Vendredi 01 Décembre à 20h
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Documentaire de Maciek Hamela, Pologne, 2023, 1h24, vostf
En partenariat avec Le Secours Populaire Français
Un van polonais sillonne les routes d’Ukraine. A son bord, Maciek Hamela évacue des habitants qui fuient leur pays depuis l’invasion russe. Le véhicule devient alors un refuge éphémère, une zone de confiance et de confidences pour des gens qui laissent tout derrière eux et n’ont plus qu’un seul objectif : retrouver une possibilité de vie pour eux et leurs enfants.
Maciek Hamela est producteur et réalisateur. Né à Varsovie en Pologne, il étudie à la Faculté de Philologie de l’Université de Varsovie puis obtient une maîtrise en littérature française à l’Université Paris IV Sorbonne. Il travaille ensuite dans le bâtiment, en tant que guide touristique tout en étudiant la réalisation cinématographique à l’EICAR. Il est collaborateur de longue date de la BBC. Il produit notamment les films Convictions (MDR Film Prize au Dok Leipzig IFF 2016), Parquet et la série de podcasts documentaires Plan B pour Audioteka. Il reçoit en 2018 le Silver Melchior Radio Award au Concours national des journalistes de la radio polonaise, pour ses productions radiophoniques. En 2021, le court-métrage documentaire Bless You, dont il est producteur et co-réalisateur, reçoit un Doc Alliance Award au sein du programme Cannes Docs et est présenté au Millennium Docs Against Gravity FF. Pierre Feuille Pistolet est son premier long-métrage documentaire en tant que réalisateur.
Notre article
par Sylviane Socci
« … c’est vraiment un film sur l’état d’âme des gens. » Par ces quelques mots, Maciek Hamela donne le sens de Pierre, feuille, pistolet. Les combats sont hors-champ mais la guerre est partout. Dans l’habitacle bien sûr pour ces personnes filmées en plans rapprochés, surtout des enfants et des femmes qui fuient pour se mettre à l’abri, et dans les paysages en contrechamps, paysages désolés que la caméra découvre tout au long des trajets du van.
L’idée de réaliser un documentaire lui est venue en un deuxième temps.
Sur le documentaire et le travail de mise en place.
Il est heureux que des documentaires puissent sortir en salles. Amener le public vers le documentaire n’est pas facile, surtout lorsque les sujets abordés semblent peu attractifs au regard d’un cinéma du divertissement ( latin: diverto, détourner, se détourner).Toutefois l’opposition fiction/documentaire n’est pas satisfaisante. En effet, une fiction documente très souvent le réel, et le documentaire suppose un travail d’invention de formes de la part du documentariste. Cette réalité que l’on croit évidente n’a que l’évidence du découpage à la faveur duquel elle nous apparaît.(Breschand Le Documentaire). Maciek Hamela a disposé de plus de quatre cent cinquante heures de rushes, réduites à quatre-vingt quatre minutes pour la version finale du montage. Admiratif de Ten de Kiarostami et de Taxi Téhéran de Jafar Panahi, il élabore un dispositif de réalisation dans un lieu clos : champs, contrechamps, prises de vues frontales et à la courte focale, sons diégétiques et, à de rares moments, une musique extra-diégétique atmosphérique sur des images des paysages alentour. Accompagné d’un chef-opérateur, Hamela apparaît parfois à l’image, on l’entend parler à des passagers, prendre des renseignements au téléphone, organiser des rendez-vous, mais le plus souvent, il laisse advenir la parole. Son rôle est de conduire chacun vers des lieux plus sûrs. Avec son ami et chef opérateur, Wawrzyniec Skoczylas, il a établi un « protocole éthique » afin de pouvoir filmer les passagers à l’arrière du van qu’il conduit.
Relation éthique et visage.
