Samedi 04 Février 2017 à 20h30 – 15ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Jean-Luc Godard – France – 1965 – 1h55
En première partie, projection du court-métrage: Azurite de Maud Garnier (2015, France, 25′):
Salomé, 15 ans, travaille dans l’atelier de son père, un peintre célèbre pour son bleu. Mais voilà quelques temps que le peintre, trop âgé, n’est plus capable de fabriquer sa fameuse couleur, mettant en péril son atelier.
« En plaçant son film dans un atelier de peinture d’un passé et d’un lieu non précisés (on peut tout autant penser à Vermeer qu’à Orazio Gentileschi et sa fille Artemisia), Maud Garnier confère à son film une forme d’universalité. Splendidement filmé, « Azurite » développe progressivement la question de la transmission et aborde la difficulté qu’ont les filles à s’imposer dans les sociétés paternalistes. Soulignons l’excellente interprétation de la jeune Alba Gaïa Bellugi ». (abusdecine.com)
L’odyssée à travers la France de Ferdinand dit Pierrot le Fou et de son amie Marianne, poursuivis par des gangsters à la mine patibulaire. Ferdinand Griffon est un jeune père de famille un peu désabusé qui vient de perdre son emploi à la télévision. Un soir, alors qu’il revient d’une désolante soirée mondaine chez ses beaux-parents, il réalise que la baby-sitter qui était venue garder ses enfants est un ancien flirt, Marianne Renoir. Il décide de tout quitter et de partir avec elle vers le Sud de la France, dans un grand périple où se mêleront trafic d’armes, complots politiques, rencontres incongrues, mais aussi des pauses bucoliques et des déchirements amoureux…
Notre critique
Par Martin De Kerimel
Pierrot le fou est historiquement le quatrième et dernier des films de Jean-Paul Belmondo tournés sous la direction de Jean-Luc Godard. Le rôle de Ferdinand Griffon devait être confié à Michel Piccoli, mais le renoncement de sa partenaire – Sylvie Vartan – changea la donne. Le réalisateur choisit donc un acteur qu’il connaissait bien et, pour remplacer sa star féminine qui avait fini par dire non, fit appel à la jeune et jolie Anna Karina, dont il partageait la vie quelques années auparavant. Parfois escarpé, le chemin de la gloire est souvent tortueux…
C’est en huit semaines, au printemps et à l’été 1965, que Pierrot le fou fut « mis en boîte ». Présenté à la Mostra de Venise en août, il en revint avec le Prix de la critique et sortit finalement sur les écrans français en novembre de la même année. Bien qu’à ce jour considéré comme une grande référence ou même un film culte, il n’attira qu’un peu plus de 1,3 million de spectateurs – un résultat franchement moyen, qui le place bien loin des plus grands succès de son millésime. Sur le versant positif, on retiendra toutefois qu’il inspira quelques réflexions enflammées aux critiques de l’époque et, entre autres vertus, fit également naître la vocation de la regrettée Chantal Ackermann. Citation de la réalisatrice belge : « Je croyais que le cinéma n’était bon que pour rigoler en bande. Je ne me rendais pas compte que c’était un moyen d’expression artistique. J’ai pris ma place pour Pierrot le fou, parce que le titre m’avait plu. Pour la première fois de ma vie, j’ai vu que le cinéma était un art. Sortie de la salle, j’ai dit que je voulais faire des films ! »
Depuis un peu plus d’un demi-siècle, de nombreuses autres personnalités vouent un amour inconditionnel à cette oeuvre hors-norme, qui fut en son temps… interdite au moins de 18 ans pour son prétendu « anarchisme intellectuel et moral » ! On peut admettre que, dans la France gaulliste d’alors, ce drôle d’objet de cinéma ait pu évidemment ne pas plaire à tout le monde. La faute à son sujet, sans doute. Certes, le héros ici filmé n’est en aucun cas la copie conforme de son homonyme, Pierre Loutrel, malfaiteur des années 40, meneur du Gang des Tractions Avant. Il n’en demeure pas moins un mauvais garçon, mari infidèle, déserteur du domicile conjugal et voleur de voitures. Son espoir ? La vie rêvée, oisive et sûrement un peu trop facile de celui qui a enfin su tourner la page d’une existence rangée. Pas très moral, pour l’époque !
