Poet – Akyn



Vendredi 16 Décembre 2022 à 20h

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Darezhan Omirbayev, Kazakhstan, 2021, 1h45min, vostf

Didar est un poète enchaîné à son travail quotidien dans un petit journal. Mais à l’ère de la consommation de masse, rares sont ceux qui s’intéressent encore à la poésie. En lisant l’histoire d’un célèbre poète kazakh du 19e siècle exécuté par les autorités, il est profondément ébranlé, y reconnaissant à la fois la dureté et la nécessité de sa vocation. Invité à donner une lecture dans une petite ville, il se retrouve déchiré entre la douleur et la joie, ses accomplissements et ses échecs.

Notre article

par Josiane Scoleri

Avec Akyn (Le poète), Omirbaev pose dès le titre même la question de la poésie dans la société contemporaine, et donc de la place de l’art en général (sous-entendu, on s’en doute, y compris le cinéma). Mais sans doute, la poésie est-elle, de tous les arts, le plus impalpable, le plus éloigné de la matérialité forcenée des temps modernes, le moins «utile», et donc nécessairement le plus indispensable. Didar, le poète, écrit donc sur un coin de table de cuisine, pendant que sa famille dort encore paisiblement, avant d’aller turbiner. C’est la première scène: le cadre est posé. S’en suit une des rares scènes «bavardes» du film où Didar et ses collègues de bureau se désolent du sort des langues minoritaires qui disparaissent à la vitesse grand V et de toutes celles qui sont menacées par l’uniformisation mondialisée. On pourrait penser tenir là le soubassement intellectuel du propos du réalisateur. Mais ce n’est là qu’une des facettes du film.

En réalité, la force de Akyn repose sur une double articulation entre scénario et mise en scène d’une part, passé et présent de l’autre. Le réalisateur en joue avec beaucoup d’habileté tout au long du film pour donner toujours plus d’épaisseur à son récit. En effet, Didar est plongé dans la lecture de la biographie d’un grand poète kazakh du XIXième siècle, Makhambet Utesimov. Il faut savoir qu’ Utesimov est une grande figure nationale, une sorte de mythe du récit kazakh, un poète combattant des steppes d’Asie centrale qui mourut pour avoir résisté à l’envahisseur. Omirbaev construit son film sur l’alternance entre scènes contemporaines urbaines et scènes historiques qui se déroulent dans la steppe, avec la bonne idée d’employer les mêmes acteurs. Ce simple artifice de mise en scène permet au réalisateur de ferrer son public tout en faisant jouer à plein le contraste visuel entre l’environnement urbain de la capitale, bruyant et contraint et l’ampleur des paysages qui s’étendent à perte de vue, sans âme qui vive ou presque. Calme, silence, immensité du ciel et quelques cavaliers à la place des milliers de voitures au milieu des barres d’immeubles et des zones commerciales. Gris dominant d’un côté, ocre jaune de l’autre, seule la langue kazakh – et le physique des acteurs- offre une continuité et permet de passer d’un monde à l’autre. Omirbaev filme l’un comme l’autre avec une grande sobriété, laissant parler les environnements, prenant soin de ne pas forcer le trait de ce qui pourrait facilement passer pour un folklore photogénique ou un naturalisme inutilement appuyé. Surtout, il n’y a aucun flottement dans ces allers-retours.

Chaque fil narratif nous offre maintes surprises en parallèle et nous glissons sans le moindre à-coup d’une péripétie à l’autre, le poète étant toujours au cœur du récit. Le poète joué par le même acteur, ou plutôt sans doute la poésie, universelle et atemporelle. Car malgré ces deux temporalités, ces deux environnements et ces deux narrations, l’unité du propos apparaît de plus en plus clairement. Omirbaev sait où il veut nous emmener et ne nous lâche pas. La dimension historique du film lui permet de balayer large, du milieu du XIXième à aujourd’hui, c’est-à-dire avant, pendant et après la période soviétique. Chaque scène apporte ainsi sa contribution au tableau et chaque scène est significative. L’une des plus belles est sans doute celle où Didar se rend dans une petite ville de province après un long voyage en train. Il est invité pour un récital de poésie dans un de ces Palais de la Culture mastodontique du plus pur style stalinien. On sent bien sûr venir le fiasco de loin, mais pas le retournement aussi inattendu que poétique, avec la jeune fille bègue qui connaît par cœur les poèmes de Didar. La situation est certes pathétique mais Omirbaev la traite avec beaucoup de délicatesse, sans le moindre coup de griffe facile qui tournerait très vite la pauvre étudiante en ridicule. Nous ne sommes pas ici chez Östlund. Omirbaev éprouve une réelle tendresse pour ses personnages et ça se sent. Même les apparatchiks locaux qui apportent une note burlesque restent touchants malgré tout. Le cinéaste donne dans cette scène toute la mesure de son savoir-faire par ces multiples touches en demie teinte qui constituent en fait la colonne vertébrale du film.