“Quand on parle à quelqu’un, c’est un moment d’humanité ” (Maciek Hamela.«Ce rapport de face à face où autrui compte comme un interlocuteur avant même d’être connu. On regarde un regard » (Emmanuel Lévinas. In Difficile liberté). Plusieurs voyages. Plusieurs personnes aux modes de vie différents. Plusieurs atmosphères dans ce huis-clos. Les passagers parlent d’eux, de leurs peurs, de leurs regrets, de leur nostalgie. Se détachent et s’imposent le visage, le regard, la tristesse des enfants. Leurs paroles semblent le fil de trame du film. Ainsi, la nuit venue, le petit Sasha, au visage si grave, magnifiquement éclairé dans l’obscurité du véhicule, après avoir écouté sa jeune voisine lui faire quelques leçons de vie du haut de ses 7 ans, laisse échapper : « j’aime ma mamie ».Il a quitté sa mamie, au désespoir contenu ( elle essuie quelques larmes) sur le trottoir devant leur maison, dans un paysage abandonné. Cette petite fille dont le comportement avec Sasha peut paraître pénible, certainement inquiète elle-même face à la situation qu’elle vit, énonce tout haut son désir : « cet été on viendra à la mer »,désir d’échapper au présent. Ainsi se dit simplement par ses paroles le rêve de chacun dans l’habitacle d’une fin de la guerre et d’un retour à la vie libre.
Autre point de bascule et de surgissement : Sanya fillette de 4 ans, voyage dans les bras de son père. Suite à un bombardement lors de l’offensive de Kiev, elle est mutique. Mais au contact de Sofia, elle retrouve sa voix. La caméra saisit cet instant si précieux de réaffirmation de la vie et du désir de vivre .
Sofia au visage très sérieux, comme si tout sourire était bloqué, en vient néanmoins à jouer avec le chef-opérateur à Pierre, feuille, pistolet. Ainsi par le détournement subtil du nom d’un jeu s’expriment le désarroi et les appréhensions de chacun face à l’effraction de la guerre dans le quotidien, à sa violence, à son absurdité. Les enfants sont embarqués. Comment assumer devant eux la responsabilité d’un monde plein de bruit et de fureur ? « L’enfant doit être protégé contre toute forme de négligence, de cruauté, d’exploitation » (Déclaration des droits de l’enfant, 1959, Principe 9).
L’oubli de l’humanité, l’oubli de la relation éthique à l’autre, Sifa, transportée vers un hôpital, en donne un terrible témoignage. Arrêtée avec d’autres passagers par des forces spéciales russes, elle a vu les soldats leur tirer dessus à bout portant alors même qu’ils sortaient du taxi les mains sur la tête.
» Regarder un regard, c’est regarder ce qui ne s’abandonne pas, ne se livre pas, mais vous vise : c’est regarder le visage ”. Le visage, ce n’est pas la figure, c’est l’altérité de l’autre homme.“ La guerre n’est point une relation d’homme à homme ”. Dans la guerre, “ les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats … » (Rousseau, Du contrat social, L 1)
Paysages
L’alternance presque systématique champs, contrechamps tout au long du documentaire, fixe notre regard sur ces personnes, ces vies au cours brisé, en accord avec les images de la guerre d’un pays en ruines. Ponts effondrés,immeubles détruits, véhicules calcinés. La terre d’Ukraine, « ce grenier à blé de l’Europe », paraît si pauvre et si désolée . Ici et là des barrages filtrants et des tanks, des mines aperçues in extremis la nuit rappellent si cela était nécessaire les conditions du voyage de Maciek Hamela… La guerre c’est le choc, c’est le cri, c’est les pleurs. Mais après, il faut recommencer à vivre (Hamela dans la Revue Esprit).
Ces allers-retours, ces moments dont nous partageons la longue durée et d’autres qui se succèdent, qui s’enchaînent l’un l’autre sans que nous puissions identifier quelques passagers, font perdre tout repère. Le dernier plan frontal de sièges vides laisse perplexe. Les combats n’ont pas cessé, la guerre n’est pas finie. Combien de voyages encore ? Combien d’épreuves ? Restent dans notre pensée ces paroles, traces de vie.
