Tatouage


 

 


Vendredi 29 avril 2005 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Yasuzo Masumura – Japon – 1966 – 1h26 – vostf – Interdit au moins de 12 ans

Parce qu’on l’empêche de vivre sa passion pour un apprenti, la jeune Otsuya fuit la maison parentale et se réfugie chez Gonji. Après avoir tenté d’abuser d’elle, ce dernier la vend au tenancier d’une maison de geishas. Un jour, un artiste fasciné par la beauté d’Otsuya lui tatoue une araignée sur le dos. C’est une révélation pour la jeune femme qui décide, dès lors, de se venger de la gente masculine.

YASUZO MASUMURA 

 » (…) Dans la pensée européenne, il y a, je crois, deux choses : le rationalisme et l’individualisme. Et ni l’une ni l’autre ne conviennent au tempérament japonais. (…) »

II voit le jour le 25 août 1924 à Kofu.

Jeune étudiant rebelle, Yasuzo Masumura fait ses « humanités » à l’université impériale de Tokyo, également fréquenté par un futur écrivain de génie nommé Yukio Mishima (à qui il confiera le rôle principal du Gars des vents froids en 1960). Après la défaite du Japon en 1945, il entre comme assistant à la Daiei, oeuvrant dans l’ombre des immenses Kenji Mizoguchi et Kon Ichikawa. Profitant d’une bourse délivrée par l’État italien, il se retrouve au Centro Sperimentale della Cinematografia de Rome durant trois ans. De retour dans son pays en 1957, il devient réalisateur à part entière. Cette année-là, il signe trois films qui, par leur rythme, la sécheresse de leur propos et la vivacité des dialogues et des personnages, vont révolutionner le cinéma nippon : Les Baisers, Jeune fille sous ciel bleu et Courant chaud. Hérault d’une nouvelle vague cinématographique, Masumura poursuit activement sa carrière d’auteur avec, entre autres, Le Faux étudiant (1960), tout en se lançant, sporadiquement, dans des batailles d’Hernani contre une presse violemment hostile. Etabli, Masumura enchaîne les films à un rythme endiablé. C’est à cette époque qu’il réalise Passion (1964), La Femme de Seisaku (1965) et Tatouage (1966) qui satellisent Ayako Wakao avec laquelle le réalisateur entretiendra des rapports plus qu’orageux, mais aussi Le Soldat yakuza (1965) avec Shintaro Katsu et Nakano, Ecole militaire avec Raizo Ichikawa. Les Géants et les jouets (1958), vision satirique d’un Japon mercantile et L’Ange rouge (1966), sur les rapports ambigus entre une infirmière arriviste et un médecin impuissant, rencontrent un succès international. Toujours pour la Daiei, il signera aussi une de ses oeuvres les plus désespérées et extrêmes : La Bête aveugle (1969), où un sculpteur atteint de cécité partage avec son modèle ses délires sadomasochistes. II décède en 1986.

ENTRETIEN AVEC YASUZO MASUMURA 

Les Cahiers du cinéma : Diriez-vous de vos héroïnes qu’elles cherchent à s’affirmer, à surmonter leurs faiblesses de femme japonaise ?

Yasuzo Masumura : On parle souvent de l’affirmation du moi chez la femme. C’est très joli, mais, à mon avis, il n’y a pas, dans le monde entier, de femmes aussi culottées que les Japonaises. II n’y a pas de pays où les femmes soient capables d’être à ce point sans complexes. Le moi de la femme japonaise est affirmé depuis longtemps. Ce n’est pas un problème moderne. Le problème est de savoir comment exprimer cela, autrement dit d’une façon plutôt asiatique ou, au contraire, plutôt radicale, en sautant I ‘étape du modernisme « à l’européenne ».

Alors de quelle femme japonaise faites-vous le portrait dans vos films ?