Quant à la période soviétique, le sort des ossements de Utesimov nous offre une suite de scènes entre Kafka et Tati, servies par l’humour pince-sans-rire du cinéaste qui semble avoir trouvé là une matière inespérée…Tout ce qui a trait au poète du passé acquière à ce moment-là une dimension quasi- documentaire, ne serait-ce que par la chronologie précise des différents événements. Mais toutes les scènes contemporaines nous parlent aussi, la plupart du temps de biais, du Kazakhstan d’aujourd’hui, le rêve de la consommation (cf le magasin de télés à écran géant ou le concessionnaire Cadillac), qui ne va guère au-delà d’une nouvelle paire de chaussures, la corruption généralisée, les difficultés de communication entre les générations avec la personnage furtif de la grand-mère. Les personnages secondaires ont tous une réelle consistance et permettent à chaque fois un coup de projecteur sur un autre aspect de la société. Par exemple avec la scène étonnante du café-poésie tapissé de portraits géants de grands poètes du monde entier, tenu par un des anciens copains de fac de Didar ou le patron d’usine qui veut s’inventer une lignée…

Akyn s’avère un film foisonnant qui allie une construction originale portée par un montage impeccable et un regard lucide sur le monde d’aujourd’hui, où le geste créateur réussit encore à tenir le désespoir en respect.


Darezhan Omirbayev est un réalisateur et scénariste né en 1958 dans le village d’Uyuk, au Kazakhstan. Avec un diplôme en mathématiques appliquées, en 1981, il commence une formation d’assistant réalisateur. Son film de fin d’études, très bien accueilli, lui permet de travailler dans les studios Kazakhfilm comme correcteur de scénarios. Après un passage au VGIK (Institut national de Cinématographie) à Moscou, il revient à Almaty en 1988. Pendant plusieurs années, il est critique de cinéma pour le magazine New Film En 1991, il réalise son premier long-métrage, Kairat, récompensé par le Léopard d’argent et le Prix Fipresci au Festival de Locarno, marquant le début de la « Nouvelle Vague kazakh ». Fortement inspiré par Robert Bresson, pour lequel il n’a jamais caché sa grande admiration, Darezhan Omirbayev est considéré comme un des chefs de file du cinéma d’Asie centrale. En 1995, Kardiogramma qui aborde ses souvenirs d’enfance est sélectionné en compétition officielle au Festival de Venise où il remporte le Prix UNESCO. Son troisième long-métrage en 1998, Tueur à gages, fable lucide sur l’état de la société kazakh, est récompensé par le Prix Un Certain Regard – Prix Fondation Gan au Festival de Cannes. Il signe en 2001 La Route, également sélectionné à Un Certain Regard au Festival de Cannes. En 2007, Chouga, inspiré d’ « Anna Karénine » de Léon Tolstoï, remporte le Prix Spécial du Jury au Festival des 3 Continents à Nantes. En 2012, il réalise L’Etudiant, inspiré de « Crime et châtiment » de Fiodor Dostoïevski, qui est sélectionné à Un Certain Regard au Festival de Cannes. On le retrouve en 2021 avec Poet, film qui remporte le Prix de la Mise en scène au Festival International du Film de Tokyo 2021 et est sélectionné en 2022 à la Berlinale dans la section Forum. La Viennale le met également à l’honneur de son édition 2022.

Avant-propos du réalisateur Darezhan Omirbayev :

«Il y a quatre ans, j’ai été invité à exposer certaines de mes photographies à Lugano, en Suisse. Là-bas, j’ai été profondément saisi par un étrange sentiment de solitude, malgré la présence de personnes intéressées par mon travail. Je suppose que cette confrontation violente, entre un monde fragile et idéaliste et la réalité, peut être vécue par de nombreux artistes. À partir de cette base, j’ai senti qu’une histoire pouvait naître, celle de l’artiste moderne confronté à un problème éternel. Je dois avouer que j’ai toujours été fasciné par la vie et l’art de Makhambet Utemisov, un poète kazakh du 19e siècle, qui s’est rebellé contre les autorités. Du fait d’une violente répression, il a été forcé de se cacher avec sa famille dans la steppe. Rapidement retrouvé, il a été décapité publiquement et sa tête a été apportée à Khan Zhangir, le gouverneur du Kazakhstan Occidental.