Sur le web
A la question de comment était née l’idée de faire ce film, le réalisateur répond : « Au départ, il n’était absolument pas question de faire un film. Le 24 février 2022, j’ai mis tous mes projets en pause et refusé toutes nouvelles sollicitations, pour m’engager comme chauffeur bénévole. L’idée est venue plus tard, avec la fatigue de faire les trajets tout seul. J’avais besoin d’une seconde personne pour me relayer derrière le volant. C’est un ami, qui est chef-opérateur qui m’a accompagné. On s’est dit, emmenons une caméra, peut être que l’on arrivera à documenter les choses en même temps, mais sans certitude aucune que cela ne fonctionne. On n’était pas sûrs du tout de réussir à capter ce qu’il se passe à l’intérieur de ce véhicule ni de pouvoir en faire un film. Beaucoup de questions se posaient, notamment celle de ne pas exploiter les gens ». Interrogé sur le choix de ne donner aucune indication de temps et d’espace, il confie : « Il est vrai que ceux qui connaissent l’Ukraine aimeraient savoir où et quand les choses se passent. Mais on a vite compris que l’on ne faisait pas un film seulement sur la guerre en Ukraine, racontant son déroulé et sa chronologie. L’important, c’est ce qu’il se passe dans l’habitacle du véhicule. C’est pour cela que j’ai décidé de ne pas mentionner les noms de lieux et les dates. Cela évite aux spectateurs de se poser des questions qui ne sont pas nécessaires. D’ailleurs, à la post-production on a désaturé l’environnement extérieur au véhicule, afin de ne pas troubler le spectateur avec les changements de saison, comme le passage de l’hiver au printemps ».
Réalisateur de Pierre, Feuille, Pistolet, Maciek Hamela a également officié comme chauffeur, organisateur, bénévole, interprète et confident sur le tournage : « J’aborde l’histoire sans commentaires, ni analyse. Pour les passagers je suis celui qui s’occupe de leur évacuation et c’est d’abord cette place que j’occupe dans le film. » Il souligne : « Si je suis discret, je ne suis pas neutre. Mes réactions montrent comment les histoires racontées m’étonnent ou me bouleversent. Comme souvent dans les situations dramatiques, le rire est lui aussi présent. Ponctuellement j’apparais à l’image, lorsque je sors du van, et en particulier dans les moments d’adieux et de salutations.»
Selon le réalisateur, c’est l’émotion qui a dicté la narration du film au montage : « Les récits n’ont pas tous la même portée émotionnelle, et l’un des enjeux est de rendre audibles toutes les histoires choisies, de créer des résonances entre elles. Le rythme interne aux plans, leur tension, nous rapprochent avec une plus grande force et justesse des personnes qui partagent avec nous ce moment de leur vie ».
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, plus de 7 millions d’habitants ont fui le pays et une grande majorité d’entre eux ont passé la frontière avec la Pologne. À ces chiffres s’ajoutent 8 millions de personnes qui ont quitté leurs foyers dans l’Est du pays pour se réfugier dans des régions plus sûres à l’Ouest. L’évacuation massive de civils est l’un des phénomènes les plus importants de cette guerre qui se déroule si près de la frontière du monde occidental.
Le réalisateur de Pierre, Feuille, Pistolet a parcouru 100 000 km depuis le début du conflit pour évacuer des civils.
Ce film a été présenté à l’ACID au Festival de Cannes 2023.
« … Trois jours après l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2023, Maciek Hamela, Polonais, décide d’utiliser son mini van de huit places pour embarquer des Ukrainiens voulant fuir leur pays. Il emmènera à bord avec lui quatre chefs opérateurs successifs pour filmer le témoignage des familles qu’il recueille. Elles compteront en tout quelque 400 personnes en six mois, au milieu des 100 000 réfugiés ukrainiens accueillis en Pologne.
Le nom du jeu des cours de récréation, « pierre, feuille, ciseaux« , est détourné en « pierre, feuille, pistolet » par un enfant dans le minivan de Maciek Hamela, et donne le titre du film. Il révèle l’impact que l’invasion russe a dans la population ukrainienne, allant jusqu’à se loger dans le nom d’un jeu d’enfants. Un ustensile du quotidien, une paire de ciseaux, devient une arme à feu et est, comme elle, banalisée dans un quotidien devenu la guerre.
