Suspiria


Un court-métrage de Éléonore Berrubé : Toutes les couleurs de la nuit


Jeudi 09 Février 2017 à 20h30 – 15ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Dario Argento – Italie – 1977 – 1h35 – vostf


En première partie, projection du court-métrage: Toutes les couleurs de la nuit de Éléonore Berrubé (2016, France, 16′):

Léa et sa soeur Colette se retrouvent une dernière nuit dans leur maison d’enfance vendue depuis que leur mère est morte. Chacune à leur manière, elles vont dire adieu à ce qui n’existe plus et qui est pourtant toujours là.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Toutes les couleurs de la nuit est le troisième court-métrage d’Eléonore Berrubé, jeune réalisatrice qui commence à se faire remarquer dans les festivals. Si ses deux premiers films relevaient sans doute d’un travail plus expérimental, avec notamment l’absence de trame narrative clairement définie, le jeu sur la couleur et l’ambition de créer une atmosphère en parfaite symbiose avec les images étaient déjà au coeur du propos et se retrouvent magnifiés ici.

Toutes les couleurs de la nuit est un film presque entièrement tourné dans la pénombre, voire carrément dans l’obscurité, avec la volonté affichée de capter quelque chose de ce déplacement propre à la nuit, cette altération de la perception qui implique une acuité accrue, une attention particulière, une vigilance inhabituelle, faute de perdre pied. D’où un travail d’une grande précision sur la lumière et le clair-obscur qui fait en grande partie la valeur du film. Il s’agit littéralement, comme l’annonce le titre, de saisir Toutes les couleurs de la nuit, de nous les donner à voir.

Le film suit un fil conducteur, mais il est, de fait, relativement ténu. Ce qui intéresse la réalisatrice, c’est plutôt de saisir ses deux actrices dans un moment et un lieu de forte charge émotionnelle puisqu’il s’agit d’un bref retour dans la maison de l’enfance, le temps d’une nuit, après le deuil de la mère. Mais ici, pas de flash-backs, ni de mise en contexte. Ce qui est hors champ le reste définitivement. Ce sont les objets, les vêtements, la décoration, la distribution de l’espace et notamment l’opposition entre extérieur et intérieur qui déclenchent la mémoire et permettent de saisir quelque chose des rapports entre les deux soeurs. Le jeu des deux jeunes comédiennes est en phase avec le côté lacunaire, voire énigmatique du récit. La seule indication de jeu donnée par la réalisatrice étant de préserver une certaine nonchalance. C’est à dire surtout d’éviter d’accentuer, de dramatiser, de charger l’atmosphère ou les dialogues qui sont censés se suffire à eux-mêmes.

Les images sont souvent frappantes avec des associations inattendues, des juxtapositions étranges et, à la nuit tombée, l’étrangeté se fait pressante. Les bruits sont nécessairement amplifiés et donc facilement inquiétants. On ressent par moment une parenté avec les films de Mario Bava et les gialli italiens. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons choisi de programmer le film le même soir que Suspiria de Dario Argento.

Si les couleurs exacerbées de Suspiria sont l’exact opposé du Noir comme couleur, revendiquée par Eleonore Berrubé, le travail sur les associations d’images, et/ou de sons qui distillent savamment toujours plus d’étrange s’inscrit néanmoins dans une filiation qui s’avance masquée et ressurgit à cinquante ans de distance.


SUSPIRIA

Suzy, une jeune Américaine, débarque à Fribourg pour suivre des cours dans une académie de danse prestigieuse. A peine arrivée, l’atmosphère du lieu, étrange et inquiétante, surprend la jeune fille. Et c’est là qu’une jeune élève est spectaculairement assassinée. Sous le choc, Suzy est bientôt prise de malaises. Et le cauchemar ne fait qu’empirer : le pianiste aveugle de l’école meurt à son tour, égorgé par son propre chien….Suzy apprend alors que l’académie était autrefois la demeure d’une terrible sorcière surnommée la Mère des Soupirs. Et si l’école était encore sous son emprise ?