J’ai décidé de réunir cette expérience personnelle et quelques épisodes de la vie de Makhambet. Ils appartiennent à des époques différentes mais ont la solitude comme socle commun, l’impossibilité de vivre une vie monotone et la difficulté d’envisager un avenir pour son art. À travers Makhambet, je voulais aussi représenter la chose la plus importante, celle qui nous donne un peu de force pour vivre, l’élan créatif.

Les acteurs qui jouent le poète, sa femme et son enfant sont les mêmes qui interprètent les rôles de Makhambet et de sa famille. Le meurtrier de Makhambet se retrouve également dans le personnage d’un homme d’affaires impitoyable, afin d’accentuer les liens profonds entre les vies, les destins et les mondes intérieurs de mes deux personnages principaux.

De toute évidence, la poésie et la littérature sont aujourd’hui menacées par les nouvelles technologies. Les gens lisent moins et passent de plus en plus de temps devant différents écrans. Mais la vraie poésie, celle à laquelle nous croyons, trouve toujours son chemin, en tant que partie intégrante de la nature humaine.»

Sur le web

L’idée initiale du scénario est venue au réalisateur lors de la lecture d’une nouvelle d’Herman Hesse, Soirée d’auteur, dont le personnage principal est un artiste : «Je suis tombé dessus par hasard et cela a provoqué en moi l’envie d’un film. Bien sûr, je me sentais proche du personnage, car c’est un artiste. J’ai même pensé que je pourrais faire de ce personnage un réalisateur en visite dans une petite ville pour une projection, et se rendant compte que personne n’est venu voir son film… Mais j’avais déjà fait un film sur un réalisateur, La Route, et j’ai pensé qu’il serait plus intéressant de raconter cette fois ci l’histoire d’un poète. Je m’identifiais à lui ; ses pensées et ses préoccupations sont celles de tout créateur.»

Poet marque le retour au cinéma de Darezhan Omirbayev, 10 ans après L’Étudiant (2012). De nature réservée, Darezhan Omirbayev est originaire d’une région éloignée de la capitale kazakh Almaty et n’a su que tardivement parler le russe (sa langue natale étant le Kazakh). Le personnage principal de Poet connaît une solitude similaire à celle du réalisateur face à son art qu’est la poésie. Le cinéaste reconnaît par ailleurs que ce sentiment de solitude lui a permis de devenir quelqu’un de très observateur et que ses observations continues lui ont donné envie de réaliser des films « où tout serait montré à travers un regard« .

Le réalisateur considère que la poésie et la littérature sont aujourd’hui menacées par les nouvelles technologies. Les gens lisent moins et passent de plus en plus de temps devant différents écrans. Mais il pense néanmoins que la vraie poésie, celle à laquelle nous croyons, trouve toujours son chemin, en tant que partie intégrante de la nature humaine : « Selon un dicton kazakh “Parmi toutes les choses, la plus importante est l’art des mots”. Cela a toujours été l’un des principes fondateurs de notre culture, jusqu’à ce qu’il soit si radicalement transformé. Aujourd’hui, où un poète trouve-t-il la force de persévérer dans son métier ? Comment peut-il garder une âme sensible ? Que reste-t-il à espérer ? La poésie est habitée par des aspirations supérieures, par la pureté, l’idéalisme, la foi. Elle l’a toujours été et le sera toujours. C’est du moins ce que je veux croire. »

Omirbayev s’est beaucoup s’inspiré du cinéma de Robert Bresson à qui il emprunte son amour du cadre et du sous-entendu. Comme le metteur en scène d’Un condamné à mort s’est échappé, le réalisateur de Poet revient beaucoup sur les détails du corps humain et insiste peu sur le visage et les émotions qu’il suscite. Le film partage aussi en commun avec ceux de Bresson le thème de l’argent.

Interrogé sur sa collaboration avec Yerdos Kanaev, qui joue le rôle du poète Dinar, le réalisateur confie : «le personnage est plutôt un introverti, une personne créative. Il a tendance à moins agir, à moins parler, absorbé par sa vie intérieure. Mais l’entourage est vraiment important : on peut créer un personnage profond et cohérent même si seuls les autres parlent. Nous avons d’abord pensé à un autre acteur, un Kazakh, diplômé d’une école kazakhe. Mais il venait d’Almaty, c’était un homme de la ville, et cela se voyait dans ses yeux qu’il était russophone. Puis nous avons connu le confinement et trois mois de stagnation. Par hasard, à cette époque, j’ai vu sur Internet le spectacle d’un groupe folklorique de Shymkent. L’un des chanteurs a attiré mon attention. Nous l’avons invité et j’ai senti qu’il correspondait parfaitement au rôle».

