Vendredi 16 octobre 2009 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Mong-hong Chung – TAIWAN – 2008 – 1h36 – vostf
C’est le jour de la fête des mères à Taipei. Chen Mo a pris rendez-vous avec sa femme pour un dîner, avec l’espoir de renouer leurs liens distendus. Mais, il trouve sa voiture bloquée par une autre garée en double file après l’achat d’un gâteau. Toute la nuit, Chen Mo passe des heures à tous les étages d’un immeuble pour chercher la personne qui s’est garée. C’est ainsi qu’il rencontre des personnages excentriques : un vieux couple vivant avec leur petite-fille précoce après la mort de leur fils unique, un patron de salon de coiffure manchot qui adore faire et manger de la soupe de poisson, une prostituée venant de Chine continentale qui veut échapper à son maquereau, Ainsi qu’un tailleur hongkongais accablé de dettes qui s’est fait coincer par des voyous.
Notre critique
Par Philippe Serve
CHUNG MONG-HONG, HERITIER
L’arrivée sur nos écrans d’un nouveau nom du cinéma taiwanais – Parking est le premier long-métrage de son réalisateur Chung Mong-hong – constitue un événement suffisamment rare pour que Cinéma sans Frontières ne le laisse pas passer. Car si le nom de Taïwan brille souvent dans les programmations des festivals de la planète cinéma et notamment en France, il le doit avant tout aujourd’hui à cinq noms. Petit rappel :
D’abord King Hu pour les rétrospectives, vu que le cinéaste est mort il y a douze ans, laissant derrière lui un peu plus d’une quinzaine de films tournés en partie à Hong-Kong, en partie à Taïwan, son île d’origine. Parmi ces derniers, quatre chefs d’œuvre du wu xia pian (film de sabre) : L’Auberge du Dragon (Long men kezhan, 1967), A Touch of Zen (Xia nu, récompensé à Cannes, 1969), le bondissant Raining in the Mountain (Kong shan ling yu, 1979) et La Légende de la montagne (Shan zhong zhuan zhi, 1979).
Ensuite, le si délicat Edward Yang (né à Shanghaï), dont la tragique disparition il y a deux ans à l’âge de 60 ans, laisse un énorme vide dans le cœur des cinéphiles du monde entier qui avaient tant aimé ses deux merveilles, A Brighter Summer Day (Gu ling jie shao nian sha ren shi jian, 1991) et Yi Yi (2000) qui lui avait valu le Prix de la mise en scène à Cannes. Notons en passant que le premier de ces deux films avait révélé dans le rôle principal un gamin de 15 ans qui y débutait avec fracas et un pur magnétisme, le beau et talentueux Chang Chen. Celui-là même que nous retrouvons ce soir en vedette de Parkin.
Les trois autres « grands » cinéastes taiwanais sont heureusement encore bien vivants. Ang Lee (An Li), douze films au compteur, révélé en 1994 avec Garçon d’honneur puis Salé, sucré, avait répondu ensuite aux sirènes hollywoodiennes avec un certain succès avant de revenir au cinéma traditionnel chinois via le wu xia pian avec Tigre et Dragon (2000), colossal succès mondial et dans lequel on trouvait une distribution d’enfer dont… Chang Chen, encore lui. Depuis, il alterne entre États-Unis (Hulk, Brockeback Mountain, autre énorme succès, Hôtel Woodstock actuellement à l’affiche) et « les » Chines (RPC, H-K, Taïwan) pour le multi-primé Lust, Caution (Se jie, 2007).
