Vendredi 21 Avril 2023 à 20h
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Mani Kaul, Inde, 1971, 1h56, vostf
Un jour avant la saison des pluies est basé sur une des célèbres pièces de théâtre hindi moderne écrit par Mohan Rakesh. C’est une adaptation de la pièce basée sur la vie de Kalidasa en trois actes. Kalidasa est reconnu comme l’un des plus grands écrivains, poètes et dramaturges de l’histoire de la langue sanskrite. Ce film relate l’histoire d’amour de Mallika et Kâlidâsa, le célèbre poète et dramaturge. Vilom, leur ami, n’est au départ que le simple témoin de leur relation, mais vient le moment où Kâlidâsa doit quitter sa vallée pour les splendeurs lointaines d’Ujjain, où il rencontrera la gloire.
Notre article
par Josiane Scoleri
Un jour avant la saison des pluies procure au spectateur une expérience étonnante proche de l’envoûtement. D’abord par son parti pris radical de dépouillement, dans un décor minimaliste qui pousserait à son paroxysme le principe de l’unité de lieu, s’il existait dans le théâtre classique indien. Dépouillement de la mise en scène entièrement au service de son héroïne (la magnifique Rekha Sabnis dans le rôle de Malika) servie par une caméra presque toujours fixe où les cadrages (gros plans sur les visages et plans moyens) nous permettent de saisir les moindres nuances des sentiments sans guère besoin de dialogues. Le jeu des acteurs lui-même nous propose une sorte d’effet de distanciation (le fameux V-effekt de Bertolt Brecht), revisité par Mani Kaul qui est en soi une révolution et se situe aux antipodes du sur-jeu si fréquent dans le cinéma indien. L’image est structurée de manière très graphique par les rayures (les saris de Malika), les claires-voies, les obliques des cloisons et des nattes en paille qui prennent un relief extraordinaire à l’écran en contre-point des lignes droites des encadrements de portes et de fenêtres ou du tronc d’arbre qui pousse en plein milieu du perron e. Sous l’épure et la simplicité apparente, rien n’est laissé au hasard. La même chose vaut pour la bande-son, très organique, (bruit du vent, des sabots de chevaux, des pas dans les feuilles mortes, de la pluie, des éclairs et du tonnerre, etc…) qui signe la part d’un hors-champ, puissant et très présent. Le film coule ainsi comme un fleuve tranquille, à peu près imperturbable et ce rythme souple, où le moindre à-coup fait figure d’événement, est un élément essentiel de la matière même du film.
Enfin, bien sûr, il y a le Noir et Blanc lui-même, très lumineux qui ajoute à la sobriété du propos. Le chef opérateur K.K.Mahajan en était alors encore à ses débuts, mais il deviendra le chef op attitré de nombre de réalisateurs du «Parallel Cinema» des années 70, par opposition au cinéma commercial. Comme toujours chez Mani Kaul, le personnage féminin est au centre du film. C’est une femme qui attend et qui pourtant ne se comporte pas selon la norme établie. C’est une attente à contre-courant sous les dehors de la passivité ou de la soumission. (cf la jeune épouse de Uski Roti ou de Duvidha). C’est une attente têtue, le signe d’une indépendance profonde, intime qui révèle une forte personnalité. Pour commencer, Malika est une jeune fille qui refuse de se marier. C’est la première scène et en soi un pavé dans la mare. Elle ressent intensément ses émotions et vibre auprès de son amour de poète. Son seul rôle«traditionnel» semble être celui de la muse, mais une muse qui saurait ce qu’elle veut. Tout au long de sa vie, elle continuera à se procurer et à lire les œuvres de Kalidasa, parti au loin. Surtout elle fait de ses lectures, le moteur de sa vie intérieure. Combien de femmes lisaient le sanscrit au IVéme siècle? dans un village reculé qui plus est? Combien de femmes se moquent de leur intérieur comme d´une guigne? Combien défient les conventions à ce point? De toute évidence, Mani Kaul se tient au plus loin de ce qui serait un réalisme sociologique ou anthropologique pour créer un personnage de femme fidèle avant tout à elle-même, encore plus qu’à son amour de jeunesse.
