Les petites fleurs rouges



Mardi 08 Mai 2007 à 21h – 5ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Zhang Yuan – Chine – 2006 – 1h32 – vostf

Qiang est un enfant de 4 ans, placé par son père dans un internat. La vie à l’école est rythmée par les jeux et les rituels. Mais Qiang peine à récolter les petites fleurs rouges de papier distribuées aux meilleurs élèves en guise de récompense. Il n’arrive pas à s’habiller tout seul, joue peu avec ses compagnons et ose même répondre aux institutrices qui tentent de le discipliner.
Qiang va peu à peu se rebeller et entraîner ses camarades avec lui. Il va les persuader que l’institutrice est un monstre dévoreur d’enfants et tenter d’organiser sa capture. Isolé après cette tentative de rébellion, il va devenir violent avec les autres enfants, ne parvenant pas à trouver sa place parmi eux.

Notre critique

Par Philippe Serve

Un pionnier. C’est lui, Zhang Yuan (né en 1963), qui donna le coup d’envoi de la désormais fameuse 6ème génération de cinéastes chinois, ces réalisateurs surgis de l’Institut cinématographique de Pékin au lendemain des tragiques événements de Tian Anmen (1989). Zhang Yuan est le premier qui rompt avec ses glorieux aînés de la 5ème génération : Zhang Yimou, Chen Kaige et autre Tian Zhuangzhuang. Ces cinéastes avaient réussi à exporter leurs films dans le monde entier malgré la censure, les interdictions, les menaces, et avaient ébloui les festivals étrangers, y glanant une moisson impressionnante qui atteindra son apogée entre 1992 et 1994. Autant de films marqués de traits communs : regards portés sur le passé, sur la Chine pré-révolutionnaire ou sur celle de la Révolution Culturelle, toujours traumatisante pour des réalisateurs y ayant bien souvent participé, adolescents, parfois comme gardes rouges. Leurs films, à l’esthétique particulièrement travaillée et léchée, satisfaisaient (même sans le vouloir) les goûts des étrangers pour l’exotisme chinois. Ajoutons-y la révélation de nouvelles stars nationales et même internationales, telles Jiang Wen ou la talentueuse et sublime Gon Li. Zhang Yuan rompt donc avec cette nouvelle vague et en lance à son tour une autre via son premier film, Maman (Mama, 1990) qui va vite le faire qualifier d’enfant terrible du cinéma chinois. Pour la première fois, ce qui est montré à l’écran ne parle plus du passé mais du présent. Le quotidien des Chinois est dépeint sans la moindre concession ni recherche esthétique. Zhang enracine son style directement à la source du documentaire. Ce premier film indépendant de l’ère maoïste — son tout petit budget est assuré par quelques capitaux privés — est tourné sous le manteau et sortira clandestinement du pays pour se rendre aux festivals de Rotterdam (1992) et Hongkong (1993). Le film mêle documentaire (en couleurs) et fiction (noir et blanc) et se penche sur les rapports mères-fils, ces derniers handicapés mentaux. « Je fais des films parce que je m’intéresse à la réalité sociale. Je ne veux pas être « subjectif » ; c’est dans l’objectivité que je trouve une force » déclare Zhang à l’époque.

Ses films suivants enfoncent le clou du thème urbain qui va devenir celui de toute la 6ème génération, Zhang aimant rappeler que ces cinéastes sont des citadins alors que leurs aînés étaient des intellectuels ayant vécu à la campagne, Révolution Culturelle oblige.
Après Maman, Zhang Yuan tourne des clips pour la star du rock local, le très rebelle (et adulé) Cian Jan avec qui il collabore pour Les Bâtards de Pékin (Beijing Zashong, 1993), documentaire brut sur la vie du chanteur et de son groupe. Le film, en prise direct avec le réel, montre une Chine à des années-lumières des oeuvres en costumes de ses prédécesseurs. L’image qui en ressort, à la fois cruelle, désespérée et glauque, est à l’opposé de l’exotisme si cher au coeur des Occidentaux. Cette volonté de tourner vrai se poursuit avec le documentaire La Place (Guangchang, en collaboration avec Duan Jinchuan, 1994), consacré au lieu incontournable, historique et désormais tâché de sang qu’est l’immense Tian Anmen.

En 1996, Fils (Erzi) confirme le style unique et novateur du jeune cinéma chinois. Zhang Yuan filme, à leur demande, les membres d’une famille cassée, oscillant sans cesse entre documentaire et fiction (le montage seul révélant celle-ci). Violence, alcool, chômage, oisiveté, ravages de la nouvelle société, ombre encore pesante d’un passé qui ne veut pas mourir, le film s’avère étonnant. La même année, Zhang tourne Côté cour, côté jardin (Dong gong, xi gong) autour du thème tabou en Chine de l’homosexualité. Tourné — à l’inverse des précédents — en studio et produit avec des capitaux français, le film est en fait une métaphore des rapports entre individus et pouvoir, comme le note Bérénice Reynaud (Nouvelles Chines, nouveaux cinémas, éd. Les Cahiers du Cinéma, 1999, à qui je suis grandement redevable). Différent des précédents, le film de Zhang Yuan indique une volonté de poétiser son univers via celui du théâtre et de l’opéra classique chinois. Le cinéaste revient au documentaire avec Crazy English (Fengkuang yingyu, 1999) où il se montre fasciné par la démarche de l’inventeur d’une méthode originale d’apprentissage de l’Anglais, parfaitement représentatif de la nouvelle Chine capitaliste où le credo « Enrichissez-vous ! » prend pour de bon le pas sur l’idéologie communiste traditionnelle.