Maciek Hamela construit son film en le réduisant pratiquement à deux plans fixes qui s’alternent : la route défilant à travers le pare-brise de son véhicule, et le contrechamp cadrant ses passagers derrière lui. Pierre, feuille, pistolet est un roadmovie. Le véhicule devient une mini-agora où des passagers qui ne se connaissent pas racontent, souvent pour la première fois, leur expérience de la guerre. Ces paroles, parfois légères, témoignent du recul, teinté de fatalisme, dont font preuve les Ukrainiens, pris dans un contexte aussi dramatique.
Ce sentiment de maîtrise de la situation par la population reflète celui des autorités de Kiev, du moins dans ces six premiers mois de guerre que couvre le film. Chaque récit est différent, dans les motivations des intéressés, les contraintes, les destinations, selon les classes sociales et générations mélangées, de passage dans le minivan. Les voyageurs évoquent une guerre larvée depuis le premier conflit de 2014, le sentiment de séparation, et les prochaines retrouvailles avec des proches, une fois arrivés à destination. L’espoir, mais également la peur face à l’inconnu d’un futur incertain, inspirent aussi un grand saut dans le vide.
Maciek Hamela a capté l’instant « T » d’un temps historique, en direct, avec les oubliés de l’Histoire, les populations civiles, premières victimes de la guerre. Celles du film sont obligées de quitter leur pays, leur maison, leurs voisins, leur vie. Mais elles respirent aussi la joie de partir, de quitter le champ de bataille. Un vent de liberté remplit l’habitacle de la voiture dont on ne sort pratiquement pas du film. Pourtant l’image est remarquable, le ruban de la route qui défile, la vie que dégagent les passagers, leur spontanéité et loquacité, font de Pierre, feuille, pistolet un puissant témoignage sur la guerre, en Ukraine comme ailleurs. » (francetvinfo.fr)
« À bord de son mini van, le cinéaste polonais Maciek Hamela aide des Ukrainiens à fuir les bombes russes. La caméra saisit les visages, les mots. Poignant… Les visages et les histoires se succèdent et installent un même récit cauchemardesque. La caméra frontale capte ces témoins qui se livrent dans un moment de répit alors même qu’ils viennent de tout quitter. Comme dans une bulle, les passagers conversent, échappent quelques instants à leur statut de réfugiés pendant que la voiture traverse les check-points. Un huis clos où le temps et l’actualité semblent comme suspendus – seul un regard en contrechamp, par la fenêtre, sur les épaves calcinées ou les chars vides nous y ramène. La guerre dehors, la survie dedans. Le contraste est saisissant. » (telerama.fr)
« Passeur bénévole, Maciek Hamela sillonne les routes ukrainiennes afin d’aider des réfugiés à franchir la frontière polonaise. C’est à bord de sa grande Volkswagen noire, où les passagers se confient, que se déroule la grande majorité du film. Saisis par une caméra tremblante, ces micro-récits revêtent une grande importance dans Pierre Feuille Pistolet… Si la forme de Pierre Feuille Pistolet est moins sophistiquée, le montage parvient à figurer ici aussi la précarité des situations des passagers en basculant, parfois assez sèchement, d’un groupe de réfugiés à l’autre. Le caractère transitoire des scènes laisse deviner un futur incertain et permet dès lors au film d’éviter un écueil récurrent du reportage de guerre : les instants de vie qu’il enregistre demeurent fragmentaires et ne semblent pas gagnés par l’illusion malsaine d’avoir su capter en un regard la totalité d’une histoire… » (critikat.com)
« … S’il est ici souvent question de destruction, de mort et de torture, certains échanges, plus légers, parlent aussi d’espoir et d’avenir et contrastent avec le contexte dramatique. Les enfants, qui s’expriment sans peur ni méfiance, y contribuent largement. Bien sûr, tout au long de la route s’étalent les stigmates d’un monde bouleversé : les chars abandonnés, les bombardements au loin, les maisons brûlées, les restes d’un missile, les passages aux checkpoints mais aussi le beauté de la nature, les familles qui ont fait le choix de rester et moissonnent leurs champs ou vendent leurs fruits et légumes. L’émotion s’installe au fil de la narration, nous rapprochant au plus près de ces personnes qui partagent avec nous le cataclysme de leur vie.
