Takara, la nuit où j’ai nagé



Vendredi 04 Mai 2018 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de  Damien Manivel et  Kohei Igarashi – France, Japon – 2017 – 1h18 – vostf

Les montagnes enneigées du Japon. Comme chaque nuit, un poissonnier part travailler au marché en ville. Takara, son fils de six ans, n’arrive pas à se rendormir. Dans la maison silencieuse, le petit garçon dessine un poisson sur une feuille qu’il glisse dans son cartable. Le matin, sa silhouette ensommeillée s’écarte du chemin de l’école et zigzague dans la neige, vers la ville, pour donner le dessin à son père.

Notre critique

Par Martin de Kerimel

Chères lectrices, chers lecteurs, j’ai envie de lancer ma présentation en vous posant directement une question : vous arrive-t-il de regarder un film sans presque rien savoir sur son intrigue, ses acteurs ou son réalisateur ? Je n’attends pas de vous une réponse immédiate, mais cette question, je me la pose parfois à moi-même ! C’est l’occasion pour moi de me rendre compte que j’ai souvent une (ou des) attente(s) particulière(s) quand j’entre dans une salle de cinéma. Même constat quand je peux découvrir un film sur un écran plus petit : le plus souvent, je le choisis parce que je me sens en terrain familier. Parce que j’ai aimé un autre film du même cinéaste, parce que je suis content à l’idée de retrouver un même comédien, dix ans plus tôt ou plus tard dans sa carrière, ou tout simplement parce que je me sens déjà concerné, d’une manière ou d’une autre.

Si je vous invite à vous interroger sur votre façon d’aborder le cinéma, ce n’est pas dans l’idée de vous donner des migraines. C’est simplement parce que je me dis parfois qu’il serait bon d’être préservé de tout a priori avant de décider de regarder un film. Objectivement, je ne suis pas sûr que ce soit possible, et vous auriez d’ailleurs beau jeu de me dire que la seule lecture de ce fascicule vous donne déjà quelques petits indices sur la teneur du long-métrage que nous vous proposons ce soir. C’est vrai, mais je veux vous indiquer aussi que je l’ai choisi parce qu’il tient pour moi… de la bulle de savon. Mon idée est de ne pas trop en dire avant de le montrer, car il me semble fragile. Beaucoup de prétendus chefs d’œuvre le sont aussi ! Les vrais sommets du cinéma nous sont avant tout personnels : je suis sûr que ceux qui figurent dans mon Panthéon ne trouveraient pas forcément place dans le vôtre (et inversement). Chacun ses goûts. C’est bien ainsi, non ? Il y a autant de raisons d’aimer le cinéma que de spectateurs.

Pour en revenir à Takara, la nuit où j’ai nagé, j’ai au moins une certitude : il s’agit d’un film « tout neuf », puisqu’il vient juste de sortir en France, après une diffusion anticipée au Japon, son autre pays d’origine, et peut-être en réalité sa vraie patrie. Vous le comprendrez dès la première image : ce film va vous embarquer sur l’archipel nippon, sans vous perdre toutefois au cœur d’un environnement tout à fait étranger. Pourquoi ces paysages nous sont-ils familiers ? Parce que nous les avons déjà vus plusieurs fois au cinéma, peut-être, mais aussi parce que le long-métrage a été tourné par deux cinéastes : le Français Damien Manivel et le Japonais Kohei Igarashi. J’imagine qu’à défaut de vous raconter l’histoire du film, je peux au moins vous parler de cette collaboration pour le moins inhabituelle : c’est aussi une assez jolie histoire. Celle de deux artistes qui ont su dépasser la barrière de la langue pour trouver ensemble un langage commun, tout en images et en émotions. La magie des festivals…

