Rêve et silence



Vendredi 16 Novembre 2012 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Jaime Rosales – Espagne – 2012 – 1h50 – vostf

Oriol et Yolanda vivent à Paris avec leurs deux filles. Il est architecte, elle est professeur de lycée. Au cours de vacances dans le delta de l’Ebre, au sud de la Catalogne, un accident bouleverse leur existence.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Avec Rêve et Silence, Jaime Rosales poursuit son exploration de la forme cinématographique dans une démarche toujours aussi radicale pour tenter de faire surgir le sens de la forme elle-même. Comme toujours, il applique un protocole auquel il ne va pas déroger: ici tournage en une seule prise avec des acteurs non-professionnels chargés d’improviser sur un scénario sans dialogue… La pellicule choisie donne un Noir et Blanc étrangement granuleux accentué sans doute par le choix tout aussi pensé de la lumière naturelle. L’effet de matière qui en résulte est très puissant et nous rapproche comme par magnétisme de la matérialité de la vie et des corps que nous voyons à l’écran. A propos du Noir et Blanc, Jaime Rosales cite d’ailleurs Orson Welles qui avait l’habitude de dire: « La vie est en couleurs, mais le Noir et Blanc est plus réaliste« .

Avec de telles contraintes, on comprend d’entrée de jeu que Jaime Rosales n’est pas du genre à se laisser aller à la facilité et que par conséquent, le spectateur n’aura guère le loisir de s’y adonner non plus. Le réalisateur procède par petites touches (cf la scène d’ouverture et de clôture du film où l’on voit le peintre Miquel Barcelo faire naître et disparaître sous nos yeux des formes plus ou moins énigmatiques). Ces deux scènes en couleurs (voir supra la citation d’Orson Welles) qui encadrent le film, posent à elles seules la double question de la place de l’art et de la réflexion dans nos vies. En effet, Barcelo travaille à une représentation du sacrifice d’Isaac tout en citant « Crainte et Tremblement » de Kierkegaard. De telles références pourraient rebuter, mais de par leur place dans le montage du film, elles ne vont en aucune manière parasiter la vision du spectateur.

Le film nous livre peu à peu des bribes qui vont faire sens avec un art de l’ellipse comme on en a rarement vu au cinéma. En tant que spectateur, nous sommes plongés tout entier dans ce travail de re/composition du fil narratif sans lequel le film ne peut advenir. C’est l’un des paris, risqués, de ce film singulier. D’autant plus singulier qu’il s’attaque à l’une des questions essentielles (la seule vraie question aux dires de nombre de philosophes): celle de notre rapport à la mort et à l’absence. Or dans notre société de l’immédiateté et de l’éternel présent, s’il est une question refoulée avec la plus extrême constance et une énergie quasiment obsessionnelle c’est bien la question de la mort. Le parti pris du réalisateur est donc doublement courageux. D’abord par rapport au thème lui-même, mais aussi par sa volonté d’impliquer le spectateur bien au-delà de ce qui lui est généralement proposé.

L’histoire du film est celle d’une famille comme tant d’autres, sans rien d’exceptionnel, plutôt banale même, qui va se voir bouleversée par l’irruption brutale du drame. Cette phrase suffit à dire la trame. Mais tout l’art du réalisateur va consister à se déployer dans une retenue infinie pour ne rien montrer frontalement et nous faire partager  les émotions au plus intime des uns et des autres. Le rêve ou le silence du titre vont être la réponse des deux personnages principaux et surtout la matière première du film. On peut penser qu’il s’agit là d’une ambition démesurée. Mais Jaime Rosales et son chef opérateur en s’approchant au plus près de tous ces petits riens de la vie quotidienne vont relever le défi et tenter d’attraper le tragique, comme en creux, par la beauté des images et la composition des plans, par le rythme même du film qui se déroule dans une respiration ample. Il nous laisse le temps d’absorber tout ce qui nous est donné à voir à l’écran. D’aucuns trouveront le temps long, mais quiconque a fait l’expérience de la disparition sait bien à quel point le temps ne passe plus. Il s’agit pour le spectateur d’entrer dans ce rythme étrange, un peu comme en apesanteur, car c’est lui qui va nous transmettre ce trop – plein d’émotions qui ne passe pas – ou peu – par la parole.

La caméra va donc savamment alterner les plans fixes où les personnages entrent et sortent du champ librement et les plans en mouvement qui sont comme autant de rappels à la vie, même s’ils sont le plus souvent de l’ordre du rêve. Là aussi c’est au spectateur à faire sa part du travail et à se frayer un chemin entre réel et imaginaire (notamment les scènes où Yolanda, la mère voit son enfant vivre à côté d’elle. Scènes qui sont en soit particulièrement déroutantes: rêve, délire, hallucinations, nous ne savons pas trop quoi en penser, si ce n’est qu’il ne s’agit visiblement pas de flash-backs).