Notre critique

Par Guillaume Levil

Allez, mettons-nous quelques secondes dans la peau de celui qui va voir un film au cinéma en 1977. Il pourra y trouver des chevaliers d’un genre nouveau et des géants poilus dans le premier Star Wars tourné, des métalepses intellos dans Annie Hall, un remake réussi (The Sorcerer), l’analyse de New-York par Scorsese, bref ! Le curieux a de quoi assouvir sa soif de nouveautés. Et pour affiner le tout, un Italien, mené par son envie irrépressible de couleurs et de fantastique, sort Suspiria, un conte horrifique sidérant qui par comparaison propulse les films cultes précédemment cités au rang de pellicule délavée. La couleur, puissante, utilisée en tant qu’outil formel indomptable, mais aussi la couleur, parlante, utilisée en tant qu’objet narratif symbolique : voici un point commun entre Suspiria et Azurite, court-métrage de Maud Garnier.

Plusieurs couleurs, et divers degrés d’inspiration.

C’est comme si le destin avait décidé que Suspiria devait naître. D’abord critique dès 20 ans, Argento se retrouve un peu plus tard à co-écrire le scénario d’un film avec entre autres Bertolucci : il s’agit de Il était une fois dans l’Ouest. Là, grosse révélation pour Argento, il veut réaliser… alors il se lance avec son paternel dans la production d’un style qu’il a presque totalement inventé avec Mario Brava : le « giallo« , c’est à dire le film policier à la fois horrifique et érotique. Le destin n’est pas loin, puisqu’en guise de publicité, un serial killer de la vraie vie circule dans Florence à la sortie de son premier film  L’oiseau au plumage de cristal. Cet opus est la première pierre de sa « trilogie animale« . Le flop absolu de Cinq jours à Milan démontre une bonne fois pour toutes que Dario n’est pas fait pour le drame historique conventionnel, donc il enchaîne avec Les Frissons de l’angoisse, dont on devine l’ambiance rien qu’en lisant le titre, et ensuite la « trilogie des trois mères » qui propose d’abord Suspiria.

L’inspiration provient de l’évocation tripartite de Suspiria de Profondis, texte de Thomas De Quincey, dans lequel un rêve intègre trois soeurs : la mère des soupirs, la mère des ténèbres et la mère des larmes. Argento a donc l’idée de créer un film pour chaque mère, en les diabolisant véritablement puisqu’à la base, elles proviennent d’un mythe gréco-romain sympathique : les trois grâces. En sachant cela on comprend immédiatement que le réalisateur a voulu filmer un conte à la Grimm, croisé avec une certaine modernité – il cite lui-même des animations de Walt Disney en référence. La thématique de Suspiria est ainsi révélée : l’enfance… ou plutôt, le passage à l’âge adulte. Dans Azurite, le sujet est proche, puisque l’adolescente du court-métrage doit passer diverses épreuves – perte de la virginité et des espérances – afin d’être propulsée dans le monde des grands. Autre concept en commun, la découverte… forcément, quand il s’agit de sortir de l’enfance. Dans le long métrage de Dario, l’enjeu de Suzy est de découvrir le secret de son école de danse maléfique, et dans le court-métrage de Maud, l’enquête de Salomé a pour but de débusquer le bleu parfait. Par contre le traitement est tout à fait différent, puisque Suzy chemine au sein d’un rêve surréaliste tandis que Salomé est cloîtrée dans une ambiance moyenâgeuse totalement réaliste. Mais, dans les deux cas, l’enfance est symbolisée par un intérieur oppressant et le dernier plan sera forcément tourné à l’extérieur, puisque l’âge adulte y réside.

Les autres sources d’inspiration de l’histoire de Suspiria révélées par les scénaristes ne sont pas étrangères au thème principal… La co-scénariste et compagne d’Argento de l’époque, Daria Nicolodi, donne l’anecdote de sa grand-mère qui fut élève dans une école de piano qui en fait, enseignait en cachette la magie noire ! Effectivement, les enseignants dans le film sont assez caricaturaux et obtus, infantilisant totalement les étudiants de danse, pourtant adultes. Mais justement, à l’origine, Argento voulait faire tourner des enfants de 12 ans et avait écrit l’histoire en ce sens. Mais son père producteur l’a dissuadé de suivre cette première inspiration en raison des probables futurs refus que cela aurait engendré chez les diffuseurs. Ainsi le film est né avec des acteurs plus vieux… mais sans que l’on ait changé une ligne au scénario de base.