Je ne cherche pas à faire des portraits de femme mais c’est la femme qui est l’être le plus humain. L’homme ne vit que pour la femmetraînant son fardeau comme un cheval sa charrette pour finalement mourir d’une crise cardiaque C est donc en prenant la femme comme sujet central qu’on peut le plus facilement exprimer l’humanité. L’homme est un être complètement dépourvu de liberté. Sans doute parce qu’il n’enfante pas. L’homme est obligé de penser à l’honneur, à la vérité. C’est un animal qui ne vit que pour la femme. C’est donc pour toutes ces raisons qu’il n’est pas intéressant de dépeindre des hommes. (…) II n’y a rien de plus inintéressant qu’un homme viril. II n’y a qu’à lire Junichiro Tanizaki : tous ses héros sont faibles, lâches laids…

Qu’est-ce que l’érotisme pour vous ?

C’est ce qu’il y a de plus humain. Quand un humain se déshabille « humainement », ça devient inévitablement érotique. Cet érotisme peut renvoyer soit à Freud, soit à Yanagi, soit être plus complexe. (…) Pour moi donc, l’érotisme même s’il est très « osé », participe d’un esprit très sain. L’érotisme, tel que je l’imagine est une des qualités inhérentes de la femme. Contrairement à l’homme, qui n’est qu’une ombre, la femme est un être libre qui existe réellement.

Le sang est de plus en plus présent dans vos films…

C’est parce que le sang a un lien très intime avec le sexe. Je crois qu’il y a un lien mystique entre le sang et le sexe féminin. Bien sûr, lorsqu’on traite du sexe féminin, faire référence au sang est un piège très dangereux : on arriverait très vite à s’égarer dans un domaine où il est interdit de penser. Je crois qu’il ne faut jamais s’interdire de penser. L’esthétisme, c’est la négation de la pensée.

Que pensez-vous de Ayako Wakao qui est l’héroïne de la plupart de vos films ?

C’est une femme très égoïste et calculatrice. A un certain moment, elle était pleine de vitalité. Je crois avoir su utiliser son égoïsme et sa vitalité. Ce n’est pas une femme pure, et elle le sait bien. Ce côté vil de la femme, elle a su l’exploiter de manière positive, mais plus maintenant. C’est sans doute parce qu’elle commence à jouer les « stars » et qu’elle a rejeté sa vraie nature.

Croyez-vous qu’il n’y a pas de cinéma sans histoire ?

Certains croient davantage en l’image, d’autres croient à l’histoire. Moi, je crois à l’histoire. Parce que l’image n’est pas absolue et qu’on ne peut pas tout exprimer grâce à elle. C’est impossible. L’image est trop ambiguë. Je ne crois pas qu’on puisse raconter parfaitement une histoire avec seulement des images. L’image ne raconte rien par elle-même.

Comment envisagez-vous l’adaptation cinématographique d’un roman ?

Je pense que c’est une chose absolument impossible. II y a un univers qui n’existe que par les mots et qu’on ne peut pas exprimer par l’image. C’est parce que l’image est trop superficielle qu’on a recours au montage. (…) La qualité d’une image, c’est qu’elle fait fonctionner notre imagination sans limite. La contrepartie, c’est que l’image elle-même n’est pas capable de dire quelque chose. Pouvoir suggérer sans limite, c’est ne pouvoir rien dire. L’évolution du Septième art vous parait-elle aller dans le sens de la réalité sociale japonaise ? Je ne sais pas. Mais, même si la société japonaise reste stable – malgré les mouvements étudiants, les gens demanderont quelque chose d’autre, de différent au cinéma. II faut que naissent des films véritablement extraordinaires, des filmschoc comme Le Cabinet du Dr Caligari. (…) Pourquoi les gens fréquentent-ils de moins en moins le cinéma ? C’est parce que le cinéma ne donne plus de véritables spectacles. Le grand spectacle à l’américaine est déjà une chose démodée. II faut maintenant trouver ou plutôt retourner au vrai spectacle au sens propre. » (Tokyo, 1969)

AYAKO WAKAO  

 

