Signes de vie



Mercredi 23 mars 2016 à 20h30 – 14ième Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Werner Herzog  – Allemagne – 1968 – 1h35 – vostf

Blessé au front, Stroszek, un jeune soldat allemand, est affecté sur une île à la garde d’un fort. Eloigné des combats, réduit à l’inaction, le conscrit s’astreint à effectuer des tâches inutiles mais nécessaires à son équilibre mental. Bientôt son comportement inquiète les îliens.

Notre article

par Josiane Scoleri

On entend souvent dire qu’un artiste recrée inlassablement la même oeuvre tout au long de sa vie. Même si ce genre de phrase à l’emporte-pièce est à manier avec précaution, on peut affirmer sans grande crainte de se tromper que Signes de vie, le premier film de Werner Herzog, porte déjà en germe bon nombre des thèmes qui se retrouveront dans tous les grands films du cinéaste, de Aguirre à Fitzcaraldo, de Nosferatu même jusqu’à ses documentaires les plus récents. D’ailleurs le héros de Signes de vie s’appelle Stroszek, comme celui de La Ballade de Bruno qui sera tourné 10 ans plus tard pour nous parler d’un tout autre exil, celui des mirages et des désillusions du rêve américain. L’homme au coeur de ces films est un homme seul, décalé, aux prises avec les éléments dans un environnement inconnu, voire hostile, qui peu à peu perd pied, finit par s’en prendre violemment aux autres et sombre généralement dans la folie.

Force est de constater aussi que dès ce premier film, Werner Herzog sait aussi déjà filmer le paysage et l’étrangeté fondamentale de l’homme face à la Nature, autre thème essentiel de son oeuvre. C’est peut-être l’héritage du romantisme allemand, les peintures de Caspar David Friedrich nous viennent nécessairement à l’esprit. Dans ce face à face, l’homme ferait bien de se souvenir de la place qui est réellement la sienne, sinon, s’il ose défier les éléments dans son délire de toute puissance, il n’aura strictement aucune chance.

Et si les îles grecques ne sont ni la Cordillère des Andes ni l’Amazonie dans Signes de vie elles sont, de fait, tout aussi implacables. Herzog filme la Méditerranée en homme du Nord fasciné par la lumière. Les contrastes sont violents, le Noir et Blanc et tellement puissant qu’on a parfois l’impression de voir le film en 3 D et en même temps, on sent à chaque instant ces hommes souffrir, accablés de chaleur, suffocants, au bord de l’insolation. Face à eux, la splendeur de la Nature est ici avant tout minérale. La végétation y est chétive et a presque autant de mal que les hommes et elle est, de plus, totalement absente de l’environnement immédiat où se débattent Stroszek et ses compagnons d’infortune. La forteresse de Kos, avec ses tours massives, sa double enceinte, son ancien pont-levis est filmée comme le lieu clos par excellence, magnifique et pourtant de plus en plus anxiogène au fur et à mesure que le film avance.

