Vendredi 28 juin 2019 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Julien Duvivier – France – 1947 – 1h31
Monsieur Hire est un homme que les villageois jugent comme bizarre et presque inquiétant. Lorsqu’un crime est commis, le vrai coupable cherche donc à faire porter le chapeau à ce coupable idéal.
Notre Article
par Josiane Scoleri
Panique est un film qui a connu une longue traversée du désert. Mal reçu à sa sortie, par la critique comme par le public , tombé aux oubliettes du temps de la Nouvelle Vague qui vouait aux gémonies « la qualité française », Panique a refait surface avec la réhabilitation, relativement récente de Julien Duvivier, mais demeure nettement moins connu que Pépé le Moko, La belle équipe (1936) ou Voici le temps des assassins (1956) pour ne citer que trois de ses titres emblématiques. Pourtant, le film est un véritable bijou de cinéma.
Panique est une sorte de kaléidoscope où se retrouvent une lumière très travaillée, capable à elle seule de créer une atmosphère, un scénario impeccable qui s’appuie sur des dialogues et un montage sans le moindre temps mort, une galerie de portraits du petit peuple qui aurait tout pour être sympathique et s’avère atrocement franchouillard – c’est très certainement ce qui n’est pas passé à l’époque – et des acteurs qui sont tous excellents avec, à tout seigneur, tout honneur, une mention spéciale pour Michel Simon à la fois inquiétant et tendre dans un registre où on ne l’attend pas forcément. Panique, c’est aussi un film de studio, clairement annoncé comme tel, avec ce mélange de reconstitution minutieuse et pourtant de carton – pâte évident ( Bobigny où se passe presque tout le film, ce qu’on appelait encore les faubourgs de Paris, ou la rue de la Montagne Ste Geneviève, qu’on aperçoit brièvement et qu’on reconnaît tout de suite).
Panique, c’est encore un film, où comme toujours dans les grands films, tout est important. Ou plutôt, tout fait sens, même ce qui est à l’arrière plan et pourrait passer pour un simple décor : par exemple, dans le premier plan, la publicité « Tourbillon infernal » sur une camionnette qui passe en fond de scène ou le camion « Tir des nations ». Nous sommes en 1946, il ne faut pas l’oublier. Un clochard au premier plan fouille dans une poubelle et dispute son contenu à un chien. Michel Simon entre dans le champ et prend la scène en photo. Panique, premier film tourné en France après la guerre ne fait pas dans l’euphorie de la Libération. Et si tous les personnages – mis à part celui de M. Hire, joué par Michel Simon – ont cette gouaille savoureuse qui a fait la gloire du cinéma français des années 30, ils vont petit à petit révéler leur étroitesse d’esprit et leur refus de l’Autre. (Hire est l’abréviation de Hirovitch, comme le dira brièvement Michel Simon au flic de service). Duvivier conserve aussi le personnage du petit truand qui plaît aux femmes, mais Alfred n’est pas un voyou au grand coeur comme dans nombre de films d’avant-guerre, c’est une crapule qui ne recule devant aucune manipulation pour arriver à ses fins ( Paul Bernard, toujours excellent dans les rôles de salopard!). Enfin, Alice, le personnage joué par Viviane Romance, est à la fois la femme fatale par qui le malheur arrive ( et souvenons-nous que Duvivier a passé toute la durée de la guerre à Hollywood où film noir rime nécessairement avec femme fatale) et la femme sous influence, incapable de se soustraire à l’emprise d’Alfred. Au milieu de tout ce petit monde, Julien Duvivier installe dès le tout début du film une fête foraine, ce n’est pas anodin non plus et plusieurs scènes-clefs vont s’y jouer, la visite chez la cartomancienne qui ne pouvait pas manquer, la scène d’anthologie des autos-tamponneuses qui préfigure en quelque sorte la fin du film où tous se liguent contre Michel Simon jusqu’à le bloquer complètement. La scène de catch féminin, où l’on peut peut-être voir aussi une métaphore de la lutte intime qui traverse Alice, à son corps défendant. Enfin, le « dernier tour de manège » sur lequel se termine le film, avec un montage alterné de plus en plus rapide