Une esthétique agressive et fabuleuse

La remarque précédente fait écho avec un choix étrange du réalisateur lors du tournage : il a demandé au chef décorateur de rehausser les poignées de porte du décor pour que les comédiens aient à lever la tête et le bras pour ouvrir, à la manière des enfants. Et l’aéroport du début est représenté comme un monstre rougeoyant, à l’image de la nouveauté dont les petits ont peur. C’est pour appuyer d’autant plus sur le côté enfantin qu’il a choisi dans le rôle-titre Jessica Harper, véritable femme-enfant aux grands yeux naïfs, au lieu de sa compagne initialement prévue (trop vieille, chérie ?). Ces détails en disent long sur la volonté d’Argento de transcender la fable Alice aux pays des merveilles, avec l’héroïne qui entre dans un monde de rêves – ou plutôt de cauchemars. D’ailleurs, Suzy passe un temps fou à moitié inconsciente ou complètement endormie… Et les bruits de pas qui émanent sans cesse des couloirs et qui font si peur ne nous rappellent-ils pas ces sons adultes qu’on entendait dans l’obscurité de notre chambre d’enfant ?

« La forme est au-delà de l’histoire (…), c’est comme un coup de poignard. » (Dario Argento)

Dario Argento dit sans cesse qu’il n’aime pas la psychanalyse… sauf qu’il en fait sans arrêt malgré lui, alors on va se permettre. Le repaire dont nous parlions précédemment… cet intérieur oppressant, une école de danse quasiment vivante dans Suspiria, et un atelier vieillot dans Azurite… nous sommes d’accord qu’il s’agit symboliquement de la prison de l’enfance dont il faudra s’échapper, qu’on le veuille ou non. Argento nous présente un véritable corps en mouvement. On ne le remarque pas forcément mais les murs ultra-colorés sont construits en toile, pour que des micro-déplacements fassent « respirer » le lieu. A l’origine, les couloirs devaient carrément ressembler à des veines géantes, et puis l’idée a été délaissée. La musique de Goblin, groupe de rock progressif, vient faire respirer encore davantage cette maison vivante, incorporant aux instruments plus habituels des soupirs ou des râles. Nous assistons donc sans conteste au combat intérieur d’une petite fille qui doit s’extraire de son propre corps afin d’accepter son destin d’adulte assumée. Le rouge, le rouge, du rouge partout, qui envoie des ondes de stress diabolique et de violence. Des murs rouges, du sang, des organes, exaltés par l’utilisation de la machine à développement Technicolor. Dans Azurite, c’est le rouge qui établit une confrontation entre Salomé et le jeune apprenti, qui rêvent tous les deux de devenir peintre. Et dans les deux films, cette couleur contient inévitablement la notion de pouvoir, qui par la suite va déteindre sur le bleu. Dans Suspiria, le bleu évoque la froideur de la mort… Mais Argento arrive à l’utiliser à la fois comme objet d’effroi, aussi puissant que le rouge évident, et à la fois comme représentation de l’éventuelle libération. Ainsi rouge et bleu s’entremêlent dans leurs sens. Cette perte de repères est tout à fait évidente dans Azurite, puisque la dernière image nous présente de la peinture bleue qui coule sur le sol… alors qu’on a véritablement l’impression qu’il s’agit de sang, témoin de la mort de l’enfance. Ainsi Argento parvient à troubler chaque sens, surtout celui de la vision, à l’image de ce personnage aveugle dont le destin en fera trembler plus d’un. Le sens de la vue, Dario en connaît un rayon, il dit d’ailleurs : « Si vous n’aimez pas mes films, ne les regardez pas« . Bien sûr ! Son film est truffé de trompe-l’oeil, labyrinthes et illusions d’optique en tout genre – certaines parties du décor sont inspirées de Maurits Cornelis Escher. Allant dans le sens de cette dissimulation, les ombres expressionnistes à la Murnau viennent compléter un cauchemar déjà fort perturbant… et fort ravissant, aussi.

