Mercredi 24 Mai 2006 à 20h45 – 4ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Miklos Jancso – Hongrie – 1967 – 1h40 – vostf
En 1918, près de la frontière hongroise, l’affrontement entre les Rouges (bolchéviques) soutenus pas des volontaires hongrois, et les Blancs (tsaristes).
Sur le web
» Miklos Jancso est le chef de file de « l’école hongroise » des années 60/70, au côté d’Istvan Szabo et Marta Meszaros ou encore Istvan Gaal et Judit Elek. Il est révélé en France avec Les Sans espoirs en 1966. Rouges et blancs, réalisé en 1967, trouve tout naturellement sa place dans une filmographie où histoire et politique tiennent une place centrale. Jancso, étudiant stalinien en ethnographie, membre des collèges populaires (institutions chargées de créer la nouvelle élite hongroise) s’est investi directement dans les bouleversements sociaux et politiques de son pays. Son cinéma se fait témoin aussi bien de ses idéaux de jeunesse que de ses doutes et renoncements. Si ses premières oeuvres témoignent d’un engouement pour le communisme, petit à petit ses films vont être des chants de lutte contre tous les totalitarismes, qu’ils soient fascistes ou, au final, communistes.
Rouges et blancs se déroule en 1917, sur la frontière entre la Russie et l’Autriche-Hongrie. Les régiments bolcheviques, qui comptent dans leurs rangs de nombreux volontaires hongrois, sont décimés et pourchassés par l’armée tsariste. Un groupe de fuyards rouges trouve refuge dans une infirmerie de campagne, tandis qu’au loin le rapport de force se retourne en faveur des révolutionnaires…
Miklos Jancso nous emmène au coeur du conflit entre Blancs et Rouges dans une suite de séquences sans véritable fil narratif, longue succession d’arrestations et d’exécutions sommaires, de courses poursuites dans les campagnes, de Rouges qui se cachent et de Blancs qui les traquent. Il n’y a pas de climax ou même de personnage principal, juste des visages qui reviennent et dont nous suivons sporadiquement la fuite.
On peut cependant restreindre le coeur narratif du film, qui après avoir montré plusieurs répressions se concentre sur une sorte de chasse à l’homme organisée par l’armée tsariste. La force du film tient en l’absence de héros. On ne peut savoir qui va réchapper ou être tué, chaque Rouge étant traité sur un pied d’égalité (ou presque, le film se concentrant plus particulièrement sur trois, quatre visages).
Ce qui frappe d’emblée, ce sont les méthodes de répression des Blancs, incompréhensibles et absurdes. Les exécutions ne semblent menées par nulle règle, les critères de choix de ceux qui sont libérés ou tués sur place changent d’une arrestation à une autre. Un coup, les Magyars sont tués d’office, une autre fois ils sont les seuls échappant aux rafles…
Pas d’explications historiques, pas de discours politiques, juste des faits. On entrevoit les répressions aveugles, l’ordre militaire, les techniques de combat. Jancso n’ordonnance pas ces éléments, mais au contraire dresse une mosaïque de faits qui décrivent en creux un portrait plus grand de l’histoire où ils se déroulent.
L’histoire ne se bâtit pas sur les faits d’armes de héros, mais bien avec le sang de simples hommes. Ainsi, Jancso refuse de mettre en avant un ou des personnages forts. Il multiplie les acteurs du récit sans s’impliquer émotionnellement, sans s’y attacher vraiment, au risque de dérouter le spectateur qui attend de pouvoir s’identifier à un héros et de découvrir le drame à travers ses yeux, donc à travers ceux du cinéaste. Jancso donne l’impression de vouloir s’effacer au maximum derrière sa mosaïque, derrière la multiplicité des fils narratifs et des personnages afin d’être au coeur de l’histoire, sans le romantisme et le drame qui deviennent pour lui des voiles qui opacifient la vérité historique.
Autre élément marquant à la vue de Rouges et Blancs : la peinture d’un monde en guerre livré à l’absurde. Celui-ci règne en maître à l’image des ordres donnés par ces commandants blancs à des infirmières au milieu des bois et sous la menace des armes. Tout est incertitude, qu’il s’agisse des choix irrationnels conduisant les exécutions ou des brusques retournements de situation. Les Rouges gagnent, puis les Blancs, les fuyards deviennent chasseurs, avant de s’enfuir de nouveau. Dans chaque camp, existent également des tensions palpables. Ceux qui ont perdu leurs armes dans la débâcle sont aussitôt désignés comme traîtres. Nous sommes sur des sables mouvants, rien n’est figé, solide, tangible. Jancso manie l’irréel, le saugrenu parfois, pour brosser un portrait qui au final nous semble profondément réaliste. La guerre ressemble à une mécanique implacable, huilée, rodée, mais en grattant les apparences on ne découvre que confusion, folie, absurdités.
Jancso rejette le psychologique et préfère l’opacité. Le spectateur est prié de comprendre non par le biais de l’explication ou de la démonstration, ni même de l’émotion, mais grâce à sa propre capacité à donner sens aux pièces (apparemment) disparates du puzzle qui lui est proposé. C’est par le manque de repères, d’attaches, qu’il l’amène à réfléchir sur ce qu’il voit, à essayer d’appréhender les enjeux de ses films. La vérité se fait parcellaire et, au fil du film, les éléments s’emboîtent.
Jancso rejette le réalisme et préfère la poésie. Peintre de la lutte contre l’oppression, qu’elle soit fasciste ou communiste, il oppose à la rigidité des états totalitaires la poésie de ses images.
Rouges et blancs est une succession de longs plans-séquences savamment orchestrés et chorégraphiés, de vastes mouvements d’appareils combinant plusieurs panoramiques. Parfois la caméra filme du ciel, comme lors de la séquence de l’aviation russe, et les hommes ressemblent alors à des pièces d’un jeu d’échec. Pas de musique, peu de paroles, Rouges et blancs est un film brut mais étrangement poétique et lancinant par son rythme et sa structure. Une pure oeuvre de cinéaste qui utilise l’image, le montage, le rythme, les mouvements des corps comme langage. Jancso trouve un équilibre bien plus satisfaisant entre le fond et la forme que dans Les Sans-espoir, même si Rouges et Blancs demeure un film très formaliste. Les plan-séquences palpitent bien plus que dans ses précédentes réalisations. Les allers et venues des personnages, qui rentrent et quittent le champ, que l’on retrouve plus tard s’éloignant au fond du plan, font vivre l’espace filmé avec une densité et un réalisme saisissants. Jancso dépasse l’utilisation classique du plan-séquence, soit la captation d’une scène grâce à une grande profondeur de champ, en y intégrant des mouvements d’appareil complexes et des entrées et sorties de champ constants, disparitions et (ré)apparitions des acteurs et figurants, qui créent un véritable montage au sein de chacun d’eux. » (Olivier Bitoun)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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