Née en 1933 à Tokyo, Ayako Wakao est la sœur cadette d’une fratrie de quatre enfants. Fuyant les bombardements américains de 1945 sur Tokyo, elle part avec sa famille se réfugier à Sendai (Nord du Japon), une petite commune très rurale. Renfermée et ténébreuse, elle part en 1950 à Tokyo pour rejoindre la troupe de Kabuki dirigée par Kazuo Hasegawa (19081984). L’année suivante, la troupe cesse ses activités, mais grâce à la recommandation de Hasegawa, Wakao entre à la Daiei à 18 ans pour y suivre une formation élémentaire jusqu’en mars 1952. Devenue actrice maison, on lui offre dès ses débuts un rôle important dans Fuir la ville de mort (Shi no machi wo nogarete) de Eiichi Koishi, l’histoire d’une japonaise restée en Chine après la guerre. Son physique, son jeu sobre et sans manières en font rapidement une actrice très appréciée par le public. En 1953, elle devient une star avec la série intitulée Ecrits sur le sexe (Seiten) qui traite de la sexualité des adolescentes. Premier grand rôle de sa carrière dans Les Musiciens de Gion de Kenji Mizoguchi. Tyrannique, Mizoguchi lui confie néanmoins en 1956 le rôle de Yasumi dans La Rue de la honte, rôle qui fait d’elle une actrice à part entière. Jeune fille sous le ciel bleu (1957) inaugure une longue et féconde collaboration avec l’auteur pré-nouvelle vague japonaise Yasuzo Masumura. Lucide, Wakao a conscience qu’elle est victime de son rang de star, et que tous les scénarios sont taillés sur mesure pour qu’elle conserve ce rang. Frustrée par cette situation, elle doit attendre sa rencontre avec Yuzo Kawashima (1918 – 1963), le maître de Shohei Imamura, pour donner toute la mesure de son talent. Une femme naît deux fois (1961) et Le Temple des oies sauvages (1962) lui permettent d’obtenir cette reconnaissance tant convoitée après une carrière déjà riche de plus de 90 films. L’Ange rouge, Tatouage, et surtout La Femme de Seisaku; tous réalisés par Yasuzo Masumura, complètent sa palette d’actrice protéiforme. En 1970, elle joue dans Zatoichi contre Yojimbo, réalisé par Kihachi Okamoto, l’épisode de la série qui a remporté le plus grand succès en salles. A partir des années 70, la crise des studios nippons l’oblige, comme tous les autres acteurs, à s’orienter vers la télévision ou les téléfilms dans lesquels elles jouent, battent des records d’audience. En 1980, elle épouse l’architecte mondialement connu Kisho Kurokawa. Elle fait depuis quelques sporadiques apparitions au théâtre.

Sur le web

Tatouage est l’adaptation du roman de Junichirô Tanizaki intitulé Irezumi. L’écrivain japonais a inspiré le réalisateur Yasuzo Masumura à deux autres reprises avec les films Swastika (1964) et Naomi (1967).

Tatouage est l’une des nombreux collaborations entre le réalisateur Yasuzo Masumura et son actrice fétiche Ayako Wakao. Il l’a notamment dirigé dans Le mari était là (1964), La Femme de Seisaku (1965) et L’ Ange rouge (1966).

« Tatouage est sorti en 1966 et n’avait jamais été montré sur nos écrans. On découvre un film qui valide plusieurs des obsessions du réalisateur Yasuzo Masumura tout en radicalisant le propos. Un univers de séduction et d’érotisme se déroule. Les couleurs vives des habits en couche de Otsuya sont autant de signes de séduction pour attirer le regard. L’araignée fait sa cours pour attirer des victimes dans sa toile. Elle se pare de ses plus beaux atouts et sème derrière elle ses victimes.

Le cadre est tout en horizontal et livre un espace dépouillé souvent dans des intérieurs ou sous la pluie. Cette espèce de calme de la prise de vue contraste avec les scènes érotiques ou violentes. La scène où Otsuya est battue par son mari semble montrer une relation sado-masochiste. Les cris que poussent Otsuya raisonnent comme les cris d’une étrainte amoureuse.