Lorsqu’il tourne Signes de vie, Herzog est un jeune homme de 25 ans et son jeune héros n’est pas aussi seul que le seront plus tard les personnages joués par Klaus Kinski. Il se marie (certes hors-champ), dans la première partie du film. C’est la voix off qui nous en informe et nous verrons une seule image bien plus tard, sans que ce soit vraiment un flash-back, juste une image de Stroszek convalescent qui peine à se tenir droit à côté de Nora, sous le soleil écrasant, déjà. Mais la jeune et jolie Nora, malgré toute sa sollicitude, sera vite balayée par l’ouragan. Les deux autres soldats allemands ont eux aussi beaucoup de mal à se faire à leur nouvel environnement et ce sont des personnages qui ne sont pas brossés à la légère par le réalisateur. Les séquences avec Meinhard sont hautement symboliques. Son piège à cafards évoque immanquablement la rampe d’accès aux camps de  concentration, et comment ne pas penser au Zyklon B lorsqu’il prend bien soin de vaporiser par le haut les insectes qui sont tombés dans son traquenard ? Le vocabulaire qu’il emploie (vermine, cafard), la mine de dégoût qu’il adopte, l’ingéniosité même de ses stratagèmes, tout rappelle les Nazis dans leur monomanie de la supériorité, cela n’aura certainement pas échappé aux spectateurs allemands de la fin des années 1960. Ce n’est pas non plus par hasard si Herzog nous gratifie de deux scènes un peu irréelles avec celui qui se présente comme le Roi des Gitans à la recherche de son peuple et qui porte un orgue de Barbarie sur le dos… Le troisième Allemand, Becker représente plutôt l’Allemagne cultivée et sensible. Il tient à déchiffrer les inscriptions en grec ancien, se fait aider dans ses recherches et explore les environs en bicyclette. Il ne participera d’ailleurs pas à la patrouille qui signera le début de la fin pour Stroszek. Ce dernier, de par sa jeunesse et son émotivité, se situe quelque part entre ces deux pôles qui ne le concernent guère. La jeunesse du héros reflète d’ailleurs celle du réalisateur qui a l’audace de ceux qui ont encore tout à dire et proclament haut et fort leur source d’inspiration au risque d’être accusé de vouloir se mesurer aux plus grands. Et pourquoi pas ? La scène charnière du film, celle qui précipite la narration et le destin de Stroszek s’inscrit dans cette image qui tient de l’hallucination où nous découvrons par les yeux de Stroszek médusé ce champ de moulins à vent qui s’étend à perte de vue. Nous sommes nous aussi éblouis par les ailes des moulins qui se mettent à tourner les uns après les autres, dans une ronde sans fin qui entraîne à son tour un tourbillon de lumière. La séquence est somptueuse et nous restons là, comme hypnotisés par le travelling latéral. Nous nous trouvons en fait, sans le savoir, sur la même longueur d’ondes que Stroszek. Toute l’habileté du réalisateur est là, dans cet éblouissement que nous partageons et qui nous prépare sans coup férir au crescendo à venir. Nous sommes chez Cervantès et Don Quichotte est bien accompagné de son fidèle Sancho/Meinhard, lourdaud, pataud et surtout les pieds sur terre. Mais s’il était facile de se moquer des visions chevaleresques du héros à la triste figure, nous savons tout de suite que nous entrons de plain-pied dans la tragédie.

Le réalisateur s’avère tout aussi adroit dans la mise en scène de la dernière partie du film. La descente aux enfers est filmée du point de vue des « autres » (ses compagnons, sa femme, les autorités, la population, etc..). Stroszek donne de ses nouvelles par les signaux qu’il envoie, avec notamment les très belles scènes de feux d’artifice tirés avec la poudre à canon de la citadelle, et dont nous savons qu’elle ne peut servir à alimenter les armes de la Wehrmacht. Stroszek lui redonne donc sa fonction première, celle pour laquelle elle a été inventée par les Chinois. Belle inversion de la folie dans ce retournement implacable. C’est le moment sans doute de se souvenir du titre du film. La boucle est ainsi bouclée.

Sur le web

Premier long métrage de Werner Herzog, tourné en 1968, Signes de vie suit un groupe de soldats allemands en Crète, lors de la Seconde Guerre Mondiale. Une œuvre particulièrement puissante, à la beauté contemplative, se penchant déjà sur une thématique qui sera chère au cinéaste munichois : l’aliénation. Le film raconte une histoire d’hommes exilés, prisonniers d’un monde qui n’est pas le leur. Leur principal ennemi est l’ennui. Peu à peu Stroszek sombre dans la folie, il s’aliène ses compagnons, tire sur la foule du haut des remparts, illumine le ciel de feux d’artifice… » Mais est-ce vraiment lui le fou, dans un monde en proie à la guerre ? Difficile de ne pas voir dans ce film une interrogation d’une génération allemande sans repères. C’est une génération désaxée qui jugeait durement sa devancière. Le fou n’est qu’un homme que la réalité étouffe et qui voudrait se réinventer un monde. Il y a du Nietzsche chez Herzog…Solitude, folie, sentiment d’exil, impuissance. Herzog posait dans Signes de vie les bases de son cinéma, comme un avant goût des chefs d’œuvre à venir.  » (aVoir-aLire.com)

