Le Voyeur



Vendredi 22 Juin 2018 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Michael Powell – Royaume-Uni – 1960 – 1h41 – vostf

Mark Lewis est un jeune homme énigmatique et solitaire, passionné d’image jusqu’à l’obsession. Opérateur-caméra dans un studio de cinéma, il fait aussi des extras comme photographe de charme dans la boutique d’un marchand de journaux. Son appartement est un immense laboratoire rempli de matériels, d’appareils, de chimie. Là, il développe et visionne seul ses propres films à longueur de temps. La caméra toujours à portée de main, Mark Lewis dit tourner un documentaire mais il s’emploie en réalité à une démarche bien plus morbide: il traque la peur de la mort dans le visage de jeunes femmes…

Un événement à Nice à ne pas manquer: Le film Le Voyeur est ressortie en salle le mois dernier en copie restaurée.

« J’ai toujours pensé qu’avec Le Voyeur et Huit et demi de Fellini, tout ce qu’on pouvait dire sur le cinéma était dit, sur le processus cinématographique, sur son objectivité et sa subjectivité et sur la confusion qui règne entre les deux. » (Martin Scorsese)

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Le voyeur est un film qui reste aujourd’hui encore d’une force inouïe. D’abord par la puissance de la mise en scène qui a quelque chose d’implacable, à l’image de la pulsion qui domine totalement le personnage principal. Mais, peut-être et surtout, par la réflexion sur le cinéma lui-même, dans ce jeu de miroir sans fin entre spectateur et filmeur, regardeur et regardé, représentation et réalité. C’est là sans doute que se situe la plus grande violence, alors que nous avons affaire à un psychopathe qu’on n’appelait pas encore un serial-killer.

Si le film a été aussi mal reçu dans les pays anglo-saxons à l’époque, c’est très certainement à cause du parti pris du cinéaste, de ce regard frontal qui tient  à égale distance  répression sexuelle et maladie mentale, dans une danse mortifère entre Eros et Thanatos. Non seulement le film ne porte à aucun moment de jugement moral sur le personnage, mais il en montre toute la détresse et le tourment.

Mark Lewis, notre héros, travaille dans un studio de cinéma ( il est celui qui fait le point sur le plateau, c’est à dire celui qui nous permet de voir clair – ce n’est pas rien-  on le voit d’ailleurs constamment en train de mesurer), mais il ne se sépare jamais de sa caméra personnelle, et lorsqu’on lui demande ce qu’il filme, il dit qu’il prépare un documentaire (sic…). Il  a chez lui un labo de développement et une  salle de projection et pour ne rien laisser au hasard, il s’assied dans un fauteuil de réalisateur pour visionner ses propres films. Le film fonctionne le plus souvent comme un emboîtement de poupées russes entre film que nous voyons, celui sur lequel Mark travaille, les images qu’il tourne lui-même et celles qu’il projette chez lui, les siennes et … celles de son père. Il s’agit bien du rapport au réel et à la tentative, sans cesse recommencée, de l’épuiser une fois pour toutes. Le cinéma étant sans doute, de tous les arts, celui qui a la prétention la plus affirmée d’embrasser tout le réel et de le restituer au plus près. Mais nous sommes là avec Sisyphe . Il n’y a pas d’échappatoire et le moindre cadrage découpe déjà la réalité et nous parle, envers et contre tout, d’abord, de la sensibilité du cinéaste. Au-delà de l’aspect conceptuel, Le voyeur est un film très travaillé visuellement, avec un sens de la composition du plan et des couleurs  qui est entièrement mis au service du scénario, dans un crescendo de tension sans faille. Le contraste entre les vêtements portés par Mark ( cf son manteau marron ou le coutume passe-muraille qu’il porte dans la très belle scène où il se confond précisément avec le mur du studio)  et les tenues colorées portées par les jeune femmes qu’il aborde. Les gros plans sur les visages assaillis par la peur sont saisissants et les cadrages très rapprochés sur les yeux fonctionnent à plein. La peur est communicative. Le montage lui-même est un élément puissant de suspense, dans une alternance de scènes «d’horreur» et de scènes plus soft où la folie est quelque peu tenue à distance grâce au personnage d’Helen. Personnage positif qui déploie comme un mirage la possibilité de la rédemption, à condition… de ne jamais avoir peur. Mission impossible évidemment lorsqu’on est face à la folie. Nous sommes aux antipodes de la bluette hollywoodienne où l’amour tout-puissant déplace les montagnes. Et de fait, il n’y aura pas, il ne peut pas y avoir, de happy end.