A noter que Jaime Rosales lorsqu’il parle de son film établit une distinction très nette entre le travail sur le cadre, dont il dit qu’il est très « solide » (où il a laissé carte blanche à son chef opérateur) et la mise en scène qu’il qualifie lui-même de « très liquide« . C’est une bonne manière de rendre ce que nous ressentons confusément face à ces cadrages très travaillés qui prennent vie dans un déroulé tout en souplesse et en fluidité. On sent chez lui ce désir de s’attaquer par le biais du cinéma – cet art qui se situe au plus près de la représentation de la vie – à l’impalpable de cette même vie, à ce qui est intrinsèquement de l’ordre du mystère, de l’indicible et du pourtant bien présent que nous ressentons tous avec plus ou moins d’intensité et de fréquence chaque fois que nous voulons bien le laisser affleurer ou que nous y sommes contraints par les soubresauts de l’existence.

On voit bien au fur et à mesure que le film avance à quel point la participation active du spectateur est essentielle. C’est elle qui non seulement permet au film de prendre sa véritable forme, mais surtout c’est par elle que nous accédons aux émotions fortes qui traversent les personnages du film. Car il nous faut aussi dire un mot des acteurs qui ont improvisé tous les dialogues sur la base de ce synopsis qui tient en quelques lignes. Ils vivent le drame de part en part en fabriquant le film devant nous avec à la fois délicatesse et retenue dans une violence rentrée qui touche au plus profond. Jaime Rosales, en tant que réalisateur a accepté de se laisser surprendre à chaque prise dans un état d’alerte et de réceptivité maximum tout comme il s’était fixé de ne pas remettre en cause l’angle de prise de vue choisi par son directeur de la photo.

Le résultat est une sorte de miracle à condition toutefois que le spectateur accepte lui aussi d’emprunter ce chemin éblouissant et aride.

Sur le web

Avec Rêve et Silence, Jaime Rosales, cinéaste catalan peu prolixe ( 4 films en 10 ans) signe un film à la fois rare et immensément ambitieux, puisqu’il s’est fixé comme défi de filmer l’absence… et au-delà de l’absence, la manière dont chacun essaie de faire face à ce vide au plus intime de soi. La caméra est donc attentive au moindre détail du quotidien, accorde autant d’importance aux lieux qu’aux êtres dans un noir et blanc granuleux qui nous dit toute la rugosité de l’épreuve.  Un film exigeant où la retenue sert à exprimer le trop-plein des émotions. (J.Scoleri)

Rêve et silence a été le fruit d’un hasard qui a fait se rencontrer la fiction imaginée en amont par le réalisateur Jaime Rosales et la réalité qui s’est imposée à la construction du film : « Le film ne ressemble pas du tout à ce que j’avais imaginé, et ce qui a été difficile, ça a été de faire une œuvre à travers soi. Réussir à devenir le moyen à travers lequel l’œuvre s’est peu à peu transformée et laisser faire que le hasard et la réalité aient été une part du processus créatif« , explique le réalisateur.

Pour ce film, Jaime Rosales a beaucoup travaillé avec l’artiste plasticien espagnol Miquel Barceló en essayant d’enrichir son travail de cinéaste avec la peinture : « Je me suis rendu compte que la principale difficulté serait de trouver la manière d’assembler un processus extensif – celui de la peinture – avec un processus intensif – celui du cinéma –« , partage le réalisateur. Pour résumer son avis sur cette collaboration, il ajoute enfin : « J’ai beaucoup appris en travaillant à ses côtés : sur la vie, sur ce que signifie d’être un artiste véritable. » Jaime Rosales a eu l’idée de faire ce film quatre ans avant le début du tournage. Dès le départ, il en a parlé à l’artiste qui l’a accompagné pendant tout le projet, Miquel Barceló.

Pendant le tournage de Rêve et silence, le réalisateur a donné beaucoup de liberté à ses acteurs en leur offrant un scénario sans dialogues. Son but a été de laisser à l’improvisation l’espace nécessaire pour donner au film un aspect à la fois spontané et surprenant : « L’improvisation initiale est unique, vraie et singulière. Je me laisse surprendre par ce que disent et font les acteurs. Parfois, ils sortent du champ de façon inattendue et le cadre reste vide. C’est aussi pertinent« , affirme Jaime Rosales.

Après avoir coécrit avec lui les scénarios de Las horas del dia et La soledad, Jaime Rosales retrouve à nouveau Enric Rufas pour Rêve et silence.

Jaime Rosales a été remarqué au Festival de Cannes depuis ses débuts en 2003, après la réalisation de son premier film Las horas del dia. Primé également pour ses deux autres films en 2007 et en 2008, le cinéaste a regagné la Croisette à l’occasion de Rêve et silence, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Le film a été salué par six nominations.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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