Time



Vendredi 05 Octobre 2007 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Kim Ki-duk – Corée du Sud – 2006 – 1h37 – vostf

Après deux ans de vie commune avec Ji-woo, See-hee s’inquiète de l’avenir de leur couple, de l’usure que le temps pourrait apporter à leur amour. Jalouse, elle ne supporte plus que son compagnon regarde d’autres femmes ou leur adresse ne fût-ce que quelques mots innocents. Mais, entre deux crises de colère et de larmes, See-hee se désole surtout de n’avoir que le même visage et le même corps à offrir, nuit après nuit, à celui qu’elle aime avec passion…

Notre critique

Par Philippe Serve

Les vrais-faux matins calmes de Kim Ki-duk

Le cinéaste coréen Kim Ki-duk (47 ans, treize films réalisés en onze ans) s’est imposé comme un des réalisateurs les plus originaux et passionnants au monde. Boulimique et rapide – Real Fiction tourné en temps réel sur moins de quatre heures ou Samaria en dix jours -« l’enfant terrible » du cinéma coréen continue à creuser son sillon irrigué à la violence, à la poésie, au sexe, à l’Amour, à la solitude, à l’audace et à un sens visuel et esthétique étonnant. Devant ses films, le spectateur se retrouve bien souvent aussi déconcerté que perturbé. Les scènes les plus dramatiques à la violence souvent insoutenable sont traversées d’incongruités gonflées à l’humour le plus absurde. Surtout, ce spectateur doit apprendre à laisser au vestiaire ses stéréotypes moraux et ses jugements pré-mâchés. Il lui faut accepter de ne pas comprendre afin de mieux regarder et de mieux écouter, bref de se donner les meilleures conditions pour… mieux comprendre ! Kim Ki-duk aime à répéter que s’il fait du cinéma, c’est justement pour passer « derrière » les faits et les actes les plus incompréhensibles, pour descendre dans ces psychés qui lui échappent. Le cinéaste serait donc une sorte d’entomologiste, penché avec curiosité sur les comportements les plus « scandaleux » ou incompréhensibles des misérables insectes que nous sommes.

Mais s’il y a violence et moult comportements scabreux dans le monde dépeint par Kim Ki-duk – un monde qui est le nôtre, bien sûr – l’amour, lui, ne se décline pas aux abonnés absents. L’amour sous toutes ses formes, dans toutes ses vérités. Là où les frontières entre Bien et Mal n’existent plus, où la morale, sans disparaître, se retrouve malmenée, renversée, auscultée sous tous les angles, contestée, avant de ressurgir, débarrassée de tout cliché.

L’amour fou, l’amour passion, irrigue des oeuvres comme L’Île, Bad Guy, ce Time ou son tout dernier, Souffle (Soom), présenté au dernier festival de Cannes. Même les films plus calmes – Printemps, été, automne, hiver et printemps etc. ou Locataires – sont touchés par la force de sentiments extra-ordinaires.

Kim Ki-duk se positionne du côté de la Vie, celle qui tâche, qui fait mal, qui fait pousser les bleus à l’âme et au corps et se teinte de sang plus souvent qu’on ne le voudrait. Mais une vie gonflée d’énergie, d’actes fous lancés dans l’espoir souvent désespéré de vaincre la solitude, de regards tournés vers l’autre, appelant l’autre. Oui, chez Kim Ki-duk l’amour se retrouve au centre de tout : « Même si l’amour dramatique se transforme vite en obsession et tourne à une colère qui nous étouffe et nous refoule, il renferme parfois une énergie assez forte pour nous maintenir en vie« .

