Vendredi 05 Décembre 2014 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Ingmar Bergman – Suède – 1978 – 1h37 – vostf
Charlotte Andergast, pianiste de renommée internationale, est invitée par sa fille Eva à lui rendre visite après 7 ans pendant lesquels les deux femmes ne se sont pas vues. Eva vit avec son mari Viktor, un pasteur, et sa jeune soeur Helena, handicapée mentale, qui avait été placée par Charlotte dans une institution. Bientôt, les tensions refont surface entre cette fille, Eva, et sa mère qui l’a toujours négligée, pour aboutir à une nuit de conversation…
Notre critique
par Josiane Scoleri
“Je voudrais dire qu’il n’existe pas d’art qui ait plus en commun avec le cinéma que la musique. Les deux affectent directement nos émotions, sans passer par l’intellect. Et un film est essentiellement un rythme, inspiration et expiration dans une séquence continue ».
Bergman a souvent comparé l’écriture d’un scénario à celle d’une partition et s’il prend le soin d’intituler ce film Sonate d’Automne, il va de soi que le titre, loin d’être une convention, fait sens lui aussi. Et en effet, ces deux mots a priori si anodins portent en eux toute la structure du film, ses couleurs et sa musique. Une sonate dite «classique» se définit par deux thèmes ayant chacun sa tonalité propre, avec éventuellement quelques variations, et trois mouvements intitulés généralement: exposition, développement et ré-exposition suivis de la coda. Deux thèmes, Eva, la fille et Charlotte la mère (Liv Ulmann et Ingrid Bergman, absolument magnifiques l’une et l’autre) avec chacune une vibration et un registre qui leur appartiennent en propre. Les variations sont introduites par les personnages secondaires du film, Viktor, le mari d’Eva et Helena, la deuxième fille de Charlotte. Les trois mouvements sont dotés tout aussi clairement de leur propre rythme : l’invitation -allegro ma non troppo- les retrouvailles -andante sostenuto con basso ostinato- et la séparation -melancolico sentito. La coda est bien présente et n’ a rien de formel elle non plus. Elle signe avec la dernière scène de la lettre qui fait écho à la première une ouverture totalement inattendue. La boucle n’est donc pas bouclée, après tant de noirceur. L’espoir est permis, malgré tout.
Le scénario chez Bergman relève de la construction mathématique, autre parenté avec la musique…Le second mot du titre est tout aussi prégnant. C’est l’automne, à l’intérieur comme à l’extérieur. Le film baigne dans une lumière un peu filtrée de fin d’après-midi. Les costumes et les décors se déploient dans un camaïeu de rouge, orange, marron et vert sombre qui font écho aux arbres et aux feuilles mortes de l’allée. Les éclairages de Sven Nykvist, le chef opérateur de la plupart des films de Bergman, sont en symbiose constante avec l’atmosphère du film et les émotions qui défilent sur le visage des actrices. Mais c’est aussi l’automne dans la vie des personnages. Charlotte, malgré son appétit de vivre et sa belle prestance est au bord de la vieillesse. Eva, la quarantaine à peine est pourtant déjà un peu éteinte, que ce soit dans ses tenues, sa coiffure, ses lunettes ou les mouvements du corps.