Autant dire qu’en s’emparant d’un sujet classique s’il en est – et même d’un monument national de la littérature indienne – l’approche de Mani Kaul avait de quoi décoiffer au moment de la sortie du film (1972) et continue aujourd’hui encore à défier les normes établies. En même temps, le film plonge aux racines de ce qui fait la singularité de la poésie de Kâlidâsa et qui séduira tant les Romantiques européens lorsqu’ils le découvriront au XIXème siècle: union avec la Nature, sensibilité exacerbée à toute forme de vie (cf la scène fondatrice du faon- en soi emblématique pour les Indiens- où Mani Kaul, décidément iconoclaste, s’amuse à sur-saturer les images de sous-entendus clairement sexuels), et sans doute aussi un travail sur la langue que nous ne pouvons malheureusement pas apprécier, à moins de connaître l’hindi.
Sur le fond s’ajoute aussi la question fondamentale de la place de l’artiste, auprès des puissants, protégé et reconnu, mais dépendant ou bien isolé, luttant pour sa survie, mais libre de tout asservissement. Le face à face entre Vilom et Kâlidâsa charrie avec lui la dimension insaisissable et cruelle de ce qui sépare le poète de génie du rimailleur irrémédiablement besogneux. Comme Salieri face à Mozart, Vilom sait qu’il n’atteindra jamais les sommets de la création, quoiqu’il fasse. Le personnage de la mère, (Aruna Irani, hiératique à souhait) figure à la fois la gardienne de la tradition et la femme d’âge mûr qui connaît la vie et la mentalité des hommes. Elle joue aux moments- clés du film le rôle de l’oracle dans la tragédie grecque, immuable dans son sari blanc. C’est elle qui souligne l’importance de l’ego de l’artiste, obnubilé par lui-même et dit-elle, incapable d’aimer les autres. Mais son statut de veuve (i.e. de femme seule) signifie qu’elle est considérée en Inde comme une quasi-paria, condamnée dans le meilleur des cas au plus grand dénuement.
Il apparaît ainsi clairement au fur et à mesure que se déroule le récit que le film va bien au-delà de l’histoire d’amour rebattue où une femme délaissée se sacrifie et reste malgré tout fidèle, etc, etc. Bien, au contraire, le film s’avère d’une densité rare, d’autant plus qu’il aborde aussi la question de l’exil et du déracinement, des sources d’inspiration de l’artiste, sans parler des différences de classes/castes qui structurent intimement la société indienne. La scène centrale de la visite de la princesse est en ce sens le véritable pivot du film, après le passage hilarant des deux courtisans censés aménager l’espace au préalable (parodie acerbe des éternelles arguties des érudits indiens qui se perdent en discussions stériles) Absence de Kâlidâsa/Présence de la princesse, cette situation résume l’impasse dans laquelle se trouve Malika. Elle matérialise l’opposition entre passé et présent. Kâlidâsa écrit dans la nostalgie de ce qu’il a connu et Malika sait pertinemment qu’elle est la mémoire vivante de ce passé, d’où son refus du moindre changement dans sa maison, alors que la princesse veut la faire détruire. La fin du film est d’une intensité rare grâce aux trois monologues qui se croisent et se répondent.D’abord Malika face à la caméra, assise à côté de ce qu’on devine être un berceau (et on se souvient alors des premiers plans du film sur les pieds d’un bébé), puis Kâlidâsa, confronté à l’inévitable passage du temps, enfin Arya Vilom, défait, mais maître de la maison. Dans cette fin très indienne par ses thématiques (l’impermanence, le pouvoir, la vie mondaine et le retrait du monde), Mani Kaul en virtuose du «Less is more» nous fait vivre ce que seul le cinéma permet: nous propulser hors de soi pour mieux nous révéler à nous-mêmes.