Mais le meilleur film de Zhang Yuan sera le suivant. Avec Seventeen Years (1999), il revient à la fiction tout en empruntant encore au style documentaire. Parvenu à parfaite maturité et s’inspirant de divers faits réels, il bâtit son film en deux temps (passé puis présent) et propose tout à la fois un terrible portrait familial, une subtile étude sur la relation entre deux jeunes femmes et un aperçu très réaliste de l’évolution de la société chinoise, notamment du cadre urbain et de ses permanentes démolitions et reconstructions. Avec ce film dramatique totalement maîtrisé, Zhang (s’)ouvre une nouvelle porte : Seventeen Years, co-produit avec l’Italie, est tourné avec toutes les autorisations et diffusé dans son propre pays. Le cinéaste semble alors renoncer à la voie illégale et underground. Ses deux films suivants le confirment, l’intéressant et intimiste I Love You où son style évolue encore et Green Tea, comédie sentimentale « gentillette » (tous deux tournés en 2003). Désormais, l’important pour Zhang est que ses compatriotes puissent voir ses films.

Avec Les petites fleurs rouges, Zhang Yuan réalise son meilleur film depuis Seventeen Years, tout en en étant très éloigné. Ironie du sort, lui le pionnier de la 6ème génération, semble se rapprocher ici de ceux de la 5ème. Avec ce film ancré dans le passé (tout début des années 50) et à l’esthétisme particulièrement léchée — cadrages, gros plans, prises de vue en plongée, photographie impeccable, partition musicale très réussie), Zhang Yuan traite d’un thème que ne renieraient pas Zhang Yimou, Chen Kaige ou Tian Zhuangzhuang : les rapports conflictuels entre individu et collectivité ; la rébellion ; l’enfant aux prises avec le système éducatif, métaphore du pouvoir. Il y ajoute un grand sens de la poésie (voir l’instant ou le petit héros, Qiangqiang, demande à son ombre « Arrête de me suivre« ) et d’un onirisme à la frontière du fantastique. Le film se révèle très drôle (je mets au défi quiconque de ne pas éclater de rire à plusieurs reprises), émouvant, tendre, surprenant, profond par les réflexions qu’il suscite immanquablement, et surtout jamais mièvre ou sentimentaliste. Il bénéficie en outre d’une interprétation collective remarquable, à commencer par ses plus jeunes acteurs dont l’inénarrable Dong Bowen dans le rôle principal ou la petite Ning Yuanyuan, la propre fille du réalisateur.

Sur le web

Zhang Yuan a préparé ce film pendant six ans. Le réalisateur se souvient : «  Wang Shuo m’a donné un exemplaire de son roman avant que je ne débute le montage de  Seventeen Years et j’ai commencé à le lire pour la première fois en 1999, pendant que j’étais en post-production en Italie. Alors que j’étais à la moitié du livre, je regardais un dessin animé dont le titre était « Le Petit éléphant volant » avec ma fille Yuanyuan et j’ai remarqué qu’elle était émue à chaque fois qu’elle voyait le petit éléphant embrasser sa mère. A ce moment précis, j’ai réalisé que dès leur plus jeune âge (ma fille n’avait que deux ans) les enfants ont une « âme » déjà bien existante complétée par une série d’émotions. En outre, j’ai été étonné de la capacité de  Wang Shuo à se remémorer aussi son propre passé. Je cherche à faire la même chose mais les souvenirs de mon enfance sont souvent fragmentaires et incomplets. Faire ce film est donc devenu un effort pour récupérer et me rappeler ma propre enfance.« 

Wang Shuo, l’auteur du roman Kanshangqu hen mei duquel est tiré Les Petites fleurs rouges, est également le producteur du film. Auteur de best-sellers depuis la fin des années 90, il a la réputation d’être le « mauvais garçon » de la littérature chinoise à cause de son usage innovant de la langue, mais aussi pour sa capacité à séduire les médias chinois. Ayant collaboré aux scénarios de films de réalisateurs comme  Xiaogang Feng,  Jiang Wen et  Zhang Yuan,  Wang Shuo a réalisé un film, Baba, qui a gagné le Léopard d’or au Festival de Locarno en 2000.