Cela dit, cette histoire, Jean-Luc Godard ne l’invente pas tout à fait : même s’il est crédité comme scénariste, notre homme s’appuie sur un roman noir, Obsession, également connu sous un autre titre – Le démon de onze heures – et oeuvre de l’auteur américain Lionel White. Avec son fidèle directeur photo Raoul Coutard, le petit homme aux lunettes aux verres teintés s’embarque dans un road movie sur les routes de France, sans forcément laisser le spectateur deviner ce qui attend les personnages au tournant. Pierrot le fou ne carbure pas à l’ordinaire. Même si les ressorts de son intrigue sont assez limpides de prime abord, il sort des sentiers battus plus souvent qu’à son tour. Tout commence quand Bébel s’offre une sortie de route pour envoyer dans le décor (et à l’eau !) le cabriolet qui lui avait jusqu’alors permis de fuir…
Mais au-delà de l’histoire romantico-tragique qu’il narre avec passion, c’est bien par sa forme que le film se distingue et marque durablement les esprits. Un constat d’ordre historique s’impose : avec cette oeuvre maîtresse, véritable pilier de sa filmographie, Jean-Luc Godard revient à la couleur. Il le fait avec force, dans un hommage décalé à bon nombre d’artistes peintres, dont les noms (et tableaux) tiennent lieu de colonne vertébrale au film tout entier. Impossible de ne pas remarquer que le cinéaste parsème toutes ses images de références marquées aux autres arts picturaux, la bande dessinée étant incontestablement l’objet du clin d’oeil le plus évident. D’aucuns verront peut-être en Pierrot le fou un digne représentant cinématographique du pop art, au gré de quelques plans subliminaux et autres détournements des représentations populaires. Au tout début de ce récit, un Samuel Fuller venu interpréter son propre rôle nous prévient : le film est un champ de bataille, qui associe étroitement l’amour, la haine, l’action, la violence et la mort. Le plus beau, dans ce programme, c’est finalement qu’il nous est permis de l’apprécier de mille façons différentes. Le film-tableau surgit de l’écran, sans gêne ni préavis, comme dessiné en temps réel par le peintre-réalisateur. Plutôt que de réaliser des esquisses, celui-ci balance toute son énergie sur la toile-écran. Mieux, il laisse à ses comédiens une large place pour improviser. La plus célèbre réplique d’Anna Karina, « Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire ! », est ainsi saisie sur le vif. Chacun de nous verra donc le film qu’il veut et sera plus ou moins sensible à ce patchwork. Laissez-moi vous donner une piste à suivre : si tout cela figure dans notre festival, c’est aussi pour un usage récurent de la couleur bleue. Un point qui titillera peut-être votre curiosité…
Le plus épatant, dans ce méli-mélo visuel, c’est qu’on se sent tout à la fois en terrain familier et en terre inconnue. Le récit n’a de cesse de dérouter. Sitôt qu’on le croit sagement revenu sur les rails d’un scénario balisé, il s’en écarte à nouveau pour nous embarquer ailleurs. Lucide et sciemment aventureux, son auteur le jugeait lui-même comme un grand happening. Il ne faudrait pas oublier que, volontiers charmeur, le film est aussi assez nettement désespéré. Le refrain est connu : les histoires d’amour finissent mal, en général. Celle-ci ne fait illusion que peu de temps, comme le ferait un double de la propre relation intime de Jean-Luc Godard et Anna Karina. Réputée pour être assez tumultueuse après leur mariage en 1961, un divorce l’avait déjà dissoute au moment du tournage. Aux âmes mélancoliques, il faut préciser cependant que les deux éphémères tourtereaux voudront bien continuer à travailler ensemble. Assez pour faire naître trois autres films communs (et une dizaine au total) jusqu’en 1967.
Que reste-t-il aujourd’hui de Pierrot le fou ? Pour ma part, si je suis sensible à la poésie décalée de ce long-métrage particulier, c’est aussi grâce à Raymond Devos… mais je préfère ne pas vous dire pourquoi dans ce papier et vous laisser le découvrir en regardant le film. Peut-être saura-t-il vous rappeler le souvenir de Françoise Giroud et Louis Aragon, défenseurs de l’oeuvre à l’époque de sa sortie, contre une censure jugée stupide, en retard sur son temps peut-être ou inutilement tatillonne. Ce travail sans réel équivalent servit en tout cas de modèle à d’autres artistes de cinéma tels Mathieu Kassovitz, Léos Carax ou… Quentin Tarantino ! L’Américain, pourtant assez peu apprécié par son maître français, osera même imiter le titre d’un autre de ses films pour nommer sa société de production : A Band Apart. Une preuve supplémentaire, s’il en fallait, que les légendes du cinéma ne meurent jamais.
