Samedi 01 Février 2014 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Hirokazu Kore-Eda – Japon – 2013 – 2h – vostf
Ryoata, un architecte obsédé par la réussite professionnelle, forme avec sa jeune épouse et leur fils de 6 ans une famille idéale. Tous ses repères volent en éclats quand la maternité de l’hôpital où est né leur enfant leur apprend que deux nourrissons ont été échangés à la naissance : le garçon qu’il a élevé n’est pas le sien et leur fils biologique a grandi dans un milieu plus modeste…
Notre article
Par Bruno Precioso
Hirokazu Kore-Eda n’est pas à proprement parler un inconnu. Depuis son deuxième long-métrage After Life (1998) ses films sortent régulièrement en France et quatre des six derniers ont été sélectionnés à Cannes (Distance, Nobody Knows, Air Doll, Tel père tel fils). Si sa dernière sortie est la première à être récompensée par le Prix du jury, depuis vingt ans le succès public et critique ne se dément pas. On a pu lire que ce nouvel opus évoquait le Prince et le Pauvre de Mark Twain, plus souvent en France on a fait référence à La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatiliez ; quoique les rapprochements puissent se justifier, il va de soi que l’essence de Tel père, tel fils est ailleurs.
L’argument du dernier film de Hirokazu Kore-Eda se nourrit d’une série de faits divers survenus au milieu des années 1970 au Japon : la confusion d’enfants dès la maternité, et les difficultés qui en naissent pour les familles victimes. Ou pour le dire mieux, le film se nourrit de la rencontre entre ces faits divers et le cheminement personnel du réalisateur, père depuis 2008 et engagé avec Tel père tel fils dans une réflexion intime sans doute plus que dans une analyse sociale du Japon contemporain. Il ne s’agit certes pas du premier film de Kore-Eda qui prendrait appui sur un fait divers concentrant problématique familiale, douleur intériorisée qui isole, souffrance réciproque entre enfants et parents… ce sont là les ingrédients essentiels du cinéma passé de Kore-Eda dans Nobody knows, Still walking ou même Distance. A chaque fois aussi, le réalisateur évoque le poids de son expérience propre dans sa création. Cette forme de continuité thématique est d’ailleurs totalement assumée, certains lieux des tournages se répondant parfaitement, et jusqu’au caractère ou au nom de personnages qui se répondent d’un film à l’autre. Ryota est par exemple déjà le nom du héros de Still walking… Tout chez Kore-Eda voyage, non seulement au sein de son cinéma mais entre lui-même et ses films.
« L’eau et plus épaisse que le sang. » (proverbe au sujet de l’adoption)
Et sans doute il faut chercher dans Tel père tel fils, malgré la grande simplicité et sobriété du style, l’incroyable réseau souterrain des nuances qui évitent au cinéaste d’être jamais dans le jugement, dans la leçon ou plus simplement encore de trancher les définitions mêmes qui sont la chair du film. Qu’est-ce qu’un fils, comment être un père ? Les apparences font de Ryota un père moderne, conforme aux canons d’une société exigeante pour laquelle il sacrifie une part de lui-même. Cette modernité réelle n’est jamais contestée, mais trouve sur son chemin la croyance archaïque d’une transmission de la filiation par la mystique du sang plutôt que par la vie commune, la transmission de valeurs, l’éducation. Même ambiguïté dans le regard posé sur les deux familles, qui chacune porte une tradition différente mais pas moins japonaise l’une que l’autre pour autant : la famille nucléaire ‘‘contemporaine’’ avec un père absorbé par le travail et la famille ancestrale (par certains aspects aussi celle d’une histoire du cinéma japonais) où toutes les générations cohabitent, insérée dans un tissu social de quartier, qui est la famille japonaise historique.
