Passeport pour Pimlico – 21ième Festival 2024



Dimanche 18 Février 2024 à 17h – 21ième  Festival

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Henry Cornelius, Grande-Bretagne, 1949, 1h24, vostf

A Pimlico, un quartier de Londres, l’explosion d’une bombe, dernier vestige de la guerre, met à jour un trésor du XVe siècle ainsi qu’un édit royal certifiant que Pimlico est la propriété des ducs de Bourgogne. Aucun décret n’ayant annulé depuis cet héritage, les habitants décident de proclamer leur indépendance à l’égard du Royaume-Uni.

Passeport pour Pimlico est le premier long métrage de Henry Cornelius. Le film a été réalisé sous la houlette des fameux Ealing Studios et a été présenté au Festival de Cannes en 1949, sans pour autant concourir à la Palme d’Or. C’est le scénariste et écrivain britannique T.E.B. Clarke, alors affilié à la maison Ealing, qui en signa le scénario. D’autre part, le film a été tourné durant les évènements du blocus de Berlin, en pleine guerre froide.

Ce sont des faits réels qui ont inspiré Passeport pour Pimlico. En effet, pendant la Seconde Guerre mondiale, avec l’occupation de la Hollande par les nazis, la famille royale fut contrainte de s’exiler au Canada. La future Reine Juliette y donna naissance à la princesse Margriet, à la maternité de l’Hôpital Civique d’Ottawa. La localité fut donc déclarée extraterritoriale, afin que la jeune héritière ne perde pas son droit à trône.

Le tournage de Passeport pour Pimlico ne s’est pas déroulé à Pimlico, quartier au passage, situé à Londres. Les quelques scènes d’extérieur qu’on énumère dans le film ont pris pour cadre la localité de Lambeth. Un décor a également été monté dans une zone bombardée durant la Seconde Guerre mondiale, près de Londres.

Le Professeur Hatton-Jones était à l’origine un personnage de sexe masculin. Ce n’est qu’après réflexion que les scénaristes décidèrent d’en faire une femme. C’est donc à l’actrice Margaret Rutherford que le rôle est revenu. La production proposa un des rôles principaux à Alastair Sim, mais peu intéressé, l’acteur déclina l’offre.

