Titli, une chronique indienne



Vendredi 29 mai 2015 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Kanu Behl  – Inde – 2014 – 2h07 – vostf

Dans la banlieue de Delhi, Titli, benjamin d’une fratrie de braqueurs de voitures, poursuit d’autres rêves que de participer aux magouilles familiales. Ses plans sont contrecarrés par ses frères, qui le marient contre son gré. Mais Titli va trouver en Neelu, sa jeune épouse, une alliée inattendue pour se libérer du poids familial…

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Né le 13 juin 1980 à Patiala dans le Penjab, Kanu Behl arrive tôt à Dehli (1990). Fils de deux scénaristes-réalisateurs (les fonctions sont largement poreuses comme il arrive souvent dans le cinéma indien), il connaît depuis toujours le monde du cinéma et celui des téléfilms que ses parents créent pour la chaîne d’Etat Doordarshan Channel. Après des études de commerce, il entre en 2003 à l’Institut Satyajit Ray pour le film et la télévision et présente à Berlin son premier film documentaire, An actor prepares, admis en compétition en 2007 au Festival Cinéma du Réel. Entre 2007 et 2010 il dirige surtout des documentaires pour l’Inde, le Japon et l’Europe et collabore comme assistant-directeur avec Dibakar Banerjee sur Oye Lucky ! Lucky Oye ! (2008). En 2010, il co-écrit et co-dirige Love Sex aur Dhokha toujours avec Banerjee. Ce film est un succès populaire et critique qui lui ouvre les portes d’une production autonome. Titli, une chronique indienne sera son premier film véritablement personnel – pour lequel la recherche du financement fut un exercice de souplesse et de compromis comme le cinéma indien en réserve souvent…

Propos recueillis pour Universciné (Médiapart)

Racontez-nous la genèse de votre film.

Titli est un film très personnel. Avant lui, j’avais écrit un scénario mais je n’ai pas trouvé de producteurs. J’ai réalisé qu’il manquait d’honnêteté, je voulais faire un film de ceux que les gens ont envie de voir. J’ai alors décidé que, quoi que j’écrive à l’avenir, ce serait directement inspiré de mon expérience. Petit à petit, Titli est devenu un concentré de mes trente premières années et de ma relation compliquée avec mon père. J’avais fait le pari de m’en débarrasser. Puis j’ai réalisé qu’inconsciemment, je devenais de plus en plus comme lui. Physiquement parlant, j’avais réussi à m’en détacher, mais l’oppresseur que j’essayais de fuir était profondément enraciné en moi. C’est devenu le coeur du film. Titli parle des fantômes qui rôdent au sein d’une famille, de la manière dont les images passent d’une personne à l’autre sans que personne ne s’en rende compte.

Auriez-vous une anecdote du tournage en mémoire ?

Après quelques jours de travail, Shashank (Titli) et moi n’avions pas l’impression d’aller au fond du personnage. Shashank n’avait jamais été battu et a vécu dans un quartier bourgeois tranquille de Dehli. Pendant quelques jours, on a travaillé dans des conditions extrêmes pour le mettre sur la bonne voie. Il a notamment reçu des coups et il a eu un aperçu de l’oppression qu’on peut ressentir dans une telle maison. Shashank ne savait pas ce que c’était de vivre dans une constante promiscuité avec tant de monde. Nous lui avons donc demandé de passer du temps dans un taudis de Bombay et d’aller chier dehors, là où tout le monde pouvait le voir. Il est parti une semaine et est revenu complètement abattu. Il ne savait pas trop quoi dire, sinon qu’il était en colère et qu’il voulait frapper quelqu’un pour lui avoir fait subir ça. C’était ça la violence que je voulais apporter au film. Cet exercice a été indispensable pour lui comme pour moi pour trouver ce que devait être Titli dans le film (…). La solution pour combattre la bête qui est en nous ne peut se trouver qu’en nous-même. Le film parle de cette nécessité d’identifier cette malédiction qui existe dans chaque famille; à ce titre la violence physique fournit le contexte, elle n’est qu’une façon de planter le décor pour rendre compréhensible la violence émotionnelle, montrer qu’elle ne tombe pas du ciel comme une explosion de folie. Le cadre dans lequel elle surgit est précisément cette ville, ces différences criantes de richesse, la frustration des indigents qui vivent en marge, oubliés de tous. Peut-on se contenter de présenter cette violence comme infondée?

Comment cette question a-t-elle influencé la manière dont vous avez travaillé lors du tournage?

