Samedi 04 Février 2012 à 20h30 – 10ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Park Jin-Pyo – Corée du Sud – 1960 – 1h07 – vostf
Un homme et une femme, tous deux célibataires et âgés respectivement de 72 et 73 ans, tombent irrésistiblement amoureux. Leur amour grandit, entre chanson, étude et sexe, ce qui semble impossible à leur âge. Redécouvrant la vie, ils se sentent désormais bien trop jeunes pour mourir.
Notre critique
Par Darcy Paquet (http://koreanfilm.org/)
La carrière de ce long métrage indépendant tourné en numérique sur l’amour au sein d’un couple de personnes âgées, a eu une carrière inhabituelle. Ce film a d’abord connu un pic de respectabilité suite à sa sélection à la Semaine de la Critique au Festival International du Film de Cannes en 2002. Après avoir reçu de nombreuses critiques positives, il fut sélectionné pour le festival de Toronto comme vitrine du cinéma coréen, et la Commission du Film Coréen soutenue par le Gouvernement lui a alors attribué une subvention spéciale pour aider à financer son transfert en 35 mm, afin qu’il puisse sortir en Corée. Puis, hélas, le film a été soumis à l’avis du Comité d’Evaluation des Médias du pays, qui l’a jugé inadapté à être vu par le public et l’a interdit de sortie dans les salles de cinéma habituelles.
Le sujet de Trop jeunes pour mourir est tiré de l’histoire vraie de Park Chi-gyu et Lee Soon-ye, un homme et une femme venant de dépasser 70 ans, qui se rencontrent, tombent amoureux, et redécouvrent le sexe. Le couple, qui joue lui-même dans le film, paraît peu différent d’un couple d’une vingtaine d’années. Ils se séduisent, s’inquiètent pour leurs cheveux, se prennent en photo, se chamaillent pour des broutilles, et sautent fréquemment dans le lit sans aucune honte. Les regarder nous conduit effectivement à repenser ce que c’est d’être vieux. Le débutant cinéaste Park Jin-pyo, a filmé avec une grande habileté, du tact et de l’humour. Si le film peut sembler choquant, c’est parce qu’il défie la vision étroite que beaucoup ont de la vieillesse. On considère les personnes âgées comme si leurs sensations étaient affaiblies, exactement comme ils auraient pu perdre l’audition. Voir ce film nous fait l’effet d’un plongeon dans l’eau glacée. Et nul doute qu’après l’avoir regardé personne, pas même ceux qui l’ont interdit, ne peut le qualifier de pornographique.
La censure gouvernementale en Corée du Sud a été abolie en 1995. A sa place, un conseil composé de civils a été institué : professeurs, juristes, réalisateurs, critiques, hommes d’affaires, nommés pour classifier les films qui doivent sortir sur les écrans. Ce comité, placé sous la direction du réalisateur expérimenté Kim Suyong, a outrepassé la responsabilité qui lui était attribuée par la loi en décidant quels films seraient autorisés à sortir et quels films ne le seraient pas. Après qu’un jugement de justice ait été rendu, disant que le fait de refuser d’attribuer une classification à des films qu’ils n’aimaient pas était anticonstitutionnel, ils se mirent à attribuer une nouvelle catégorie définie comme « limité », ne permettant la diffusion d’un film que dans des salles strictement réservées à des adultes, salles qui n’existent pas actuellement.
Des films qui saisissent des images et des idées allant à l’encontre de notre pensée courante et qui nous font voir le monde sous un nouveau jour sont rares et précieux. Une oeuvre comme Trop jeunes pour mourir est une démonstration de l’influence que peut avoir le cinéma sur les gens et la société. Il soulève des questions sur l’efficacité d’un système qui fait que le film coréen – peut-être le plus important de l’année 2002 – a été jugé impropre à être vu par un public de 20, 30 et même 70 ans.
Note : Les restrictions de diffusion imposées à ce film furent levées fin octobre 2002, lorsque la société de production accepta d’assombrir certaines scènes. Il n’y eut aucune coupure, mais de nombreux réalisateurs ont exprimé leur insatisfaction face au fait que le comité d’évaluation était arrivé une fois de plus à ses fins. Le film sortit le 6 décembre suivant.
Sur le web
Le réalisateur Park Jin-Pyo avait déjà travaillé avec Chi-gyu Park et Sun-ye Lee en 2001 pour Love, un documentaire en trois parties, et a souhaité faire de leur histoire un film: « Comme tout réalisateur qui se respecte, je dois, avant de faire un film, me demander pourquoi et comment je veux le faire. Et ma motivation est toujours l’exploration du champ amoureux. C’est ce qui m’a poussé à faire Love où je m’intéresserais à la solitude de sept personnes âgées et à leur position marginale dans la société. Je ne sais pas si c’est la même chose dans d’autres pays mais, en Corée du Sud, discuter des besoins, y compris sexuels, des personnes âgées est un sujet quasiment tabou. Comme la télévision impose certaines contraintes et que je souhaitais aller plus loin, j’ai décidé d’en faire un film. Voilà comment le projet est né.«
Chi-gyu Park est né à Mooan, province de Jeollanam, en 1930. Invalide de guerre (il a combattu dans l’infanterie lors de la guerre de Corée et a été blessé à la cuisse en 1950), il travaille comme fermier jusqu’en 1989. Il déménage ensuite à Séoul, où il tient une échoppe de vente de cigarettes jusqu’à la mort de sa femme en 1999. En février 2001, il rencontre Sun-ye Lee dans un centre pour personnes âgées et a le coup de foudre pour elle. Sun-ye Lee est née à Ichoen, province de Gyonggi-do, en 1931. Mariée à 18 ans, elle a perdu son mari, lui aussi invalide de guerre, en 1996. Elle commence à étudier en 1977 les percussions et les chants traditionnels de Gyonggi avec les maîtres Lee Dong-an et Che Chang-nam. Depuis 1990, elle enseigne cette forme de chant traditionnel dans différentes institutions privées. En février 2001, elle tombe amoureuse de Chi-gyu Park.
Le réalisateur a convaincu ses comédiens de faire l’amour devant la caméra, en un long plan séquence: « Pour eux (Chi-gyu Park et Sun-ye Lee), le sexe est à la fois une source de joie et une manifestation de leur santé et de leur vigueur. C’est ce qui les conduit à vivre comme ils le font. Je savais donc que je devais les montrer en train de faire l’amour. Maintenant que le film existe, je ne pense pas qu’il soit important de savoir comment je les ai convaincus. La seule chose que vous devez savoir est que je ne les y ai pas obligés. La manière dont ils font l’amour est d’autant plus belle qu’ils ont de la considération l’un pour l’autre et qu’ils sont à l’écoute du désir de l’autre. Et si j’ai filmé cette scène ainsi, c’est qu’en tant que réalisateur, je ne voulais rien faire qui puisse interférer ». Des acteurs qui se sont tous les deux dit très contents et très fiers du film, « fidèle à leur expérience et à leurs émotions« .
Présentation du film et animation du débat avec le public : Stéphane Szönyi.
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