Bergman filme ses actrices au plus près, dans un grand nombre de gros plans qui sont autant de révélations des sentiments qui les traversent. Les visages s’animent aussi sensibles que l’eau d’un lac sous l’effet du vent, du plus léger friselis à la plus violente tempête. Seul le cinéma permet une telle intimité. Car nous sommes bien au cœur du cœur de l’intime. Et c’est toute la quête inlassable, jamais satisfaite d’Ingmar Bergman. La scène du prélude de Chopin en est un bel exemple. L’interprétation qu’en font tour à tour Eva et Charlotte suffit à mettre à jour les traits essentiels de la personnalité de l’une et de l’autre. Eva, sensible, tremblante d’insécurité, en mal de reconnaissance. Charlotte toute entière dans la maîtrise, insaisissable derrière sa carapace. La caméra cadre avant tout celle qui écoute. D’abord Charlotte, surprise, gênée et pourtant furtivement émue par la maladresse de sa fille. Puis Eva, hypnotisée dans la proximité insupportable de sa mère, les deux visages comme débordants du cadre. Les plans sont suffisamment longs pour qui nous en absorbions les moindres détails. La confrontation est sans appel. Ce moment-clé du film va effectivement servir de prélude à la grande scène centrale qui fera remonter l’histoire et revivre le passé dans les larmes, les cris et la fureur. Le film qui jusqu’ici usait des dialogues avec parcimonie va basculer dans le texte avec une virulence ouverte. Eva raconte comment elle a appris tout enfant au contact de sa mère que les mots servent souvent à dire le contraire de ce qu’on pense ou qu’on ressent, qu’il ne faut donc pas s’y fier et observer plutôt le langage du corps, les expressions du visage, les gestes incontrôlés. Elle crie sa frustration. Pour la première fois sans doute, elle trouve la force de ne pas se taire devant cette mère toujours absente, tellement inaccessible. Et surtout, elle réussit à se faire entendre d’elle. Charlotte va très certainement pour la première fois, elle aussi, révéler le manque de contact physique avec sa propre mère, l’absence du corps si cruelle et le refuge dans la musique, justement en dehors du langage des hommes. L’affrontement est terrible. Le film oscille entre la nécessité absolue des mots et leur réalité trompeuse, le gouffre du silence et celui de la fuite. Ces tensions se retrouvent poussées à l’extrême dans le corps torturé et la parole quasi-incompréhensible d’Helena. Ses brèves apparitions dans le film sont des moments paroxystiques qui mettent le spectateur à rude épreuve, mais surtout qui agissent comme un précipité de culpabilité, d’une densité insoutenable pour Charlotte. Incapable d’être mère face à ses deux filles, Charlotte ne peut que partir.
Et là, après 90 minutes d’un crescendo sans faille qui superpose le noir au noir malgré les couleurs chaudes de l’automne, Bergman trouve le moyen de renverser complètement la donne dans les quelques minutes finales. Après cette nuit catharsistique, Eva n’est plus une petite fille. Elle s’assume en tant qu’adulte, Elle ne donne plus sa lettre à lire à son mari pour avoir son approbation comme dans la première scène du film. Elle la lui tend pour le tenir informé. Elle pourra désormais faire face à Charlotte en égale. Le passé est enfin hors d’état de nuire. Ce qui nous amène à conclure que contre toute attente, Sonate d’automne est une film optimiste. Qui l’eut dit !
Sur le web
Sonate d’Automne reste le dernier rôle au cinéma d’Ingrid Bergman, laquelle souffrait déjà du cancer qui l’emporterait quelques années plus tard, en 1982. Son tout dernier rôle, toutefois, fut celui de Golda Meir dans la fiction TV A Woman Called Golda. Coïncidence troublante, elle joue dans le film de Bergman une pianiste, précisément le rôle qu’elle tenait dans son premier film américain, Envol vers le bonheur, où elle fut découverte par David O. Selznick.