La violence, quand elle surgit, est montrée dans toute sa brutalité, pour ce qu’elle est : la conséquence d’une frustration intense, d’un désir impossible à exprimer autrement que par une rage animale. L’Île (2000) – qualifier ce film de chef d’œuvre ne me semble pas exagéré – exprime parfaitement ce point de vue, résumé par Kim Ki-duk lui-même : « Même si les gens peuvent toucher aux plus extrêmes émotions, ils peuvent difficilement les exprimer à l’intérieur du cadre qu’on nomme société. L’île est l’endroit auquel nous aspirons tous. L’île pour un homme est une femme, et pour une femme elle est un homme. » Mais avant d’aborder à cette île, de pouvoir y faire son nid et s’y reposer, l’homme et la femme doivent se débarrasser de leurs réflexes et de leurs pulsions les plus primaires. Et ça ne va pas tout seul. Chez Kim Ki-duk, le chemin est rarement bordé de roses, plutôt d’épines. Ce n’est qu’en descendant au plus profond de sa nature mi-humaine, mi-animale que l’homme arrivera – peut-être, car rien n’est jamais acquis – à rebondir et atteindre un état de quiétude alors tout proche du bonheur. Voilà tout le sujet du superbe Printemps, été, automne, hiver… printemps (2003), film empreint d’une religiosité oecuménique, même si le poids du bouddhisme semble l’emporter au final chez cet ancien chrétien converti.

Samaria (« La Samaritaine« , 2004) synthétise tout cela et porte à son paroxysme cette science – ce génie ? – pour fondre en un seul mouvement violence et douceur, Mort et Amour (dans une approche totalement a-romantique), exposition crue et tendre pudeur. En ce sens, le très autobiographique et doux-amer Adresse inconnue (2001) avait ouvert la voie.

Kim Ki-duk n’aime pas beaucoup que ses personnages se perdent en paroles et préfère émailler ses films de très nombreux symboles visuels. Du coup, Time paraîtra bien bavard pour les habitués de son cinéma ! Les personnages mutiques y sont en effet récurrents : L’Île, Bad Guy, Locataires, L’Arc, Souffle. Si, comme l’explique KKD, ses personnages ne parlent pas car « quelque chose les a profondément blessés, ils ont vu leur confiance placée en d’autres trahie par le non-respect de promesses« , peut-être pourra-t-on voir les deux protagonistes principaux de Time comme en amont de cette définition. On verra d’ailleurs dans ce film que les paroles ne sont pas vraiment « échangées » mais lancées à l’autre sans véritable écho. Questions sans réponses, incompréhensions, incantations, violentes altercations, les personnages de Time parlent plus qu’ils ne se parlent.

Autre marque distinctive des films de Kim Ki-duk : leur fin ou, devrais-je préciser, leur dernier plan. Le cinéaste n’aime pas tenir le spectateur par la main et laisse voie ouverte à son imagination. Au-delà du respect envers son public qu’une telle attitude induit, cette façon de faire permet aussi de fixer dans la mémoire du spectateur le malaise toujours plein d’incertitudes dégagé par ses films. Si j’ai pu écrire plus haut que le spectateur doit faire fi de ses propres jugements moraux pré-établis devant les films de Kim Ki-duk, cela ne signifie point que ces derniers sont dénués de toute morale et encore moins immoraux. Bien au contraire. Time n’échappe pas à la règle. Cette fois, le cinéaste se penche sur la question du passage du temps, des traces qu’il laisse sur nos corps et dans nos têtes. Il s’interroge du même coup sur l’identité des êtres. Que/qui sommes-nous au-delà de notre apparence physique ? Celle-ci détermine-t-elle une fois pour toutes le regard que l’autre porte sur nous ? Un changement corporel – principalement facial – entraîne-t-il de façon mécanique une transformation de la personnalité ? Si l’on peut s’habituer au vieillissement et aux rides apparaissant sur le visage de l’être aimé – lente évolution passant presque inaperçue au quotidien- quid d’une transformation brutale par le biais d’une chirurgie esthétique ?

Morale – sans que le cinéaste, on l’aura compris, ne soit jamais moralisateur – philosophie et même métaphysique, on peut trouver beaucoup de nourriture pour l’esprit chez Kim Ki-duk. Les sens, eux, se régalent de la beauté visuelle de ses œuvres. Le trublion du cinéma coréen fut peintre et le reste au plus profond de son âme. Un simple coup d’œil à ses films suffit à s’en rappeler.

Filmographie de Kim Ki-duk

1996 : Crocodile et Wild Animals 1998 : Birdcage Inn 2000 : L’Île et Real Fiction 2001 : Adresse inconnue et Bad Guy 2002 : The Coast Guard 2003 : Printemps, été, automne, hiver… et printemps 2004 : Samaria et Locataires 2005 : L’Arc 2006 : Time 2007 : Souffle


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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