Afin de maintenir la tension, le danger va crescendo même s’il s’agit de se concentrer sur les histoires des passagers plutôt que sur les risques de la conduite dans des territoires en guerre.
En choisissant un angle original et inédit, Maciek Hamela signe un témoignage sobre et poignant, présenté et récompensé dans d’innombrables festivals, et rend un hommage universel à tous ceux que les conflits, quels qu’ils soient, broient sans pitié. » (avoir-alire.com)
« … Exceptionnel, ce long-métrage du producteur et réalisateur polonais, originaire de Varsovie, l’est à plus d’un titre, en nous donnant à voir, presque à vivre cette guerre, à la fois de l’intérieur et à sa périphérie : dès le début du conflit, le jeune homme, qui, depuis, a déjà effectué plus de cent mille kilomètres, a participé à l’évacuation de civils ukrainiens en les recueillant à bord de son van pour les emmener vers la Pologne, en terre pacifique. Le dispositif cinématographique est simple : la caméra se trouve tantôt posée à l’avant du véhicule, braquée vers l’arrière, tantôt tenue par différents auxiliaires pour permettre un regard vers l’extérieur ou accompagner le chargement ou déchargement des passagers. Une île, mobile, lancée à pleine vitesse à travers l’enfer, comme une balle. Ainsi se présente le van conduit par Maciek Hamela, réalisateur, conducteur et sauveteur !
Arche de Noé des temps modernes, donc sur roues, à l’intérieur de laquelle les passagers se confient, ou bien se taisent, s’abandonnent enfin au réceptacle qui les conduit vers la sécurité. La guerre est toutefois encore présente, dans les récits, mais aussi sur la trajectoire du véhicule, à travers des chars abandonnés, défaits de leur efficacité guerrière, ou sur la route elle-même, minée, donc contraignant à faire demi-tour, ou bien fraîchement défoncée par un bombardement qui permet de mesurer la permanence du risque…
… Pour son premier long-métrage, Maciek Hamela livre un témoignage bouleversant d’humanité, tout en apportant une nouvelle fois la preuve que la réalité, si humble soit-elle, est tout aussi riche et innovante que la fiction, pour qui sait prendre le temps de la contempler ; et de la saisir. » (lemagducine.fr)
« Avec un simple dispositif de caméra embarquée, Maciek Hamela réussit à filmer à la fois l’urgence et la patience. Au fil des voyages, les destins se croisent et se racontent dans une voiture qui finit par ressembler au tonneau des Danaïdes. En résulte un film d’action, dépourvu de pathos, témoignage essentiel des conséquences de l’invasion russe sur la population ukrainienne.