Sur le web
Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard demeure un film culte, ensorcelant voire même « jouissif ». Dans ce film le plan se détermine par sa syntaxe, son entité et sa forme élémentaire du discours dans lequel il instaure un sens, une signification, un microcosme autonome capable de porter à lui seul sa propre dimension iconique. Par ce plan indépendant, Godard travaille la représentation visuelle comme le fait le peintre, le sculpteur ou le photographe. Il le construit, l’étudie, le démontre et le désarticule pour mieux lui donner vie. Le réalisateur marque ainsi le tempo par une succession de courts plans pour ensuite enchaîner avec de longs plans séquences. Il parvient, par ce traitement du montage, à inventer un langage particulier, hors normes et marginal. C’est pourquoi, les plans se collent, se juxtaposent et s’enchaînent les uns aux autres non pas pour fondre le spectateur dans une narration homogène mais plutôt pour susciter chez lui un questionnement sur la matière filmique. De plus le réalisateur joue constamment entre le champ et le hors champ. Il y a dans Pierrot le fou un jeu constant sur les plans, une construction calculé, une volonté de noter et de mettre en place dans un même champ ou à l’extérieur de celui-ci des références tant iconiques que sonores. Donc, le récit qui s’articule dans le champ a autant d’importance que ce qui a lieu (ou se passe) à l’extérieur du cadre.
Jean-Luc Godard demeure l’un des précurseurs à mixer, court-circuiter, entrecouper et réorganiser la bande musicale, la bande narrative et les bruitages dans une même trame sonore. Il fond la musique et le bruit. Il réarrange la matière sonore afin qu’elle puisse tendre vers une entité autonome. Elle ne doit pas dépendre de l’image mais plutôt se joindre à la bande image. En d’autres mots, Pierrot le Fou se regarde autant qu’il s’écoute. Sa bande sonore riche et significative témoigne d’un travail d’artisan de la part du réalisateur. Bref, Godard incorpore les liens sonores (les narrations, les bruits et les musiques) afin de les harmoniser sous une nouvelle forme. Il y a aussi dans Pierrot le fou une lucidité, un plaisir et une complaisance à citer et à partager des fragments littéraires. Les livres font partie intégrante des personnages. Ils sont accessoires. Godard les filme sans fausse pudeur, sans gêne, comme s’il donnait aux livres le rôle d’objets actants.
Entre un Godard-chasseur d’images, un Godard-monteur, un Godard-cadreur, un Godard-musicien, un Godard-modeleur, un Godard- manipulateur et un Godard-penseur il y demeure une entité, un homme et surtout une volonté de transgresser les valeurs établies. Pierrot le Fou en témoigne par sa grande poésie iconique, narrative et sonore. Il sait autant capter l’émotion par des plans séquences renversants que de verser dans un cartésianisme froid et distant. Et le fait de tendre vers ces deux opposés octroit à l’oeuvre une authenticité et une rigueur intellectuelle hors du commun. Godard, le pionnier de la nouvelle vague, demeure fidèle à lui-même et au mouvement qu’il a fondé à la fin des années cinquante avec Truffaut et Chabrol. Encore aujourd’hui Godard éclabousse la surface écranique par son humour caustique, intelligent et truffé de références (littéraires, musicales et iconiques). Il représente à lui seul un mouvement et un personnage important, voire même primordial dans le paysage intellectuel contemporain. (cinemediafilm.chez.com)
Sur le thème éternel de l’amour et de la mort, Jean-Luc Godard signe un film éclatant, coloré et poétique. Pierrot le Fou est une véritable symphonie colorée: le bleu du ciel et de la mer pour Ferdinand, le rouge du sang pour Marianne. Le rejet de la société de consommation, le droit au bonheur et au rêve sont rendus à travers une cavale de Paris vers la Méditerranée. Les références à la peinture sont nombreuses : Marianne est associée à « Petite fille à la gerbe » de Renoir, 1888; elle est ensuite associée à la « Femme à la cravate » de Modigliani, 1917 et à la « Jeune femme au miroir » de Picasso, 1932; les cartes postales sont d’autres identifications possibles: « Femme nue » de Renoir, 1880, « Grand intérieur rouge », 1948, « Conversation », 1941 et « La blouse romaine », 1940 de Matisse; Ferdinand