Sur le web
« … Né en 1944 et disparu en 2011, Mani Kaul était également scénariste et producteur et a enseigné le cinéma. Il pratiquait aussi la peinture et la musique, d’où un soin esthétique et sonore présent dans chacun des œuvres présentées dans cette rétrospective d’un grand intérêt. Cette exigence formelle se double d’ailleurs d’une recherche spirituelle ou morale.
Mani Kaul a eu des problèmes de vision quand il était enfant et n’a bien vu et découvert le cinéma que vers ses treize ans – d’où un choc esthétique qui l’a vite incité à vouloir faire du cinéma. Au départ, il désirait être acteur, ce à quoi son père s’opposa. Puis il vit un documentaire sur Calcutta qui le marqua profondément. Son oncle réalisateur, Manesh Kaul qui vivait à Bombay, est parvenu à convaincre le père de Mani d’envoyer son fils étudier dans une école de cinéma : celle de Poona. Parmi les enseignants, un cinéaste, Ritwik Ghadak, auteur aussi radical qu’influent. Très marqué par Robert Bresson, notamment par son film Pickpocket, Mani Kaul commence par réaliser des documentaires, puis un premier long-métrage de fiction à la fin des années 1960.
Film de 1971, Un jour avant la saison des pluies est l’adaptation d’une pièce de Mohan Rakesh, déjà inspirateur de Son pain quotidien (Uski Roti,1970). Cette œuvre a pour point de départ l’histoire d’amour entre Mallika et le poète Kâlidâsa. Ce dernier est parti dans une autre ville et s’est remarié avec une princesse. Il a changé de nom et a rencontré le succès, la gloire. Il est question de solitude, de dénuement. Autant Son pain quotidien était proche du documentaire et comportait peu de dialogues, autant on a affaire ici à un oeuvre très littéraire, sans que les échanges ne paraissent ampoulés. Au contraire, le texte est d’une grande beauté. On peut également y voir une méditation sur le temps qui passe, le destin et encore une fois l’amour et son attente. Un jour avant la saison des pluies fait montre d’une grande beauté plastique, et a été tourné dans un somptueux noir et blanc. » (lebleudumiroir.fr)
« … Mani Kaul est un réalisateur dont l’art se pare d’une exigence ascétique évoquant avec force les élans d’un renouvellement esthétique, politique et narratif impulsé par un « cinéma de la modernité » qui lui était directement contemporain. Auteur-phare de la Nouvelle Vague indienne, élève du cinéaste bengali Ritwik Ghatak, Mani Kaul insuffle à son cinéma austère un rythme lent jusqu’au figement (il n’hésite par ailleurs pas à insérer des photographies au sein de son dispositif filmique), une temporalité misant sur une certaine forme de dilatation, une blancheur de la diction de comédiens qu’on aurait débarrassés de tous leurs affects pour ne conserver que la substantifique moelle de leur puissance hypnotique. Il serait tentant d’apparenter la démarche esthétique de Kaul à une sorte d’abstraction bressonnienne, ou d’en faire l’aïeul artistique tacite d’auteurs plus distribués dans nos salles françaises comme Chantal Akerman, Tsai Ming-liang ou Apichatpong Weerasethakul ; il semble cependant plus juste d’en faire un auteur unique, dont le cinéma n’est à nul autre pareil.
