The Misfits



Vendredi 16 Février 2018 à 20h30 – 16ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de  John Huston – USA – 1961 – 2h05 – vostf

Années 50, Reno, Nevada, capitale de l’industrie matrimoniale et des machines à sous. Une jeune divorcée se lie d’amitié avec un groupe de « misfits » (« désaxés ») composé d’un cow-boy vieillissant, d’un mécanicien au cœur brisé et d’un cavalier de rodéo usé par le temps. Le petit groupe part chasser le mustang sauvage…

Notre critique

Par Vincent Jourdan

The misfits (Les désaxés), c’est d’abord le cadeau du dramaturge Arthur Miller à l’actrice Marilyn Monroe, une nouvelle qu’il écrit en 1956 alors qu’il divorce pour l’épouser. Une nouvelle qu’il adapte pour le cinéma en 1960 au moment où ils vont se séparer. C’est John Huston qui s’empare du scénario pour réaliser son 18ème long métrage et s’intéresser une nouvelle fois après le lyrique The unforgiven (Le vent de la plaine, 1960) aux mythes fondateurs de l’Amérique à travers les formes du western. Mais The misfits (les ‘‘mal-fichus’’ littéralement) est cette fois un western contemporain qui suit la trajectoire de quatre personnages, une jeune divorcée (Roslyn), un cow-boy vieillissant (Gay), un chauffeur de camion (Guido) et un cavalier de rodéo (Perce), dans un pays qui n’est plus que l’ombre de son rêve. Les trois hommes vont être attirés par Roslyn, mais elle est séduite par la figure paternelle et rassurante incarnée par Gay. Le petit groupe fait route dans le désert du Nevada pour capturer des chevaux sauvages et tenter de préserver un mode de vie qui leur est propre. Comme nous sommes chez John Huston, cet idéal se heurte au rude principe de réalité et le rêve se dissipe en illusion ironique. Reste, comme le réalisateur l’avait défini, le seul plaisir de l’aventure dont on ne retire que la satisfaction d’en être sorti vivant.

Au tournant des années soixante, pour Hollywood comme pour les États-Unis, The misfits est un film emblématique, entre tradition et modernité. Un film de stars avec Clark Gable, Marilyn Monroe et Montgomery Clift, une production de prestige signée d’un réalisateur oscarisé, avec la photographie de Russel Metty qui vient lui aussi d’être honoré pour son travail sur le Spartacus de Stanley Kubrick. A côté de cela, la musique est signée d’Alex North, collaborateur d’Elia Kazan, qui incarne un nouveau style de bande originale et qui vient lui aussi de travailler sur Spartacus. Surtout, Arthur Miller incarne depuis une décennie une nouvelle façon d’aborder le théâtre. En situant son récit dans un contexte contemporain, il donne à Huston une riche matière pour dresser un portrait de l’époque et de ses valeurs, une méditation sur le temps qui passe et la fragilité des mythes qui s’évaporent comme la poussière d’or à la fin de Treasure of the sierra Madre (Le trésor de la sierra Madre, 1948).

 

Sa prestigieuse distribution permet à Huston de faire vivre ces thèmes sur le corps et le visage de ses acteurs donnant à son film un étrange ton funèbre. Clark Gable, le roi de Hollywood, est ici au terme de d’une carrière unique, vieilli mais toujours digne, la moustache grisonnante mais toujours élégante. Il est l’homme au bout de la piste. Monroe et Clift sont deux icônes de la génération suivante, celle nourrie aux techniques de l’Actor Studio. Mais ils sont tous deux des comédiens écartelés entre leurs aspirations et les contraintes d’un système qui tend à imposer une image d’eux superficielle. Deux personnalités compliquées en proie à de redoutables démons. Miller a écrit le rôle de Roslyn pour Monroe, cousu sur-mesure pour la femme et l’actrice dont il connaît les tourments. Huston utilise de même ce que chacun connaît de Gable et de Clift pour nourrir les personnages de Gay et de Perce. Il tempère son trio d’exception par deux formidables seconds rôles qui apportent l’humour et l’ironie typiques du réalisateur : Eli Wallach alors débutant incarne le camionneur Guido, et Thelma Ritter, inoubliable infirmière de James Stewart dans Rear Window (Fenêtre sur cour – 1954) d’Alfred Hitchcock, est l’amie de Roslyn. Ces choix de distribution donnent à The misfits une dimension particulière, parfois mal interprétée, où la fiction et le réel s’interpénètrent, ou la légende supplante la réalité.

