pas la vingtaine ou la trentaine qu’on trouve toujours au cinéma. » Le choix de Ouarzazate ne relève pas pour autant de la prise de risque inconsidérée : le Maroc est depuis les années 1950 une terre de cinéma de plus en plus inscrite comme une alternative aux studios, qu’ils soient américains ou européens, dès 1952 quand Welles y tourne son Othello ou Becker Ali Baba (1954). Par la suite les productions d’ampleur s’enchaînent (Hitchcock pour L’homme qui en savait trop en 1956, David Lean avec Lawrence d’Arabie en 1962…) au point qu’avec les années 1980, l’expérience accumulée implantera de vrais studios sur les lieux de ces tournages, qui permettront à Bertolucci ou Scorsese de marcher dans les traces de l’Œdipe orphelin depuis 1975 : les Studios Atlas toujours actifs aux portes du désert.
« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger » ou la fraternité archaïque
Tourner en Afrique n’a pourtant pas pour Pasolini le même sens que pour Welles : là où d’autres réalisateurs viennent chercher des tournages économiques et de la couleur locale, l’Italien est en quête d’une terre d’accueil pour la vitalité mythique. Pour Œdipe il avait d’ailleurs pensé à la l’Europe de l’Est (son repérage en Roumanie laisse la trace sonore de chants traditionnels) avant de se tourner vers des terres moins labourées par le productivisme. Les mythes suivants, Médée, et son Orestie réalisés entre 1968 et 1970 seront donc africains. Car l’intérêt de Pasolini pour le mythe grec, à rapprocher de son intérêt plus général pour les cultures prémodernes, n’est en aucun cas une transposition respectueuse d’un texte sacralisé : sa réécriture des 3 mythes grecs les plus féconds suit 3 axes éminemment personnels : psychanalytique, anthropologique, politique ; et son Œdipe inaugure donc ce pan de l’œuvre, par le prisme autobiographique – ou pour mieux dire auto-analytique. Inutile donc de chercher une adaptation des tragiques dans cette trilogie du mythe. Ici Sophocle ne reçoit qu’un quart de l’espace narratif ; comme dans Médée le texte est moins que secondaire (« d’Euripide, je me suis tout simplement borné à en tirer quelques citations. »), et dans Oreste carrément effacé, l’objet est ailleurs : « Je raconte l’histoire de mon propre complexe d’Œdipe. Je raconte ma vie mystifiée, rendue épique par la légende d’Œdipe. » Dans ce 6e long-métrage se trouve comme en précipité toute l’ambiguïté, le ‘‘magma stylistique’’ pour reprendre le mot du poète. Perte non pas seulement de l’enfance, du passage à l’âge adulte ; mais également disparition du monde des prolétaires, qui subissent les évolutions géopolitiques, la transformation de leurs repères et de leur paysage familier, sans pouvoir rien choisir, rien refuser. Terreur enfantine, amertume historique, inquiétude politique, angoisse existentielle. C’est la raison pour laquelle le mythe est éminemment un sujet pasolinien ; le mythe et la culture non comme une « richesse capitalisée et arrêtée à un temps donné de l’histoire humaine » (Didi-Huberman), mais comme une condition de la (re)création, la redécouverte d’une énergie archaïque : jeunesse du mythe, non pour sa prétendue valeur universelle, mais pour sa capacité à émaner du peuple, intéresser le peuple au sens premier. C’est l’une des raisons pour lesquelles, malgré la disparité de l’ensemble de son œuvre cinématographique, on reconnaît d’emblée un film de Pasolini, en particulier par son souci porté sur les visages, les corps, les voix. Là s’originent certains aspects propres à son écriture filmique, son rapport à la musique, son soin des costumes, des visages et des lieux qui ont pour lui valeur de convocation du réel. Au filtre cinématographique, à ces corps progressivement dévorés par la rationalité, normalisés, il oppose une élégie du désert et des visages.