Des femmes et des hommes de tous âges, résignés à tout abandonner, acculés à la fuite, se succèdent sur les huit sièges que renferment le véhicule. À l’avant, le réalisateur – cameraman et conducteur. Depuis l’habitacle, nous sommes témoins de drames intimes et familiaux tandis que les paysages extérieurs défilent, spectacle d’effroi et de désolation. Âmes en miettes et villes en pièces forment un champ de ruines sur lequel, néanmoins, le film insuffle une force de vie phénoménale. Dans le fracas des vies brisées, les sentiments les plus divers se succèdent et se superposent : le mutisme de certains, les larmes discrètes mais aussi une forme irrationnelle d’optimisme. Ainsi, des femmes qui déclarent avoir toujours rêvé de découvrir Paris, réussissent à sourire. La dignité de ces personnes, réunies par hasard sur les routes de l’exode, force le respect…
… Le film se tient en équilibre entre les vies suspendues qu’il transporte et les lignes de fuite qu’il ouvre. C’est la position de réalisateur/chauffeur qui permet cela. Dans un programme cher à Abbas Kiarostami, le film et le véhicule finissent par se confondre, creusant une belle aporie entre des vies à l’arrêt et un mouvement perpétuel. Familles décimées, éclatées. La séquence de retrouvailles qui conclut le film a des allures de mirage, d’oasis. Le véhicule repart, vide. Espace hanté pour longtemps. » (lebleudumiroir.fr)
« … Par-delà le constat implacable du chaos, élagué de toute emphase héroïque ou de spectacularisation du conflit, le film montre à quel point la guerre reconfigure l’imaginaire de celles et ceux qui la subissent. Comment elle confisque toute innocence et jette sans sommation vers le réel. C’est une enfant plongée dans le silence, le bourdonnement des bombes qui résonne encore dans sa tête, ou une autre jouant à une version remaniée de pierre-feuille-ciseaux, une arme à feu ayant subtilisé la place de la lame. La guerre aura même flingué le jeu de récré le plus inoffensif. » (lesinrocks.com)
« … L’une des forces de ce long métrage, qui prend des allures de road-movie édifiant, réside dans le point de vue et l’angle cinématographique choisis : la caméra est placée dans la voiture, au niveau du rétroviseur (ce qu’évoque d’ailleurs le titre dans sa version internationale, In the Rearview), face aux passagers installés à l’arrière et ne sortira qu’à de très rares occasions de l’habitacle (lors des moments de présentation ou d’adieux). Alors qu’un tel dispositif sur le papier pouvait laisser craindre une certaine rigidité, un côté extrêmement artificiel, dès les premières images, cela fonctionne parfaitement à l’écran, la juste distance est réelle. Le véhicule apparaît comme un refuge provisoire, temporaire, et mieux, un endroit où les protagonistes vont se livrer à des confidences…
… En confiance, des femmes, des hommes et des enfants témoignent frontalement face à la caméra des horreurs qu’ils ont vécues et échangent même avec le conducteur / réalisateur, qui est toujours en action (discret, sans être neutre) dans Pierre Feuille Pistolet. Par certains aspects, le film dans son ensemble peut sembler un peu désordonné. Mais le spectateur comprend assez vite le sentiment d’urgence qui a présidé à sa conception, de la réalisation (sur le vif, au plus près des combats) au montage, qui s’est opéré au rythme des émotions ressenties. C’est en ce sens qu’il est émouvant et surtout indispensable. Bien entendu, il l’est aussi par les récits de (sur)vie qui ont été retenus au montage. Par-delà leurs différences (de génération, de vie, de niveau social ainsi que de ressenti), toutes les personnes que l’on voit assises à l’arrière du fourgon ont un point commun, un objectif similaire : en laissant tout derrière elles (une partie de leur famille, une maison, un quartier, un pays tant aimé), elles aspirent à retrouver une possibilité de vie, pour elles ainsi que pour leurs enfants. Durant tout le long métrage (condensé, puisqu’il dure moins d’une heure trente), on est ému par ce qui est raconté, par la détresse de ces gens… Des récits authentiques et justes, entre inquiétude, rêves et espoir ; des fragments de vie partagés, pendant un court instant, avec les spectateurs.
La guerre, concrètement, est omniprésente durant ces différents périples qu’entreprend le réalisateur : par le passage des check-points contrôlés par des soldats ukrainiens, par le paysage qui défile par les fenêtres (chars et maisons détruits) ou par les mouvements chaotiques du véhicule, obligé d’emprunter des routes cabossées ou bien peu praticables (notamment à cause de la présence de mines). Ce que Hamela filme est une tragédie universelle : la douleur de l’exode, la fuite face aux horreurs de la guerre, la séparation déchirante des familles. Des événements actuels mais qui se sont déjà produits par le passé et qui, malheureusement, se reproduiront à l’avenir.