Notre article

par Josiane Scoleri

Qui se souvient aujourd’hui de Henry Cornelius ? Mis à part pour quelques spécialistes du cinéma britannique de l’après-guerre, gageons que son nom ne dira pas grand-chose à la plupart des cinéphiles, en tout cas de ce côté-ci de la Manche. Pourtant, même s’il n’a réalisé que 5 films en tout et pour tout, deux d’entre eux furent de grands succès populaires et critiques à leur sortie, notamment Passeport pour Pimlico son premier film (1948). Passeport pour Pimlico possède en effet toutes les qualités de la comédie britannique pur jus, et notamment cet inénarrable humour gentiment loufdingue, reconnaissable entre mille. Les premières scènes servent de manière très classique à planter le décor (le quartier de Pimlico dans le sud de Londres, où les traces de la guerre sont encore très présentes entre terrains vagues et maisons en ruines) et à nous présenter les habitants qui seront les personnages principaux : commerçants, banquiers, flics, familles et enfants. En quelques minutes, nous aurons ainsi l’impression de connaître intimement tout ce petit monde. De fait, Passeport pour Pimlico est un film choral, s’il en est. Non seulement les personnages ont pratiquement tous une égale importance dans le récit, mais le film dans son ensemble est porté par un très fort sens de la communauté qui prend systématiquement le dessus dans les moments de crise. Ce qui correspond tout à fait à l’idée que les Britanniques se font d’eux-mêmes. (Et plus encore au sortir de la guerre, où cette valeur de l’unité de la nation a été portée au pinacle). Après le carton d’ouverture qui dédie le film… « aux coupons de rationnement », le premier plan au bord d’une piscine en plein soleil et sur un air de salsa ressemblerait presque à une pub pour destination tropicale. Nous sommes pourtant bien à Londres, comme le confirme la deuxième scène chez le poissonnier. Et nous avons droit tout de suite à quelques répliques savoureuses qui annoncent la couleur. Les jeux de mots fusent. Les pointes ironiques font mouche. Le film possède d’entrée ce rythme enlevé dont il ne va jamais se départir, ce qui sans doute aussi le secret d’une bonne comédie. Ainsi les épisodes se succèdent-ils à partir de la découverte du trésor et du parchemin, dans une sorte de logique surréaliste où le plus improbable s’impose tranquillement comme allant de soi. Que ce soit la traduction du texte authentifié devant le juge par l’impayable Margaret Rutheford, bigger than life en historienne passablement frappadingue, l’euphorie du « This is Burgundy » récité comme un mantra en toutes circonstances pour échapper aux sacro-saintes règles les plus British, comme les horaires du pub (ce qui nous vaut une des scènes les plus endiablées), ou encore le casse-tête engendré au ministère de l’Intérieur, la trame du scénario réussit à garder le cap d’une « vraisemblance délirante » de plus en plus jubilatoire. Ainsi de l’escalade représailles britanniques/ ripostes pimliquiennes (un peu difficile de dire bourguignonnes malgré tout !). La douane, les contrôles dans le métro, le terrible siège qui fait pschitt grâce à un bel élan de solidarité et le happy end où tout le monde peut garder la tête haute. C’est fou et en même temps, ça se tient. Aujourd’hui, nous en retenons surtout l’aspect croquignolesque, mais en 1948, le souvenir de la guerre était encore très présent et l’évacuation des enfants par bus par exemple évoquait nécessairement des situations douloureuses vécues par des milliers des familles pendant les bombardements allemands. De même le ton martial et les annonces va-t-en-guerre émanant des ministères devait nécessairement faire écho à ce passé très proche. C’est sans doute à cause de cette veine bien ancrée dans le réel que le public hier comme aujourd’hui peut adhérer à cette histoire des plus farfelues. Mais le film tourne tout en dérision, les fonctionnaires du gouvernement sont invariablement pathétiques et on est forcément du côté du village gaulois plutôt que de l’armée romaine. Car pour nous Français d’aujourd’hui Pimlico évoque immanquablement le village batailleur des irréductibles Petits-Bretons. À part qu’ici, nous sommes chez les Grands-Bretons. Indubitablement, comme dirait notre historienne en titre. Il faut dire que le réalisateur Henry Cornelius était Sud-africain et c’est avec bonheur qu’il promène son regard extérieur sur les tics et autres manies des Anglais : la scène du métro bondé où les hommes debout en costume et chapeau melon lisent imperturbablement leur journal format XXL tout en se tenant d’une main à la poignée en hauteur a longtemps fait partie des images d’Épinal du Royaume Uni. Aujourd’hui, les journaux sont tous au format réduit tabloïd. Même le Times. Décidément, tout fout l’camp. Clichés pour clichés, l’arrivée du duc de Bourgogne dans son fief de Pimlico permet de broder tranquillement sur l’imaginaire britannique par rapport à la France : le vin, la bonne chère, l’art de la séduction. Même si le film se garde soigneusement de prononcer le mot France ou français. Il ne sera question que de Dijon et de la campagne alentour. Point trop n’en faut non plus! Enfin, on ne peut pas parler de Pimlico, sans parler de la formidable brochette d’acteurs qui portent le film. Tous impeccables, tous incroyablement justes. La grande tradition du théâtre britannique fait flores (sauf Paul Dupuis, le Bourguignon, qui était en fait Canadien). Tous les personnages sont incroyablement vivants, attachants et surtout parfaitement crédibles. Le banquier roublard, le flic débonnaire, le commerçant qui ne perd pas le Nord, la jeune première fleur bleue les gamins débrouillards. Tous existent bel et bien sous nos yeux dans une délicieuse galerie de portraits. Passeport pour Pimlico nous rappelle à quel point une bonne comédie est quelque chose de rare au cinéma. Il est sans doute symptomatique de notre époque que les drames, tragédies, films de guerre, films d’action et autres films de genre prévalent largement. C’est bien dommage et la sombre époque que nous vivons mériterait d’être davantage contrebalancée, qui sait combattue, à coups d’éclats de rire et autres égratignures. Mais qui sait, le ticket de Passeport pour Pimlico sera-t-il peut-être un jour remboursé par la Sécu ! Gardez-le bien précieusement…

Sur le web

«… En 1947, Charles Crichton réalise A corps et à cri (Hue and Cry), qui est parfois considéré comme la première « Ealing comedy« , mais qui repose avant tout sur une intrigue criminelle ; il faut avouer que, depuis des années, le public avait eu bien peu d’occasions de sourire, et qu’il fallait alors bien chercher les films susceptibles de s’inscrire dans le registre comique. A corps et a cri avait été écrit par un ancien journaliste, scénariste quasi-débutant, du nom de T. E. B. Clarke, dont le style se démarquait du tout-venant par un humour d’une certaine finesse autant que par un sens de l’observation extrêmement aigu, notamment sur le quotidien des classes populaires, ces deux raisons expliquant en partie le succès rencontré auprès du public par le film.