Sur le Web
«…Avant le film, la seule trace importante, mais longtemps méconnue et secrète, est une pièce de jeunesse, écrite à 20 ans en 1942 : Œdipe à l’aube. Ce texte est d’autant plus méconnu que, pour des raisons de droit, la seule version complète qui a été publiée l’a été en français, dans une traduction que j’ai signée avec Caroline Michel, après que j’ai eu l’occasion de la reconstituer d’après ses divers manuscrits originaux. Cette pièce est magnifique, dans une langue très lyrique et poétique, encore théâtrale cependant. Lorsque la pièce commence, Œdipe a les yeux crevés et Jocaste s’est déjà pendue. Nous sommes au petit matin et une nouvelle histoire débute, dont le personnage principal est Ismène, centrée sur d’autres turpitudes. Nous pouvons évidemment penser à Œdipe à Colone mais ici le récit a été complètement réinventé par Pasolini. Nous pouvons cependant en retenir des passages d’une beauté stupéfiante, avec des métaphores d’une richesse inouïe, sur l’écoulement du sang notamment. Il s’agit du sang des générations, celui qui se transmet, celui qui coule avec l’héritage tragique de la faute qui circule. Par exemple, ces quelques vers tirés de l’acte II – dans Théâtre 1938-1965, pp. 65-66 : « So che le mie vene bevvero / al sangue di Giocasta. / Ma come dardi / passano i corpi le gocciole / del sangue ; e il tempo miete la carne e la purifica », que nous avons traduit : « Je sais que mes veines burent / au sang de Jocaste. / Mais comme des dards, / les gouttes de sang passent / dans les corps ; et le temps moissonne / la chair, et la purifie »). C’est essentiel car cette création préfigure le thème du sang dans Œdipe roi et c’est aussi et surtout dans ce sens qu’on peut comprendre la fidélité de Pasolini à Œdipe.
En ce qui concerne le trajet du sang, la comparaison du scénario et du récit tel qu’il a été tourné, filmé et monté est éclairante. Les différences sont nombreuses et toujours significatives. Par exemple, la mort de Laïos : le scénario l’explique très logiquement. Le char de Laïos se trouve sur un sentier escarpé, coincé entre des rochers et un précipice, Œdipe peut tuer tous les personnages présents parce que le char est bloqué par la topographie des lieux. Dans le film, c’est le désert qui prédomine. Il s’agit certainement d’une influence poétique et philosophique qui a transité par Hölderlin et Nietzsche, mais pas seulement, il s’agit aussi d’une décision dramatique et plastique.
Autre exemple, qui nous ramène au sang : dans le scénario, Œdipe jette simplement une pierre sur le front du père et le sang doit couler sur les yeux du père. Cet écoulement est absent du film et la présence du sang se retrouve au contraire à la fin par les larmes de sang séchées sur le visage du fils après qu’il s’est crevé les yeux avec la fibule de la tunique de Jocaste. Ce déplacement, nous pouvons l’interpréter comme une autre circulation du sang, d’une génération à une autre, du père au fils. De même, le caillou sur le front a disparu et à la place, Œdipe jette des cailloux sur les genoux des gardes. Il s’agit d’un retour, probablement inconscient, à une expérience autobiographique fondamentale, qui a été racontée à une ou deux reprises par Pasolini : il s’agit d’un souvenir d’une excitation considérée rétrospectivement comme homosexuelle par une auto-psychanalyse sauvage du Pasolini adulte, liée aux tendons raidis derrière les genoux des jeunes hommes. Cette importance de la sexualité se retrouve dans le choix des figurants qui jouent les gardes.
En fait, Pasolini s’intéresse moins au personnage qu’à son histoire. Œdipe est celui qui recherche quelque chose sur lui-même, il ne cesse de chercher douloureusement la vérité. En cherchant le criminel, il se trouve lui-même. J’ai appelé ce mouvement si pasolinien une « egophanie », après avoir trouvé ce terme chez Clément Rosset, qui lui-même citait Vernant et Vidal-Naquet. Eschyle joue sur le double sens des deux mots grecs « egô phanô » : « je mettrai en lumière ». On peut comprendre aussi : « c’est moi que je révèlerai », et c’est bien sûr Œdipe qui prononce ces deux mots lorsqu’il décide d’enquêter sur le criminel qui, selon l’oracle, apporte la peste à la cité par la souillure qu’il représente…» (Propos de Hervé Joubert-Laurencin l’un des meilleurs connaisseurs français de l’œuvre de Pier Paolo Pasolini, recueillis par Jean-Marie Samocki/ecolesdeslettres.fr)
«De l’aveu même de Pier Paolo Pasolini, Oedipe roi est son film le plus autobiographique. La légende d’Oedipe lui permet d’aborder la relation particulière qu’il entrenait avec sa mère sous l’angle de la fiction.