A l’opposé d’Ang Lee – réalisateur tourné vers un cinéma talentueux mais à objectif purement grand public – se situe Tsaï Ming-liang. Né, lui, en Malaisie en 1957, il représente la face la plus « auteuriste » – voire élitiste – et presque exclusivement festivalière du grand cinéma taiwanais. Malgré le soutien sans faille et toujours renouvelé de la critique officielle française, aucun de ses films n’a rencontré le public hors de ses aficionados, qu’il s’agisse de Vive l’amour, La Rivière, The Hole} (mon préféré), Et là-bas quelle heure est-il ?, Good Bye Dragon Inn (hommage au film de King Hu), La saveur de la pastèque ou I don’t want to sleep alone. Peut-être fatigué de ces échecs publiques dans le pays – le nôtre – où la critique lui est le plus favorable, Tsai a voulu donner un tour plus séduisant à son dernier film, en y dirigeant Fanny Ardant, Laetitia Casta, Jean-Pierre Léaud et Mathieu Amalric. Même Nathalie Baye et Jeanne Moreau participent à Visage (2009) ! En compétition officielle au dernier festival de Cannes, le film s’est fait descendre en flammes par à peu près tout le monde…
Le dernier de ce club des cinq, le spectateur fidèle de CSF le connaît puisqu’il s’agit de Hou Hsiao-hsien dont nous avons présenté par le passé Three Times (2005) avec la belle Shu Qi et… toujours Chang Chen, et le superbe Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985). Si l’on met de côté ses trois premiers films, « seulement » moyens et son dernier (Le Voyage du ballon rouge, 2007) pas terrible, ses treize autres films sont tous remarquables, faisant de HHH la référence suprême en matière cinématographique taiwanaise. Aux deux films pré-cités, je citerai juste Un été chez grand-père (1984), La Cité des douleurs (Lion d’or à Venise, 1989), Le Maître de marionnettes (Prix du jury à Cannes, 1993), Les Fleurs de Shanghai (1998), Millenium Mambo (2001). Sa nouvelle œuvre, en cours de tournage, est un film d’action et en costumes – situé au 8ème siècle en Chine – et réunit le couple de Three Times, Shu Qi et Chang Chen. Peut-être que Hou tiendra là son premier très grand succès public. Rendez-vous dans le courant de l’année prochaine pour le savoir.
Si tous ces cinéastes et leurs films sont – plus ou moins- vus par les cinéphiles français, ils restent très largement ignorés du public taiwanais, à l’exception d’Ang Lee pour les raisons déjà évoquées. Chung Mong-hong, 44 ans , dont nous allons découvrir ce soir Parking, semble destiné à rejoindre ce groupe des multi célébrés et multi récompensés mais au final assez peu connus. Diplômé de l’Institut d’Art de Chicago, auteur complet de son premier film – il en est tout à la fois l’ingénieux scénariste, le réalisateur très prometteur et l’excellent directeur de la photo – il a déjà eu les honneurs d’une sélection cannoise lors de la dernière édition (Un Certain Regard). Les critiques ont été dans l’ensemble très positives, en France plus qu’ailleurs certes mais à cela, on l’a vu, rien de surprenant.
Ancré avec ce premier film dans la tradition d’un cinéma urbain à la manière d’un Tsai Ming-liang, il offre une oeuvre moderne, peignant le Taipei d’aujourd’hui, ville aux contrastes saisissants entre sa fidélité aux traditions chinoises et les conséquences bétonnées et grises de son « boum » économique des années 60 et 70. Une ville envahie par les automobiles (et les scooters !) où la réglementation des places de parking est drastique avec moins d’une place pour trois véhicules. Une ville surpeuplée (près de dix personnes au mètre carré !!), à la vie nocturne intense (le Night market) mais où la solitude est endémique. C’est dans ce cadre que Chung Mong-hong lâche son personnage principal – comme toujours incarné à la perfection par Chang Chen – au long d’une nuit qui semble ne jamais devoir finir. Si Parking est son premier long-métrage, Chung n’en est pas pour autant un débutant absolu, ayant derrière lui trois courts-métrages, une centaine de spots publicitaires et un documentaire très remarqué (Doctor, 2006). Le fait que beaucoup de noms illustres viennent à l’esprit en voyant son film – Edward Hopper, Kaurismäki, Scorsese, Eric Khoo, Tsai Ming-liang, Hou Hsiao-hsien, etc. – sans que cela ne soit jamais gênant est plutôt bon signe. Et même s’il renferme quelques petites faiblesses ici ou là, un peu inhérentes à tous les premiers films, Parking s’avère suffisamment fort et digne d’intérêt pour nous donner envie de suivre la carrière de ce nouveau cinéaste taiwanais.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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