se réveille lui devant trois cartes postales: « Les amants », 1922 et « Paul en Pierrot », 1925 de Picasso; Dans l’appartement parisien on voit aussi « Les Capétiens partout » de Mathieu, 1954, alors que des inserts sur les cartes postales apparaîtront successivement dans le film; lors du voyage vers le sud apparaîtront en écho à la sensualité de l’été ‘Baigneuse couchée au bord de la mer » de Renoir, 1892, et « Terrasse du café le soir » de Van Gogh, 1888; dans l’appartement où Marianne est enlevée puis Ferdinand torturé se trouvent le « Portrait de Sylvette », 1954 et « Jacqueline avec des fleurs », 1954 de Picasso. Si la peinture tient le premier rôle dans ces références, la Bande Dessinée est aussi très présente avec l’album des Pieds Nickelés que Ferdinand promène partout avec lui et les comics: « Diadème de sang » puis « Rendez-vous avec la mort » des Mister-X series. La littérature fait l’objet de multiples citations : Balzac, César Birotteau (les trois coups de la 5e symphonie qui frappent dans sa pauvre tête), le double de William Wilson, héros de la nouvelle d’Edgar Allan Poe, « Les enfants du capitaine Grant » de Jules Verne, « Guignol’s band » de Céline, Joyce et Joan Miró, « La mise à mort » d’Aragon, « Le coup de corne et la mort » de Federico García Lorca, un poème de Jacques Prévert et Arthur Rimbaud avec les titres de chapitres « une saison en enfer » et les dernières paroles du film tirées de L’éternité. On y voit aussi une couverture d’un roman d’espionnage, « Le vent de l’est », et un hold-up raconté avec des références : Dans un petit port comme dans les romans de Conrad, un voilier comme dans les romans de Stevenson, un ancien bordel comme dans les romans de Faulkner, un Stewart devenu millionnaire comme dans les romans de Jack London; ils retrouvent les deux types qui lui ont cassé la figurée comme dans un roman de Raymond Chandler. Deux chansons dans le film, Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerais toujours, ô mon amour et Ma ligne de chance de Serge Rezvani, alias Cyrus Bassiak.
On peut parler de souffle libertaire voire d’existentialisme à propos de Pierrot le Fou. Le souffle est à la fois dans sa conception comme dans son fond. Les deux étant liés en une symbiose rarement atteinte par un projet cinématographique. On est en 1965 et Jean-Luc Godard expérimente des cadrages alambiqués, des plans-séquences de transition. Un cinéma inesthétique en soi, pour qui ne se prête pas au jeu de la bienséance historique du 7ème Art. Aujourd’hui, en effet, ce genre de technique, de conception, passe presque inaperçu. D’extravagances en extravagances, Godard joue avec le spectateur, en complétant son fond d’intrigue par la forme, qui elle-même est sublimée par le contenu. Souvent subversif, ce cinéma là est typiquement sartrien, composé d’existence plutôt que d’essence, puisque ayant pour but de filmer l’homme par des moyens techniques surréalistes par rapport aux codes du 7ème Art de l’époque. (nezumi.dumousseau.free.fr)
Les rôles principaux de Pierrot le Fou devaient être tenus à l’origine par Michel Piccoli et Sylvie Vartan, mais cette dernière refusa ; Godard changea alors la distribution et fit appel à Jean-Paul Belmondo, qui lui a amené les fonds nécessaires au film : « Alors Belmondo m’a permis de faire un film avec plus de moyens : ça compte l’argent qu’une vedette amène », dit-il. Pierrot le Fou marque la sixième collaboration entre Jean-Luc Godard et Anna Karina, sa première femme. Alors qu’Anna Karina doit marcher sur la plage pour les besoins d’une scène, l’actrice est intimidée à l’idée de n’avoir aucune réplique sur laquelle se reposer. Elle demande alors à Jean-Luc Godard : « Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire ! ».Complètement improvisée, la phrase plaît tellement au réalisateur qu’il décide de la garder. Aujourd’hui, elle est devenue culte.
A sa sortie, le film fut très décrié et même interdit aux moins de dix-huit ans, pour « anarchisme intellectuel et moral ». Son titre d’origine était Le Démon de onze heures. Malgré cela, il remporta le prix de la critique au Festival du Film de Venise en 1965.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Martin de Kerimel
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