Différents thèmes sont abordés dans Tatouage à commencer par la difficulté d’un amour contrarié entre deux personnes de classes sociales différentes. Parmi les différentes figures présentent dans le film celle de la femme fatale, forte prend une dimension toute particulière avec Ayako Wakao qui interprète son rôle en montrant une femme qui passe très vite d’un état à un autre comme en sont capables les manipulateurs pour parvenir à leur fins. Tous les hommes succomberont au poison que le tatoueur et la société machiste ont distillé dans le corps de la jeune Otsuya au travers du tatouage.

L’ironie veut que ce soit ceux qui ont voulu faire d’elle une geisha aux services de leurs désirs qui en subissent les conséquences. La figure du tatoueur a un rapport fétichiste à la peau. Le tatoueur est une figure à qui certains réalisateurs attribuent volontiers la capacité de tatouer plus qu’une représentation. Le tatouage a une signification très particulière comme dans le film Une adolescente (2003) où les oiseaux tatoués sur le dos des amants est un symbole de leur amour. »  (dvd.com)

Dominant le film, Otsuya [Ayako Wakao] semble diriger son commerce d’amour dans une franche indépendance. Image fascinante de la femme-captive, Otsuya est maîtresse des corps et des âmes de ses prétendants et clients. Yasuzo Masumura magnifie ce personnage ensorceleur et criminel en approchant sa caméra et ses lumières au plus près de la peau légèrement potelée de son actrice…Les cadrages, la lumière [2] du chef opérateur et la pellicule Scope offrent aux spectateurs des morceaux de chair et de corps empoignables et désirables à souhait… dans l’écrin des nombreux pans du kimono traditionnel. Les carcans du costume entravent ses déplacements et engoncent son corps plantureux, tandis que son souffle de vie et sa volonté sans faille semblent se faufiler dans le judicieux décolleté du kimono. Auprès de son amant, elle se dénude davantage et relâche ses cheveux. Du rouge de ses habits au noir de sa chevelure et à son corps blanc et diaphane, tous éclatent alors encore plus à l’écran.

Miroir de la vieillesse maudite pour les femmes, la mère de Shisuke est la figure féminine du sacrifice maternel. Dramatiquement pauvre et racornie, sorte de sorcière shakespearienne qui hante les marais, elle assiste impuissante à la fin des espoirs d’ascension sociale de son fils. Otsuya, amante rebelle et lascive, semble très loin de cet univers solitaire et misérable, mais seule la mort protègera Otsuya du « mauvais » sort commun aux mères, aux courtisanes et aux femmes libres.

Substitut du cinéaste, le tatoueur rôde littéralement dans tout le film. La passivité du personnage le protège du Destin auquel sont promis les hommes qui veulent profiter ou abuser d’Otsuya. Son œuvre d’encre noire semble avoir engendré une meurtrière. À plusieurs reprises, en arrière-plan ou en amorce, il est témoin de la folie assassine que suscitent Otsuya et son araignée tatouée. Échappé d’un antre masculin décadent, il se révélera être le visiteur nocturne qui lui tatoue une araignée sur le corps dans une somptueuse séquence déplacée en ouverture de film…Tatouage est le film érotique par excellence, Tatouage est le film érotique par excellence, il suggère par les moyens du cinéma et une anecdote exemplaire ce qu’il ne souhaite pas montrer, l’infilmable : le sexe meurtrier d’Otsuya…Fasciné par la beauté et le pouvoir de son héroïne, le film n’est pas tendre avec les personnages masculins. Tous les hommes, sans exception, sont lâches, impuissants, cupides ou terriblement stupides. Le seul samouraï du film, guide moral de la société, inflige avec un plaisir, un mépris et une gaîté non dissimulés, une profonde cicatrice au souteneur, victime sociale et hiérarchique. Chef d’œuvre d’érotisme noir, ce film célèbre les étoffes, la chair et le sang à travers la splendeur de leur matière et de leur lumière… » (critikat.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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