A aucun moment Kore-Eda ne donne raison à l’un ou l’autre de ces univers, il se limite à en organiser la rencontre, prenant soin de distiller avec douceur une complexité croissante autorisant progressivement le doute partout où un choix tranché et confortable risquerait de se faire jour. Seule la réalité statistique (près de 100% des parents confrontés à la situation d’échange ont préféré récupérer leur enfant « biologique » plutôt que de conserver l’enfant avec lequel ils avaient passé du temps) guide le réalisateur dans le questionnement qui habite le film, celui d’un choix exclusif du sang contre le temps. Et la vie du réalisateur régulièrement en tournage fait aussi de lui le sujet réel de son nouveau film : fils d’un père lui-même entièrement dévoué à son travail et dont l’enfant Hirokazu ne percevait que la silhouette en partance, l’adulte Kore-Eda se sait absent vis-à-vis de sa propre fille. A cet écartèlement de l’intime et du social, le réalisateur attribue qu’il ne parvenait pas à aimer son enfant autant que sa femme l’aimait lui semblait-il. Les femmes du film, comme les cellules familiales auxquelles elles appartiennent et leurs époux, incarnent à leur tour des générations juxtaposées avec pourtant plus de variété et peut-être de souplesse que les hommes. Aussi multiples que soient les individus peints par Kore-Eda, le réalisateur choisit de ne privilégier personne et même de rendre invisible la trajectoire de transformation que suit chacun en son sein. Car c’est moins la présence que l’absence qui ouvre à la conscience, donnant à sa manière raison au temps.
« De la musique avant toute chose… »
La musique peut dans ce film être considérée comme un élément de forme autant que comme un discours à part entière. Il faut dire que Kore-Eda n’aime pas que la musique simplement accompagne, souligne voire redouble la narration. Il attribue donc à sa partition ‘‘parallèle’’ un discours autonome, lui aussi nuancé autant qu’ambigu : l’Étude de Burgmüller que joue Keita au piano est une illustration sans équivoque d’une forme d’éducation faite d’exercices répétitifs et d’apprentissage de performance ; son titre La Candeur, résonne lui d’ironie tragique. De même les Variations Goldberg par Glenn Gould habitent le film de douceur en même temps que de mélancolie, incarnant sensiblement l’écoulement cyclique du temps qui constitue chez Kore-Eda le tissu même de son cinéma comme par ailleurs chez Ozu (duquel il est à chaque interview immanquablement rapproché). Sans refuser le patronage de Ozu (on le comprend !) il cite de préférence Shinji Somai, réalisateur-comète des années 1980, jamais exporté et mort en 2001 à 53 ans, dont Kore-Eda dit s’inspirer du regard singulier sur l’enfance, du réalisme magique. Quelles que soient ses maîtres – osons ses « pères spirituels » – Kore-Eda ne théorise ni ne surplombe et reste toujours à hauteur du sensible et du quotidien pour suivre ses personnages. La mise en scène prend son temps pour installer chacun dans son quotidien, son milieu social, son comportement et ses interactions, jusqu’aux gestes les plus concrets, tout ce qu’on appellerait pour le dire avec Bourdieu l’habitus. Mais ne nous y trompons pas. Kore-Eda réfute toute lecture de classe ou construction de sociologue, et sa caméra dément d’ailleurs une telle approche ; le quotidien est tissé de décalages, de malaises, de quiproquos qui peuvent être aussi drôles que douloureux, et on se tient toujours sur le seuil de l’intime qui se laisse deviner, ou reconstruire. Cette architecture patiente et complexe s’incarne à l’écran dans la simplicité et la sobriété de décors nullement stylisés, dans un cadrage d’une grande justesse sans esthétique superflue, dans de rares mais magistraux gros-plans d’où l’on observe la tranquille maturation des personnages.
C’est grâce à la bienveillance de cette caméra et à sa distance idéale avec des personnages par ailleurs remarquablement incarnés (notamment par Masaharu Fukuyama, star de la chanson pop) que la cruauté est presque absente du film malgré l’immense lucidité de Kore-Eda et quelques scènes en sourdine (dès l’ouverture du film) ou répliques crève-coeur qui permettent de mesurer la dureté de ce qui se joue. On sait le réalisateur très à l’aise avec les enfants, acteurs et martyrs qui habitent ses films avec bonheur depuis ses débuts (dès son premier Lessons of a calf, 1991, inédit) et de plus en plus régulièrement ces dernières années ; tout l’art du cinéaste est de ne leur imposer rien que la douceur de sa lumière (la photographie est encore une fois admirable), jusqu’à les faire jouer avec leurs propres mots. Ce n’est pas là une façon d’enjoliver mais plutôt l’art de rendre naturel ce qui risquerait si vite de paraître apprêté. Si Tel père tel fils se révèle à la fois pudique et poignant, c’est que Hirokazu Kore-Eda fait profession d’humilité avant tout : son art consiste à observer sans juger, et même souvent à s’amuser de ce qu’il glisse dans le cadre, avec une ironie tendre et acérée à la fois où l’on se surprend à s’amuser du calcul un peu mesquin de l’un, tout en réprouvant l’oeil de procureur avec lequel l’autre l’observe, comme nous venons de le faire…
Sur le web
Avec Tel père, tel fils, Hirokazu Kore-Eda confirme son goût pour la thématique de l’enfance. Si ce neuvième film raconte l’histoire d’un père dont le jeune garçon a été échangé à la naissance, trois autres de ses œuvres s’attachent à cet univers. Dans Nobody Knows, il suit ainsi 4 enfants abandonnés par leur mère. Avec Air Doll, il détourne le concept de l’enfance en suivant Nozomi, une poupée gonflable qui s’anime, et qui va découvrir le monde à la manière d’une enfant. Enfin, en 2011, le réalisateur nippon conviait le public à participer au voyage initiatique de deux jeunes frères séparés qui vont tout faire pour se réunir.
