Osen la maudite



Samedi 31 mars 2012 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film  de Noburu Tanaka – Japon – 1973 – 1h19 – vostf

Deux soirées exceptionnelles en présence de Agnès GIARD.

A la croisée de l’art et de l’anthropologie, Agnès Giard décrypte la culture japonaise sous un angle inédit. Résidente à la Villa Kujoyama en 2010, elle publie « Les Histoires d’amour au Japon« , en mars 2012. Agnès Giard mène depuis 1997 des recherches sur la logique esthétique et mythologique qui sous-tend les manifestations parfois surprenantes de la modernité japonaise. Pour comprendre certains phénomènes de mode ou de société, elle les restitue dans un contexte mythologique et s’attache à décrypter le sens des images véhiculées par la culture populaire en les replaçant dans une perspective historique et esthétique.[1]

Agnès Giard signera son nouveau livre, Les Histoires d’amour au Japon, à la Librairie Masséna, samedi 31 mars (16-18h).

Hier grande courtisane de Yoshiwara, Osen n’est plus aujourd’hui qu’une prostituée des bas-fonds surnommée “Osen la maudite”. Tombée dans l’enfer des prostituées, elle a su pourtant garder sa fierté de grande geisha et affronte sa destinée avec une vaillance surhumaine.

Sur le web

Maître incontesté du roman porno Nikkatsu au même titre que Tatsumi Kumashiro, Noboru Tanaka est surtout cité pour son exceptionnel portrait en huis-clos étouffant des mythiques amants jusqu’au-boutistes de La véritable histoire d’Abe Sada} (1975). Il est également connu pour son splendide Marché sexuel des filles (1974), tourné en extérieurs à Kamagazaki, et son adaptation de l’univers ero-guro d’Edogawa Rampo La Maison des perversités (1976). Alors que la récente édition d’un inédit, le sadien Bondage (1977), est venue compléter l’esquisse d’une œuvre ayant sut résister à l’érosion d’un genre jusqu’à son dernier sursaut avec Monster Woman ’88 (1988).

Osen (Rie Nakagawa), jadis courtisane de luxe à Yoshiwara, le plus célèbre quartier de plaisirs d’Edo, n’est désormais plus qu’une simple “jorô” (prostituée de rue) arpentant les bas fonds de la ville ; victime de sa réputation suite à la mort suspecte de trois de ses anciens clients. Flanquée de Tomizo (Akira Takahashi), un mari joueur, buveur et voleur qui n’hésite pas à la vendre au plus offrant, elle affronte l’existence avec la grâce résignée due à son ancien rang. Croisant un jour la route d’un jeune marionnettiste de bunraku  qui tombe éperdument amoureux d’elle, l’espoir d’une vie meilleure à laquelle elle refuse de croire semble se dessiner à l’horizon…

Avec Osen la maudite, Tanaka poursuit une exploration de la beauté convulsive de ces femmes pleines de vitalité dont l’expressivité amoureuse ne souffre d’aucune limite, pas même la mort (…) Véritable esthète et maître de la couleur, Tanaka, qui bénéficie encore à l’époque des fastueux décors et costumes du studio Nikkatsu, de par sa mise en scène fluide et inventive, théâtralise magnifiquement cette créature de mauvaise vie, qui ne se départ jamais de sa dignité malgré les pires humiliations.Si Osen n’était aussi décomplexée dans ses débordements érotiques en phase avec l’époque, on pourrait presque la confondre avec l’une des tragiques héroïnes de Mizoguchi. Mais en réalité, de par sa marginalité en rupture avec la société, son réalisme désenchanté et l’instrumentalisation assumée de son corps comme expression libertaire, Osen serait plutôt cousine des femmes d’Imamura. N’oublions pas que Tanaka fût assistant sur le premier film indépendant du maître, Le pornographe (1966), véritable manifeste du plaisir sexuel.