Quant à son directeur de photographie Boris Troshev, il ajoute : «J’ai travaillé avec Boris Troshev sur la plupart de mes films. C’est un très bon technicien, qui s’engage toujours à fond. Nous avions des décors contemporains et historiques, avec beaucoup de lieux différents. Mais d’abord, nous sommes allés au mausolée de Makhambet Utemisov. Le climat y était rude, glacial. Nous y avons tourné nos dernières scènes, mais d’une certaine manière, nous étions aussi venus demander la bénédiction de Makhambet. C’est ce que j’ai écrit dans le livre d’or sur place, et je veux croire que cela nous a aidés. Nous avons eu de la chance, trouvé un nouvel acteur, respecté tous les délais…»

« À quoi bon des poètes en temps de détresse ? », demandait Hölderlin.

Cette question angoissée taraude le réalisateur kazakh Darezhan Omirbayev dans son film Akyn (« Poète »). Omirbayev, comme ses personnages, aime contredire notre époque : il prend son temps, aussi bien dans la réalisation de ses métrages, dont l’avant-dernier datait de 2012, que dans la composition très étudiée, minutieuse, de chaque plan, chacun racontant une histoire dans l’histoire, chacun donnant un aperçu de l’état d’un pays, de l’état du monde, ouvrant sur des pans de mémoire refoulée, des fragments de rêve mêlés à la réalité la plus prosaïque.

Le film suit deux récits en parallèle. L’un se déroule aujourd’hui, dans une grande ville du Kazakhstan contemporain, standardisée, propre, avec ses quartiers d’affaires, ses quartiers résidentiels, ses centres commerciaux, sa banlieue, une ville qui pourrait être n’importe où au monde. Le personnage principal est un jeune poète, Didar, qui s’interroge sur la place de la poésie dans la société d’aujourd’hui, alors que se dresse l’implacable constat (aux dires, dès la première scène, de ses collaborateurs, dont l’un est joué par le réalisateur lui-même) de la domination internationale de l’Anglais et de la disparition croissante de familles linguistiques, avec le risque d’une régionalisation du Kazakh en tant que langue et culture. L’autre récit porte sur l’enjeu d’une filiation, celle d’un poète également, figure fondatrice de la littérature du Kazakhstan, et dont on suit à la trace le difficile rapatriement des cendres par des dignitaires du régime soviétique épris de poésie : Makhambet, qui fut assassiné en 1846 pour avoir résisté à la main-mise de l’empire russe sur son territoire.

Les deux récits creusent une seule et même problématique, à deux siècles d’intervalle ou presque, l’un et l’autre contexte constituant une période charnière, de transition, troublée, instable : comment le poète, figure de résistance et d’intransigeance, avec son refus de toute compromission, son attachement passionné à la liberté, sa revendication d’une langue et de tout ce qu’elle comporte de relation au monde, peut-il affronter une réalité qui l’ignore ou le mé-comprend ? Plus simplement : comment la poésie peut-elle continuer d’exister dans un monde si peu poétique ?

Cette question est vécue bien différemment par les deux poètes. Pour Makhambet, elle prend la forme d’une résistance à l’oppression, à la disparition de son mode de vie, de sa culture. A travers la dimension orale d’une poésie qui célèbre aussi bien la terre que la liberté des habitants de la steppe contre le tsarisme ou le pouvoir des sultans corrompus, c’est son être même face à l’impérialisme des Etats ou des clans que défend Makhambet, et il est prêt à aller jusqu’au bout dans ce combat, jusqu’au sacrifice. Face à lui, le pouvoir, à travers ses sbires inféodés à la raison d’État, ne pèche pas par indifférence à la poésie, bien au contraire : si l’on s’en prend à Makhambet, si on menace sa vie et celle de sa famille, qui vit pourtant retirée, c’est que la parole a, dans sa société, un poids considérable, un statut d’autorité peut-être équivalent au pouvoir du souverain. Dans le monde de Makhambet, la poésie est politique, même quand elle ne fait que chanter un célébrer de soleil, les beautés de la nature ou bien l’amour. C’est parce qu’elle est sacrée, en tant que chant, en tant que parole de vérité, qu’elle est dangereuse, et qu’il convient de la domestiquer. Aussi bien propose-t-on à Makhambet une transaction : il lui suffirait d’écrire un poème en l’honneur du sultan pour rentrer en grâce et obtenir le pardon de sa rébellion. Si peu, en somme… quelques mots innocents suffiraient. Makhambet regarde longuement son interlocuteur… et lui crache dessus.