The misfits est un film unique, à l’émotion suspendue sur le fil, souvent passionnant, parfois pour des raisons qui dépassent l’oeuvre elle-même. Se greffent à cette fresque des héros déchus des motifs chers à Huston, le goût de l’action physique, le plaisir de l’alcool, la beauté sauvage de la nature régulièrement violée par la cupidité et la bêtise humaine, la lucidité des femmes qui tentent par leur douceur de tempérer la folie un peu bornée des hommes courant après leurs chimères

Sur le web

«… Pour résumer simplement l’intrigue du film, il faut repartir de son titre particulièrement évocateur: Les Désaxés (dont on préférera le titre anglais The Misfits, c’est-à-dire « les mals-foutus »). Le récit met en scène quatre personnages inadaptés et seuls dans un monde où ils ne trouvent désormais plus leur place. C’est la fin d’une ère, celle du mythe du cow-boy libre dans la nature, et du grand ouest américain. En cela, le scénario de l’écrivain Arthur Miller dresse un constat grinçant et particulièrement sombre de l’Amérique d’Eisenhower de la fin des 50’s, une nation qui a du mal à communiquer et dont le rêve des « Pères fondateurs » a échoué.

Et qui de mieux pour interpréter cette Amérique agonisante que les acteurs qui composent le casting du film de Huston ? Loin de la figure triomphante du cow-boy à la John Wayne ou Gary Cooper, Clark Gable est désormais un vieil homme fatigué et abattu. Marylin Monroe, du haut de ses 35 ans, est une femme perdue dopée au cocktail antidépresseurs/whisky, rongée par la peur de voir son physique faner. Montgomery Clift sera lui décrit durant le tournage par l’actrice comme « le seul être qui soit encore plus perdu que moi« . Au final, Huston filme dans The Misfits autant la fin du mythe de l’Ouest que celui de l’âge d’or Hollywood.

Mais au-delà des correspondances entre l’état psychologique et physique des personnages et de leur interprètes, The Misfits pousse encore plus loin l’effet miroir. Ecrit par Arthur Miller alors en plein divorce avec Monroe, le scénario du film se révèle être un cadeau d’adieu de l’écrivain à sa femme. Le rôle de Roslyn a été créé à partir de Marilyn et fait écho à leur relation. Pour la première scène de l’actrice, Miller lui fera ainsi littéralement rejouer son divorce devant un miroir.

Dire que les relations furent tendues sur le tournage de The Misfits relève de l’euphémisme. Que ce soit entre les acteurs, entre Miller et Monroe, entre Huston et les producteur de la MGM, les animosités jaillirent de partout. Entre une Marilyn Monroe imprévisible (elle supplie Miller de couper ses scènes avec Eli Wallach de peur que l’acteur éclipse son talent, interrompt le tournage durant deux semaines pour faire une cure de désintoxication) et un Glark Gable usé et à fleur de peau, leur relation devient très vite ingérable. Plus tard, l’actrice sera désignée responsable de la rapide chute de santé de Clark Gable par la femme de ce dernier. L’ultime jour de prises de vue, Gable aurait même déclaré en regardant sa partenaire « Christ, I’m glad this picture’s finished. She damn near gave me a heart attack. » (‘Seigneur, je suis soulagé que ce soit fini. J’ai failli avoir une crise cardiaque à cause d’elle« ).

Une hypothèse que l’on peut toutefois remettre en cause. L’acteur était, en effet, déjà extrêmement affaibli dès le début du tournage de par sa consommation excessive de tabac et d’alcool mais avait pourtant tenu à interpréter lui-même l’intégralité de ses scènes de cascades. Après la vision du premier montage du film, des tensions se firent sentir de nouveau, cette fois-ci entre Gable qui disposait d’un droit de regard sur le script et United Artists, la société de production qui avait évoqué son souhait de faire quelques retouches. Au final, United Artists pu faire les changements voulus.