La musique omniprésente dans les scènes  de meurtre contribue à nous mettre sous pression avec des dissonances qui ne laissent guère de doute quant à l’issue finale. Et malgré cette insistance qui  aurait pu en d’autres circonstances alourdir l’intrigue, nous sommes pris en étau, comme asphyxiés par la convergence entre l’image et le son. Le réalisateur ne nous lâche pas et c’est à n’en pas douter une des grandes réussites du film.

De plus, et c’est à cela qu’on reconnaît les très grands films, tous les détails font sens. Le jeune collègue de travail de Mark ne parle que du film qu’il veut aller voir dans un ciné-club ( bonjour les cinéphiles !) et l’horrible personnage du père qui passait son temps à filmer son fils comme un pauvre cobaye dans des mises en scène parfaitement sadiques est joué par Michael Powell lui-même. La mère d’Helen, quant à elle, est aveugle. Elle seule est de fait ( de ce fait?) capable de se rendre compte du déséquilibre de Mark et de percer à jour son infirmité.

Le réalisateur joue avec les situations et les personnages, allant jusqu’à faire intervenir un psychiatre sur le plateau de tournage ! Le metteur en scène du film dans le film en prend, il va de soi, pour son grade en parfait tyran qui fait faire une soixantaine de prises à son actrice pour finalement retenir la toute première ! Et la jolie jeune fille doublure de l’actrice principale – et non pas figurante, elle y tient – rêve bien sûr d’être filmée pour elle -même. Ce sera sa perte. Irrémédiablement. Mais puisque nous sommes dans un thriller, Michael Powell se fait aussi un plaisir de croquer les policiers, plus vrais que vrais, en fins limiers à qui on ne la fait pas. Dans Le voyeur, le moindre personnage apporte sa pierre au déroulement du récit et dans le même temps, nous dit quelque chose du cinéma et de son histoire, avec de multiples clins d’œil au film noir, au polar, à la comédie, au film d’horreur, etc… Le film joue en permanence sur ces deux niveaux, celui de l’intrigue à proprement parler qui nous tient en haleine avec une montée en puissance des plus anxiogènes et celui de la réflexion sur le medium cinéma.

Le cinéma comme outil d’investigation du réel, bien sûr, mais tout autant le cinéma comme échappatoire au réel, du divertissement jusqu’à la névrose la plus délétère, le cinéma comme arme – ici au  sens le plus littéral du terme – qui peut être retourné contre soi-même. La vision  de Michael Powell est radicale, s’il en est. Et, de fait, tout le film pourrait se voir comme une implacable déclaration à charge, s’il n’était cette étrange  tendresse qui s’en dégage et qui enveloppe tous les personnages. À commencer par le tueur  lui-même, victime de d’une histoire personnelle qui le dépasse. La performance de l’acteur est à ce titre réellement exceptionnelle. Karl-Heinz Boehm réussit à faire passer sur son visage tous les états de la folie qui l’emporte, l’obsession, la manie, mais aussi le fragile espoir suscité par l’arrivée inopinée d’Helen dans sa vie.

Michael Powell s’avère ici un maître de la direction d’acteur. Les actrices donnent chacune une épaisseur et une intensité aux différentes figures féminines qui ponctuent le parcours du film. Aucune n’est à proprement parler secondaire, et c’est une autre réussite du film. Chaque plan est ressenti comme absolument nécessaire. C’est aussi à cela qu’on reconnaît un grand film : on ne peut rien lui retirer.

Sur le web

Sorti en 1960 en Grande-Bretagne, la même année que  Psychose lui aussi centré sur les méfaits d’un tueur en série, Le Voyeur (Peeping Tom) a immédiatement provoqué de très vives réactions de la part des critiques anglais, dans leur immense majorité choqués par la violence du film. A tel point que le distributeur du Voyeur dut le retirer de l’affiche une semaine seulement après sa sortie et que le film marqua le début du déclin de la carrière de son metteur en scène Michael Powell, pourtant réalisateur de classiques tels que Colonel Blimp et Les Chaussons rouges. Le Voyeur a eu droit à une deuxième sortie sur le sol américain en 1979, lorsque Martin Scorsese décida de le ressortir pour une projection au New York Film Festival avant de le montrer dans de nombreuses salles avant-gardistes des Etats-Unis. La complicité entre les deux hommes ne s’arrête pas là, puisque Michael Powell épouse la monteuse attitrée de Scorsese, Thelma Schoonmaker, en 1984. Michael Powell et Martin Scorsese ont par ailleurs signé ensemble le commentaire audio qui accompagne l’édition DVD américaine du Voyeur . Avec son tueur filmant ses propres actes, Le Voyeur est non seulement une savante mise en abyme, mais aussi l’un des premiers films de l’histoire à évoquer ce que l’on nommera plus tard les snuff movies, films mettant en scène de véritables mises à mort. Le tueur du Voyeur est atteint de scoptophilie, soit le plaisir de regarder.

