The Long Excuse



Vendredi 08 Décembre 2017 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Miwa Nishikawa – Japon – 2017 – 2h04 – vostf

Sachio, romancier aussi célèbre que cynique, est marié à Natsuko mais il y a bien longtemps que leur amour s’est envolé. Yoichi est l’époux de Yuki, la meilleure amie de Natsuko. Chauffeur routier, il s’use à la tâche pour faire le bonheur de son épouse adorée et de leurs deux enfants. Les deux amies périssent brutalement lors d’un accident de bus. A l’image de leurs vies, la réaction des deux hommes sera opposée. Quand Sachio ne ressent aucune tristesse et doit feindre l’affliction, Yoichi est inconsolable. Bouleversé par le chagrin de ce dernier, Sachio lui propose son aide. Face au quotidien humble et difficile de cette famille, l’écrivain va peu à peu s’ouvrir à la compassion et à l’altérité, et réalisera la perte qu’est la mort de sa femme.

Notre critique

Par Martin De Kerimel

Le fait peut surprendre : aucun distributeur français ne nous avait jusqu’alors permis  de découvrir le cinéma de Miwa Nishikawa. Ce soir, avec vous, nous nous aventurons donc en terre inconnue. Vraiment ? Pas si sûr ! D’une part, bien sûr, parce que le Japon est un cadre familier pour les cinéphiles. D’autre part, parce que la jeune réalisatrice que nous allons rencontrer affiche une référence qui n’échappera pas à celles et ceux que le septième art conduit au pays du soleil levant : elle a débuté comme assistante d’un autre cinéaste assez populaire sous nos latitudes, j’ai nommé Hirokazu Kore-eda. Comme lui, et c’est à mettre à son crédit, elle travaille souvent sur la base de scénarios originaux. Et si vous tenez absolument à jouer au jeu des comparaisons, je glisserais aussi le nom de Yasujiro Ozu, persuadé que le maître n’aurait pas renié son héritière…

Cela étant dit, trêve de bavardage ! Afin d’entrer dans le vif du sujet, il me paraît intéressant de vous dire deux mots des intentions de Miwa Nishikawa avec ce film. Pour être tout à fait complet, je dois d’abord vous signaler qu’elle a aussi écrit le scénario et, ce faisant, adapté un roman qu’elle avait publié quelques années auparavant. L’idée de départ lui est venue après la catastrophe de Fukushima. La jeune femme indique qu’elle n’a pas eu à souffrir des conséquences de ce drame effroyable, mais qu’à partir de cet événement tragique, elle s’est intéressée à la façon dont on peut se reconstruire à la suite de la disparition soudaine d’un membre de son entourage. Pour que ce sujet sensible soit un peu plus universel encore, elle a cru bon d’inventer deux personnages masculins, confrontés à la mort de leurs épouses respectives dans un accident routier. Bon… pas question pour moi de trop en dire dès maintenant, mais, comme vous pouvez l’imaginer, leurs réactions ne seront pas les mêmes. Cela vous surprendra, peut-être…

C’est vrai aussi qu’il y avait sans doute mille autres façons de raconter cette histoire. Miwa Nishikawa, elle, sollicite notre coeur : elle a le don de faire de nous les témoins d’un double drame intime, sans jamais nous transformer en voyeurs. Elle dit se laisser guider par ses émotions, se déplaçant toujours avec un petit carnet sur elle, pour noter toutes les idées qui lui passent par la tête… à n’importe quel moment ! Elle explique également qu’elle fait confiance à ses acteurs et qu’elle s’efforce de les laisser libres de leurs mouvements, autant que possible. C’est particulièrement vrai pour les enfants qui, vous le verrez, ont une grande importance dans ce joli récit. La cinéaste reconnaît qu’elle n’a pas forcément eu la partie facile, auditionnant 150 bambins pour distribuer chacun des deux rôles. « Je voulais vraiment garder leur côté enfantin, a-t-elle révélé lors d’une interview. Je ne cherchais pas des acteurs, mais des enfants sans expérience de jeu ». Un pari plutôt audacieux, d’autant que le tournage s’est étalé sur neuf mois !