« Nous nous sommes rencontrés au Festival de Locarno, où nous présentions chacun nos premiers longs-métrages respectifs, indiquent les deux cinéastes dans leur dossier de presse commun. Nous avons tout de suite parlé de cinéma et sommes devenus amis. Quelques mois plus tard, nous avons décidé de faire un film ensemble, au Japon. Damien voulait filmer la neige et Kohei travailler avec un enfant. » Ainsi, pour mettre toutes les chances de leurs côtés, les deux complices ont-ils tenu à partir en repérages dans la partie la plus enneigée du Pays du soleil levant : Aomori, au nord de l’île principale de Honshu. Par la suite, c’est sur place qu’ils ont rencontré le petit garçon que vous allez découvrir à votre tour : Takara, six ans. C’est en fait sa famille et sa vie que le film nous donne à voir, avec le réalisme cru du documentaire, mais sans oublier jamais la poésie propre à la fiction. Saura-t-elle vous toucher ? Nous en reparlerons. Vous l’aurez compris : je n’ai pas l’intention d’entrer dans les détails du scénario…

Sur un plan technique, je peux quand même vous révéler que le film a été tourné chronologiquement : l’une des premières scènes est donc bel et bien une séquence nocturne, d’un enfant qui s’efforce de tromper son insomnie en jouant et en regardant la télévision. Les réalisateurs notent que Takara, malgré la présence de toute l’équipe de tournage autour de lui, a très vite oublié la caméra ! C’est peut-être ce qui donne aux images un caractère si authentique, même si elles ne sont pas tout à fait réelles. Damien Manivel et Kohei Igarashi assurent avoir toujours voulu aller « dans le sens » du petit garçon. Les dessins que vous apercevrez sont même ceux qu’il a dessinés spontanément… et pas ceux que les cinéastes avaient réclamés – et n’ont pas obtenus ! Le film est écrit, mais il s’appuie donc, le plus souvent, sur la spontanéité d’un môme.

Vous verrez aussi certaines photos prises par Takara, avec un petit appareil numérique offert par ses parents. « Dans notre façon de construire la fiction, ce genre de matière documentaire est cruciale, indique le duo de réalisateurs. C’est pour cette raison d’ailleurs que nous avions d’emblée décidé de filmer une vraie famille. Nous aurions pu refaire des photos nous-mêmes, mais nous aurions alors eu le sentiment de tricher. » Pas étonnant alors que la caméra ne lâche pas son héros d’une semelle… et le suive plus loin que les cinéastes n’avaient pu (ou osé) l’imaginer ! Le jeune « acteur » considère, paraît-il, que le film est inachevé : vous nous direz ce que vous en pensez. Tel quel, Takara, la nuit où j’ai nagé pourra sûrement vous rappeler certains aspects du cinéma imaginé par d’autres artistes japonais, tels Hirokazu Kore-eda, par exemple. Road movie tendre, le film a commencé son parcours européen à la Mostra de Venise et je me dis qu’il y a pire lieu pour un lancement ! Reste à savoir jusqu’où il pourra poursuivre son petit bonhomme de chemin : en fait, c’est un peu à vous de le décider.

Sur le web

Damien Manivel est né à Brest, en 1981. Après une première expérience professionnelle de danseur, il entre au Fresnoy, studio national des arts contemporains, pour étudier le cinéma. Il signe plusieurs courts métrages dont Viril (2007), Sois sage ô ma douleur (2008), La Dame au chien (2010) récompensé du Prix Jean Vigo et Un dimanche matin qui remporte le Prix de la Semaine de la Critique de Cannes en 2012. Un jeune poète, son premier long-métrage, obtient la Mention Spéciale du Jury au Festival de Locarno 2014. Le Parc, son second long-métrage a fait sa première au Festival de Cannes (sélection ACID 2016) et remporte le Grand Prix au Festival de Belfort.

Kohei Igarashi est né à Shizuoka (Japon) en 1983. Il est diplômé en cinéma de la Tokyo Zokei University. En 2008, il réalise son premier long métrage, Voice of Rain That Comes at Night, sélectionné au Cinema Digital Seoul Film Festival (CINDI), avant de compléter sa formation d’un troisième cycle à la Tokyo University of the Arts. Hold Your Breath Like a Lover est son film de fin d’études.