sur le web

Dario Argento est né en 1941 à Rome. Passionné de cinéma, monde dans lequel il évolue depuis l’enfance (son père est le producteur Salvatore Argento, sa mère est une photographe brésilienne), il est d’abord critique puis scénariste (sa plus notable contribution restant sa participation à l’écriture d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone avec un autre jeune cinéaste, Bernardo Bertolucci en 1968.) Les deux premiers thrillers horrifiques de Dario Argento, L’Oiseau au plumage de cristal (1970, film initialement prévu pour Terence Young) et Le Chat à neuf queues (1971), exercices antoniono-hitchockiens dans lesquels le jeune cinéaste italien s’amuse à tromper les sens des spectateurs, n’ont pas très bien vieilli, mais demeurent d’honnêtes séries B policières, stylisées et jonchées de références cinéphiliques et de détails sadiques, avec de belles musiques d’Ennio Morricone. Idem pour Quatre Mouches de velours gris (1971), film plus personnel qui clôt cette première trilogie criminelle et maniériste. En revanche, les films suivants sont ses oeuvres maîtresses. Les Frissons de l’angoisse (Profondo Rosso, 1975), Suspiria (1977) et Inferno (1979) se révèlent passionnants, véritables visions sauvages et hallucinées d’un cinéaste sous diverses emprises : la drogue, l’occultisme, le rock progressif, la magie noire…

Dans Suspiria, une jeune ballerine américaine (Jessica Harper, l’héroïne de Phantom of the Paradise de Brian De Palma) arrive dans une école de danse de Fribourg en Allemagne et découvre que la terrifiante demeure abrite un repaire de sorcières. Dario Argento, entre deux citations de Val Lewton et Fritz Lang, réalise sa version gore et sous acide de Blanche Neige et les sept nains (motifs décoratifs identiques dans les deux films), de sorte qu’elle soit un conte sanglant aux éclairages surréalistes et aux scènes de violence paroxystiques, proches du grand guignol et de la transe vaudou. Suspiria demeure l’une des expériences cinématographiques qui s’apparente le plus à un cauchemar, en raison de la rupture volontaire du cinéaste avec la logique narrative et l’agressivité inouïe de ses images, et ressemble davantage à un opéra rock psychédélique qu’à un film d’horreur traditionnel. Chez Argento, cinéaste de la surface, la profondeur (psychologique ou visuelle) n’existe pas. Cette obsession décorative donne naissance à des trouvailles de mise en scène stupéfiantes et déteint sur la direction des acteurs, figurines expressionnistes dont le jeu retrouve l’intensité hystérique des dive du cinéma muet italien. Le scénario tient sur le fil d’une énigme, dont la clé est bien sûr cachée parmi les éléments du décor, labyrinthe surchargé de motifs livrés à l’interprétation de la frêle héroïne. (Olivier Père/Arte.tv)

Suspiria est le premier volet d’un tryptique qui inclue aussi Inferno et La Terza Madre. Le concept général de l’ensemble est inspiré par la suite du célèbre livre de Thomas de Quincey, Confessions d’un mangeur d’opium, Suspiria De Profundis. Un passage y est intitulé  « Levana et nos mères de Douleur » ; de Quincey y parle de trois soeurs – similaires aux trois Grâces et aux trois Moires – les trois Douleurs : la Mère des Pleurs, la Mère des Soupirs et la Mère des Ténèbres. En écrivant le scénario, Dario Argento envisageait une histoire ayant lieu dans une institution réservée aux enfants de moins de 12 ans. Son producteur – et père – Salvatore Argento le lui refusa pour la simple et bonne raison que le film aurait été interdit. Argento avança donc l’âge de ses protagonistes à moins de 20 ans, mais tout en conservant son texte de départ, d’où les dialogues un tantinet enfantins des pensionnaires; de même, le réalisateur poussa le soucis du détail jusqu’à surélever les poignées des portes jusqu’à la tête des actrices, afin qu’elles adoptent la même posture que des jeunes filles ouvrant une porte. Les connaisseurs de l’oeuvre de Dario Argento ne manqueront pas de faire le rapprochement entre la plume de verre et L’Oiseau au plumage de cristal, le premier film en tant que réalisateur d’Argento.