vers la révélation finale où le réalisateur a l’habileté de ne pas montrer ce qui n’a pas besoin de l’être. Ponctuent aussi le film toute une série de « petites » scènes qui ont leur pleine signification dans la trame du récit. Aucune n’est là pour faire remplissage. La scène où M. Hire donne une pomme à la fille de la voisine dans la cage d’escaliers de l’hôtel, la phrase énigmatique sur son activité : « Je donne de l’espoir comme les curés et des remèdes comme les médecins », la chanson d’amour chantée par le bateleur, la menuiserie dans la cour de l’immeuble, le garage où travaille Alfred, sans parler de l’île enchantée où M. Hire conduit Alice qui s’appelle « L’île des loups ». Il n’est pas jusqu’au funambule aperçu au début de la fête foraine qui ne fasse écho à la poursuite tragique sur les toits. Tout prend un sens rétrospectivement au fur et à mesure que l’intrigue avance. Le réalisateur a, de fait, un sens infaillible du détail. La mise en scène et le montage se tiennent main dans la main et ne se lâchent pas une seconde, l’un renforçant l’autre sur un rythme qui ne va jamais se démentir. ( Là aussi , l’expérience d’Hollywood aura sans doute été profitable).
Au-delà de l’aspect narratif, les images elles-mêmes sont de toute beauté, savamment éclairées comme on savait le faire à l’époque, avec de plus un travail sur le cadre qui renforce encore l’impact de ce qui nous est donné à voir. Les plongées et contre-plongées, tant dans la phase d’exposition que dans la dernière partie du film, ajoutent à la charge dramatique de la scène et ne sont jamais gratuites. ( cf par exemple, les jeux de regards par la fenêtre entre Mr. Hire et Alice et bien sûr tout le suspense de la fin, dans le va et vient entre la foule massée sur la place et Mr. Hire suspendu dans le vide). C‘est virtuose sans être jamais tape-à-l’oeil. Ça pourrait être une juste manière de caractériser l’oeuvre de Julien Duvivier que l’on a souvent réduit à un bon artisan du cinéma . Il faut dire qu’il pouvait faire le grand écart entre Don Camillo, Golgotha, Carnet de bal ou La fin du jour, ce qui déroutait sans doute autant la critique que les spectateurs. Or, il y a dans ses films les plus personnels un souffle sans esbrouffe, une sensibilité sans sensiblerie, une lucidité qui n’oublie pas d’être tendre, un « climat » comme dit Vecchiali dans son « Encinéçlopédie » en un mot une véritable écriture de cinéma. Panique est de cette trempe là : un film classique qui n’a rien de conventionnel.
Sur le web
Réalisateur à succès dans les années 1930, Julien Duvivier entend à nouveau, avec Panique, conquérir la France qu’il a quittée pour les États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. À sa sortie, l’échec est cuisant ; les critiques comme le public lui reprochent une esthétique datée qui ne convient plus à cette nouvelle époque. «…Tous les éléments du réalisme poétique qui firent le succès de Duvivier avant-guerre sont pourtant là avec ce cadre populaire gouailleur, une certaine dimension féérique dans l’usage du décor réaliste et factice à la fois de cette fête foraine avoisinante et le magnifique personnage maudit qu’est Monsieur Hire. Alors que malgré ses élans de noirceur (ou de positivisme pour la période du Front Populaire), le genre exaltait des valeurs nobles et un certains romantisme, Duvivier inverse ici le propos avec ce film incroyablement âpre et désabusé sur la nature humaine où il adapte très librement Les Fiançailles de M. Hire de Georges Simenon…» (dvdclassik.com). Le film est aujourd’hui considéré comme le plus personnel du réalisateur. Panique s’inscrit dans un contexte d’après-guerre en France où de nombreux films noirs traitent le thème de la vengeance, à la manière des Dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson ou des films de Henri-Georges Clouzot. «…Duvivier a une idée de génie en confiant le rôle à Michel Simon qui, s’il confère certes une certaine étrangeté au personnage, l’isole des autres plus par son détachement presque hautain que par une vraie excentricité (ce vers quoi penche un peu plus la version, portée à l’écran en 1989 par Patrice Leconte sous le titre Monsieur Hire, avec le physique de Michel Blanc)…»(dvdclassik.com)