L’autre trace d’influence significative chez Tanaka, s’exprimant davantage d’un point de vue esthétique, fût celle de Seijun Suzuki, auprès de qui il fût également assistant sur Histoire d’une prostituée (1965) et Histoire d’Akutaro, né sous une mauvaise étoile (1965) ; sans oublier sa présence préalable dans les renforts de La barrière de chair (1964). Ainsi l’on retrouve ce sens de la théâtralité qui transpire, notamment dans le superbe travelling latéral décrivant le retour miraculeux à la vie de Tomizo que l’on croyait mort après avoir été projeté d’une falaise. Celui-ci tel un revenant, le doigt amputé encore saignant, avance, hagard, devant les corps terrifiés, abattant les cloisons des fusuma à reculons, finissant par s’empiler au fond de la pièce baignée d’un clair obscur, dans un enchevêtrement de chair grotesque et surréaliste. Tanaka par ce moment de bravoure montre aussi qu’il est un véritable cinéaste d’intérieur, se jouant habilement dans sa mise en espace des limites du confinement pour exprimer l’intimité suffocante de lieux clos. On y retrouve également le motif récurrent du voyeurisme cher à l’auteur de La Maison des perversités.

Osen la maudite, bien que déjà son huitième film, se rattache aussi par certains aspects aux débuts du cinéaste, fortement marqués par l’empreinte du surréalisme français qu’il cultive avec bonheur. Ainsi la superbe séquence onirique scellant la rencontre amoureuse entre le jeune marionnettiste vierge, devient un théâtre d’ombres et de formes onirique dans lequel se confond fantasme du jeune homme, désirant une femme à l’image d’une poupée, et représentation d’une pièce classique du bunraku, dans un jeu de substitution des corps et des formes parfaitement restitué par le montage.

A l’instar du coït final de Tomizo et Osen, l’érotisme de Tanaka tient davantage de Bataille, chez qui l’expression ultime s’épanouit dans la mort, que des jeux de cordes de bourgeois complexés en mal de turpitudes d’un Masaru Konuma. Les qualités plastiques même d’Osen la maudite participent à mettre en scène cet érotisme, dont l’expressionnisme cherche constamment à fuir la médiocrité du réel (…) Osen la maudite est aussi l’occasion de découvrir l’actrice Rie Nakagawa, recrutée dans le milieu du cinéma pink l’année précédente, et qui fît ses débuts à la Nikkatsu dans le premier film de Tanaka dans le rôle d’une épouse frigide à la sexualité tourmentée dans Goutte sur pétale (1972). Moins emblématique que Mari Tanaka ou charnelle que Junko Miyashita, sa beauté classique convient pourtant parfaitement à l’incarnation du monde flottant d’Edo, tout droit sortie d’une estampe, arborant un large visage d’une rondeur potelée et portant avec élégance la coiffure sophistiquée des courtisanes.

Film essentiel à la filmographie de Tanaka même s’il n’en est pas le chef d’œuvre, Osen la maudite conjugue avec maestria sexe et mort, violence et passion, souillure et pureté, beauté et laideur, tristesse et mélancolie dans un halo onirique et fantastique caractéristique du style Tanaka. Un indispensable destiné autant au curieux qu’au passionné. (Dimitri Ianni pour Sancho does Asia, revue électronique des cinémas d’Asie et d’ailleurs)

[1] Doctorante (LESC) à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Agnès Giard a écrit plusieurs ouvrages de références sur la culture japonaise. Son premier ouvrage,{ L’Imaginaire érotique au Japon}, propose une grille d’analyse inédite de la société japonaise : par le biais de son rapport au corps, au sexe et au sacré. Suivent un Dictionnaire (“{Les 400 mots-clés de la culture japonaise}”) puis un livre de design répertoriant les objets de culte, les gadgets ou les outils les plus révélateurs de la psyché japonaise. Résidente en 2010 à la Villa Kujoyama, Agnès Giard publie ensuite sous l’égide du Ministère des Affaires Étrangères une anthologie critique des histoires d’amour les plus révélatrices de la culture japonaise. En 2011, elle entame une thèse d’anthropologie consacrée aux objets anthropomorphiques japonais, afin de pouvoir continuer ses recherches dans un cadre universitaire. Elle a aussi présenté de nombreuses conférences et rédige un blog associé au site du journal Libération, « Les 400 culs », dédié à la sexualité et à l’érotisme. (http://www.japinc.org/, http://agnesgiard.over-blog.com/, http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


Partager sur :