Pater



Vendredi 09 septembre 2011 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Films  de Alain Cavalier – France – 2011 – 1h45

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Le dernier film d’Alain Cavalier est très certainement un de ces objets filmiques inclassables qui traversent régulièrement la stratosphère de la planète Cinéma. Adepte depuis longtemps d’un cinéma de la simplicité, pas d’acteurs professionnels, voire pas d’acteurs du tout, pas d’équipe de tournage, Cavalier, à la fois scénariste, réalisateur, monteur, chef opérateur  de la plupart de ses films depuis une quinzaine d’années,  se définit comme un filmeur, plutôt qu’un cinéaste ou un metteur en scène, un filmeur qui filme des personnes et non pas des personnages.

Avec Pater Cavalier infléchit certes un peu sa démarche – Vincent Lindon est un comédien professionnel qui va jouer un personnage – mais de manière à pousser encore plus loin sa réflexion sur le sens, la finalité et les moyens mêmes de la représentation.Nous voici donc confrontés à un dispositif minimaliste à souhait, un film à quatre mains où filmeur et comédien changent de rôle, à tour de rôle, en fonction de qui filme qui, où réalité et fiction se chevauchent sans cesse avec une fluidité étonnante. Sans jamais verser une seule seconde dans l’exercice de style. Nous passons en effet en permanence d’Alain et Vincent,  les deux amis, à Cavalier et Lindon, les deux professionnels du cinéma, au Président et son Premier Ministre, les deux personnages de fiction, sans oublier bien sûr cette « Vaterfigur » évoquée dans le titre, en latin de surcroît, et les rapports de filiation à plusieurs niveaux qui en découlent. On l’aura compris, Pater est un film à détentes multiples.

Film profondément politique, par son sujet et surtout sa manière de l’aborder, film intime, (Cavalier devant la glace en train d’inspecter son visage d’homme âgé qui lui rappelle immanquablement bien sûr celui de… son père, les tics de Vincent Lindon dans sa vie privée qui disparaissent dès qu’il joue la comédie, encore que, ici, on se pose justement la question),  film drôle par ses multiples clins d’œil tout en finesse, film ancré dans la société contemporaine. Avec Pater, c’est un peu comme si toute la classe politique française de ces 30 dernières années se télescopait sous nos yeux en la personne de  nos deux compères. Pas de citation, pas d’imitation, et pourtant une véracité qui se situe au-delà du documentaire et qui s’impose au spectateur. Nous n’avons pas besoin de penser à Mitterrand, Chirac, Sarkozy, ou à tel ou tel de leurs lieutenants, c’est l’essence même du pouvoir qui est mise à nue, avec ses mécanismes, (le staff qui rédige les discours, les meetings et poignées de main au kilomètre), ses figures obligées (le décalage entre intentions et actions, l’ambition et la trahison, l’idéal et la démagogie, l’omniprésence des rapports de force, etc.), Le rôle même de l’argent y est évoqué dès la première scène et nous comprenons seulement, a posteriori, que ce n’est pas par cocasserie ou simple lubie d’artiste que rien ne nous est épargné du prix du costume, des chaussures, de la chemise, portés par le Président… Cavalier réussit le tour de force de mettre tout cela dans son « petit » film en lui donnant qui plus est un petit air primesautier tout à fait étonnant qui fait à n’en pas douter toute la force et l’originalité du film. Il nous confirme ainsi une fois de plus qu’au cinéma comme ailleurs, le plus souvent  moins = plus.

Pater est aussi une réflexion sur le pouvoir du Verbe et ses indéfectibles liens avec l’Image. D’où l’importance du costume (après les prix mentionnés au début, la scène du choix de la cravate est tout aussi savoureuse et lourde de sens). Où l’on voit on ne peut plus clairement que Politique, Théâtre et Cinéma (depuis le parlant en tout cas) reposent sur les mêmes éléments fondamentaux : Texte et Représentation. Une représentation incarnée, qui passe d’abord  par le corps de l’acteur, comme de l’homme  politique. (cf.  le côté performance physique : l’apprentissage du texte, les répétitions, les tournées épuisantes, le trac, l’importance du « physique » : beauté, charme, charisme, etc.) L’imbrication entre les différents niveaux de réalité et de fiction sur laquelle repose le film met à jour de manière flagrante  similitudes et  parallélismes fulgurants.

À noter que nous sommes exclusivement dans un monde d’hommes, une seule image d’un corps de femme, filmé de dos, dans un lit, uniquement en tant que compagne de l’homme,  sans visage, sans parole, sans expression propre : là aussi, en un seul plan, Cavalier nous en dit long). Et n’oublions pas que, pendant des siècles, les rôles de femme au spectacle étaient tenus par des hommes et qu’ils le sont encore aujourd’hui dans un certain nombre d’expressions théâtrales de par le monde.  La répartition des rôles qui attribue aux hommes la sphère publique et aux femmes la sphère privée est loin d’être révolue. On le constate encore et toujours justement et avant tout sur la « scène » (sic) politique. Tout cela sur fond de gastronomie et d’amour de la bonne chère : nous sommes indéniablement en France (ce qui était déjà annoncé sans détour par le bleu, blanc rouge, discret, mais bien présent de l’affiche). Tous les plans de nourriture sont à ce titre particulièrement jouissifs, à la fois par le plaisir évident que prennent les protagonistes et  par la symbolique qui s’y rattache (la partie de campagne avec saucisson et vin rouge suivie de la scène de confessionnal dans la voiture officielle aux vitres teintées en est un bon exemple). Car, n’allez pas vous y tromper, malgré son côté apparemment bon enfant, familier, comme filmé au fil des rencontres, chaque plan fait sens et le montage est soigneusement pensé pour qu’à aucun moment  nous ne perdions  de vue le propos de l’auteur.

Cavalier réussit allègrement un véritable numéro d’équilibriste. Avec un appétit de cinéma jamais démenti, une atmosphère de joyeuse malice pétillante dont on sent bien à quel point elle est contagieuse,  d’abord entre tous ceux qui sont partie prenante du film, mais aussi pour le spectateur qui n’en revient pas de tant de bonne humeur, de subtilité,  rebondissant de scène en scène avec chacune son lot de surprises. Avec Cavalier qui va bientôt fêter ses 80 printemps, c’est sûr l’énergie n’a rien à voir avec l’âge et encore moins avec le fléau dévastateur du jeunisme ambiant.

Tous nos meilleurs vœux de très joyeux anniversaire, Monsieur Cavalier ! Et continuez s’il vous plait à faire des films qui nous donnent autant la pêche. Nous en avons bien besoin par les temps qui courent.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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