« …On doit le scénario du Voyeur, l’un des films les plus étonnants, improbables et fous de l’histoire du cinéma, à Leo Marks, complet novice dans l’industrie du septième art. Expert en cryptogrammes, Leo Marks avait occupé un poste de décodeur des messages ennemis pour l’armée anglaise durant la Seconde Guerre Mondiale. Il révolutionne les techniques de codage, si bien que Churchill considèrera que grâce à ses trouvailles, la guerre s’est achevée trois mois plus tôt. Marks met entre autre au point une méthode qui transforme les messages codés en petits poèmes. C’est un mathématicien brillant mais aussi un artiste et lorsqu’il compose lui-même ces messages, il s’attache autant à leur valeur littéraire qu’à leur efficacité en terme d’espionnage. Leo Marks n’a pas du tout une approche classique de l’écriture de scénario. Il imagine l’histoire, les dialogues, mais aussi tous les éléments visuels du film, ceux-ci faisant totalement partie de son projet. Alors que tout cela n’existe que dans sa tête, il contacte Michael Powell, le seul selon lui à être en mesure de mettre en scène un tel film. Marks lui raconte son histoire et le traitement visuel trois fois de suite, Powell restant à chaque fois imperturbable, insondable. A la fin de l’entrevue, le cinéaste lui explique qu’il a vu le film, qu’il est enthousiaste, et il lui demande de coucher par écrit tout ce qu’il lui a raconté. Le scénario, qui inclue très précisément tous les éléments visuels imaginés par Marks, sera respecté à la ligne près par Powell.  Powell doit  faire du porte à porte pour parvenir à produire ce scénario, et il sait qu’il lui faut quelques acteurs connus pour amadouer des producteurs rendus frileux et surtout épouvantés par la noirceur du script.

Celui qui prend le plus de risque avec ce film insensé, c’est bien Michael Powell, cinéaste reconnu, installé, célébré pour ses œuvres enchanteresses et la finesse de son esprit. Or, Le Voyeur, projet radical, dérangeant, obsessionnel et outrancier, il rompt de manière violente avec l’image qu’il a auprès du public et de la critique. Ne serait-ce que pour sa représentation de la sexualité, le film ne pouvait que choquer au moment de sa sortie. C’est la première fois qu’une femme nue apparaît dans un film anglais, mais surtout c’est tout le film qui respire la sexualité. Même s’il n’y a rien d’explicite à l’écran, l’esthétique bariolée du film rappelle les éclairages au néon des quartiers interlopes de Londres et le style des magazines pulp (qui ont franchi l’océan avec les GI venus combattre sur le Vieux Continent) ou porno qui circulaient à l’époque.

La mise en scène de Powell repose – ce n’est guère une surprise venant de lui – sur une stylisation extrême qui rend poreuse la frontière entre réel et imaginaire, entre vérité et fantasme. Le Voyeur est un film tout en trompe-l’œil. La prodigieuse direction artistique d’Arthur Lawson et Ivor Beddoes et la photographie d’Otto Heller (qui utilise une pellicule EastmanColor qui rapproche par moments le film du style Hammer) ne cessent de jouer sur les faux-semblants, les fausses impressions. Les illusions se nichent partout, poussant le spectateur à scruter l’image et à aller ainsi creuser derrière les apparences pour trouver le sens caché du film, pour aller trouver l’amour derrière l’horreur. Outre des images si admirablement composées, éclairées et colorées qu’elles en donnent le vertige, Powell travaille sur des mouvements d’appareil d’une constante intelligence. Les jeux savants sur les lumières, l’utilisation symbolique des couleurs ou des sur-cadrages, les surprenants mouvements de caméra, les angles de prises de vues d’une audace incroyable… la mise en scène est d’une telle richesse, d’une telle inventivité qu’elle paraîtra à certains trop ostentatoire, trop baroque. Mais la réalisation de Michael Powell est si brillante, immersive, intelligente, sensuelle et folle que les quelques fautes de goût que l’on pourrait à la rigueur concéder ne sont rien face à la sombre beauté que dégage le film. Cette stylisation permet au cinéaste de trouver des équivalents cinématographiques à la psychose de Mark, de transmettre au spectateur la vision biaisée qu’il a du monde qui l’entoure. Poursuivant un travail esthétique amorcé une quinzaine d’années auparavant, le cinéaste joue sur la symbolique de couleurs saturées qui impriment l’écran et l’œil du spectateur. Ici, la couleur primaire est le rouge, signal de danger et de mort.