La démarche se veut vraiment naturaliste : du point de vue photographique, la cinéaste indique qu’elle a toujours refusé d’apporter la moindre modification aux éclairages déjà existants et qu’elle a ainsi, en toute circonstance, privilégié la lumière naturelle. Pour laisser à ses jeunes protagonistes le temps de grandir un peu, elle a fait le choix de tourner de manière discontinue : deux semaines au printemps, deux autres au cours de l’été, et enfin une dizaine de jours en hiver. Le tout de façon chronologique. Toujours dans cette logique de capter l’intime, ce film est également le fruit du travail d’une équipe réduite. Je serai d’ailleurs ravi de savoir si ce choix vous a convaincus…

Mais avant cela, quelques précisions encore sur les projets futurs de Miwa Nishikawa. Aujourd’hui, notre « découverte » est passée à autre chose : après avoir bouclé le film de ce soir, au plus proche de ses préoccupations personnelles, elle dit avoir eu besoin d’un peu de temps pour se lancer dans les préparatifs d’un nouveau long-métrage. Désormais, elle planche sur un récit dans le milieu carcéral, qui adapterait un roman japonais sorti il y a trente ans, texte qu’elle entend transposer dans le monde actuel. « Le livre n’est plus édité. J’ai été choquée par le fait qu’il semble oublié », dit-elle. J’ignore encore si nous aurons l’opportunité de juger de la qualité de ce nouvel opus…

Une chose est sûre : de mon côté, j’aimerais avoir une chance de mieux appréhender l’univers de cette artiste, qui a eu l’idée (et le bon goût ?) de nous offrir ici une fin relativement ouverte. Gageons qu’elle saura motiver les exploitants à nous montrer d’autres facettes de son talent ! Après tout, si on excepte Naomi Kawase, les femmes japonaises qui font du cinéma ne sont pas si nombreuses pour qu’on puisse les snober sans vergogne. Sur ce point au moins, je fais le pari que vous serez d’accord avec moi !

Sur le web

Née en juillet 1974 à Hiroshima, Miwa Nishikawa a étudié la littérature à l’université Waseda et a collaboré avec Kore-Eda sur After Life en 2009. Après son diplôme universitaire, elle a travaillé en tant qu’assistante réalisatrice, en free lance, et a fait ses débuts à la réalisation en 2004 avec Wild Berries (dont elle a également écrit le scénario), qui a notamment gagné le prix du meilleur scénario du concours Mainichi.

Son deuxième long métrage, Sway, tourné en 2006, a été un succès au long cours au box-office japonais. Il a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Il a également gagné le prix de la meilleure réalisation en 2007, aux Blue Ribbon Award.

Son troisième film, Dear Doctor, tourné en 2009, a été montré en compétition au festival des films du Monde de Montréal et a notamment gagné le prix du meilleur film au Kinema Junpo Award ainsi que le prix du meilleur scénario aux Oscars Japonais.

Son quatrième film, Dreams for sale a été présenté en première mondiale au festival international du film de Toronto et a gagné de nombreux prix, au Japon et à l’étranger.

Miwa Nishikawa est aussi une romancière qui a publié plusieurs ouvrages, également récompensés par de nombreux prix : le Mishima Yukio pour son roman « Sway » et le prix Naoki, en 2009, pour « Kino no kamisama », qui a inspiré Dear Doctor. Citons également parmi ses ouvrages, « Sono hi Tokyo eki goji nijugofun hatsu » et « Eiga ni matsuwaru X ni tsuite ».

Pour la réalisation de The Long Excuse, elle s’est entourée de techniciens renommés dont le chef opérateur Yutaka Yamazaki qui a signé la photographie de Après la tempête de Kore-eda.