Deux ans plus tard, le même T. E. B. Clarke imagine Passeport pour Pimlico en partant de l’image même qui concluait A corps et à cri : celle de gamins des rues courant dans un terrain vague miné par des obus…

… Pour l’historien du cinéma Charles Barr, exégète incontournable des studios Ealing, Passeport pour Pimlico, encore plus qu’A corps et à cri, contient la quintessence même de ce qui doit définir le style des comédies estampillées Ealing : le contexte de réalisme social, le goût de la romance, l’écriture de T. E. B. Clarke, le jeu des comédiens, cette « bonne humeur désabusée » qui voit dans un même élan le drame et la comédie se mêler, et – surtout – cette parfaite adéquation avec les besoins du public : en 1949, toute l’Angleterre avait besoin d’un exutoire pour se libérer des cartes de rationnement et des restrictions dues à la reconstruction du pays, et à ce titre, la sensation de liberté, d’affranchissement, que procurait Passeport pour Pimlico était inestimable. C’est d’ailleurs, de façon récurrente, un des grands arts de la comédie Ealing, entre 1949 et 1955, que de parvenir à traduire à l’écran avec une telle évidence les aspirations de son temps, comme le feront également, dans des registres variés, des films comme Whisky à gogo (disposer de boisson à volonté), Noblesse oblige (se débarrasser des privilèges de l’aristocratie), De l’or en barres (vider les caisses de la Banque d’Angleterre) ou L’Homme au complet blanc (se dresser contre les puissants magnats de l’industrie qui cherchent à exploiter l’individu).

En ce sens, il est important de préciser que la plupart des comédies Ealing, dont Passeport pour Pimlico, sont des films qui ne provoquent jamais vraiment l’hilarité, en tout cas qui ne se compromettent jamais dans la recherche continuelle du « gag« . L’atmosphère y est légère, chaleureuse, sympathique, mais toujours habitée par un contexte social réaliste et plutôt douloureux, et avec un sens assez absolu de l’absurde, qui peut à la fois provoquer une stupéfaction assez jubilatoire comme un certain sentiment d’angoisse. Le cas Passeport pour Pimlico est là encore emblématique : le postulat de départ y est essoré jusqu’à la moindre goutte, délivrant tout ce qu’il peut de situations fantaisistes comme de micro-leçons de sciences économiques (sur le rationnement, le régime d’autarcie, le protectionnisme, le fonctionnement des taxes douanières, etc…), mais le jusqueboutisme des habitants de Pimlico conduit inévitablement à une impasse, en tout cas à une issue que le spectateur ne peut s’empêcher de redouter.

Et c’est là que l’un des aspects les plus marquants du style Ealing se révèle, en même temps qu’il justifie le terme de « comédie » : depuis les films de propagande produits durant la guerre jusqu’aux dernières comédies distribuées par le studio, Ealing n’a eu de cesse de décrire des communautés, composées d’individus différents qui s’opposent régulièrement, mais capables lorsque cela devient nécessaire de se fédérer et de se dresser collectivement…

… Si les personnages voguent régulièrement du côté des archétypes ou de la caricature, si les situations reposent parfois sur des oppositions un peu schématiques, il n’y a jamais dans les comédies Ealing de personnages foncièrement mauvais : tout le monde essaye de faire pour son mieux, quitte à ne se rallier qu’in extremis à la cause collective…

… La sympathie suscitée par un film comme Passeport pour Pimlico doit également beaucoup à l’esprit très britannique, flegmatique et distancié qui l’habite, et qui crée parfois un contraste drolatique avec la réalité de ce qui apparaît à l’écran : les ministres réunis en urgence pour résoudre une situation de crise y discutent avec calme et une certaine ironie, tongue-in-cheek… Les seules insultes y sont délivrées par mégaphones interposés… et un cochon en parachute tombe du ciel sans que personne ne s’en émeuve… Cela se ressent évidemment également dans le jeu des comédiens, qui ne se départissent jamais de leur distinction très british, même pour jouer les coucous : aux côtés de Stanley Holloway, sorte d’incarnation exemplaire du comédien Ealing dans toute sa splendeur, on retrouve ainsi notamment la truculente Margaret Rutherford dans un rôle étonnant d’historienne farfelue passionnée par les Ducs de Bourgogne.