Appréhender ce film sereinement est toutefois difficile tant sa construction implacable, sa violence, la puissance d’évocation de ses images font qu’il nous colle à la peau et que l’on a parfois du mal à prendre le recul nécessaire pour réfléchir au sens de ce que l’on voit. Leo Marks construit son film très précisément et chaque parole, chaque geste, chaque élément du décor sont des pièces d’un puzzle qui se construit peu à peu dans notre esprit. Il ne faut pas perdre de vue que Marks a inventé cette histoire dans les salles de briefing du SOE, où le mot d’ordre est de cacher la signification véritable des choses sous plusieurs couches de fausses apparences, où tout est secret et codes à déchiffrer. Le film ne cesse ainsi de travailler en nous, en sourdine, se transformant en cours de vision, de vision en vision. Si bien qu’au bout du chemin, lorsqu’on l’accepte pleinement, dans toute son outrance, sa sauvagerie, sa provocation, il s’est profondément transformé et se révèle à nos yeux comme un bouleversant chant d’amour au cinéma. Si l’on se place d’un point de vue uniquement moral, ce qui frappe très vite c’est que Powell refuse de porter quelque jugement que ce soit sur les actes de son héros meurtrier. Il ne condamne pas Mark car, s’il le faisait, il condamnerait le cinéma. Mark est le produit du septième art, il en fait pleinement partie, il en est la face sombre. Amputer le cinéma de cette partie pulsionnelle, dérangeante, primitive, ce serait le tuer (Lorsque Mark se suicide, c’est effectivement le cinéma qui meurt. Alors que jusqu’ici il filmait les mises à mort, il saisit la sienne avec une série d’appareils photographiques synchronisés : plus de pellicule en mouvement, mais des instantanés. Le cinéma s’arrête avec Mark, il se fige et meurt). Ce serait comme enlever le noir dans un film en noir et blanc… un rêve de fasciste, comme cette Italie mussolinienne et ses téléphones blancs.

La première chose que Michael Powell réfute, c’est l’idée du spectateur comme voyeur. Pourtant, dès le début du film, le cinéaste nous place du côté de Mark, nous faisant partager en vue subjective la façon dont il regarde sa victime à travers l’objectif de sa caméra. Le titre même du film associe le spectateur d’un film violent, érotique (ou les deux à la fois comme c’est le cas ici) à un scoptophile. Or, ce que nous dit vraiment Powell, c’est que fabriquer un film implique la présence du spectateur. Même dans une vision absolutiste de l’art, une idéologie du cinéma pur, le spectateur est un élément indispensable à la création artistique. Pas pour des questions d’économie ou même d’utilité de l’art, mais simplement parce que le cinéma naît de l’interaction entre celui qui filme, celui qui est filmé et celui à qui est adressé le film. Le réalisateur, tout comme l’acteur, sait qu’il y a quelqu’un qui recevra les images et cette présence invisible conditionne la façon dont l’un se comporte à l’écran et dont l’autre filme. Le spectateur ne peut en aucun cas être assimilé à un voyeur car il participe pleinement à la fabrication du film. La cible du voyeur ignore qu’elle est observée, or tout le film sait qu’il y a un spectateur qui le regarde. Powell exprime admirablement cette idée dans les deux premières séquences du film : le meurtre et la projection du film du meurtre. On adopte dans ces deux scènes imbriquées successivement le point de vue de Mark filmant et assassinant une femme, celui de la victime puis celui d’un spectateur extérieur qui regarderait le film du meurtre. Le spectateur a ainsi été tour à tour caméraman, acteur et spectateur… il a occupé les trois points du triangle sur lequel se construit tout cinéma. Le premier plan du film est un œil qui s’ouvre : c’est l’œil de Mark – a qui est donné dès le départ cette position double de filmeur et de filmé – mais aussi celui du spectateur assis dans la salle. Dans le film, tout le monde regarde : Michael Powell. Mark Lewis, le spectateur, mais aussi les victimes des crimes qui contemplent leurs propres mises à mort. Tous coupables ? Non. Tous réunis dans le cinéma, tous innocents… » (dvdclassik.com)