Interrogé sur la genèse du film, la réalisatrice explique: « Le point de départ est le tremblement de terre et le tsunami survenus en 2011. Dans la foulée, j’ai vu nombre de reportages à la télé et lu beaucoup d’histoires tragiques au sujet de familles, d’amis et de collègues qui ont perdu des proches dans ces circonstances. Comment affronter une douleur aussi brutale ? Je me suis mise à penser à toutes ces autres personnes que je ne connaissais pas. Par exemple, à celles qui avaient été séparées alors qu’elles étaient en mauvais termes. Il pouvait s’agir d’un couple, qui se serait disputé le matin même, ou de collègues, qui auraient toujours été en désaccord. J’avais l’envie d’écrire sur des gens qui ont connu ce genre de tragédie, mais je ne souhaitais pas m’inspirer de faits réels, ou de faits limités au Japon. Je voulais raconter une histoire qui puisse résonner de façon universelle, à laquelle on puisse s’identifier facilement ; c’est pour cela que j’ai choisi de parler d’un écrivain et de la perte de sa femme dans un accident. »

« Nishikawa n’est pas là pour envoyer une carte postale réconfortante sur le deuil. Dans The Long Excuse, sous les cerisiers d’hanami, on a plutôt tendance à s’engueuler. Si le film envisage une possible réconciliation (avec soi-même, avec ses remords), il n’efface pas l’amertume : le silence de la solitude renvoie au silence de l’accident, et des disparues il ne reste que des photos, des cendres, un dessin sur le frigo. Nishikawa, à la fois critique et généreuse envers ses personnages masculins imparfaits, porte un regard délicat sur tout cela, ce tumulte intérieur, violent et étouffé. Idée de montage à la fois naïve et extrêmement poétique, à un plan de bulle s’élevant dans le ciel pour éclater succède un grand feu d’artifice muet. C’est en ne commentant pas trop que Nishikawa brille le plus, lorsqu’elle associe le vertige de la perte et le sens du détail comme autant de nuances dans ce poignant portrait. » (filmdeculte.com)

« Miwa Nishikawa fait en effet le choix de dévier quelque temps de son scénario en ligne droite pour s’intéresser à l’intimité d’une famille en recomposition. Car Sachio n’est pas le seul à avoir perdu sa femme dans cet accident. Face à l’effondrement de Yoishi, un chauffeur de camion veuf lui aussi suite à l’accident de car, l’écrivain propose de venir s’occuper de son fils et de sa fille durant ses longues journées d’absence sur les routes. Or c’est pendant ces scènes de quotidien que le film s’éveille enfin à la vie. Sachio regarde ces enfants qui parviennent à se débrouiller sans son aide, essayant de comprendre comment ils fonctionnent. La situation offre à à la réalisatrice l’occasion de s’arrêter dans le petit espace de l’appartement fourmillant de détails et d’objets que les enfants utilisent à leur guise. La caméra se place à la bonne distance, ne se contente plus d’isoler des visages, captant les maladresses qui jonchent cette cohabitation et construisent les bases d’une relation familiale. Les jeunes acteurs improvisent, entraînant le comédien / personnage à les suivre. Sachio se rapproche ainsi de l’aîné, garçon travailleur et orgueilleux en qui il se reconnaît, ce dernier commençant à se considérer comme un élément supérieur de cette famille aux origines sociales modestes. L’écrivain décide alors de s’atteler à prévenir la reproduction de sa propre trajectoire, nous ramenant invariablement dans l’entreprise de rachat moral annoncé par le titre. Mais un contact entre les personnages existe désormais, comme cet échange de regard silencieux par-dessus un cahier de devoir, dans l’obscurité d’une chambre d’enfant. Ces quelques instants suffisent à faire décoller le film : le drame humain s’articule désormais autour de la question de l’absence, fonctionnant par petites touches émotionnelles. « Être là » devient tout l’enjeu que poursuit Sachio, et son retour au monde s’accompagne de la naissance de son personnage à l’écran en même temps que la révélation sensible de tout ce qui l’entoure. » (critikat.com)