Film traitant d’une époque révolue, The Misfits marque aussi la fin d’un mythe. Celui de Marilyn Monroe et de Clark Gable dont ce fut le dernier film. Gable mourut d’une crise cardiaque deux jours après la fin du tournage et Marilyn Monroe disparût un an après la sortie du film laissant derrière elle l’inachevé Something’s Got to Give de George Cukor. Montgomery Clift tourna encore trois films avant d’être lui aussi emporté par une crise cardiaque quatre ans plus tard. Œuvre maudite pour certain, mise en abyme troublante où se télescope la réalité et le sujet du film pour d’autres, The Misfits se révèle en tout cas sur de nombreux points l’incarnation ultime du film dit crépusculaire.

Dès le début de la production, les attentes de la United Artists autour de The Misfits sont très grandes. Réunissant la crème de la crème d’Hollywood : des acteurs au sommet du prestige, un réalisateur oscarisé, un scénariste de renom dont les pièces de théâtre ont faire le tour du monde (Les Sorcières de Salem, Vu du pont), le projet espère logiquement un succès public et critique considérable. Mais ces attentes laisseront très vite place à la désillusion du studio. Malgré le tournage des prises de vue en noir et blanc, le film affiche un coût de plus de 4 millions de dollars et engrange seulement 4,1 millions de dollars de recettes à sa sortie sur le territoire américain. Un réel désastre. Il faudra attendre quelques années, le temps que la mythologie autour de l’œuvre se construise puis la sortie en dvd pour qu’il acquiert le statut de film majeur.

Aujourd’hui encore, il paraît bien difficile de résister au charme troublant de cette oeuvre miroir, de ne pas se laisser emporter par la mélodie élégiaque de cette ultime danse avec les morts. Les images de Huston auront su capter pour une ultime fois les visages de ses acteurs en train de disparaître. Toutes ces éléments qui font de The Misfits l’un des plus beaux films de fantômes du cinéma américain.» (lesinrocks.com)