« Techniquement prodigieux (caméra subjective novatrice, utilisée de manière remarquable), l’hommage que Michael Powell rendait au cinéma était sûrement trop en avance sur son temps pour être compris par ses contemporains. A travers un personnage schizophrène, qui refuse de vivre sa vie et préfère en fantasmer une autre, on découvre le caractère métaphorique incessant de l’œuvre de Powell. Une trame « classique » qui s’associe à une mise en abyme qui l’est moins et qui recèle de déclarations d’amour au 7e art. Cette histoire d’un homme en proie à des pulsions meurtrières, assouvissant ses désirs à l’aide d’une caméra aiguisée, se révèle être pour Powell un (excellent) prétexte scénaristique pour parler de lui à la troisième personne du singulier. Le besoin du jeune cinéaste amateur d’avoir recours à la caméra pour filmer ses meurtres et ainsi atteindre l’orgasme artistique associe le plaisir filmique, au sexe, et à l’éternité de la mort, comme si le résultat immortalisait la jouissance. Dans Le Voyeur, l’envie de cinéma du metteur en scène frustré est comparée et transposée, à une folie dévastatrice, une envie irrépressible liée à son existence morose (conséquences d’une enfance douloureuse liée à l’autorité paternelle) qui met en péril une vie dépourvue de sentiments jusqu’à la rencontre amoureuse. Une rencontre exploitée intelligemment qui ne viendra pas atténuer pour autant l’aspect amoral de l’histoire… L’intérêt du Voyeur est la mise en abyme de l’inavouable, ce qu’on ne doit ni montrer ni même évoquer : le choquant, l’immoral. L’effet miroir que procure le film s’apparente à un cercle vicieux. Tout est savamment orchestré, les meurtres sont diaboliquement filmés, sauvagement savourés. Powell utilise la musique comme un personnage à part entière. L’inclusion d’une femme aveugle dans le récit confine au génie ; Powell l’associe à l’aspect palpable du film : ce qu’on ne voit pas nous pouvons le toucher. Et cette femme ressent le mal ambiant et toute l’indécence qui règne autour d’elle. Cette confrontation de la vue à l’absence d’image est une réussite. Une vision métaphorique du cinéma qui pose bon nombre de questions sur ce qu’il est véritablement. Il use de tous les bons procédés pour faire monter la tension jusqu’à son paroxysme final… (avoir-alire.com)

« …On s’aperçoit d’emblée, dès les premières images, à quel point ce long métrage, datant de 1960, est au cœur des interrogations du 7e art actuel. Un anti-héros obsédé par le cinéma et la peur, tueur fou qui filme l’agonie de ses victimes ; un spectateur lui-même mis dans la position du voyeur : voilà pour l’argument. Sidérant de modernité. Car nul doute que tout cinéaste d’envergure est amené à se confronter, aujourd’hui, à cette oscillation irrésistible : dans quelle mesure la caméra n’est pas l’arme d’un crime (ou d’un mensonge), réel comme ici, ou symbolique de toute façon…? On pense notamment, pour ne citer que les plus grands, aux Cronenberg, Scorsese ou Haneke, qui, taraudés par le refoulé de nos sociétés névrotiques, sont hantés par la représentation de la violence (corollaire inévitable). On comprend mieux, dès lors, pourquoi Bertrand Tavernier, en France et Martin Scorsese, aux États-Unis, archivistes boulimiques, admirateurs insatiables, ont œuvré à la reconnaissance (tardive) de cette pièce maîtresse du cinéma mondial…Interrogeant le regard et le point de vue, sur le fond comme sur la forme, jamais, de fait, le réalisateur ne porte de jugement sur Mark Lewis. Ni sur ses actes, bien que la morale et la loi, elles, les réprouvent et les pénalisent. Non, c’est même une vision tout à fait dépassionnée qu’il nous livre, ajoutant encore au sentiment d’inconfort qui saisit le spectateur-voyeur tout le long. Mieux (ou pire) : on ressent presque, par instants, une empathie troublante du metteur en scène pour son personnage. N’est-ce pas Michael Powell lui-même, d’ailleurs, qui joue le rôle du père de Mark, père féroce et traumatique, identifié comme la cause de sa déviance ?… » (iletaitunefoislecinema.com)