Père depuis 2008 d’une petite fille, Hirokazu Kore-Eda s’interroge encore sur la notion de paternité et sur le moment où un homme se sent devenir père. C’est cette réflexion sur sa propre vie qui a conduit le cinéaste japonais à réaliser Tel père, tel fils. « Je vais sans doute continuer à aborder la paternité dans mes prochains films jusqu’à ce que j’en comprenne les raisons profondes« , confesse-t-il.
Plus qu’un acteur, Masaharu Fukuyama est une star dans son pays. Jusqu’à 2011, il était le chanteur masculin ayant vendu le plus disques de l’histoire du Japon. Son tube « Sakurazaka », qui l’a popularisé en 2000, reste à ce jour le single le plus vendu de l’histoire du Japon pour un artiste masculin. En tant qu’acteur, c’est son rôle de Manabu Yukawa dans la série Galileo, sortie en 2007 et adaptée au cinéma (il y reprend son rôle, ndlr) qui le consacre. Tel père, tel fils constitue son 5ème long-métrage. Rirî Furankî dispose aussi d’une certaine notoriété dans l’archipel nippon. Musicien et compositeur à ses heures, c’est surtout dans le domaine de la littérature qu’il acquiert sa popularité grâce à son premier roman Tokyo Tower : Mom & Me, and Sometimes Dad, vendu à plus de 2 millions d’exemplaires et adapté ensuite à la télévision et au théâtre. Une autre de ces œuvres, Oden-kun, a elle été transposée en animé.
Le tournage du film a été assez rapide. Hirokazu Kore-Eda n’a eu besoin « que » de 42 jours pour mettre en boîte son long-métrage. . De plus le réalisateur nippon n’a carrément pas donné le scénario aux deux enfants (Shôgen Hwang et Keita Ninomiya) mais s’est contenté de leur indiquer une fois sur le plateau les scènes qu’ils devaient interpréter. Tourner avec des enfants âgés de 6 ans comme Shôgen Hwang et Keita Ninomiya n’a rien d’une évidence. Afin d’obtenir une vraie complicité entre les parents et les deux apprentis acteurs, Hirokazu Kore-Eda a enjoint Masaharu Fukuyama, Yoko Maki, Lily Franky (Rirî Furankî) et Machiko Ono à partager un maximum de temps avec les deux jeunes enfants. Avant le tournage, ils ont ainsi déjeuné plusieurs fois et ont joué tous ensemble. Cela a permis de créer une certaine continuité sur le plateau.
Tel père, tel fils a fait sensation en compétition officielle de l’édition 2013 du Festival de Cannes. Le film s’est vu décerner le Prix du Jury. Son réalisateur, Hirokazu Kore-Eda, était déjà venu sur la Croisette, à trois reprises : en 2001 avec Distance ; en 2004 où il concourrait pour la Palme d’or avec Nobody knows ; et en 2009 dans la sélection « Un certain regard » avec Air Doll, mais n’avait jusqu’alors reçu de distinction.
Président du jury à Cannes où était présenté en avant-première le film, Steven Spielberg est tombé sous le charme de l’histoire contée par Hirokazu Kore-Eda. Si le réalisateur américain et son jury l’ont récompensé du prix du Jury, Spielberg est allé plus loin en en achetant les droits. En effet, sa compagnie de production, Dreamworks, a acquis les droits du long-métrage nippon et en assurera un remake américain.
Outre le Prix du Jury du Festival de Cannes 2013, le film a également reçu le Prix du Jury œcuménique sur la Croisette. Il a ensuite été récompensé à Vancouver par le Rogers People’s Choice Award, honorant le meilleur film étranger, puis à San Sebastian (Wuaki.TV Audience Award).
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
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