«… Le décor du film parle de lui-même : ambiances nocturnes, rodéos de bon marché, déserts arides et infinis, maison inachevée, silhouettes humaines sans émotion – comme ce grand-père qui traîne un jeune enfant déguisé en cow-boy de bar en bar, refusant de voir qu’il n’y est pas à sa place. Les désaxés ne savent pas où aller, ni avec qui : tout juste divorcée, Roslyn suit les premiers venus sur son chemin, n’importe où, n’importe quand, avec cette confiance aveugle de la femme seule qui cherche une famille, qui veut s’arrêter d’errer. Les errements pourtant ne sont pas finis, car Roslyn s’attache à ceux qui lui ressemblent, donne son affection caressante à ceux qui sont encore plus meurtris qu’elle, dans un élan maternel qui ne sert qu’à dissimuler sa propre solitude. Sans autre but dans la vie que de trouver une échappatoire à leur vie brisée, les désaxés tentent d’aller toujours plus loin, pour s’apercevoir qu’ils ne font que tourner en rond. Dans le sourire fragile de Roslyn, il y a la petite lueur d’espoir du film, celle à laquelle les trois hommes s’accrochent en développant chacun à leur tour une relation particulière avec cette femme qui semble concrétiser leur rêve – pour Guido, celui de la passion amoureuse ; pour Perce, celui de la mère, et pour Gay, celui de l’épouse. Mais dans la gaieté forcée de Roslyn, il y a une peur panique de la mort, qui éclate dans cette splendide scène où elle hurle, petite chose au milieu du désert, sa haine des trois hommes partis à la recherche de chevaux pour les tuer. Elle qui a tant besoin de croire en la vie ne rencontre sur son chemin que des hommes qui l’entraînent vers la mort : c’est pourtant elle qui vaincra au bout du compte, victoire amère puisqu’elle signifie pour les hommes l’abandon de ce en quoi ils avaient toujours cru. Au-delà du fait que les thématiques portées par Arthur Miller correspondaient parfaitement à l’univers hustonien et que l’acuité de la mise en scène se ressent de cette adéquation, Les Désaxés tire sa force du total abandon de ses interprètes. On sait que ce fut le dernier film des trois acteurs principaux : Clark Gable décéda d’une crise cardiaque avant la sortie, ayant épuisé ses dernières ressources dans les dangereuses cascades qu’il tint à effectuer lui-même ; Montgomery Clift disparut quelques années plus tard, sa vie ne tenant déjà plus qu’à un fil après l’accident de voiture qui l’avait défiguré ; Marilyn, elle, mourut dans la solitude et le désespoir en 1962. Le mythe des Désaxés tient à aussi à sa valeur de chant du cygne prémonitoire. Il y a à l’évidence une atmosphère mortifère dans le jeu fantomatique de Montgomery Clift, qui n’est plus que l’ombre de lui-même (voir ainsi la scène où il tente de faire croire que les traces de son visage ravagé ont disparu) ou dans la façon dont Clark Gable rappelle que vingt ans auparavant, il était le « roi d’Hollywood » par le biais de son personnage refusant de vieillir. En voulant exécuter lui-même la scène où le cow-boy Gay s’accroche à la corde attachée au cheval qu’il veut maîtriser, et se laisse ainsi traîner sur plusieurs mètres, Clark Gable cherchait aussi à s’accrocher à la vie, mais la lutte était aussi inégale que celle menée par son personnage… C’est Marilyn qui est véritablement le moteur des Désaxés, le seul « axe » du film, celui autour duquel tous les personnages évoluent, le point de départ de l’action. Elle est de presque tous les plans, provoquant chaque confession, chaque retournement de situation, toujours avec l’air de ne pas y toucher, de se laisser porter par les événements. Marilyn est Roslyn – mais cela est vrai de presque tous les films de l’actrice, qui se jetait à corps perdu dans les bras de ses personnages. Roslyn est d’ailleurs la personnalité la plus ambiguë du film, tour à tour idéaliste et désespérée, forte et fragile, consciente (au point d’en jouer) du désir qu’elle provoque chez les hommes tout en cherchant à y échapper. À l’instar des personnages masculins, John Huston ne semble voir qu’elle et la filme sur tous les plans, dans toutes les positions : gros plan sur ses fesses alors qu’elle monte à cheval, contre-plongée sur ses jambes, regard énamouré sur son visage lumineux et angélique, d’une blancheur immaculée…Marilyn/Roslyn, ivre, dansant seule, au mépris de sa robe glissant de ses épaules ; Marilyn/Roslyn hurlant dans le désert à demi-courbée ; la voix étouffée et la respiration de Marilyn/Roslyn qui s’abandonne : Les Désaxés devait être le cadeau d’adieu d’un homme à sa femme ; il devint celui d’une déesse à son public.» (critikat.com)
Le scénario est tiré d’une nouvelle éponyme écrite par le dramaturge Arthur Miller, alors mari de Marilyn Monroe. On pourrait s’étonner du fait que Les Désaxés, tourné en 1960, soit en noir et blanc : il s’agit en fait d’un choix artistique du réalisateur, John Huston.

A la vue du premier montage du film, la société de production, United Artists, émit le souhait de plusieurs retouches. Si cette demande ne rencontra pas d’opposition de la part de John Huston, Frank E. Taylor et Arthur Miller, elle ne fut en revanche pas du goût de Clark Gable, qui disposait d’un droit de regard sur le script. United Artists obtint cependant un certain nombre de concessions : un plan montrant un sein de Marilyn Monroe disparut ainsi du montage définitif.

Sur le tournage, Marilyn Monroe demandait à son mari-scénariste Arthur Miller de couper les scènes avec Eli Wallach car elle avait peur que l’acteur surpasse sa performance. Le réalisateur John Huston voulait offrir le rôle de Gay Langland à Robert Mitchum mais le script ne plaisait pas à ce dernier. Arthur Miller retravailla donc le scénario mais au moment où il fut achevé, Robert Mitchum était engagé sur un autre film et Clark Gable fut finalement choisi.

Le film fut filmé dans la ville de Dayton dans le Nevada, près de l’endroit où Clark Gable tourna en 1931 dans son premier film parlant : Les Couleurs du désert.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Vincent Jourdan.

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