Nous n’avons quasiment pas parlé de l’apport de Henry Cornelius à la réussite du film, principalement parce que nous aurions bien du mal à en définir les contours. Pas tant que le film soit peu ou mal mis en scène, mais parce que, à l’exception peut-être du tout premier plan assez complexe, chaque idée digne d’être mentionnée solliciterait la mention conjointe ou du scénariste, ou du décorateur, ou du monteur ou d’un autre contributeur : une manière de souligner à quel point, au sein de la société Ealing, le style – bien présent – était lui aussi affaire collective, presque une affaire de famille…

… Si Passeport pour Pimlico n’est probablement pas la meilleure comédie issue des studios Ealing (à ce titre, Noblesse oblige nous semble probablement indépassable), cette comédie enlevée, inventive et admirablement concise en est un exemple canonique, le premier à présenter une synthèse à ce point accomplie de ce qui fera ensuite la singularité et l’intérêt de la société londonienne. Pour ceux qui connaissent et aiment déjà le ton Ealing comme pour ceux qui chercheraient la meilleure porte d’entrée possible au sein de cet univers, il convient donc de valider très vite son Passeport pour Pimlico.» (dvdclassik.com)

«… Présenté à Cannes en 1949, le film est une vraie réflexion sur l’identité nationale au sortir d’une guerre qui n’a fait qu’interroger les peuples sur leurs convictions politiques. Dans un Londres où la réglementation est devenue très stricte, et après quelques recherches archéologiques accidentelles, des habitants d’un quartier de Londres se rendent compte qu’ils sont en fait rattachés à une province française, la Bourgogne. Saisissant l’opportunité historique de se montrer indépendant, les habitants vont se rendre compte de la difficulté de se soulever contre l’Etat. Et c’est le point de départ d’un formidable et amusant brûlot politique.

A la tête de ce projet, on trouve un certain Henry Cornelius dans ce qui est son premier long-métrage. Né en Afrique du Sud mais également d’origine allemande, Cornelius trouva dans l’Allemagne de l’entre-deux guerre un formidable terrain d’expérience où il apprit l’art de la direction auprès de Max Reihnardt, un célèbre metteur en scène de théâtre autrichien. Cet apprentissage allemand lui aura permis de faire ses mains d’armes sur quelques pièces de théâtre mais il écourte son séjour pour s’exiler en France lorsqu’Hitler arrive au pouvoir. Il étudiera à la Sorbonne et aura même l’opportunité de travailler avec René Clair. Son arrivée à Londres à la fin de la guerre va l’amener à travailler sur du montage de longs-métrages, dont celui d’un réalisateur notable, Le lion a des ailes de Michael Powell. Il fût à l’origine de l’édition finale de cinq films et sera même producteur à trois reprises. Il s’engage dans un projet monté par les studios Ealing qui souhaite se diversifier après la célèbre anthologie horrifique Dead of Night ou de très nombreuses incursions dans le documentaire de guerre réaliste. Scénarisé par un ancien journaliste et auteur de nombreux romans, Thomas Ernest Bennett Clarke (T.E.B. Clarke) imagine Passeport pour Pimlico en se démarquant du tout-venant par un style qui croise un humour fin et un sens de l’observation rigoureux sur les classes populaires et les conséquences d’une guerre dont le traumatisme sera sans fin. C’est par hasard qu’après une discussion avec Henry Cornelius lui narrant un fait divers sur un homme condamné au nom d’une loi médiévale jamais abrogée que T.E.B. Clarke achève le scénario du film. Ce même hasard voudra que Henry Cornelius soit à la charge de la réalisation du projet. Comme si la légende s’était écrite d’elle-même.

Ce qu’il faut retenir de ce Passeport pour Pimlico et qui est la principale raison de sa reprise au cinéma par Tamasa Distribution, c’est que ce film est une comédie tout ce qu’il y a de plus sympathique et légère. Avec un vrai sens de la narration et des dialogues qui visent juste, Passeport pour Pimlico est une comédie satirique qui offre un regard sur l’absurdité politique qui peut régir même les démocraties les plus modernes. On ne rit pas à gorge déployée dans ce film mais on s’amuse de la situation dans laquelle s’embourbe ce petit quartier londonien, exaspéré des rationnements, du couvre-feu et d’interdiction en tout genre. C’est cette touche d’humour typique de la Grande Bretagne qui ajoute un charme indéniable à ce film que l’on regarde avec un sourire en coin et un œil malicieux. Il n’y a pas de recherche constante du gag, même si quelques figures de répétitions sont présentes, mais il règne comme une ambiance chaleureuse et conviviale dans ce petit quartier où tout le monde se connaît qui contrebalance avec un contexte social réaliste à la limite de l’oppression. Malgré les difficultés devant lesquels doivent faire face les habitants du quartier, il y a toujours cette bonne humeur insouciante qui peut tranquillement se dérouler jusqu’à la prévisible réconciliation nationale…» (lemagducine.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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