C’est pour cela que j’ai voulu une majorité d’acteurs non-professionnels; il fallait des visages, une manière de parler, une mentalité qui permette de faire passer cette réalité sociale. Pour les mêmes raisons j’ai cherché à filmer dans des lieux réels, et non dans des décors (choix très rare dans le cinéma indien qui préfère les tournages en studio); même la maison dans laquelle nous avons tourné, nous l’avons trouvée mais elle ne convenait pas tout à fait – je la voulait plus labyrinthique, pour donner l’impression qu’on ne peut s’en échapper… alors nous l’avons rasée et reconstruite sur place, pour conserver l’ambiance du quartier où elle se trouvait. Construire cet espace, filmer caméra à l’épaule, faire évoluer les scènes au moment du tournage les nombreuses fois où nous travaillions sans scénario… nous avions un plan B pour chaque jour de tournage, qui était de revenir au scénario. Mais le plan A, c’était de venir au tournage, de parler avec les acteurs, et de les laisser faire devant la caméra. Je ne laissais personne s’en tenir au dialogue, je leur rappelais que ce n’était qu’une sécurité pour le cas où le planning deviendrait trop serré – car nous étions sur un budget très réduit. Cela contribue beaucoup à l’aspect documentaire du film. De même mon directeur de la photographie et moi avons décidé très tôt de disparaître du film. Ainsi la caméra devenait-elle comme un sixième personnage dans cette maison, épiant les schémas familiaux à l’oeuvre.

Quel genre de cinéma vous a influencé?

Mes premières expériences au cinéma, c’était des films de Bollywood et quelques grands classiques hollywoodiens. J’ai découvert le cinéma bien plus tard, en école. J’admire Stanley Kubrick pour la variété des genres qu’il a traités de manière très pure, Emir Kusturica pour sa folie et ses personnages, Abbas Kiarostami pour ses scénarios organiques, Audiard, Inarittu, Steve Mc Queen…

Pouvez-vous nous parler de votre prochain projet?

Mon prochain film s’appellera Agra. Il parlera d’un jeune homme qui tombe amoureux d’une femme qui n’existe que dans son imagination. Il est diagnostiqué comme étant fou et atterrit dans un hôpital psychiatrique de la ville d’Agra. Avant Titli, le film que je pensais tourner comme premier travail m’avait pris plus d’un an, j’avais développé le projet pendant des mois, mais mon producteur (Dibakar Banerjee) m’a fait une remarque importante. Il m’a dit: « On dirait que tu veux faire ce film pour faire un film. Ton projet vient-il du coeur? » C’est ce qui m’a décidé à réaliser Titli, à partir de mon vécu. Je l’ai réalisé comme si ce devait être mon dernier film. Désormais je crois qu’il faut vivre d’abord; multiplier les expériences de vie avant d’écrire de nouveaux projets de cinéma.

Sur le web

Kanu Behl s’est inspiré de sa propre histoire et de son rapport à son père, pour créer le scénario de Titli, Une chronique indienne. Il a ainsi tiré beaucoup de son sentiment d’oppression que lui imposait son père, sentiment que possèdent beaucoup de jeunes Indiens. Fils d’un réalisateur et d’une comédienne, Kanu Behl, qui a le cinéma dans le sang, réalise, après plusieurs documentaires, ce film qui est son premier long-métrage.

« Titli », prénom indien, signifie « papillon ». Kanu Behl explique le choix de ce titre : « C’est l’une des créatures dont la métamorphose est la plus radicale, passant d’une chenille laide et sans vie à un magnifique papillon.  Le titre du film est à prendre au second degré. Le voyage de Titli est presque à l’opposé de la trajectoire du papillon. D’un garçon innocent et opprimé, il se transforme à son tour en oppresseur. »
Avec Titli, Une chronique indienne, Kanu Behl a voulu montrer la séparation qui se creuse entre les deux parties de Delhi. Il explique : « D’un côté, (il y a) les gens qui sont dans la ville, qui consomment, veulent être servis à toute heure, et de l’autre, les gens qui ne font pas partie de ce monde, qui sont à la marge, rejetés, et qui sont chargés de servir ceux qui veulent être servis. Jour après jour, ils sont repoussés de plus en plus loin. (…) Siddharth et moi voulions que ces deux mondes se rencontrent. » Il a voulu aussi montrer la place de plus en plus importante des femmes indiennes dans la société, mais également la difficulté qu’elles rencontrent encore à s’imposer dans un monde d’hommes. Il explique : « Titli, Une chronique indienne a toujours été conçu comme un film anti-patriarcal. Toutes les femmes sont fortes et font entendre leurs voix. Neelu, Sangeeta ou même l’avocate, sont des personnages qui pensent et agissent, dirigés par leur conscience. Mais comme elles n’ont jamais eu de pouvoir physique ou financier pour s’imposer, elles sont malgré tout souvent laissées à la merci des hommes et leur lutte pour s’échapper est d’autant plus longue et difficile.« 

Avec Titli, Une chronique indienne, Kanu Behl a voulu rompre avec la tradition de Bollywood qui utilise presque uniquement des faux décors. Ainsi, presque l’intégralité du film a été tournée dans des décors réels à Dehli. De plus, le réalisateur a recruté énormément d’acteurs non-professionnels, dans un souci de réalité. C’est le père de Kanu Behl qui incarne le père dans Titli, Une chronique indienne. Le tournage a eu lieu en plein été à Delhi, durant la période la plus chaude de l’année, 16h par jour pendant 40 jours. A l’origine, le film durait 3h40 ! Après l’arrivée de la monteuse Namrata Rao, il a pu être réduit à 2h07.

Titli, Une chronique indienne a été présenté dans la catégorie « Un Certain Regard » au Festival de Cannes 2014.  Il a reçu le Prix de la Critique au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux 2014 et le Prix du Public au Festival du Film d’Asie du Sud Transgressif 2015.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

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