Pour interpréter le rôle principal du film, Pier Paolo Pasolini fait appel à Franco Citti, manière d’alter ego du réalisateur. En 1961, Pasolini avait déjà dirigé le comédien dans Accatone, et deux ans plus tard, dans Mamma Roma. Franco Citti retrouvera le cinéaste à quatre occasions, notamment pour Les Mille et Une Nuits.
Premier film d’une trilogie qui comprend Médée et une version inachevée de l’Orestie, Œdipe roi livre une relecture à la fois singulière et fidèle du célèbre mythe antique. Le film se structure autour de trois parties : la première, ancrée dans l’Italie des années 20, est indéniablement autobiographique et freudienne. On y assiste à la naissance d’un enfant aussi choyé par sa mère -inoubliable Silvana Mangano- qu’il est détesté par son père, un officier italien. Pasolini transpose là sa propre histoire qui aboutira, comme on le sait, à une rupture définitive avec son géniteur, en 1950. Le film s’attarde ensuite, à travers une longue séquence tragique et onirique, sur le destin de l’enfant aux « pieds enflés », promis à une mort terrible dans le désert, recueilli par Polybe, roi de Corinthe et son épouse Mérope.
Devenu un jeune adulte fort et vigoureux, Œdipe fuit la ville qui l’a vu grandir, après que l’oracle de Delphes lui a annoncé qu’il tuerait son père et épouserait sa mère. Ici, le parti-pris de Pasolini n’est pas de restituer avec réalisme ce que fut l’Antiquité grecque : les décors choisis pour le tournage sont ceux du désert marocain, les protagonistes ne portent pas des vêtements qui les ancrent dans une culture et une époque précises, même si nombre d’entre eux, comme le masque du Sphinx, réfèrent plutôt à l’art africain. L’errance du héros tragique, fuyant la fatalité, le mène jusqu’à une troupe de voyageurs avec qui il se querelle et qu’il tue un à un, dans une rage expressionniste formidablement incarné par l’acteur fétiche de Pasolini, Franco Citti.
La suite du film reste fidèle au double sens du mythe, qui se déploie comme une enquête policière et un long chemin de croix expiatoire. La marmoréenne Jocaste éclate de rire lorsqu’il ne le faudrait pas, Œdipe hurle l’horrible réalité aux oreilles de sa mère dans le lit conjugal : la légende œdipienne cristallise un monde totalement déréglé dans lequel les identités sont totalement troublées. Au bras de son fidèle Angelo -joué par un autre acteur favori de Pasolini, Ninetto Davoli- Œdipe, devenu aveugle, traverse le miroir du temps pour parvenir jusqu’au Bologne des années 60, nanti de la flûte de Tirésias, incarnant le devin qu’il avait auparavant rejeté. Cette dernière partie évoque implicitement la place de l’artiste dans la cité, interroge aussi son rapport au monde. Il n’est pas surprenant que, sensible à la condition ouvrière, le réalisateur italien s’attarde sur une sortie d’usine. Il n’est pas étonnant, non plus, que le personnage condamné à jouer de la musique en solitaire, tandis qu’Angelo s’amuse avec des pigeons, soit ostensiblement ignoré par des flâneurs bourgeois. Mais au-delà de ces lectures symboliques, qui empruntent à une lecture politique du mythe, le film s’avère tout simplement une formidable réussite esthétique.» (avoir-alire.com)
«Condamné à mort dès sa naissance à Thèbes, puis jeune homme à la recherche de son origine à Corinthes et fuyant la révélation de l’oracle de Delphes, Oedipe croit enfin avoir trouvé sa place, royale, alors que, parricide et incestueux, il a transgressé les pires tabous. Ayant prononcé lui-même sa condamnation à l’exil, il erre de nouveau ne trouvant le repos que dans la mort, près d’Athènes. Pasolini fait sien ce destin tragique de l’Oedipe roi de Sophocle, un homme condamné à chercher sans cesse. Il le représente dans une longue marche dans des espaces géographiques et historiques les plus éloignés. Il traduit le texte, se représente lui-même à un moment clé et n’hésite pas à traiter de sa propre histoire dans le prologue et l’épilogue ; le tout englobé dans la dimension panthéiste que Sophocle a donnée à sa dernière œuvre, Oedipe à Colone.