En ce qui concerne la direction des acteurs, la réalisatrice confie: « Pour certaines scènes, je demande aux acteurs de dire le texte exactement tel qu’il est écrit dans le scénario. Mais, dans ces cas-là, ensuite, je discute beaucoup avec eux pour ajuster au mieux l’émotion de la scène. Et pour d’autres, je fais différemment. Sur The Long Excuse, ce fut le cas des séquences avec les enfants. Les enfants acteurs sont inexpérimentés, tout simplement parce qu’ils sont jeunes ! Je souhaitais qu’ils soient aussi naturels que possible. Pour garder toute leur fraîcheur, j’ai fait peu de prises, en prenant soin avant de tourner, de leur expliquer en détail ce que je recherchais. Par exemple, la scène où ils lavent le riz est improvisée, ils agissent et parlent spontanément, et c’est ce que je voulais. »

Masahiro Motoki qui interprête le rôle de Sachio, est né en 1965, à Saitama; il a été membre du boys band Shibugaki Tai et a fait ses débuts à l’écran dans 226 : Four days of snow and blood de Hideo Gosha, en 1989. En 1993, il a gagné le prix du meilleur acteur aux Oscars japonais pour son rôle dans Sumo Do, Sumo Don’t de Masayuki Suo. Il est à l’origine de Departures de Yojiro Takita et interprète également un des rôles principaux de ce film, le seul film japonais à avoir gagné l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Parmi sa filmographie, citons Last Song en 1994, Tokiwa : The Manga Apartment en 1996 et Gemini en 1999. Pour ses interprétations dans The Emperor in August et The Big Bee, tous deux en 2015, il a notamment gagné le prix de l’Académie japonaise du meilleur acteur dans un second rôle, le prix Blue Ribbon en 2015 et le prix Kinema Junpo ; et s’est réaffirmé comme l’une des plus grandes stars japonaises. The Long Excuse marque son grand retour dans un premier rôle au cinéma, sept ans après Departures.

Pistol Takehara qui interprête le rôle de Yoichi, est né en décembre 1976, à Chiba, il a été capitaine de l’équipe de boxe de son université, qui est arrivée deuxième au tournoi qui voyait s’affronter toutes les équipes du Japon. En 1999, il démarre une carrière dans la musique, dans le groupe Yakozen, qui a sorti son premier album en 2003. Le groupe s’est séparé six ans plus tard. Il sort alors son album solo « Youth » en 2015 et effectue actuellement une tournée de plus de 112 dates au Japon. Il obtint son premier rôle en 2006 dans Green Mind, Metals Bats de Kazuyoshi Kumakiri. Par la suite, il a joué dans Sketches of Kaitan City en 2010 et Scabbard Samurai en 2011. Il a également publié un livre d’illustrations et expose régulièrement ses peintures.

Eri Fukatsu qui interprête le rôle de Natsuko, est née en janvier 1973, à Oita, elle obtint son premier rôle en 1998 dans Summer Vacation de Shusuke Kaneko. Pour Kiss to moonlight , sorti en 1989, elle obtint à la fois le prix de la meilleure actrice au festival de Rome en 1989 et le prix de la révélation aux Oscars Japonais. Elle a également été nommée pour le prix de la meilleure actrice pour Haru en 1997. Avec Villain, en 2010, elle gagna le prix de la meilleure actrice au festival des films du Monde de Montréal.  Elle a tourné dans de nombreux épisodes de la série « Bayside Shakedown », ainsi que dans The Professor’s Beloved Equation en 2006, A Ghost of a Chance en 2011. On l’a vue également dans Vers l’autre rive de Kiyoshi Kurosawa qui a été primé par le prix de la mise en scène dans la section Un Certain Regard au festival de Cannes 2015. Elle est également très active au théâtre.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Martin De Kerimel .

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