D’où vient Suspiria ? Par certains aspects, la filiation avec le cinéma de Mario Bava est évidente, en ce sens qu’il prolonge et décuple ses expériences sur la couleur, que ce soit dans Six Femmes pour l’Assassin ou La Goutte d’eau, dernier segment des Trois Visages de la Peur. L’influence de La Résidence de Narciso Ibáñez Serrador ou de L’Effroyable Secret du Dr. Hichcock de Riccardo Freda, voire de Juliette des Esprits de Fellini est sans doute notable. Certains parlent même d’un obscur film de nonnes japonaises qui aurait plus qu’inspiré certaines séquences de meurtres. C’est une évidence, comme toute œuvre d’art, Suspiria ne vient pas de nulle part, et constituera d’ailleurs une influence notable pour de nombreux cinéastes par la suite. Mais l’essentiel est ailleurs, dans ses racines profondes. Dario Argento cite le Blanche Neige et les Sept Nains de Disney, et c’est sans doute là qu’il faut chercher, vers Grimm, les contes de fées européens et les forêts profondes. Le choix de Fribourg comme lieu de l’action est en ce sens parfait : cette petite ville nichée au cœur de la Forêt Noire respire encore l’atmosphère de ces contes de terreur, l’ambiance de ces temps médiévaux où les villes n’étaient que des îlots de civilisation au cœur d’une nature inamicale, reliés entre eux par des routes peu sûres. Et c’est ce que disent les plans de la première future victime fuyant dans la forêt : Suspiria est un conte moderne, et comme tous les contes il parle des peurs de l’enfance et du passage à l’âge adulte, auquel on peut accéder en fouillant notre inconscient. Le réalisateur confie : « Pour moi, Suspiria se situe hors du réel, ne serait-ce que par son rythme dilaté. J’ai toujours voulu faire des films qui collent ou reflètent ce qui se passe dans mon subconscient. C’est pour ça que les gens m’ont toujours considéré comme un fou. Personnellement, je considérais ça comme un don de pouvoir explorer mes rêves et mes souvenirs. Sans doute, je cherchais à donner une réponse à mes cauchemars. Dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un de très normal. A l’époque, j’avais une technique déroutante qui s’approchait de l’écriture inconsciente en évitant de penser en amont aux scènes que j’allais tourner. Je suis quelqu’un qui fonctionne à l’instinct: je pense une scène sur le moment et je la réalise aussitôt. Comme si j’étais possédé par un ange noir qui m’ordonne de tourner cette projection…J’ai reçu un bon accueil partout où je présentais le film. Notamment en France; et, c’est pour cette raison que ça m’a fait chaud au cœur de venir le présenter trente ans après sa sortie. Le film a coûté très cher, l’argent du budget est quasi-intégralement passé dans les effets spéciaux. Je ne sais pas si j’aurais ramé autant si j’avais eu l’opportunité de réaliser ce film aujourd’hui aux États-Unis. Les films d’horreur qui sortent là-bas sont souvent de très bonne qualité. J’ai participé aux épisodes de la série Masters of Horror et j’étais le seul à ne pas être américain. Apparemment, Jenifer aurait été le dvd de la première saison le plus vendu de l’année. Ce que je retiens de cette expérience, c’est une liberté paradoxale. Les producteurs avaient suffisamment d’argent pour me laisser faire ce que je voulais. Je n’avais pas de contrainte. J’ai été accueilli comme un prince…Dans Suspiria, il y a par ailleurs une référence à l’expressionnisme avec la présence de l’acteur Rudolf Schündler qui avait joué dans Le Testament du Docteur Mabuse, de Fritz Lang. C’était un grand honneur de l’avoir dans mon film. J’ai toujours été fasciné par cette mouvance esthétique. Que ce soit le metteur en scène, la photo ou les acteurs, ils évoluaient tous dans une époque fantastique voire fantasmée. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à réaliser Suspiria en Allemagne ».