« …Le film de Powell est tout d’abord l’analyse d’un cas de névrose obsessionnelle extrême: chez Mark Lewis, tout passe par l’objectif de sa caméra, au point de se confondre avec son propre regard. Il en résulte une fascination perverse à contempler le sentiment de peur sur le regard des autres, à filmer l’impossible, le visage de la mort. L’audace de Powell, c’est de nous placer du côté du tueur, jouant de manière encore plus radicale qu’un Fritz Lang (dans M Le Maudit en 1931) ou qu’un Richard Fleischer (dans L’Etrangleur de Boston en 1968) sur les sentiments ambigus de terreur ou de compassion que l’on peut avoir pour un tel personnage. La réussite du film, c’est d’arriver à mener cette étude psychologique avec une rigueur absolue sans se plier aux règles des genres cinématographiques qu’il traverse, de l’épouvante au drame sentimental, du fantastique au polar, à la satire même, quant il s’agit d’ironiser sur le monde du cinéma. Mais l’aspect le plus passionnant du Voyeur réside dans l’imbrication entre la forme du film et son sujet: dès le début, par un simple effet de caméra subjective, Powell nous met dans la position de celui qui voit et donc qui filme. Le personnage de Mark Lewis est ainsi d’abord identifié par le biais de son regard: il est regardant avant d’être regardé. Dans la scène d’ouverture, nous le suivons du point de vue de sa caméra jusque dans la chambre d’une prostituée. Le détail amusant de la maquerelle qui nous adresse un petit clin d’œil, puis l’opportunité qui nous est faite de contempler en toute impunité cette jeune femme qui nous offre ses charmes nous rend en fait complice du regard de Mark. Satisfaction libidineuse à laquelle succède bien vite l’horreur du crime, la terreur lue sur le visage de la victime. Position très dérangeante pour le spectateur, mis en face de sa propre tentation voyeuriste érigée ici en un dispositif morbide. L’outil caméra, instrument de jouissance de la pulsion scopique, devient arme du crime. Powell n’évacue pas la dimension érotique des meurtres, ritualisés avec précision, jusque dans le rapport charnel qui unit Mark à sa caméra, excroissance monstrueuse de son regard, évident substitut phallique. Sans elle, il est comme amputé. Le regard de la caméra vampirise tout autant le réel que le regard de celui qui la tient. Là réside la mise en garde de Powell: il faut faire attention à ne pas devenir la victime des images…. »  (filmdeculte.com)

Brian De Palma rend hommage au Voyeur dans la séquence d’ouverture de Soeurs de sang, son premier succès, dans laquelle des invités débattent lors d’une émission de télévision baptisée Peeping Tom qui n’est autre que le titre original du film.

Alors qu’il incarne lui-même le père de son tueur en série dans des séquences de flash-back, Michael Powell n’a pas hésité à faire appel son fils, Columba, pour interpréter le tueur dans son jeune âge, ce qui lui valu une volée de bois vert lors de la sortie du Voyeur. De même, la maison dans laquelle se situent ces flash-back n’est autre que celle dans laquelle le réalisateur a été élevé, à Londres. Interprète de Vivian, l’actrice écossaise Moira Shearer avait déjà tourné à deux reprises sous la direction de Michael Powell : en 1948 pour Les Chaussons rouges et en 1951 pour Les Contes d’Hoffmann. Anna Massey, qui incarne l’amie du tueur Mark Lewis, était, elle, la fille de Raymond Massey, ami du cinéaste et acteur dans quatre de ses films, dont Une question de vie ou de mort. L’actrice connaîtra par ailleurs à nouveau les affres du meurtre sur celluloïd puisqu’elle sera une des victimes du tueur de Frenzy d’Alfred Hitchcock en 1972. Avant d’engager le comédien d’origine autrichienne Karlheinz Böhm, Michael Powell avait envisagé de confier le rôle principal du Voyeur à Dirk Bogarde puis à l’acteur d’origine lituanienne Laurence Harvey. Karlheinz Böhm, célèbre à l’époque pour avoir incarné François-Joseph d’Autriche dans Sissi, brise alors son image d’amoureux avec brio en incarnant le tueur.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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