«…Épaulé au scénario par Charles Spaak qui a également signé des dialogues sarcastiques, Panique marque les retrouvailles du réalisateur avec un auteur qu’il avait déjà adapté quatorze ans plus tôt en réalisant La tête d’un homme, avec Harry Baur en commissaire Maigret. Panique excelle à dépeindre les noirceurs de l’âme humaine, dans une vision qui correspond à la fois à l’univers de Simenon, mais aussi à une constante dans l’œuvre de Duvivier, de La fin du jour à Voici le temps des assassins. Cette approche pessimiste est aussi l’état d’esprit de tout un cinéma français des années 40 et 50, du Clouzot du Corbeau à l’Autant-Lara de La traversée de Paris, en passant par le Clément de Jeux interdits. La petite communauté qui harcèle le photographe misanthrope fait d’ailleurs écho au petit village du Corbeau (1943), composé d’habitants sournois se livrant à la suspicion et la délation. Si le personnage de Hire n’est guère sympathique, la cohorte de riverains acariâtres et intolérants, enfermés dans leurs certitudes et préjugés, compose un tableau peu reluisant de la société française, loin de la solidarité optimiste (bien qu’utopique) qu’avait décrite le cinéaste dans La Belle équipe, film emblématique du Front Populaire. Soupçonné des pires intentions dès qu’il offre des friandises à une enfant ou parce lorsqu’il dédaigne les usages de la courtoisie, M. Hire devient forcément un bouc émissaire, cible facile des auto-tamponneuses mais aussi exutoire d’une foule décontenancée par son érudition et ses airs condescendants. Trop intelligent pour vivre au sein d’une communauté étriquée, Hire ne sera perdu que par sa seule faiblesse : l’amour pur et sincère pour Alice, celle par q
ui le scandale arrive, et équivalent de l’archétype de la femme fatale du film noir. La superbe Viviane Romance incarne cette vamp avec classe et nuances, portant à l’apogée un emploi qui fut le sien pendant des décennies. La mise en scène de Duvivier, manifestement inspirée par un film noir américain alors en plein essor, souligne admirablement le côté vertigineux de ce récit sombre, du panoramique dévoilant les pieds d’un cadavre de femme à la stupéfiante scène finale sur les toits, qui révèle que Duvivier est bien plus que le technicien habile décrit par ses détracteurs. Michel Simon est simplement impressionnant et trouve ici l’un de ses meilleurs rôles. Autour du couple vedettes, les habituels excentriques du cinéma français d’alors ne manquent pas à l’appel, de Max Dalban en boucher médisant à Lita Recio en putain fort peu respectueuse. En 1989, Patrice Leconte réalisera une nouvelle adaptation du roman, Monsieur Hire, avec Michel Blanc et Sandrine Bonnaire. La version restaurée de Panique a été présentée en exclusivité dans la section Cannes Classics du Festival. Le négatif original ayant disparu, le film a été restauré en 2K chez Digimage à partir du marron nitrate.» (avoir-alire.com)
«…Dans Panique Duvivier et son scénariste Charles Spaak posent un regard sans concession sur l’humanité, et signent un film d’une noirceur étouffante. La rengaine que l’on entend à plusieurs reprises pendant le film, fredonnée par un musicien de rue, « l’amour c’est la beauté du monde » ne fait que souligner l’absence d’amour, la laideur morale omniprésente et le déchainement des sentiments les plus détestables dans Panique. « Que dit Panique ? Il dit que les gens ne sont pas gentils, que la foule est imbécile, que les indépendants ont toujours tort… «J’ai bien l’impression que nous traversons une époque où les gens ne s’aiment pas » déclarait Julien Duvivier à Lo Duca au moment de la sortie du film. Un tel dégoût, une telle amertume exprimés dans un film nous renseignent sur l’état d’esprit de Duvivier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de son passage à Hollywood, et à son retour en France. Il n’a pas aimé l’optimisme forcené des productions des studios américains, et Panique rappelle à la fois l’atmosphère honteuse de la délation et de l’antisémitisme rampant de l’Occupation (Hire est désigné comme un étranger, un paria, d’origine juive) mais aussi le climat hystérique de lynchage de l’épuration. Dans son tableau de l’abjection humaine Panique a des accents céliniens. Hire, personnage solitaire et misanthrope, affiche son mépris pour ses voisins de la banlieue de Bobigny (admirablement reconstituée dans les