« Si Herzog vient tourner à Kos, ce n’est pas seulement pour arpenter ces lieux où a travaillé son grand père, c’est que cette idée de signes à déchiffrer le fascine et que la Grèce regorge de ces traces de l’aube de la civilisation occidentale. L’idée qui sous-tend Signes de vie, c’est que le monde est indéchiffrable : on pense pouvoir en percer les secrets, les mystères, découvrir ce qui se cache derrière les apparences, comprendre la marche de l’histoire… mais au final, on se rend compte que rien ne fait sens. Il s’agit dès lors d’accepter cet état de fait et de vivre, s’attacher aux signes ne pouvant mener qu’à la folie, comme le grand-père d’Herzog, comme Stroszek. Le soldat Stroszek apparaît dans le film en état de choc, blessé. Il entre dans la fiction comme dans un rêve. La caméra est mouvante, les visages sont déformés, grossis. Un travelling chaotique parcourt les ruelles de la ville jusqu’à la place où gît son corps blessé. Deux chèvres descendent d’un bus… l’ambiance et étrange, irréelle, inquiétante…Stroszek ne supporte plus l’état de stase dans lequel il est plongé, rêvant même de retrouver le mouvement de la guerre pour y échapper. La citadelle est une prison physique qui est l’incarnation de son état intérieur, de son tourment face à une immobilité forcée…la forteresse  de Stroszek est une métaphore de l’existence humaine et l’incapacité des personnages de ces films à accéder au bonheur est le sort commun de tout être. Le cinéma d’Herzog est un cinéma existentiel, un cinéma de la souffrance et de l’enfermement. Le soldat Stroszek qui se sent inutile, car soudainement privé de fonction, est une image de notre propre présence sur Terre. Que peut-on faire une fois que l’on a compris que la vie est une prison ? La révolution ? Stroszek est l’archétype du personnage herzogien, soit un homme qui se révolte contre sa condition et dont la révolte est vouée à l’échec…Stroznek, grand révolté ou être accablé par la souffrance, bien qu’il se rebelle contre l’ordre des choses … l’issue est toujours l’échec…Mais l’amertume de l’échec n’hypothèque pas l’importance de la révolte. Par cet acte, l’homme vit enfin.. L’échec permet de se rendre compte de la futilité de l’existence, d’être confronté à l’impossibilité de voir ses rêves s’accomplir. Il apporte cette lucidité qui, seule, permet à l’homme de vivre…En concluant ces rêves de grandeur ou de révolte sur des images dérisoires, Herzog appuie sur l’importance du geste et non d’une conclusion qui, on l’a vu, ne peut être que l’échec. Toujours il magnifie le geste de révolte, la puissance d’imagination de ces hommes, leur capacité à décréter qu’un territoire en ruine est un royaume peuplé dont ils sont les maîtres…C’est une œuvre passionnante, pleinement aboutie et profondément herzogienne par ses thèmes mais aussi par sa forme : le cinéaste imagine un paysage isolé et mental dans lequel il nous fait lentement pénétrer, construit son récit hors de toute progression dramatique classique, avec beaucoup de place pour le surplace et un refus constant de l’efficacité dramatique. Toutes choses qui peuvent désarçonner mais qui font aussi d’Herzog un cinéaste inclassable et unique en son genre. » (dvdclassik.com)

Le film est tourné à Elounda en Crête et sur l’île de Kos, dans le Dodécanèse, là où le grand père d’Herzog a fait sa principale découverte archéologique. Le film remporte l’Ours d’Argent au festival de Berlin.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

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