L’une des thématiques majeures du cinéma de Mani Kaul semble bel et bien être l’incommunicabilité entre les êtres, et plus particulièrement entre les femmes et les hommes… Un jour avant la saison des pluies (1971) raconte une autre attente, celle de Malika, laissant partir son amant platonique, Kâlidâsa, poète quittant sa campagne pour la ville où il rejoint la cour du roi local ; embrassant une carrière politique, il ne revient plus sur les lieux de ses racines, au grand désespoir de Malika qui voit peu à peu son monde se déliter… Un jour avant la saison des pluies met en scène la désagrégation d’ordre physique de l’espace et des corps symbolisant celle, d’ordre sentimental, d’une relation amoureuse finalement impossible… Cette érosion atteint la maison de bois dans laquelle vivent Malika et sa mère Ambika, et dont le film ne sortira jamais. L’unité de lieu, la parole débordante et théâtrale énoncée d’un ton monocorde, le ressassement des mêmes paroles et des mêmes situations font de cette fiction une œuvre dont la progression repose sur le dispositif narratif (adapté d’une pièce de théâtre en trois actes, le film s’applique à respecter les trois parties distinctes du récit) et sur les marques temporelles visibles sur le lieu de l’action, ou plutôt de l’inaction. La progression sociale de Kâlidâsa, devenu gouverneur du Cachemire et prince par alliance, est inversement proportionnelle au délabrement d’un espace qui a perdu la valeur vive du poète qu’il était, symptomatique du vide intérieur des personnages qui, eux, sont restés dans leur campagne…
… Le sens du récit est ténu dans ce cinéma, dont les histoires racontées se résument au strict minimum ; l’art de Mani Kaul se caractérise par son abstraction, par un sens très particulier de la temporalité, faisant du figement, de l’immobilité une dialectique en soi, s’intéressant moins à la progression des récits (la stagnation se situe également à cet endroit-ci) qu’à la contemplation des visages, des regards fixant par leur manque patent d’émotions un monde face auquel ils ne peuvent rien, qui édicte ses règles absurdes contre lesquelles la résistance semble impossible…
… L’attrait pour le remodelage du monde sensible par la création se retrouve évidemment dans Un jour avant la saison des pluies, dans lequel l’un des personnages se trouve lui-même être un poète, en osmose avec la nature (Kâlidâsa ramenant un faon blessé par un chasseur dans la cabane de Malika afin de le soigner et de lui redonner de l’énergie) ; le délitement du monde suivant son départ sera le signe de sa présence paradoxale, son absence et le manque de sa pensée poétique et empathique modifiant la face du monde et érodant sa beauté et sa solidité…
… La mise en scène du cinéaste indien recèle en elle cette beauté-là : faire s’affronter en face-à-face, littéralement en duel, un réel rude et mesquin et une illusion merveilleuse, fantasmatique, à même de le remodeler pour l’adoucir. Et si cet affrontement entre le monde réel et sa poétisation, source d’apaisement et de détresse conjoints, plus encore que l’austérité de sa mise en scène, était le plus à même de caractériser le cinéma exigeant et inspirant de Mani Kaul ? » (culturopoing.com)
« … Comme autant de poèmes visuels lyriques, le cinéma de Mani Kaul est une projection de paysages humains et naturels et une immersion dans des images oniriques de femmes en rupture de ban exprimant des frustrations ou des insatisfactions. C’est un cinéma de l’errance et du voyage intérieur en butte à une société archaïque pétrie de traditions patriarcales sclérosantes. C’est du moins l’impression dérangeante que le prisme de nos valeurs occidentales nous renvoie à première lecture. Mani Kaul comme Mrinal Sen dans un registre voisin sont les figures de proue pionnières du courant avant-gardiste de la nouvelle vague du cinéma indien.
Le mouvement du nouveau cinéma indien comme il s’intitule voit le jour fin des années 60, début des années 70. S’inspirant de la nouvelle vague française, du cinéma novo brésilien et des nouvelles vagues issues de tous les coins du monde, cette mouvance cinématographique alternative entend rompre radicalement avec les canons du cinéma conventionnel initié par l’industrie bollywoodienne et axée sur des divertissements standardisés offrant un spectacle complet qui mixent danses, chants et tragédie dramatique.