Retour en 2021 qui correspond à l’époque où le film fut tourné, en pleine pandémie. Un monde si différent de celui que connaissait Makhambet, qui ne connaissait pas la moindre ville. Almaty est une métropole de presque deux millions d’habitants, dimensions modestes par rapport à d’autres villes du monde, mais importantes pour un Etat de vingt millions d’habitants, même si elle n’en est plus la capitale. C’est une ville polluée, et en voie de gentrification pour certains quartiers, dont le film nous donne un aperçu. Les classes moyennes y vivent cependant fort modestement, comme le poète dont on suit le parcours, mais suffisamment bien pour éprouver de temps à autre les tentations de la société de consommation : errer dans un centre commercial rempli de produits high-tech, d’écrans digitaux de toutes sortes, de postes de télévision rutilants, de téléphones portables dernier cri, s’acheter une nouvelle paire de chaussures, une grosse voiture (qu’on imagine gourmande en carburant)… Didar éprouve plus fortement cette tentation lorsqu’un homme d’affaires richissime lui propose, à l’instar du sultan qui voulait soudoyer Makhambet, d’écrire un roman sur son histoire familiale et son ascension personnelle : un roman à sa gloire, en somme. Le jeune poète se laisserait bien acheter : « nous te ferons une offre que tu ne pourras refuser », dit le mécène sur un ton qui se voudrait facétieux…

L’histoire semble se répéter, mais l’analogie s’arrête là, car le film bifurque aussitôt, par le biais d’un voyage dans une petite ville de province où le poète a été invité à donner une lecture de son œuvre en public. En public, c’est beaucoup dire… La grande différence avec l’époque de Makhambet, c’est qu’aujourd’hui, plus grand-monde ne s’intéresse à la poésie. Celle-ci a perdu son pouvoir de nuisance, sa dimension politique, en perdant sa popularité. Le passage de l’oralité à l’écrit serait-il en cause ? Est-ce vraiment cela, la défaite de Makhambet ? Peut-être… Mais ce qu’on voit surtout, c’est la prolifération de la laideur, de la banalité, de la médiocrité marchande dans un monde sans âme : comme la musique qu’on subit à volume élevé dans les centres commerciaux. Le réalisateur confie d’ailleurs, dans la conférence d’après-film, qu’il s’agit là d’une expérience vécue ; son fils ayant travaillé dans un centre commercial pouvait témoigner que la musique à fort volume est une stratégie de marketing assumée et imposée par les marques tant aux consommateurs qu’aux employés.

Le véritable ennemi du poète aujourd’hui n’est donc plus le sultan, mais le centre commercial.

Paradoxalement, le film pourrait bien s’avérer optimiste malgré tout. Car Didar, lui, n’aura pas à subir le destin de Makhambet. Le fait que tout le monde l’ignore ne lui laisse pas seulement la vie sauve, mais lui donne une liberté immense, bien plus grande que celle dont pouvait rêver l’inflexible Makhambet : il peut écrire ce qu’il veut, sur ce qu’il veut, pour qui il veut. Même des poèmes politiques. Et qui sait ? Il se trouve toujours une lectrice émerveillée, à l’image de la jeune femme bègue qu’il rencontre, seule auditrice du public absent à sa conférence dans l’improbable petite ville de province où l’accueille une famille d’élus locaux avec autant d’égards que de maladresse touchante, pour donner sens à son choix de vie. Le miracle se produit alors : au moment où la bègue récite les vers de ce poète qu’elle apprécie et connaît depuis longtemps, elle ne bégaie plus, sa diction est parfaite.

« Mes amis, nous venons trop tard », écrivait Hölderlin. Et si c’était justement cela, la chance du poète ? (rebelles-lemag.com)

« Avec Akyn [Poet], le parcimonieux cinéaste kazakh Darezhan Omirbaev, en bon dostoïevskien, interroge par la fable la disparition de la poésie dans notre monde contemporain. Son jeune héros, poète égaré dans une époque trop prosaïque, posait au festival allemand une question de taille : où en est-on avec la beauté ? » (lemonde.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

 

 

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