Le film débute ainsi par un accord merveilleux de l’enfant avec la mère, avec l’imaginaire de la terre natale auquel succède la dimension symbolique de la loi du père, de la patrie avec, pour contrepartie, l’arrachement au bonheur mais aussi la liberté créatrice. Pasolini affirme cette liberté en faisant intervenir d’autres formes de sacré auxquelles il est sensible. Il en appelle aux mondes archaïques avant d’aborder le texte de la pièce de Sophocle. Celle-ci, qui n’occupe que 40′ du film, ne saurait constituer un modèle, une conclusion en elle-même. L’adulte erre ainsi ensuite entre connaissance et art (la flûte), proximité avec les prolétaires et le jeu (le football). Parce que son existence demeure irréconciliée avec ses aspirations, tragique, seule la mort l’unira au grand tout, bouclant ainsi un grand retour vers l’accord universel ayant présidé à sa naissance.
En apparence, le film est articulé en trois volets. Un prologue situé dans les années 20 en Italie par lequel Pasolini introduit dans son récit une note autobiographique. Le « volet Sophocle » nous plonge dans un Maroc de déserts blancs et rocailleux, une Afrique qui renvoie à la sauvagerie de la Grèce mythologique et à l’esthétique d’un Pasolini hanté par la culture populaire, primitive, avec ses teintes ocres et sang séché, ses armures de quincaillerie et ses masques de coquillage et de raphia. Le troisième volet, dans l’Italie de 1967, situe Oedipe dans un schéma social et politique contemporain de la sortie du film…
Dans la partie 2, la plus longue du film, 50′, Pasolini reprend l’ordre chronologique du mythe en se basant en grande partie sur ce qui en est rappelé dans le texte de Sophocle raconté au passé : scène d’exposition du bébé sur le Cithéron (v. 715-719), rencontre du serviteur de Laïos et du berger corinthien, qui emporte le bébé (v. 1133-1179), vie à Corinthe chez le roi Polybe (v. 774 et suivants), consultation de la Pythie à Delphes (v. 787-793), rencontre avec Laïos, sur son chariot tiré par des pouliches, à l’endroit où la route fait une fourche (v. 800-813), victoire remportée sur la Sphinx, peuple et campagne à Thèbes consumés par la pestilence.
Pasolini a toutefois procédé à quelques changements mineurs vis à vis du texte de Sophocle. Oedipe n’est pas donné par l’esclave au berger avec commandement d’en prendre soin mais seulement laissé au bon soin de celui-ci, les deux hommes ne faisant que se croiser en marchant. Oedipe n’a pas son premier doute sur ses origines après un banquet trop arrosé mais suite à une tricherie au lancer du disque.
Pasolini consacre aussi de longues minutes à la fuite d’Oedipe de Delphes vers Thèbes. Sont inventés l’épisode de la halte pour un mariage et l’épisode des chanteurs et danseurs conduisant Oedipe près de la couche d’une jeune femme au fond d’un labyrinthe.
Pour les costumes, Pasolini a voulu mêler la culture africaine ancienne, l’antiquité sumérienne, et la tradition aztèque, le tout dans un décor maghrébin (Le Maroc) au son de chants roumains, arabes et japonais. Il s’agit donc de ce qu’il tient pour une « préhistoire » absolument fantaisiste -au sens fort du mot-, et onirique. Car toute cette de l’œuvre a été, selon Hervé Joubert-Laurencin, considérée par l’auteur comme un long rêve. Ce qui n’est peut-être indiqué formellement que par la vision d’Oedipe se voyant seul après l’oracle alors que les plans objectifs le montrent toujours entouré par la foule.
Même problématique intériorisé pour ce qui est du combat avec la Sphinx. La question qu’elle lui pose est loin de celle retranscrite dans l’anthologie Palatine et qui appelle « l’homme » comme réponse. Ici, la Sphinx lui pose une question bien moins abstraite qui renvoie directement à sa situation : « Une énigme assombrit ta vie. Quelle est-elle ? » « Je ne veux pas savoir » répond fermement Oedipe brandissant son arme devant la Sphinx qui lui clame qu’il n’y peut rien. « Je ne veux pas savoir, je ne veux pas t’entendre » répète Oedipe en rejetant la Sphinx dans l’abime qui déclare, avant de disparaitre : « L’abime dans lequel tu veux me rejeter est au plus profond de toi« .» (cineclubdecaen.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso
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