Dans ce contexte qui aspire à un cinéma plus ambitieux, plus mature pourrait-on dire, les films de Mani Kaul ont une vocation esthétique et cinématique. Ce sont des œuvres d’art et essai qui s’éloignent des créneaux de distribution classiques n’étant pas destinés à un public large même s’il ne s’agit pas de restreindre leur diffusion pour autant. Mani Kaul est à sa manière un expérimentateur de formes nouvelles. Il revisite de fond en comble la grammaire syntaxique du cinéma classique dont il veut se démarquer pour créer ce qu’il appelle une “non-fiction” qui ne soit plus subordonnée à une narration linéaire. Néanmoins, Kaul a retenu la leçon de ses débuts comme cinéaste documentariste et ses longs-métrages sont enracinés culturellement et territorialement dans la friche rurale agreste des régions reculées du Punjab ou du Rajasthan.
Sortir des normes conventionnelles de composition héritées de la Renaissance, c’est ainsi que Mani Kaul théorise le processus créatif qui définit son art qu’il rapproche de la peinture par son côté graphique et l’usage redondant d’images arrêtées.
Kaul explique qu’en introduisant le gros plan comme figure de rhétorique et donc de style dans la continuité, David Wark Griffith a accompli une manière de révolution copernicienne ; créant un hiatus visuel et transgressant les codes normatifs dans un rapport à la lecture univoque de la narration de l’époque. En effet, le récit diégétique n’avait jusque-là recours qu’au plan moyen et au plan d’ensemble.
A la manière d’un peintre sublimant son modèle, Mani Kaul stylise personnages,objets, arbres et nature…
Fort de cet enseignement, Mani Kaul crée de toutes pièces un espace émotionnel qui lui est propre où les distances forgent les liens dans une élongation du temps. Comme un peintre idéalisant son modèle, il stylise les acteurs mais aussi les objets, les arbres et la nature. Ce faisant, il imprime un mouvement perpétuel à la caméra et poétise la réalité.
Mani Kaul est d’abord un documentariste qui a beaucoup appris de son maître Ritwik Ghatak, cinéaste, dramaturge, critique et écrivain bengali de renom qui a forgé en lui cette revendication d’un cinéma anticonformiste dicté par l’expérimentation esthétique.
Comme il le formalise dans ses interviews ou conférences, le cinéma selon Mani Kaul n’est pas un médium visuel mais un médium temporel. Hors des sentiers battus, il imprime un rythme et une temporalité à ses films qui lui sont particuliers. » (iletaitunefoislecinema.com)
« « Le cinéma n’est pas une passion, encore moins une profession, c’est la vie elle-même. » Il ne faudrait surtout pas voir, dans cette phrase que Mani Kaul répétait à ses étudiants et ses amis, que le cinéma a pour rôle de filmer la vie. Loin du néo-réalisme de Satyajit Ray, le cinéma de Mani Kaul est dit avant-gardiste, expérimental, exigeant, à part ou encore incompris. La vie cinématographique, c’est une vie dans laquelle l’outil cinéma permet d’être attentif à tout. Un bruit, une couleur, une image, une ombre, un tressaillement. Fixés sur la pellicule, ces moments auxquels on décide de prêter une attention extrême, prennent vie pour donner naissance à un film. Réalisateur inclassable dans l’histoire du cinéma indien, il a laissé une empreinte sur tous ceux qui l’ont eu comme mentor, comme professeur, mais aussi chez ceux qui ont vu ses films. Sa douceur, son altruisme et sa générosité ont marqué des générations de réalisateurs indiens qui n’oublient jamais de le mentionner lorsqu’ils reviennent sur leur parcours cinématographique…