En ce sens, et parce qu’il évoque une communauté de destin (les humains dans la guerre) mais aussi la fraternité entre les hommes, Pierre Feuille Pistolet est bouleversant. Loin de se contenter de filmer pour filmer, le cinéaste est au cœur du projet humanitaire : il est chauffeur (il a parcouru plus de 100 000 km depuis le début du conflit) mais aussi organisateur, bénévole, interprète et a été confident sur le tournage. Avec cette œuvre sobre et digne, sans artifice ni misérabilisme, il livre une belle leçon d’humanité et fait surgir, du tréfond des ténèbres, une petite lueur d’espoir. » (movierama.fr)
« … Visuellement parlant, la guerre est surtout présente dans les paysages traversés et filmés occasionnellement au travers des vitres du véhicule. Aucun combat n’est ainsi directement visible durant le film, uniquement la présence de carcasses de blindés, des débris d’immeubles, de ponts, de divers autres dégâts matériels ou encore des points de contrôles qui doivent être traversés ou des mines qui doivent être contournées. Ainsi, Maciek Hamela représente la guerre telle que vécue par par la population ukrainienne : une forme de brouillard mortel constant qui empêche de savoir qui est où, qui fait quoi et quand. La guerre acquiert ainsi un intéressant aspect paradoxal dans l’œuvre, car elle est à la fois diffuse, abstraite, et concrète, omniprésente. Par ailleurs, ce procédé anti-spectaculaire et anti-propagande permet à l’auteur d’éviter de glorifier les combats. Soit une technique qui va à rebrousse-poil des multiples images de chars, de bombardements ou de batailles et d’assauts, filmés par drone ou par gopro, qui abreuvent les écrans occidentaux et qui tendent à faire de cette tragédie un événement lointain ou, pire, une distraction…
… De façon générale, très peu de musiques sont présentes et ces dernières ne sont quasi exclusivement employées que sur des images de l’environnement vu à travers des vitres du véhicule. Cette rareté permet à l’auteur de focaliser l’attention du spectateur sur la parole de ses personnages et de l’immerger avec plus d’efficacité dans son fourgon. Une immersion elle-même accentuée grâce à l’emploi d’un seul et unique type de plan pour filmer ses passagers : frontal et à la courte focale, ce qui permet d’englober tout l’arrière du véhicule pour y projeter le spectateur avec aisance. L’usage de cette optique permet aussi à l’auteur de clore d’autant plus l’espace dans lequel sont assis ses passagers et de transmettre avec efficacité le sentiment de claustrophobie qu’ils ressentent. De plus, la rencontre avec la réalité de la guerre, notamment par les mines posées sur le parcours, ainsi que les diverses tentatives de trouver un itinéraire de substitution face aux ponts détruits, renforce la sensation de danger permanent auxquels font face les protagonistes et donne ainsi une idée du courage dont à fait fait preuve Maciek Hamela en faisant office de transporteur.
La richesse de Pierre, feuille, pistolet réside enfin dans la dimension symbolique et métaphorique de son dispositif de mise en scène. Car en filmant tel qu’il le fait des individus en mouvement perpétuel, en exil sur des routes anonymes, sans savoir quel peut-être la destination finale, physique comme intellectuelle, et avec tous leurs repères réduis à néant, l’auteur représente les sévices universels et intemporels de toutes guerres au cours de l’histoire. Ainsi, plus qu’un documentaire informatif, Pierre, feuille, pistolet est une véritable œuvre cinématographique, un documentaire de création de très grande qualité dont l’urgence dans laquelle il a été réalisé ne l’a jamais empêché d’avoir de superbes enjeux esthétiques qui lui permettent d’acquérir plusieurs niveaux de lecture. Belle œuvre, aussi humaine et sensible qu’intelligente, Pierre, feuille, pistolet est absolument à voir si l’on se sent concerner par la guerre en Ukraine comme par un cinéma de qualité. » (iletaitunelecinema.com)
« … Récit de la guerre vue et vécue de l’intérieur par des civils gardant foi en leur avenir, Pierre Feuille Pistolet embarque son spectateur dans un voyage de poésie et de résilience. »(culturopoing.com)
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