Malgré ses couleurs vives, Suspiria n’est pas le dernier film tourné en Technicolor. Luciano Tovoli, le directeur de la photographie a tout simplement développé le très conventionnel film Kodak de l’époque avec l’une des dernières machine de développement Technicolor. Le procédé original qui a donné le ton (de couleurs) d’Autant en emporte le vent et de tant d’autres classiques utilisait à la base trois pellicules dans une seule -énorme – caméra (qui ne facilita sans doute pas la tâche à Alfred Hitchcock pour tourner La Corde). Chaque film imprimait l’image en retenant une des trois couleurs de base, le tout était ensuite réuni sur un support unique.

Daria Nicolodi, la scénariste du film (et petite amie de Dario Argento à l’époque) devait tenir le rôle principal de Suzie, mais Argento choisit finalement de prendre l’actrice plus jeune Jessika Harper qui apporte son physique de femme-enfant, son teint de poupée de porcelaine et ses yeux de biche apeurée. Elle n’est qu’innocence et pureté, là où tous les autres corps sont marqués du sceau du monde adulte, et en particulier ceux du personnel de l’école. L’actrice  Daria Nicolodi ne disparut pas tout-à-fait du film pour autant puisqu’elle prêta sa silhouette à la scène d’ouverture, et sa voix au personnage de Helena Markos. Selon l’actrice Jessika Harper, le rôle de Helena Markos (qui n’est pas crédité au générique) était tenu par une ancienne prostituée de 90 ans rencontrée par Dario Argento dans les rues de Rome. Le rôle de Madame Blanc est interprété par l’actrice Joan Bennett (son dernier rôle au cinéma) . Blonde devenue brune en cours de carrière, elle reste connue pour ses rôles de femme fatale. A ses côtés, Miss Tanner est campée par Alida Valli, l’immortelle et déjà inquiétante Louise des Yeux sans visage de Georges Franju, et son éclatant sourire n’est pas l’élément le moins terrifiant de Suspiria. Le reste du personnel n’est pas en reste, et Argento a choisi des physiques étranges, voire grotesques, comme sortis de certains tableaux de Vélasquez : l’exemple le plus frappant reste sans doute la cuisinière, fréquemment accompagnée du neveu de Miss Tanner, garçon étrange et muet au visage de rongeur, portant des vêtements d’un autre temps, dont le spectateur se demande bientôt s’il n’a pas été généré par un rite de sorcellerie. Comme si Fellini s’était lancé dans le cinéma d’horreur.

C’est le groupe Goblin qui composa la musique de Suspiria, ainsi que pour d’autres films de Dario Argento. Ce dernier la faisait jouer à plein volume sur les plateaux de tournage pour obtenir des réaction suffisamment convaincantes de ses acteurs. La démarche à la base de la composition est intéressante, puisque le groupe a commencé à travaillé dès la lecture du scénario : des morceaux ont donc été enregistrés avant le tournage, et ont été diffusés sur le plateau afin de mettre les acteurs en condition. Il ne reste rien aujourd’hui de ces thèmes, et aucun ne figure sur la bande-son finale, mais elle reste un cas unique dans le genre, une bande originale de tournage précédant la bande originale du film. Quant au résultat final, il est au carrefour de plusieurs techniques : Simonetti et les siens ont aussi bien utilisé des appareils fréquemment utilisés dans le rock progressif d’alors, des claviers tels que le grand Moog ou le mellotron, précurseurs des synthétiseurs et séquenceurs, que des instruments traditionnels tels que le bouzouki, découvert par Argento lors d’un séjour en Grèce, un instrument à corde dont on tire des sonorités sombres et vibrantes. Ainsi se mêlent l’électronique et l’organique pour donner naissance à une musique qui est un personnage en soi. Les instructions d’Argento étaient précises : il s’agissait de donner l’impression permanente de la présence des sorcières, même lorsqu’elles n’apparaissaient pas effectivement à l’écran. Collant au titre, les membres de Goblin jalonnent leurs thèmes de soupirs angoissants, Simonetti allant même jusqu’à susurrer des paroles issues d’un conte traditionnel – qui commence par ‘Trois sorcières étaient assises sur une branche’ – alternées avec des phrases sans signification. L’ensemble forme une date unique dans la musique de film, une mélopée semblant exister en parallèle de la narration.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

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