… Dès les premières secondes de Un jour après la saison des pluies, on comprend que les contraintes qui vont forger la création sont différentes. C’est la langue qui prévaut. L’hindi est fleuri, sanskritisé, et si les nuances ne sont pas perceptibles dans le sous-titrage, en tant que spectateurs on peut se laisser porter par l’omniprésence de cette langue, des dialogues, qui sont dits comme une longue litanie sans émotion. Mani Kaul ne faisant jamais rien au hasard, la raison de ce changement de registre linguistique nous est donnée dans les premières minutes du film. Nous sommes en Inde ancienne, dans l’antiquité auprès de l’un de ses plus remarquables auteurs sanskrits : Kālidāsa. De plus, le film est une adaptation d’une pièce de Mohan Rakesh (1925-1972), une figure littéraire incontournable de la Nayī Kahānī (le Nouveau Roman) qui avait déjà signé les dialogues de Uski Roti. Mallika, amoureuse de Kalidasa, vit avec sa mère dont le blanc immaculé du sari nous indique qu’elle est veuve. Les deux femmes sont enchaînées à cette maison, à leur foyer dans lequel leur vie se résume aux corvées ménagères. Leur monde est bousculé lorsque Kalidasa est appelé à la cour pour en devenir le poète. Mallika, symbole – de nouveau exploré par Kaul – de la pativratā (femme vertueuse qui a juré dévotion et soumission à son mari-dieu), se sacrifie pour qu’il vive la vie qu’il mérite. Enfermés avec ces deux femmes dans cette maison, les moments de reculs peu nombreux ne nous autorisent pas à voir les contreforts de l’Himalaya qui la bordent. Kaul filme l’attente de Mallika, qui s’oublie dans son espoir de revoir un jour celui qu’elle aime. Comme pour renforcer ce sentiment d’oppression, Mani Kaul cadre les visages, rien que les visages qui prennent alors tout l’écran. Les regards indirects, les corps qui ne se touchent pas, renforcent l’impression de regarder des tableaux parlants… » (revusetcorriges.com)
« … Mani Kaul tourne avec des acteurs pas ou peu connus, sans trop de moyens, et fait du cinéma un art du temps. Le film s’oppose au cinéma narratif, et le discontinu, la rupture et l’immédiateté viennent travailler le présent et l’instant. Les portraits des femmes ajoutent une dimension documentaire : il s’agit, au-delà de la simple fiction, de rendre compte du travail de ces femmes dans les champs, de leurs activités manuelles et artisanales, dans des conditions très précaires. C’est en privilégiant les plans larges, une caméra fixe et des personnages éloignés de la caméra que Mani Kaul se place au plus près de la réalité sociale de son époque. Lorsque les personnages apparaissent à l’écran, c’est souvent avec peu de profondeur, et ils se situent toujours en retrait par rapport à la caméra, le regard en biais.
La façon de filmer, très épurée, révèle un goût particulier du détail : les visages, les yeux, mais surtout les mains. Plutôt que de rendre compte du corps en entier, Mani Kaul préfère la suggestion et n’en montre que des parties isolées. Le réalisateur se dit lui-même influencé par Robert Bresson, et comme lui, fait des mains un personnage autonome, à forte intensité dramatique, au silence pesant. Elles offrent leur propre narration, leur poésie singulière, pour finalement laisser l’image parler d’elle-même. Elle séduit par son attrait parfois bucolique et sensuel, dès les premières minutes du film, où la main est le seul acteur du drame et vient ramasser un fruit, presque comme un élément intrusif dans une nature morte.
S’ensuit ensuite une galerie de portraits, qui laisse parler des visages silencieux, usés par la fatigue et abîmés par le soleil. Ce sont ces personnages qui viendront rythmer le film, qui comporte très peu de dialogues, et se déroule sans drame. Le spectateur est alors invité à participer à l’attente, mais surtout à l’éprouver…
… L’image importe plus que la narration et le discours, elle devient une forme malléable et vivante, qui porte l’attention avant tout sur la façon dont les choses sont représentées, et non sur les choses elles-mêmes.
Plusieurs fois le spectateur peut se prendre à rêver devant ces images, perdre le fil de ces plans qui s’enchaînent parfois avec du retard, mettant toujours l’action en suspend. Le temps se décompose, il est étiré au maximum, dans une totale économie de la narration et des dialogues, et s’éloigne de tout développement réaliste… »(cinegraphe.fr)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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