Le tournage se déroula à l’automne 1977 en Norvège, et non en Suède, Ingmar Bergman se trouvant alors en conflit avec les autorités fiscales de son pays. Le film fut alors financé par la société de production du cinéaste, Personafilm, en Allemagne de l’Ouest et tourné dans de vieux studios à l’extérieur d’Oslo. Sonate d’Automne marque la rencontre (tardive) de deux monstres sacrés du cinéma, Ingrid et Ingmar Bergman. Une collaboration qui ne fut pas toujours évidente, d’après les témoignages, l’actrice ne partageant pas le regard de son réalisateur sur son personnage, et s’opposant frontalement à ce dernier. Elle eut cependant d’autres rapports houleux avec de grands réalisateurs, tel que Rosselini pour Stromboli. Ingmar Bergman et Ingrid Bergman n’ont aucun lien de parenté, de même qu’Ingrid Bergman, la femme du réalisateur, qui porte le même nom que l’actrice suédoise sans pour autant avoir de lien quelconque avec cette dernière. La confusion fut souvent faite et amena même des rumeurs quant aux relations qu’entretenaient la comédienne et le cinéaste. L’actrice Jaime Bergman n’est pas, quant à elle, reliée à l’un ou à l’autre, étant Américaine et non Suédoise. Sonate d’automne est le premier film que tourna Ingrid Bergman dans sa langue natale, le Suédois, en onze ans. Sa carrière américaine l’amena à tourner majoritairement en anglais, mais elle parlait aussi couramment français, allemand et italien.
C’est en réalité l’Estonienne Käbi Laretei, concertiste reconnue et ex-femme d’Ingmar Bergman, que l’on peut entendre jouer du piano dans le film et non Ingrid Bergman, qui ne fait que mimer les mouvements sur les touches du clavier sur les plans larges. Laretei la double également pour les plans rapprochés sur les mains. Le roman d’Adam Kretzinsky que lit Charlotte (Ingrid Bergman) dans l’une des scènes, contient, sur sa quatrième de couverture, une image représentant Ingmar Bergman.
Liv Ullmann, l’un des amours naturels de Bergman, fut reconnue grâce aux rôles qu’elle tint dans les films de ce dernier. Avant et après Sonate d’Automne, elle joua dans neuf autres longs-métrages du réalisateur, dont Cris et chuchotements, Persona, Saraband et Une Passion. Elle aimait à se vanter d’être la seule actrice ayant tourné avec Bergman à ne pas être tombée amoureuse de son ami Erland Josephson, qui tient par ailleurs un rôle dans Sonate d’automne. Gunnar Björnstrand est l’acteur qui est le plus apparu dans les films de Bergman. On le retrouve dans pas moins de 23 longs-métrages. Ses capacités de jeu ont amené Bergman à lui donner des rôles toujours plus disparates. S’il joue un honnête écuyer dans Le Septième Sceau, son personnage, Paul, dans Sonate d’Automne n’a rien de comparable.
Prédestiné à être utilisé dans ce film, Chopin aima une fille, Solange, qui ne supportait pas le poids du talent de sa mère, George Sand. De même dans le film de Bergman, Eva est écrasée par la présence de sa mère Charlotte. C’est alors le prélude No.2 en la mineur, du dit Chopin, qui est joué par la mère et par la fille au piano. On entend par ailleurs plusieurs morceaux de Bach et de Händel dans la bande originale du film.
D’après Liv Ullmann, les tensions engrangées entre les deux géants Bergman éclatèrent lors d’une des scènes finales, lorsque la fille avoue justement toute sa colère à sa mère. La séquence fut l’occasion d’une violente dispute entre l’actrice et le cinéaste, à cause de la vision de la mère qu’avait celle-ci, totalement opposée à celle qu’en avait le réalisateur. L’actrice ne se séparait jamais d’une boîte contenant quelques bouts de pellicule, photographiés et filmés par son père durant son enfance et son adolescence. On l’y voit même en train de jouer du piano, justement comme son personnage dans le film. Bergman proposa à la star suédoise de prolonger la vie de ces petits bouts de plastique, pour ne pas que les souvenirs s’effacent avec les images imprimées dessus. « Et ce n’est pas sans difficultés que je pus obtenir de l’emprunter pour faire une nouvelle copie de cette bande usée qui menaçait de s’effacer« , écrira-t-il plus tard.
Sonate d’Automne a remporté le Golden Globe 1979 du Meilleur film étranger, et fut nommé aux Oscars dans deux catégories : Meilleure actrice (Ingrid Bergman) et Meilleur scénario original (Ingmar Bergman).
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.
N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !
Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).
Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici