Trilogie du réalisateur Semih Kaplanoğlu – Yumurta



Vendredi 12 Novembre 2010 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de  Semih Kaplanoğlu – Turquie – 2007 – 1h37 – vostf

Événement :Cinéma sans Frontières présente la TRILOGIE DE YUSSUF du réalisateur Semih Kaplanoğlu

YUMURTA

La mort de sa mère ramène Yusuf, un bouquiniste d’Istanbul, dans son village natal. Dans la maison familiale, l’attend Ayla, une jeune fille qui partageait l’existence de la défunte depuis quelques années et qu’il ne connaît pas. Comme beaucoup d’autres gens du village, Ayla voue une admiration muette et fascinée à Yusuf, fruit d’un début de notoriété passée du temps où il était poète. Ayla lui demande d’accomplir le rite sacrificiel que sa mère n’a pas eu le temps de faire avant de mourir. Yusuf finit par accepter, incapable de s’opposer au sentiment étouffant de la culpabilité…

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Yumurta

Les trois films qui composent la trilogie de Yussuf portent chacun un titre emblématique.Yumurta, (L’Œuf) (2007) Süt, (Le Lait) (2008), Bal (Le Miel) (2010). Nous savons d’emblée que nous nous situons  dans l’essentiel. L’œuf qui contient déjà tout l’être en devenir. Le lait qui contient tous les aliments des débuts de la vie. Et le miel dont nous savons bien qu’il nous est tout aussi indispensable, car sans un peu de douceur, qui supporterait l’existence humaine ? Le Paradis lui-même n’est-il pas, selon la tradition, parcouru de fleuves de lait et de miel ?

Kaplanoglu a conçu ses trois films comme une seule et même œuvre, un triptyque qu’il nous donne à voir dans l’ordre du tournage et de présentation au public : d’abord l’âge mûr (Yussuf aux abords de la quarantaine),  puis la prime jeunesse (Yussuf au sortir de l’adolescence) enfin l’enfance (Yussuf dans ses premières confrontations au monde extérieur et aux autres). Un œuvre à rebours, donc. Un regard rétrospectif, ou plutôt introspectif devrait-on dire, qui nous permet de remonter le fil du personnage et de constituer petit à petit notre cartographie personnelle de la « planète Yussuf« .

Yumurta

Mais au-delà du personnage et de son histoire, avec en filigrane l’évolution de la société turque au cours de ces trente dernières années (la disparition d’un mode de vie rural et traditionnel, la signification des rites qui demeurent, l’irruption des formes actuelles de la modernité, le bouleversement des liens familiaux, des rapports hommes/femmes etc.), ce qui fait toute la force de chacun de ces trois films tient avant tout à la caméra de Kaplanoglu. Une caméra a- spectaculaire s’il en est, qui nous laisse le temps d’entrer dans les plans, d’en absorber tous les détails et qui nous maintient pourtant dans une sorte d’apesanteur quasi hypnotique. C’est là tout le mystère de la « touche » Kaplanoglu : un ancrage dans le réel par un regard presque  documentaire, voire naturaliste sur le monde (les gestes du père dans la forêt, la fabrication des cordes ou du fromage en temps réel ou presque, la bande son qui fait la part belle aux bruits ambiants, etc.) et pourtant nous flottons. Nous flottons dans un état de perception sensorielle aiguisée sans doute par  l’absence presque totale de dialogue.

Yumurta

À la fois militant et ascète du cinéma, Kaplanoglu  nous ramène   à la source vive de l’expression cinéma-tographique : l’image.  L’image qui en soi devrait suffire à nous donner la clef d’une situation, d’un personnage, d’une intrigue, etc. Puisque nous avons des yeux, puisqu’il nous est donné de voir, c’est à nous à regarder…D’ailleurs la plupart des émotions passent par le regard dans le monde de Kaplanoglu/Yussuf. Les dialogues, distillés avec parcimonie, portent avant tout la marque de la frustration inhérente au langage. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Yussuf s’essaiera adolescent à la poésie. C’est, de toute évidence, la forme d’expression qui permet d’aller le plus loin dans l’exploration des mots, dans une sorte de corps à corps sans filet à la recherche de l’inédit (de l’encore jamais dit). Comment ne pas penser alors à Yussuf enfant qui bégaie, incapable de lire à haute voix devant ses camarades…

Mais si les personnages de Kaplanoglu parlent peu, leur présence à l’écran n’en est que plus forte. Miel est à ce titre peut-être le film de la trilogie où le réalisateur pousse le plus loin cet exercice avec un enfant obstinément mutique au point où la mère,  visiblement inquiète, fait appel à un guérisseur face à ce fils qui, de toute évidence, comprend tout mais refuse apparemment de (lui) parler.

Yumurta

Le choix de la trilogie permet au réalisateur de jouer  avec les échos d’un film à l’autre, les scènes s’éclairent d’un jour nouveau au fur et à mesure que nous remontons dans le temps.  Les symboliques se répondent; même si nous ne savons pas toujours où elles nous mènent…. Dans l’univers Kaplanoglu, nous  pressentons, nous ressentons souvent les situations  plus que nous ne les comprenons.  Certaines scènes demeurent énigmatiques et c’est par cette alchimie savante entre sens apparent et caché, entre ombre et lumière, que nous nous prenons au jeu. Kaplanoglu ponctue d’ailleurs ses films de scènes qui se passent dans la pénombre, voire dans le noir et qui constituent souvent des moments-clefs dans le récit : la sortie de la mine  dans Milk ou l’exploration de l’ancien puits dans Yumurta, par exemple).

On l’aura compris, Kaplanoglu est un créateur d’atmosphère. Ses images tirées au cordeau ont une charge émotionnelle et poétique puissante, loin de toute tentation esthétisante. Chaque  plan participe de cette entreprise  où la tension dramatique s’accumule millimètre par millimètre  en un crescendo sans faille,  sans jamais verser dans le pathos et sans non plus que le dénouement soit prévisible pour autant. Adepte des fins ouvertes ou en tout cas non explicites, Kaplanoglu laisse au spectateur le loisir de se livrer comme bon  lui semble à toutes éventuelles spéculations sur l’avenir ou le destin de Yussuf à ces trois âges de la vie.

Les critiques se livrent volontiers au jeu de piste des éléments autobiographiques et la trilogie de Yussuf n’y a pas échappé. Dans quelle mesure Yussuf est-il Kaplanoglu et vice versa ? La question semble plutôt vaine au regard  de la densité de l’œuvre, tant sur la forme que sur le fond  et de toutes façons, un artiste ne parle-t-il pas toujours de lui-même à travers tous ses personnages?


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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