Les Petites fleurs rouges a la particularité de ne pas correspondre aux critères traditionnels des films chinois sur les enfants. Zhang Yuan explique : « Dans le passé, dans tous les films chinois, les enfants étaient traités comme l’étaient les adultes. J’espère que mon travail rendra justice à la vraie réalité de la vie des enfants. » Ce film n’est pas le premier qu’il réalise sur le thème de l’enfance. « Au début de ma carrière, j’ai réalisé  « Mama qui racontait l’histoire d’un enfant de 11 ans. J’y ai d’ailleurs glissé un hommage à  Zéro de conduite, lorsque le garçon arrache les plumes de son oreiller.« 

« Les Petites Fleurs rouges montre l’intime liaison entre la dissidence et l’institution. Le pensionnat est un lieu de règles et d’ordonnancements : les maîtresses – qu’elles soient sévères (mademoiselle Li) ou douces (mademoiselle Tang) – sifflent les enfants, un par un, pour leur nettoyer les fesses. Dans le dortoir, les lits sont disposés par rangées. Le matin, les enfants doivent prendre la « bonne habitude » de tous faire leurs besoins au même moment. Lorsqu’un apprentissage a lieu, les enfants s’autocorrigent réciproquement. Autrement dit, le pensionnat est, comme institution, un lieu de fabrication d’ordre, de conformité, de répétition, d’autocorrection. Rien ne doit passer ni dépasser, le vice-ministre en visite s’extasie devant le tableau des petites fleurs rouges et déclare : « Ne faites pas de favoritisme. » Et lorsque les enfants sortent des limites du pensionnat, sur qui tombent-ils ? Des soldats, justement, qui au premier plan défilent en faisant le salut militaire. Au second plan, mi-moqueurs, les enfants les imitent, petits soldats en puissance de la République Populaire Chinoise. Le plan fonctionne comme raccourci d’une conformité à une autre, d’une institution – scolaire – à une autre – militaire. De la même manière, à chaque fois que les enfants s’échappent du pensionnat, ils retombent dans les filets des institutions : l’institution médicale, l’institution religieuse – qui d’ailleurs a aussi ses petites fleurs rouges. Bref, c’est une perspective presque foucaldienne, la notion de discipline traverse le film de part à part. En définitive, quand il faut redresser Qiang, on finit par l’enfermer dans le cagibi. » (critikat.com)

L’équipe de production a parcouru Pékin pendant 4 ou 5 mois, mettant des annonces dans les journaux et se rendant dans les orphelinats les plus importants de la ville, afin de recruter les enfants nécessaires au film. « On a fait faire des essais à plus 20 000 enfants, explique  Zhang Yuan. Cela a été un travail assez laborieux et trouver le bon enfant pour incarner Qiang a été la chose la plus difficile. En tout cas, ça l’a été jusqu’à ce que nous trouvions  Dong Bowen, qui avait 5 ans et ressemblait vraiment à  Wang Shuo, l’auteur du livre. Ce fut quelque chose de vraiment magique. Au moment où je l’ai remarqué parmi les autres enfants, j’ai su qu’il était le garçon que je cherchais. Evidemment,  Bowen n’avait aucune expérience du jeu d’acteur. Mais quand j’ai croisé son regard, j’ai eu la certitude que le rôle de Qiang ne pouvait que lui convenir à merveille : son regard touche les gens.« 

La petite co-protagoniste de  Dong Bowen, Nanyan, est interprétée par  Ning Yuanyuan, qui n’est autre que la fille du réalisateur. Celui-ci raconte : « C’est une expérience intéressante que d’observer sa fille à travers une perspective différente, sur un moniteur. C’est sûr qu’il y a des moments où elle m’a surprise. En réalité, c’est grâce à elle que j’ai été capable de tourner un film avec de si jeunes personnages. Quand je l’ai vu jouer avec succès dans un téléfilm que j’avais moi-même réalisé, ce fut pour moi évident que  Yuanyuan était capable de jouer. Mais j’ai en même temps réalisé combien elle pouvait être différente sur l’écran et dans la vie réelle. »

Pour Zhang Yuan, travailler avec des enfants a été la chose la plus difficile. « C’est encore plus difficile qu’avec le plus têtu des acteurs adultes, confie le réalisateur. L’éthique professionnelle n’a pas de signification pour les enfants. Au contraire, vous devez être capable de créer une atmosphère de jeu : s’ils s’amusent, ils travaillent. Prenons par exemple la scène où  Dong Bowen insulte Mademoiselle Tang. Il a vraiment fini par prendre goût à le faire. Peu importe combien de fois on lui demande de le faire, il le fait. Bowen est lui-même un personnage, à bien des égards, avec des réactions complexes et variées.« 

Défini par les producteurs comme « une superproduction avec 135 petits acteurs chinois » dans la tradition de  Zéro de conduite de  Jean Vigo et des 400 coups de  « François Truffaut, le film a été sélectionné en 2006 au Festival de Sundance ainsi qu’au Festival de Berlin dans la catégorie Panorama.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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