Takara, la nuit où j’ai nagé est la première co-réalisation de Damien Manivel et Kohei Igarashi. Les deux hommes se sont rencontrés au Festival de Locarno où chacun présentait un film. Malgré la barrière de la langue, ils ont sympathisé et ont décidé de faire un film ensemble au Japon. Tandis que Damien Manivel voulait filmer la neige, Kohei Igarashi souhaitait travailler avec un enfant. Ils se sont rendus à Aomori, la région la plus enneigée du Japon, et y ont rencontré Takara, un enfant de six ans, qui les a bouleversés : « Dans la vie, son père est poissonnier et le petit garçon l’entend se lever chaque nuit pour partir au marché. Quand il rentre de l’école, son père dort. Ils se voient donc très peu. Nous avons tâché de raconter ce sentiment complexe d’amour et de distance, dans les pas de Takara. »

Les réalisateurs expliquent que dans ce film, ils ont essayé de trouver la meilleure façon d’exprimer les sensations et sentiments de leur enfance. Bien que Kohei soit né au Japon et Damien en France, ils ont trouvé beaucoup de similitudes dans leurs souvenirs: « Nous sommes tous les deux adultes, donc plus des enfants, mais nous avons voulu dans ce film nous mettre au niveau du jeune héros et regarder le monde à travers ses yeux. Nous aimons les films qui font réfléchir, après coup, le genre de film dont on ne sait pas ce qu’on pense d’emblée, quand on le voit pour la première fois, mais auquel on continue de penser jusqu’à ce que soudain, quelques jours après, on se rende compte qu’on l’a adoré. Nous avons essayé de faire avec ce film quelque chose de cet ordre : prendre notre temps pour amener l’émotion au spectateur.« 

Une fois sur le plateau, Kohei Igarashi dirigeait les acteurs et son collègue s’occupait de l’équipe technique. Le duo communiquait dans un japonais très simple. Les réalisateurs ont croisé par hasard Takara dans la rue. S’ils ont su qu’ils avaient trouvé le héros de leur long métrage, les débuts ont été compliqués car le petit garçon était incontrôlable sur le tournage. Les deux metteurs en scène ont alors décidé de s’adapter à sa vie et notamment de faire jouer toute sa famille dans le film.

« … Takara, la nuit où j’ai nagé est le fruit d’un travail qui se révèle un véritable tour de force de simplicité et de charme. En effet, le film ne recèle aucun dialogue, ni voix-off, mais juste les sons de la vie environnante. En se plaçant ainsi dans la bulle de l’enfance et dans le sillage de leur petit personnage, les deux réalisateurs réussissent à restituer toute la fraicheur et l’inconscience de cet âge, une ambition loin d’être évidente sur le papier et parfois proche du funambule oscillant sur son fil, mais qu’ils mènent subtilement à son terme, le charme opérant sur la longueur et le film laissant une talentueuse empreinte dans l’esprit du spectateur… Filmé en très beaux plans fixes et jouant à merveilles des ambiances sonores, La Nuit où j’ai nagé est une oeuvre tissée avec un grand art de la simplicité allusive. Souvent drôle et sachant ménager en douceur un minimum de suspense autour de son fil conducteur ultra-réaliste, le film a presque l’allure d’un conte poétique des temps modernes sur les liens profonds unissant deux êtres et sur le monde contemporain qui les sépare, un espace qui semble infranchissable et qui pourtant ne l’est pas dans l’âme innocente d’un enfant. » (cineuropa.org)

« …Ce minimalisme et cette simplicité apparente du film sont le fruit d’un équilibre très rigoureux entre une observation minutieuse du visible et un recul enfantin sur le monde. Cela passe par la précision de la mise en scène, où la contemplation est allégée de toute parole, où un son légèrement amplifié est capable de rendre quasi burlesque un détail très réel, où les cadres mettent en valeur le côté jouet ou maquette d’une construction ou d’un véhicule, aspect renforcé par l’omniprésence de la neige qui infantilise le paysage. Ainsi, l’art minimaliste de Manivel et Igarashi confine ici à la miniature, détaillant patiemment, plan par plan, un Japon à hauteur d’enfant, discrètement hanté par les films d’Ozu, le plus grand des cinéastes miniaturistes. » (liberation.fr)

Takara, la nuit où j’ai nagé était au programme de la section Orizzonti de la Mostra de Venise.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Martin De Kerimel.

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