studios de la Victorine Nice), condensé de représentants médiocres de la société caractérisés par leur lâcheté, leur bêtise et leur détestation de ceux qui ne leur ressemblent pas. Il est tentant de voir en Hire un autoportrait de Duvivier, marqué par ses relations tendues avec ses concitoyens après la guerre. Duvivier prend davantage le parti de Hire, homme seul contre tous, trahi par la femme qu’il aime, victime innocente de la foule déchaînée, que Simenon dans son roman. Hire est génialement interprété par Michel Simon qui renonce dans Panique à certaines de ses outrances pour jouer cet homme inquiétant, souvent antipathique, avec un maximum de sobriété. Le couple des amants criminels est formé par Paul Bernard, toujours excellent en crapule, et Viviane Romance, magnifique vamp du cinéma français, ici au sommet de sa beauté.» (arte.tv)
«…Loin de se reposer exclusivement sur la cruauté du roman original, Duvivier amplifie par sa mise en scène le malaise que peut susciter cette histoire : dès les premières scènes du film, on est saisi par la photographie très sombre de nombreux plans, faisant disparaître des personnages sous-exposés dans les recoins des pièces. Des ombres passent furtivement sur les visages, comme si on avait délibérément éteint la lumière. C’est ce même constat que l’on fait lorsque Monsieur Hire, prostré à sa fenêtre pour espionner l’objet de ses fantasmes, apparaît telle une masse noire et informe, le visage privé de ses traits. Vaguement inspiré de l’expressionnisme, ces partis-pris ne s’inscrivent pourtant pas dans un souci d’esthétisation des scènes : au contraire, ces choix créent un inconfort dans l’appréhension des espaces et des personnages, comme si Duvivier, en véritable orfèvre rigoriste, souhaitait distiller le malaise jusqu’au spectateur de son film. L’abondance des plongées et des contreplongées (notamment lorsque Monsieur Hire se fait mettre à sac sa chambre par la foule hystérique) insiste sur le déséquilibre des rapports de force : dans cette mauvaise farce, chacun est tour à tour proie et prédateur, condamné à tuer ou bien à se faire éliminer…» (critikat.com)
«…Là où ses films d’avant-guerre étaient baignés par un certain romantisme tragique et décrivaient une société humaine d’où il y avait toujours quelque chose à sauver, Panique ne s’embarrasse plus de tout cela et partage une vision très noire de l’être humain mais aussi de cette France post vichyssoise. C’est d’ailleurs certainement là que se situe l’incompréhension d’alors. Personne n’était en effet prêt à assumer ce qu’il voyait à l’écran. Il ne faut pas oublier que la période était à la réconciliation avec cette croyance relayée bien volontiers par les pouvoirs publics de l’époque que la France a été majoritairement résistante. Il a fallu attendre Le Chagrin et la pitié de Marcel Ophüls en 1969 pour que notre pays commence à comprendre que seul 1% de nos concitoyens se sont rangés du côté des résistants. La grande majorité collaborationniste ou tout simplement silencieuse n’apprécie pas qu’on lui fasse alors la leçon. Qu’on la décrive comme une masse informe prête à s’emballer à l’encontre de ce qu’elle ne comprend pas et qu’elle rejette. Là c’était le juif, la franc-maçonnerie, l’étranger, ici c’est Monsieur Hire, interprété par le grand Michel Simon dont c’est certainement son rôle le plus marquant au sein d’une filmographie déjà à nulle autre pareil, que Duvivier pointe du doigt dès les premiers plans en en faisant un personnage d’apparence hautaine qui ne s’embarrasse pas avec les bas de plafond qui composent son quotidien…» (digitalcine.fr)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri
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